Joaillerie française
Une histoire des bijoux régionaux : la Normandie
Par Brigitte Serre-Bouret

Guy de Maupassant, La Maison Tellier, 1881
Témoin de son temps, Guy de Maupassant (1850-1893) nous évoque sa région, la Haute Normandie (à l’époque la Seine-Inférieure et l’Eure) où les parures ne brillaient qu’en de rares occasions.
A quelle catégorie sociale appartenaient les élégantes qui portaient ces bijoux ? Gravures et portraits nous renvoient indifféremment, paysannes, femmes de pêcheurs, maîtresses ou servantes, modestes artisanes, commerçantes aisées. Comme dans toutes les provinces de France, le bijou est avant tout transmission patrimoniale et valeur refuge, jalousement conservé de mère en fille. Assorti de la coiffe en dentelle, parfois presque aussi coûteuse, il sert aussi de langage, attestant de la provenance géographique de sa propriétaire, témoignant de son bien.
A l’époque de l’écrivain, quelques kilomètres suffisent à souligner les différences : coutumes, costumes, langage. Les jours de foires ou de fêtes, avant de se parler, chacune, chacun, s’identifie au port du vêtement et du bijou, à la manière dont la coiffe est amidonnée. Dans le pays de Caux natal de Maupassant, le montage de cette dernière suffit à lui seul à identifier une femme de Dieppe, d’Yvetot ou des bords de Seine.
Pour le bijou, le particularisme est moindre. Si la Seine est une sorte de frontière entre la Haute et la Basse Normandie, les bijoutiers se copient, voyagent, suivent la mode. Certains fabriquent sur place, d’autres se fournissent à Paris d’éléments assemblés selon la commande. C’est ainsi qu’il n’est pas rare dans la Manche de trouver un bijou provenant de Rouen.
Dès avant la Révolution, Normandie et Provence, sont les premières régions de France, économiquement prospères, à témoigner de bijoux fabriqués localement. Du fait de l’essor industriel et des réseaux de communication, ferroviaires, maritime également avec l’Angleterre, la Normandie sera aussi parmi les premières à perdre son identité régionale, la mode parisienne gagnant vite du terrain.

La croix-bosse : un vénérable ancêtre
Presque toutes les croix normandes présentent la particularité d’avoir le pendant inférieur amovible. La croix bosse se porte dès avant la Révolution en Haute Normandie et dans le Calvados. Les deux faces du bijou obtenues par estampage d’une mince feuille d’or ou d’argent, sont soudées l’une à l’autre. Le décor bosselé imite les pointes de diamant. Le rembourrage de ce bijou fragile et creux se fait avec de la résine, du plâtre, parfois même du torchis !
Le bijou se complète de pendants d’oreilles et d’un cœur coulant, les petits orifices aménagés au verso de ce dernier permettant de passer un ruban remplacé au début du XIXème siècle par une chaîne. Ce bijou léger peut atteindre des dimensions surprenantes, plus de 15cm de hauteur. Il est fragile : la croix bosselée se cabosse !

Les pans de dentelle relevés sur le sommet de la tête évoquent une coiffe de l’Eure. Croix bosse et cœur coulant en or sont retenus par une chaine jaseron. Des pendants d’oreilles les complètent.

Or, fin XVIIIème, début XIXème. Collection Michael Fieggen.
Les croix à pierres
La quadrille et la croix de Saint-Lô
Mis à la mode par les grands bijoutiers du XVIIIème siècle, le strass séduit par son imitation parfaite et économique du diamant. Sous l’Empire, il brille sur les croix normandes, reléguant la croix-bosse dans quelques écrins d’ancêtres. Dans toute la Normandie se fabrique la « croix drille » (du nom de l’outil du bijoutier) aussi nommée, la « quadrille » du fait de sa forme carrée.
Sur fond d’or ou d’argent repercé à décor de fleurons, le bijoutier aménage des cabochons sertis en cônes retenant le strass. Croix et cabochons deviennent volumineux à Saint Lô, ville qui donnera l’appellation générique à ce type de croix.

De la quadrille aux formes stylisées, naît la croix de Rouen. Sa forme s’étire sur une large plaque d’or repercée, bombée, garnie de strass. Le cabochon central s’ouvre en une myriade de pierreries nommée « à l’enfantement ». Elle est articulée et se complète du « coulant » qui tient plus du bouton de fleur que du cœur. Ce bijou, toujours en or, fabriqué à Rouen sous l’Empire et la Restauration, se fera aussi à Paris ultérieurement.


Des artistes parisiennes séduites par les bijoux normands
Le tableau Le Balcon réalisé par Édouard Manet est célèbre car il représente la première apparition de celle qui, d’élève à modèle, allait devenir la première femme impressionniste : Berthe Morisot (1841-1895). Elle porte le cœur coulant d’une croix de Rouen, témoignage de ses attaches familiales fécampoises.

Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski


De même dans ses autoportraits, Marie Bracquemond (1840-1916), peintre impressionniste méconnue, témoigne de son intérêt pour les bijoux normands. Ces artistes font preuve d’originalité. En effet, dans certains milieux parisiens, il était à la mode de se démarquer en portant des bijoux régionaux.

