mis-en-avant

« Magnitude » de Cartier, une collection et une publication entre joaillerie et cosmologie.

Créer une nouvelle collection de joaillerie est toujours un pari. Lorsque l’on s’est imposé au fil des décennies par la qualité indépassable des gemmes choisies et la singularité d’un style qui a écrit l’histoire du bijou au XXème siècle, créer une nouvelle collection est littéralement un défi.

La maison Cartier l’a relevé cette année en osant aller là où on ne l’attendait pas : en associant aux gemmes les plus belles et les plus précieuses des pierres ornementales, que leur moindre valeur exclut habituellement des collections de haute joaillerie. Baptisée « Magnitude », la nouvelle collection Cartier bat en brèche les idées reçues, joue avec l’image même de la maison, et propose des appariements audacieux dont la pièce iconique de la collection est l'emblème : un quartz rutile de 68,85 carats poétiquement qualifié de "cheveux de Vénus" en gemmologie.

Collier Aphélie. Or rose, un quartz rutile taille cabochon de 68,85 ct, un diamant rose-brun poire de 0,74 ct, un diamant rose-orangé-brun fancy deep coussin de 1,01 ct, un diamant rose-brun coussin de 0,53 ct, un diamant rose-orangé fancy deep coussin de 0,50 ct, boules de morganite, onyx, diamants taille brillant.

J’ai eu le privilège de contribuer avec François Chaille au livre que les éditions Flammarion consacrent à cette nouvelle collection.

S’y expose la philosophie qui sous-tend cette nouvelle collection. Au-delà du plaisir ludique de jouer avec les contrastes de pierres, Cartier engage une réflexion sur la nature même des pierres gemmes et interroge leurs origines, leur nature profonde, leur signification pour nous. L’histoire des pierres, c’est l’histoire de l’univers. Cartier a choisi des pierres ornementales qui semblent porter la trace des origines de notre monde. Un cahier central dans le livre mentionne les phénomènes qui ont donné naissance aux pierres, témoins de la cosmogonie.

Collier Equinoxe. Or jaune, un saphir jaune octogonal de Ceylan de 15,48 ct, 32 boules de lapis-lazuli pour 411,27 ct, diamants jaune coussin, diamants jaunes, orange et incolores taille brillant.

A l'infiniment grand répond l’infiniment petit des traces laissées au cœur des pierres par le travail de leur genèse. Le geste artistique de Cartier s'inspire de la réflexion de Roger Caillois qui, notamment dans L’Ecriture des pierresrepéra dans les pierres ornementales des paysages, des figures, des histoires, semblant figer un moment de la création. « Presque toujours il s’agit d’une ressemblance inattendue, improbable et pourtant naturelle, qui provoque la fascination », écrivait-il.

 

Bracelet Zemia. Or gris, une opale matrix d'Australie taille cabochon de 77,27 carats, quatre saphirs violets de taille coussin de Madagascar pour 14,39 ct, saphirs carrés et taille cabochon, grenats spessartite taille briolette, diamants taille brillant.
Pendants d'oreilles Zemia. Or gris, deux saphirs ovales violets de Madagascar pour 5,86 ct, saphirs carrés, grenats spessartite taille briolette, diamants taille brillant.

C’est à cette réflexion de Roger Caillois et au lien avec la collection « Magnitude » que j’ai consacré ma contribution, dont voici un bref extrait : « Translucides ou opaques, agates, calcédoines, onyx, jaspes, labradorites, malachites, lapis-lazuli et rhodochrosites forment des exemples de ce « fantastique naturel propre aux peintures et aux sculptures des pierres » que Caillois a longuement approfondies dans Pierres et dans L’Écriture des Pierres, s’interrogeant sur le mimétisme naturel qui rapproche le minéral du végétal, et les astres célestes des profondeurs de la terre. Ces images mystérieusement dessinées par la Nature artiste racontent l’histoire de notre monde : « Je parle des pierres que rien n’altéra jamais que la violence des sévices tectoniques et la lente usure qui commença avec le temps, avec elles », écrivait-il. Roger Caillois s’employa à y déceler un message envoyé par la nature elle-même, livrant la clef d’un lien originel entre le cosmique et le microcosmique, mais aussi entre l’art et la nature. »

Bague Nuée sauvage. Platine, une turquoise Matrix taille cabochon de 33,94 ct, les yeux des deux panthères sont en émeraude, taches en saphirs, truffes et picots en onyx, diamants taille brillant.

La mise en page du livre publié par Flammarion mêle photographies dévoilant la structure intime des pierres, carnets de dessins, photographies de constellations, dans des formats et papiers différents, produisant l’effet d’un livre expérimental, à l’image de cette nouvelle collection, aventureuse et innovante.

Bracelet Mauna. Or gris, une topaze impériale bicolore rectangulaire de 6,39 ct, quartz rutile, saphirs de couleur taille baguette, diamants taille brillant.