Genève, musée du Petit Palais. L’artiste, à gauche, porte une croix de « St Lô ».
Le collier d’Yvetot
Ce collier à pierres, lourd et d’un bel effet, se compose d’éléments s’articulant entre eux à décor géométrique ou floral, retenant une croix ou la colombe du Saint-Esprit.
Cette appellation lui a été donnée par un bijoutier du pays de Caux ayant constaté qu’il s’en portait beaucoup à Yvetot, gros bourg du pays de Caux ainsi qu’à Rouen et sa région. En réalité, son origine est parisienne.
C’est l’exemple typique d’une fabrication que les bijoutiers normands s’approprient, se procurant à la capitale les éléments de bijoux qu’ils assemblent ensuite selon la demande et les moyens financiers du client.

Le Saint-Esprit
Ce bijou suspendu à une bélière en forme de nœud était déjà fabriqué à Saint Lô avant la Révolution. Au siècle suivant, il provient aussi d’ateliers niortais et parisiens.
On le nomme Saint Esprit car il représente la colombe emblématique descendant du ciel tenant au bec un rameau orné de pierres blanches ou de couleurs. Parfois ce sont des grappes de raisins auxquelles s’abreuvent des oisillons en signe de fécondité. Messagère de Vénus puis symbole de paix et du baptême chrétien, il est difficile de déterminer si ce bijou, évocateur de l’amour était offert au moment du mariage ou s’il était symbole religieux, catholique ou protestant.
Ce bijou fragile s’est porté dans toute la Normandie.

Argent moulé, strass blancs et de couleurs. Paris, milieu XIXème. Collection Michael Fieggen.
Les ivoires de Dieppe
En créant au milieu du XVIIème siècle la Compagnie normande, Richelieu accordait à une association de marchands de Dieppe et de Rouen le privilège d’exploiter le Sénégal et la Gambie. Parmi les marchandises importées, le commerce de défenses d’éléphants allait faire de Dieppe le principal centre ivoirier de France.
Au sein de la production surabondante qui va de la maquette de navire à la statuette en ronde-bosse, de l’objet religieux aux objets usuels, râpes à tabac, carnets de bal, souvenirs touristiques, les ivoiriers produisent des bijoux à motifs floraux, pensées, corbeilles de mariages, colombes, gerbes de blé, tout un vocabulaire évoquant l’amour, l’union conjugale et que les ébénistes sculptent aussi sur le fronton des armoires de mariage.
Le travail de l’ivoire était florissant à Dieppe qui comptait en 1820 près d’une centaine d’ateliers. En 2016, le décret Ségolène Royal interdisant le commerce de l’ivoire en France a conduit à la fermeture du dernier atelier qui perpétuait un artisanat de qualité depuis six générations.

Ivoire. XIXème siècle. Dieppe. Les Pêcheries, musée de Fécamp

Le collier dit « d’esclavage »
« De s’y mettre en ménage, ce n’est qu’un trépas certain… penser à son ouvrage. Adieu plaisirs, adieu beau temps, je suis dans l’esclavage »
Cette chanson populaire poitevine a malheureusement associé la condition féminine à ce charmant collier offert au moment du mariage. Un bien vilain nom pour un collier original qui se distingue par l’enchaînement de une à trois plaques à des chaînes différentes.
Son port se développe sous le Directoire à Paris pour être très en vogue sous l’Empire et jusqu’au milieu du XIXème siècle où il rencontre un vif succès en Normandie, en Poitou-Charentes, en Bourgogne, en Auvergne. Les bijoutiers se fournissent en éléments séparés. Les plaques émaillées proviennent du Poitou ou de la Bresse, les chaînes aux mailles différentes sont fabriquées à Paris. En Normandie, des bijoutiers plus talentueux gravent et repercent eux-mêmes la plaque centrale. Le charme de ces colliers vient de la variété de l’assemblage des éléments aux choix de la cliente. Ils sont tous différents !
C’est encore en Normandie que l’on retrouve les plus anciens esclavages aux décors gravés. Ils évoquent l’amour et la symbolique nuptiale (colombes, arc et flèches, corbeille de mariage, cœurs unis). Lorsqu’il s’agit d’une plaque émaillée le décor associe le chien de la fidélité aux cœurs enlacés ou le rébus de la pensée fleurie associée à l’inscription A MOI (Pensez à moi).

Au tout début du XIXème siècle, le collier de type « esclavage » comporte souvent une seule plaque comme en atteste cette élégante jeune femme. Le couple de colombes qu’elle tient répond en écho au décor identique gravé de colombes se becquetant sur ce collier normand.

Le sous-sol normand était-il riche ?
Les « diamants » normands
Dans son livre paru en 1787, intitulé Mémoires historique sur la ville d’Alençon et sur ses seigneurs, Joseph Odolant Desnos écrit : « les orfèvres de la ville utilisent des diamants faux, blancs et bruns extraits des carrières environnantes et qui lorsqu’ils sont mis en œuvre ne le cèdent en rien pour l’éclat aux diamants fins ». Effectivement, la carrière du Pont-Percé à quelques kilomètres d’Alençon, a longtemps livré un beau quartz cristallisé en prisme exploité et vendu sous le nom de diamants d’Alençon pour la fabrication des bijoux.
Jusqu’à l’Empire, des croix de Saint Lô sont reconnaissables car ce quartz fumé est légèrement brunâtre. Les bijoux ont continué à être fabriqués avec l’appellation « diamants d’Alençon » que seule une analyse géologique authentifierait car au fil de l’épuisement des carrières, des quartz plus blancs venant d’autres régions et surtout le strass, vinrent le remplacer.

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Brigitte Serre-Bouret est docteur en histoire de l’art et archéologie, conservateur en chef du patrimoine et enseignant chercheur. Après plus de trente ans de direction de musées de Beaux-arts, elle se consacre aujourd’hui à la recherche et à l’enseignement supérieur dans ses domaines de compétences. Notamment, elle enseigne à l’Institut National de Gemmologie à Paris et à Lyon, l’histoire et la sociologie du bijou. Elle a organisé ou participé à plusieurs expositions sur le sujet.
Son dernier ouvrage « Bijoux, l’Orfèvre et le Peintre » porte sur la symbolique des gemmes et des bijoux au travers des portraits, de l’Antiquité au début du vingtième siècle.
A voir !
Manet/Degas
Du 28 mars au 23 juillet 2023
Cette exposition est organisée par les musées d’Orsay et de l’Orangerie et le Metropolitan Museum of Art, New York où elle sera présentée de septembre 2023 à janvier 2024.
Musée d'Orsay
Esplanade Valéry Giscard d'Estaing
75007 Paris
Pistes bibliographiques :
Brigitte Serre-Bouret Bijoux, l'orfèvre et le peintre 2022
contact@editionsdesfalaises.fr
Brigitte Bouret Bijoux et Orfèvres en Haute-Normandie 1993
Michael Fieggen Les Bijoux des Français 2021.
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Un mystérieux objet de vertu signé Cartier-Linzeler-Marchak
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Par Olivier Bachet
Cet article est le fruit d'une acquisition. Mon partenaire est un jour revenu des États-Unis avec dans sa poche un bel objet : un étui à cigarettes Cartier en or, décoré sur ses deux faces d'extraordinaires scènes de chasse persanes probablement inspirées d'une page de manuscrit persan, et réalisées en délicates incrustations de nacre et de pierres dures par Wladimir Makowsky (1884-1966), le maître de la marqueterie joaillière de l'époque Art Déco.
Cette boîte était signée « Cartier Paris Londres New York », mais elle portait également une mention mystérieuse : « incrustations de Linzeler Marchak ».
Il était pour le moins curieux de trouver une double signature sur une boîte Art Déco.

Or, lapis-lazuli, émail, marqueterie de nacre.
Signé Cartier Paris Londres New York.
À l'intérieur, le long du bord gauche, est gravé la mention "Incrustations de Linzeler Marchak".
La marqueterie en nacre et pierres dures porte le monogramme de l'artiste dans le coin inférieur droit : un "m" arrondi pour Wladimir Makowsky
L: 8.7 cm; W: 5.4 cm; H: 1.3 cm.
Collection privée.

A noter chacune des deux scènes de cet étui portent le monogramme de W. Makowsky

Cartier et Linzeler-Marchak n'avaient pas, à ma connaissance, travaillé ensemble. Une autre énigme s'est alors ajoutée à la première. Je connaissais le joaillier Linzeler davantage pour ses pièces d'orfèvrerie que pour ses bijoux, et Marchak davantage pour ses créations d'après-guerre - et notamment ses grandes bagues « cocktail » - que pour ses créations Art déco, mais surtout je n'avais que très rarement vu l'association des deux noms sur une pièce. Je me suis alors soudain souvenu que la plupart des pièces en argent fabriquées par Cartier dans les années 1930 portaient le poinçon de Robert Linzeler. Ces pièces étaient très nombreuses, car si, pour le commun des mortels, Cartier est avant tout un joaillier, une part très importante des ventes de la période Art Déco était alors représentée par l'argenterie, notamment l'argenterie de table, l'argenterie de ménage, les centres de table, les flambeaux, etc… A l'époque, je faisais des recherches pour le livre que j'écrivais avec Alain Cartier, Cartier : Objets d'exception. Il était donc temps de mettre un peu d'ordre dans tout cela pour voir plus clair et comprendre la relation entre trois grands noms de la bijouterie parisienne : Linzeler, Marchak et Cartier.
Robert Linzeler est né le 9 mars 1872. Il descendait d'une dynastie de bijoutiers-orfèvres installés à Paris depuis 1833. En 1897, il s'installe au 68 rue de Turbigo, où il rachète l'atelier de Louis Leroy. Par la même occasion, il dépose son poinçon de maître orfèvre le 14 avril 1897. Celui-ci se compose des deux lettres R et L surmontées d'une couronne royale. Comme le veut la tradition chez les bijoutiers français, ce poinçon reprend le symbole du poinçon de son prédécesseur, à savoir une couronne royale. On aurait pu croire qu'en raison du nom de Leroy ce symbole avait été choisi par ce dernier - en général les symboles étaient choisis selon des jeux de mots faisant référence au patronyme du fabricant - mais en réalité, ce symbole était celui du prédécesseur de Leroy, Jules Piault, un orfèvre spécialisé dans la fabrication de couteaux dont l'atelier de la rue de Turbigo avait été racheté par Leroy en 1886.