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Livre Magnitude, collection Styles et Design, Flammarion
Paru le 13 novembre 2019. 256 pages - 261 x 309 mm

Magnitude : Cartier High Jewelry - En langue anglaise, l'ouvrage sera distribué par Rizzoli New York, à compter du 14 avril 2020 

Cartier, dernière collection de haute joaillerie Magnitude

Magnitude de Cartier -fascination et pouvoir des pierres. LUXE.TV

Œuvres, Roger Caillois
Précédé de L'homme qui aimait les pierres par Marguerite Yourcenar, Vie et œuvre par Odile Felgine et d'Itinéraire de Roger Caillois par Dominique Rabourdin
Collection GALLIMARD/Quarto
Parution : 02-05-2008

 

Visuel de "une" : Bague Equinoxe. Or jaune, une boule de lapis-lazuli de 37,10 carats, diamants jaunes coussin, diamants jaunes et incolores taille brillant.

Crédit photos @Flammarion /Cartier

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Pendants d'oreilles Kiruna. Or gris, deux opales noires d'Australie, taille cabochon pour 7,95 ct, émeraudes taille cabochon, lapis-lazuli, diamants taille baguette et brillant.

 


Ronny Totah : quelques trésors historiques de ma collection

Ronny Totah, co-fondateur de GemGenève, nous a confié ses coups de coeur joailliers et artistiques.

Des gemmes

J’ai deux passions dévorantes connues de tous  : les saphirs du Cachemire (non traités) à la couleur incomparable (bleu-bleuet). Et les perles fines.

Crédit photo : David Fraga

Dans les deux cas, ces passions s'enracinent dans le passé… Découverts en 1881, les gisements de Zaskar (à deux cents kilomètres au sud-est de Srinagar) produisant les fameux saphirs du Cachemire sont fermés depuis la fin des années soixante-dix.

Quant aux perles fines, elles sont devenues rarissimes. Le coût et les difficultés inhérentes à la pêche aux perles fines, ainsi que la pollution des mers rendent ces gemmes organiques très difficiles à trouver de nos jours. Les perles que je présente, en rang ou individuelles, sont pour la plupart des perles anciennes. Voire historiques.

Un bijou de provenance impériale

Crédit photo : David Fraga

Cette broche caractéristique de la moitié du XIXème siècle est composée de trois perles fines semi-baroques en forme de goutte d’un poids respectif de 39, 40 et 60 grains, de plusieurs rubis dont un birman de 1,8 ct, et de diamants (Rapport d’identification SSEF). C’est un bijou de provenance historique qui aurait appartenu à l’Impératrice Eugénie (1826-1920).

Lors de la chute du Second Empire, suite à la défaite de Sedan en septembre 1870, l'impératrice a pu s'échapper des Tuileries et s’est réfugiée en Angleterre où de proches amis lui ont fait parvenir clandestinement ses bijoux personnels. Afin d’améliorer les conditions matérielles de l’exil familial, Eugénie décide de mettre en vente certains bijoux de sa cassette personnelle dès janvier 1872. Elle remet alors les bijoux dont elle est prête à se séparer à M. Harry Emanuel (1831-1898), un joaillier renommé de Londres.

Il avait été honoré du titre d’« orfèvre de la Reine et du Prince de Galles » et était l’auteur d’un ouvrage de référence intitulé Diamonds and Precious Stones, 1865.

Crédit photo : Alembic rare books

Un article du New York Times en date du 21 janvier 1872 fournit quelques informations (page 6) sur cette première vente : “The jewels of the Empress Eugenie are for sale. Mr. Harry Emanuel has many of them at his establishment in New Bond-street, and is now offering them to his customers”. Vous pouvez consultez intégralement cet article instructif en cliquant ici.

La broche exposée ici dans l‘intimité d’une vitrine interne (stand Horovitz & Totah) proviendrait de cette première vente des bijoux personnels d’Eugénie par Harry Emanuel. L’écrin est d’ailleurs signé du joaillier londonien. Cette broche est caractéristique du goût personnel d’Eugénie pour les bijoux délicats, romantiques, avec ses perles et diamants qui ruissellent en gouttes. Les bijoux privés de l’Impératrice diffèrent de ceux qu’elle portait lors de représentations officielles. L’Impératrice devait alors apparaître parée des attributs du pouvoir impérial : les Diamants de la couronne de France, dont la facture était bien plus imposante que celle de ses bijoux personnels.

Six mois après la vente d’Harry Emanuel, l’Impératrice déchue se défait d’autres bijoux de sa cassette personnelle. La nouvelle vente est orchestrée par Christie, Manson & Wood le 24 juin 1872 à Londres. Elle est présentée en ces termes :  “A portion of the magnificent jewels, the property of a distinguished personage” et comprend cent-vingt-trois lots.