Spécialité : orfèvre, bijoutier
Poinçon de maître : Symbole : Une couronne
Poinçon de maître : Lettres : R.L
Adresse : 68 rue de Turbigo, puis 9 rue d'Argenson et 4 rue de la Paix, Paris
Date d'insculpation : 14/04/1897
Date de biffage : 1949

Spécialité : Orfèvre
Poinçon de maître : Symbole : Une couronne
Poinçon de maître : Lettres : L et Cie (la répartition des lettres dans le poinçon est hypothétique)
Adresse : 68 rue de Turbigo
Date d'insculpation : 15/11/1886
Date de biffage : 04/05/1897

Spécialité : Orfèvre
Poinçon de maître : Symbole : une couronne
Poinçon de maître : Lettres : J.P
Adresse : 68 rue de Turbigo, Paris
Date d'insculpation : 1856
Date de biffage : 1887
Les affaires sont florissantes puisqu'en avril 1903, Robert Linzeler quitte la rue de Turbigo et acquiert un hôtel particulier de 480 m2 situé rue d'Argenson dans le luxueux VIIIe arrondissement de Paris pour y installer à la fois son atelier et une salle d'exposition pour recevoir une clientèle privée.

La mention " succr. "après le nom est l'abréviation du mot " successeur ".
Autre détail amusant, il précise sous son adresse "près de Saint Augustin", c'est-à-dire près de l'église Saint Augustin. A une époque sans GPS, cela permettait aux clients de situer immédiatement la rue et surtout de montrer que les ateliers étaient situés dans un quartier chic, contrairement à la tradition des ateliers parisiens de bijouterie et d'orfèvrerie qui, historiquement, étaient situés dans le quartier du Marais, aujourd'hui l'un des plus chers de Paris mais au début du XXe siècle, très populaire, ce qui était encore le cas lorsque Linzeler s'était installé en 1897 rue de Turbigo.

Cette période qui précède la première guerre mondiale est féconde.
Le génial Paul Iribe, qui avait également Cartier comme client pour qui il fabriquait de l'argenterie, conçoit des bijoux pour Linzeler, comme le souligne Hans Nadelhoffer dans son livre Cartier. Linzeler était donc, comme souvent à l'époque, à la fois fabricant pour les autres et détaillant pour lui-même.

Platine, diamants, saphirs, perles et émeraude conçus par Paul Iribe pour Robert Linzeler, vers 1911
Collection privée
Après la Grande Guerre, en décembre 1919, la société est rebaptisée ROBERT LINZELER-ARGENSON S.A. Ce changement de nom s'accompagne de l'installation d'un magnifique magasin décoré par les amis de Robert Linzeler, Süe et Mare, connus pour leur décoration Art Déco. Malheureusement, les affaires sont mauvaises. Il ne faut pas oublier que les lendemains de guerre sont une période de crise qui rend les affaires difficiles.


Argent, marbre portor. Signé Cartier. Poinçon français à tête de sanglier pour l'argent. L : 35 cm ; l : 11 cm (set de plateaux). L : 25 cm (couteau à papier). L : 13,5 cm ; l : 6 cm (tampon encreur). L : 4,5 cm ; H : 6 cm (pot à allumettes).
Fabricant : Linzeler. Collection privée.
Cet ensemble de bureau est réalisé en marbre Portor, noir veiné de jaune. Il est identique au marbre choisi par le marbrier Houdot pour décorer la façade de la boutique de la rue de la Paix en 1899. Utilisé pour décorer toutes les boutiques de Cartier dans le monde, ce marbre est souvent associé à Cartier.
C'est alors que les frères Marchak interviennent.
Les frères Salomon et Alexandre Marchak, nés à Kiev respectivement en 1884 et 1892, étaient les fils de Joseph Marchak surnommé le « Cartier de Kiev ». Bijoutier et orfèvre, la haute qualité de ses productions avait fait la réputation de l'entreprise.
En 1922, les frères Marchak entrent dans le capital de Robert Linzeler, et la société devient LINZELER-MARCHAK. Ils signent les pièces en conséquence, et c'est encore sous ce nom qu'elles reçoivent un Grand Prix à l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de 1925. La société LINZELER-MARCHAK devient la A. MARCHAK (Société Française de joaillerie et d'orfèvrerie A. Marchak) en décembre 1927.

Cette période correspond, je pense, à l'intervention de Cartier dans l'affaire Linzeler, mais seulement pour la partie concernant l'hôtel particulier de la rue d'Argenson. En effet, ne l'oublions pas, Linzeler possédait cet hôtel particulier et le magasin du 4 rue de la Paix. Je ne sais pas si Cartier était entré dans le capital de Linzeler à la fin des années 1920, mais cela est probable puisqu'en 1932, René Révillon, gendre de Louis Cartier, propose d'augmenter le capital de la société et d'en donner une partie en actions à Robert Linzeler en échange de la vente du fonds de commerce et de l'hôtel particulier de la rue d'Argenson. Les actions restantes sont achetées par Cartier-Paris et surtout par Cartier-New York, qui en devient l'actionnaire majoritaire. Cette date correspond également à la fin de l'association entre Robert Linzeler et les frères Marchak. Il semble donc qu'à cette date, Cartier ait pris totalement possession de la rue d'Argenson et les frères Marchak du magasin de la rue de la Paix. La société Linzeler-Marchak est définitivement dissoute le 10 juin 1936. Robert Linzeler décède le 25 janvier 1941.
Ainsi, à partir de 1932, l'atelier Robert Linzeler du 9 rue d'Argenson produit de nombreuses pièces d'argenterie pour Cartier, son nouveau propriétaire. L'atelier devient, en quelque sorte, l'atelier de la Maison spécialisé dans la fabrication de pièces d'argenterie, notamment pour Cartier-New York, propriétaire de la majeure partie du capital de la société. Cela explique que de nombreuses pièces portent le poinçon de Robert Linzeler, non pas en forme de losange, mais en forme de pentagone dit « obus » ce qui signifie que la pièce était uniquement destinée à l'exportation en témoigne cette extraordinaire paire de candélabres Cartier en or, argent, laque et verre que j'ai eu la chance d'acquérir. Elle fait désormais partie de la collection Lee Siegelson à New York. Il est à noter que c'est dans ce vaste hôtel particulier que Cartier installa dans les années 1930 l'atelier Ploujavy, un autre atelier de fabrication spécialisé dans la réalisation d'objets en argent et en laque tels que des boîtes à cigarettes et des vanity cases.

Argent, or, verre et laque
Signé Cartier Made in France
Poinçon de maître : Robert Linzeler
Siegelson, New York

À l'exception des pendules de l'étagère supérieure, cette vitrine est un bon exemple de l'importance que représentait l'argenterie dans le succès de Cartier, fait aujourd'hui presque totalement oublié.


Spécialité : Orfèvre, bijoutier
Poinçon de maître : Symbole : Deux lignes croisées
Poinçon de maître : Lettres : P.L.J.V
Adresse : 66 rue de de La Rochefoucault, puis 9 rue d'Argenson, Paris
Date d'insculpation : 08/08/1929
Date de biffage : ?
Le poinçon de Robert Linzeler est définitivement rayé en 1949. Le 23 juillet de cette année-là, la société LINZELER-ARGENSON devient la société CARDEL par contraction des noms Cartier et Claudel. Ceci en référence à Marion, la fille unique de Pierre Cartier, le propriétaire de Cartier-New York. Elle était née Cartier et devint Claudel suite à son mariage avec Pierre Claudel (fils de l'écrivain Paul Claudel). La couronne de Linzeler a été conservée comme symbole sur le nouveau poinçon de maître.

Spécialité : Orfèvre
Poinçon de maître : Symbole : une couronne
Poinçon de maître : Lettres : S.A.C.A.
Adresse : 9 rue d'Argenson, Paris
Date d'insculpation : 19/09/1949
Date de biffage : ?
Enfin, pour répondre à la première énigme, pourquoi y a-t-il une signature « Linzeler-Marchak » sur un étui à cigarettes Cartier ?

Je ne vois qu'une seule hypothèse : L'étui est "né" Cartier. Avec sa frise de motifs géométriques gravés sur les bords sans émail, son onglet et ses coins en pierre dure, il appartenait à la série des étuis « chinois ». Il s'agissait d 'étuis relativement peu élaborés dont les deux faces étaient probablement décorées de laque burgauté à l'image d'un autre exemplaire de 1930. La boîte était-elle endommagée ou le client souhaitait-il une boîte avec un décor plus élaboré ? Le mystère reste entier. Quoi qu'il en soit, elle passa vers 1925, dans des circonstances inconnues, entre les mains de Linzeler-Marchak, situé au 4 rue de la Paix en face du magasin Cartier. Elle fut alors transformée par l'ajout d'un entourage émaillé et de deux magnifiques miniatures Makowsky et signée de la mention "incrustations de Linzerler-Marchak", mais la signature Cartier ne fut pas retirée.

L'histoire de cette affaire illustre bien la complexité des relations entre les bijoutiers et les orfèvres parisiens dans le premier tiers du XXème siècle, où, dans certaines circonstances, on n'hésitait pas à racheter des objets de la concurrence, à y ajouter sa propre signature et à les vendre en son nom propre.

Or, laque burgauté, corail, émail, platine, diamants taille rose et écaille de tortue.
Signé Cartier Paris Londres New York.
Poinçon français à tête d'aigle pour l'or.
Poinçon de maître : Renault
L : 8,3 cm ; l : 5,5 cm ; h : 1,4 cm.
Collection privée.
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Bibliographie :
O. BACHET, A. CARTIER, Cartier, Objets d'exception, Palais Royal 2019.
M. DE CERVAL, Marchak, éditions du Regard, Paris, 2006.
J. J. RICHARD, BIJOUX ET PIERRES PRECIEUSES, Blog, Articles sur Marchak et Linzeler, Août 2017, Février 2018
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Suzanne Belperron et Aimée de Heeren : une amitié, un collier, une redécouverte
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Récemment, le marché a vu brièvement réapparaître un collier de Suzanne Belperron dont on avait depuis longtemps perdu la trace. Les experts se sont penchés sur cette pièce avec respect et admiration - et notamment le premier d'entre eux, Olivier Baroin, qui a bien voulu nous faire part de ses impressions et exhumer pour nous la figure trop oubliée d'Aimée de Heeren, grande amie de Suzanne Belperron, mais aussi grande cliente qui rêvait de posséder un exemplaire de ce collier.