La vente la plus spectaculaire des joyaux d’Eugénie reste bien entendu celle de mai 1887, lorsque la IIIème République mit en vente publique les Diamant de la Couronne de France. Les plus belles parures d’Eugénie, chefs-d’œuvres de la joaillerie française du XIXème, furent alors dépecées pour la plupart et irrémédiablement dispersées.

La broche d’Eugénie fut ensuite portée par Madame Ernest Raphael. Cette dernière est représentée en 1905 sur un magnifique portrait de John Singer Sargent (1856-1925).  

Portrait of Mrs. Ernest G. Raphael (Flora Cecilia Sassoon) par John Singer Sargent (1856-1925). 1905.. Peinture à l'huile. 163.8 par 114.3 cm. Collection privée

Maître de l’art du portrait à cette époque, John Singer Sargent donne une valeur de document à ce tableau par la précision du décor et des accessoires qu’il dépeint. Notamment la broche. Madame Ernest Raphael, Flora Cecilia Sassoon de son nom de jeune fille, aurait reçu ce bijou de son père, David Reuben Sassoon, qui était un ami du roi Edouard VII. La broche est restée dans la famille jusqu’en 1983.

Ce tableau fut présenté chez Sotheby's le 22 mai 2002 lors de la vente "American paintings". Vous pouvez zoomer sur le bijou -entre autres- en cliquant sur ce lien. Ce portrait figure également dans le catalogue raisonné Sargent Abroad, Figures and Landscapes écrit par Warren Adelson, Donna Janis, Elaine Kilmurray, Richard Ormond, Elizabeth Oustinoff.

Un tableau

J’ai récemment acquis ce portrait de Miss Peggy Hopkins Joyce peint par Raymond Perry Rodgers Neilson (1881-1964). Ce tableau appartenait à mon ami Fred Leighton, le célèbre joaillier new-yorkais décédé en juillet dernier. Il figurait dans la vente de Sotheby's intitulée "The Jeweler’s Eye: The Personal Collection of Fred Leighton".

Peggy Hopkins Joyce (1893-1957) était une starlette des Années folles. Elle dansait au Ziegfeld Follies, et sa vie personnelle défraya la chronique plus d’une fois. Elle connut six mariages et autant de divorces. Peggy collectionnait les amants, les fourrures et les diamants. Avant Marilyn Monroe, elle aurait pu chanter « Diamonds are a girl's best friends » !

Sur le portrait, de R. Perry Rodgers Neilson  elle porte un diamant de 127,01 carats appelé le « Portuguese diamond ». Le nom de ce diamant provient du fait qu’il aurait été extrait au Brésil. Par la suite, il aurait appartenu à la Couronne du Portugal. En réalité, ce diamant provient fort probablement de la mine Premier à Kimberley en Afrique du Sud et aurait été trouvé au début du XXème siècle.

C’est d’ailleurs auprès de la société Joyce Black, Starr & Frost que Peggy Hopkins acquis en février 1928 le « Portuguese diamond ». Elle porte cet incroyable diamant monté sur un tour de cou en platine et serti de diamants. On remarque également ses bracelets et la monture de son solitaire tout aussi caractéristiques des bijoux Art Déco de cette époque.

En 1951, Harry Winston racheta  le « Portuguese diamond » de Peggy Hopkins Joyce. Et, en 1963, l’échangea au Smithsonian contre… 3 800 carats de petits diamants ! Ce diamant se trouve toujours exposé dans la galerie Gem du Musée national d'histoire naturelle de Washington.

 

Crédit photo du visuel de "une" : David Fraga


Influence de l'Inde sur les créations européennes : hier et aujourd'hui

Tout au long de la fin du XIXème siècle et durant les premières décennies du XXème siècle, l'influence de l'Europe sur la joaillerie indienne a été très forte, comme l'attestent les spectaculaires créations occidentales réalisées à l'attention des Maharajahs. Ces commandes ont donné un nouveau souffle à la création européenne. A partir des années 1910, l'exotisme indien devient très à la mode.

Dans ces années-là, les grandes maisons de joaillerie européennes se mettent à leur tour à "interpréter" l'Inde - tout comme l'Inde avait auparavant interprété l'Europe. Les bijoux alors créés reprennent à leur compte les traits décoratifs de la joaillerie indienne traditionnelle : émail, mélange de gemmes multicolores, pierres gravées et superpositions de rang de perles et de pierres montées.

La genèse du goût des Européens pour l'Orient en général et l'Inde en particulier mérite qu'on s'y arrête.

Avers du bracelet 'Tutti Frutti' Bracelet, Cartier. 24–28 April 2020 • Sotheby's • New York

 

 

visuel de "une" : Gem-Set, Diamond and Enamel 'Tutti Frutti' Bracelet, Cartier, estimate $600-800,000. Online Auction: 24–28 April 2020 • Sotheby's • New York. Vendu $1,340,000, ce bracelet détient désormais le record pour un bijou vendu aux enchères en ligne !