"Il s'agit d'une pièce exceptionnelle, provenant d'une collection privée européenne, que je n'avais jamais vue autrement que sur une photographie précieusement conservée par la créatrice dans ses archives", explique Olivier Baroin, expert de Suzanne Belperron et détenteur de ses archives personnelles. "Ce collier n'est sans doute pas une pièce unique, c'est l'un des exemplaires de ce type, conçu à la fin des années Trente et reproduit au fil des décennies par la créatrice". Combien de pièces semblables existe-t-il ? Difficile à estimer selon l'expert... "D'autres modèles réapparaîtront probablement sur le marché une fois celui-ci dévoilé à la presse et au grand public. Je n'imagine pas que ce type de bijou ait pu être démonté par des héritiers lors de successions : l'esthétique du collier, véritable oeuvre d'art, supplante, une fois n'est pas coutume, la valeur intrinsèque du bijou."

Orné de deux motifs coniques retenant des demi-cercles pavés en alternance de diamants taille ancienne, circonférence intérieure 370 mm environ, poinçons français pour l'or 18K (750/00), poids brut 132.30 g, restaurations. Les cinq arceaux sont mobiles. Le poinçon de maître, difficilement lisible se situe au centre du collier, sur le second demi-cercle en or. On en aperçoit en fait qu'une trace : quand on a insculpé le poinçon, la frappe ne s'est faite que sur la pointe du losange. Le poinçon de maître a ripé. Olivier Baroin perçoit la pointe du losange, le "S" surmonté du "t" et le "é" de Sté. Le poinçon Groené et Darde reconnu par l'expert permet de certifier que le collier a été réalisé entre 1942 et 1955. Accompagné d'une attestation de Monsieur Olivier Baroin. Cf.: Sylvie Raulet & Olivier Baroin, Suzanne Belperron, Paris, 2011, p. 211, pour une photographie d'un collier identique.
Influencée par l'engouement pour les arts africains collectionnés avec passion par les artistes français dès le début du XXème siècle, Suzanne Belperron aurait dessiné ce collier signature à la fin des années 30. Le dessin ci-dessous d'une parure or jaune et diamant est une déclinaison amincie du collier mis aux enchères ce printemps. Les clous d'or sont remplacés par une torsade d'or et de diamants, dessin typique du trait Belperron.

Gouache, projet de collier, bracelets et boucles d'oreilles dits "africains" en or jaune, platine et diamants. Archives Olivier Baroin. Cf.: Sylvie Raulet & Olivier Baroin, Suzanne Belperron, Paris, 2011, p. 210.
On retrouve le même collier que celui de la vente parisienne dans deux pages de publicité commanditées par la Maison Herz-Belperron. Femina et Vogue présentaient en 1948 le collier composé de multiples demi-cercles rigides en or, alternés de demi-cercles sertis de diamants, retenus de chaque côté par un clou de forme conique.

Ce collier a séduit les personnalités qui suivaient attentivement les créateurs et créatrices de leur temps, et influençaient les réputations, au premier rang desquelles Aimée de Heeren.

Aimée de Heeren (vers 1903-2006), ravissante mondaine d'origine brésilienne célébrée pour sa beauté, son originalité, son goût et son élégance, possédait une exceptionnelle collection de bijoux (la légende raconte que le Duc de Westminster, alors amant de Coco Chanel, lui avait offert des bijoux ayant appartenus à l'Impératrice Eugénie). En décembre 2007, The New York Times lui rendit hommage en ces termes : "when she died last year at 103, Aimee de Heeren — of New York; Palm Beach, Fla.; Paris; and Biarritz, France — became one more lost link to an earlier age of social grace and high society".

A l'affût des talents de son temps, Aimée de Heeren faisait partie des grandes clientes de Suzanne Belperron. "On peut même aller jusqu'à dire qu'elle était une amie de Suzanne Belperron", précise Olivier Baroin.


Leur importante relation épistolaire, conservée dans les archives personnelles de la créatrice, témoigne d'une attention mutuelle qui s'étend au-delà des échanges relatifs aux commandes joaillières.
Aimée de Heeren, grande admiratrice du travail de Suzanne Belperron soutenait le projet d'un livre sur l'oeuvre de la créatrice, qui aurait été le couronnement de sa carrière. C'est ailleurs pour ce projet, dont Hans Nadelhoffer aurait été l'auteur, que la créatrice rassemblait cahiers de commandes et souvenirs. Aimée de Heeren offrit d'ailleurs à Suzanne Belperron un appareil pour enregistrer ses mémoires, et lui proposa aussi son soutien pour exposer à New York au MET !

En post-scriptum d'une lettre envoyée de l'hôtel Meurice (au début des années 1980) à sa "chère Amie", Aimée de Heeren décrit, d'un jugement pour le moins définitif, le collier d'inspiration africaine qu'elle avait aperçu des années auparavant chez Bernard Herz et dont elle avait étonnamment conservé intact le souvenir : « Si pendant que vous regarderez vos dessins, si vous tombiez sur celui de ce merveilleux collier en or et diamants, (d’inspiration africaine ?) qui avait de grands clous d’or et que j’ai vu chez Herz en 1939. (...) C’était vraiment merveilleux. Peut-on encore le répéter ? C’est rare un collier en or pour le soir qui soit original et pas les horreurs que l’on voit d’habitude ».

Il est touchant que la réapparition de ce collier fasse renaître tout un pan de la vie de Suzanne Belperron et en particulier cette amitié avec Aimée de Heeren, mondaine fantasque et impertinente incarnant un monde englouti.
Galerie La Golconde - Olivier Baroin
9, Place de la Madeleine. 75008 Paris.
Tel : + 33 (0) 1 40 07 15 69
Suzanne Belperron, Sylvie Raulet et Olivier Baroin,
La Bibliothèque des Arts (version française), 2011.
Antique Collector’s Club (version Anglaise)
Dix trésors du patrimoine joaillier de l’Institut national de la propriété industrielle
C'est avec émerveillement que j'ai découvert en ce début d'hiver la grande richesse richesse du fonds patrimonial de l'INPI.
Suite à un article que je venais de publier et sur lequel il détenait des informations, Steeve Gallizia, responsable des fonds patrimoniaux et des projets de numérisation de l'Institut national de la propriété industrielle, m'a contactée.
Sous sa conduite et celle d'Amandine Gabriac, chef de projet archivage, j'ai eu la joie de pouvoir consulter quelques pages des lourds catalogues d'archives recensant des décennies d'innovations joaillières, notamment des pages manuscrites déposées au XIXème siècle. Quelle émotion de découvrir tant de noms pour la plupart méconnus, ou oubliés ; quel foisonnement d'idées, de créations ; que d'espoirs et de rêves de grandeur on devine en filigrane derrière toutes ces inventions !
Steeve Gallizia a accepté de nous présenter quelques pépites sélectionnées au cours d'une "chasse au trésor" joaillière.

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Lacloche joailliers : une brillante histoire enfin tirée de l'oubli
Quelle singulière aventure que celle de la maison Lacloche ! Elle aura duré soixante-quinze ans, illustrant un âge d’or de la joaillerie française, brillant dans le monde entier, résistant à deux guerres mondiales, avant de s’interrompre brusquement en 1967, date à laquelle le dernier héritier décida de se tourner vers le design contemporain. Le plus singulier, cependant, c’est que de cette prestigieuse histoire, il ne reste rien. Les archives n’existent plus. Les bijoux sont dispersés. Les catalogues sont difficiles à trouver. La maison Lacloche, un temps si établie et reconnue, aura été le météore de la joaillerie française.

Broche de revers, Lacloche Frères, 1930.
Or, platine, émail, diamants taille brillant et taille rose, saphirs, jadeite, calcédoine, perle et soie. Offerte au Victoria & Albert museum par les amis américains du V&A et de Patricia V. Goldstein. Jewellery, Rooms 91 to 93 mezzanine, The William and Judith Bollinger Gallery, case 68, shelf C, box 3. @ V&A museum.
Il aura fallu le travail inlassable, passionné et minutieux de Laurence Mouillefarine et Véronique Ristelhueber, pour faire revivre le souvenir de cette maison et en exhumer les pièces les plus caractéristiques. Leur livre fruit de presque trois ans de recherches, est le support de l’exposition en cours à l’Ecole des Arts Joailliers. Il retrace une histoire aussi brillante que méconnue.

Légué par Mlle J.H.G. Gollan. Hauteur : 5,3 cm, largeur : 1,4 cm maximum.
@V&A. Jewellery, Rooms 91, The William and Judith Bollinger Gallery, case 31, shelf A, box 4. @ V&A museum.
Quelques mariages et un enterrement
Cette histoire, c’est celle de quatre frères nés dans la plus grande misère, Léopold (1863-1921), Jacques (1865-1900), Jules (1867-1937), Fernand (1868-1931), et de leurs deux sœurs, Bertha (1857-1945) et Emilie (1855-1910). Leur mère, Rosalie Levy, était une femme de tête bien déterminée à faire réussir ses garçons. A la mort de son premier mari, en 1870, elle restait avec six enfants à charge. Elle épousa un bijoutier. C’est cela sans doute qui inspira ses fils. Jules et Léopold ouvrirent la première boutique de la maison Lacloche en 1892, dans le quartier de la Nouvelle Athènes, exactement au 51 rue de Châteaudun, avant de déménager 41 avenue de l’Opéra. En 1898, Léopold s’associe à son beau-frère Louis Gompers, également joaillier sis Place Vendôme et à Trouville. Dans le même temps, Jacques et Fernand ont ouvert une boutique à Madrid.
Jeunes, entreprenants, les frères Lacloche ont connu une ascension rapide. Plusieurs boutiques ouvrent en Europe. Un drame vient frapper la fratrie en 1900. Le train Madrid-Paris déraille le 15 novembre 1900 à hauteur de Bayonne ; l’accident fait treize morts dont Jacques Lacloche. Fernand rejoint alors ses deux frères à Paris et tous trois s’attellent à développer l’entreprise familiale – si bien qu’en 1901 intervient une première consécration : l’installation au 15, rue de la Paix, juste à côté de Cartier. D’autres ouvertures suivront, notamment celle de Bond Street à Londres en 1904. Les Frères Lacloche sont alors dans la force de l’âge, leur clientèle est prestigieuse : l'avenir leur appartient.


LA Collection Privée. © 2019 Christie’s Images Limited. Cette montre-pendentif de femme est présentée à l'exposition de l'Ecole des arts joailliers.

La consécration mondiale : les Expositions de 1925 et 1929


La Première guerre mondiale interrompt pendant quelques années le développement rapide de la maison. Mais les "Années Folles", suivant la guerre, seront indubitablement les années Lacloche.

Laurence Mouillefarine et Véronique Ristelhueber se penchent tout particulièrement sur la grande Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, qui se déroule en 1925 à Paris. L’idée en avait germé avant la guerre, mais la mise en œuvre avait été retardée par le conflit mondial. Lacloche frères figure en bonne place dans le pavillon dit de la Parure, située au Grand Palais, et dessiné par le designer Eric Bagge.


LA Collection Privée. Photo Bonhams. Cette broche est présentée à l'exposition de l'Ecole des arts joailliers.
A côté de leur vitrine, Cartier, Van Cleef& Arpels, Dusausoy et Sandoz : Les Frères Lacloche font officiellement partie des “happy few” de l’art joaillier mondial. Laurence Mouillefarine et Véronique Ristelhueber se sont lancées sur les traces de cette exposition. A force d’opiniâtreté, elles ont pu dénicher à New York les deux albums de gouaches réalisés en souvenir de l'Exposition. S'y trouvent illustrées toutes les créations (chacune étant unique) exposées sur le stand de Lacloche frères.
Le premier album présente vingt-une pendules, et pendulettes, fabriquées par la maison Verger. Sept de ces objets extraordinaires font partie de l'exposition de l'Ecole des arts joailliers. Ils sont présentés au centre d'une reconstitution suggestive et poétique du hall de la section joaillerie de l'Exposition de 1925.


Le second album dévoile soixante-trois dessins de bijoux, étuis à cigarettes et nécessaires ou "vanity case", accessoires si emblématiques des "Années folles". A une mode nouvelle, succédaient de nouvelles parures et objets précieux : les femmes de la Cafe society avaient coupé leurs cheveux à la garçonne, elles portaient des robes souples, fluides, à la ligne droite et aux étoffes colorées. Elles avaient pris l'habitude de se repoudrer en public, de fumer, de conduire! et de nouveaux accessoires de beauté aux vifs contrastes de couleurs, de matières (pierres précieuses versus pierres ornementales) et de diaphanéité (opaque, translucide ou transparent) complétaient cette mode. Lacloche frères a excellé dans l'art du nécessaire de beauté.



Une deuxième occasion de briller fut offerte à Lacloche frères en 1929 lors de l’Exposition des "Arts de la bijouterie, joaillerie et orfèvrerie" au Musée Galliera. On remarque alors une évolution esthétique et stylistique majeure qui sera qualifiée par Henri Clouzot (1865-1941), conservateur du musée, de "grand silence blanc". Lacloche frères présente aux côtés de sept confrères de somptueux bijoux montés sur platine et sertis presqu'exclusivement de diamants.


Ce sera le chant du cygne. La crise de 1929 passe par là, mais aussi les mauvaises habitudes des enfants Lacloche, qui perdent des fortunes au jeu. Dans les années Trente, seuls deux frères sont encore en vie, Jules et Fernand, ce dernier ayant pris les commandes de la Maison familiale depuis 1923. Les dettes contractées au jeu et l’effondrement de grandes fortunes ont raison de la maison Lacloche, qui ferme en 1931, année où meurt Fernand. Une première époque se clôt, qui restera assurément comme la plus brillante de la maison Lacloche.
Le "goût Lacloche" : un hymne au monde des ateliers parisiens
L’usage, on le sait, n’était pas, à l’époque, de se reposer sur un atelier de création interne, mais de faire appel aux très nombreux ateliers que comptait alors Paris.
Bournadet, Chenu, Hatot, Helluin-Mattlinger, Langlois, Lenfant, Pery, Rubel frères, Verger etc... Laurence Mouillefarine et Véronique Ristelhueber mentionnent explicitement dans leur livre les vingt-cinq ateliers qui ont travaillé pour les Frères Lacloche (et dont le nom figurait sur les vitrines de l’Exposition de 1925, Dumont par exemple) : beaucoup ont disparu, d’autres existent encore. A travers l’histoire des Frères Lacloche, c’est un peu l’histoire de ce Paris des ateliers qui est contée par les deux auteurs. C’est aussi un moment de l’histoire du goût joaillier : le génie des Frères Lacloche ne fut pas celui de l’inventivité joaillière, mais celui du choix éclairé, de l’œil, et finalement de l’exigence. C’est pourquoi, dans cette période, les bijoux Lacloche se caractérisent tous par un très grand raffinement technique. Les bijoux Lacloche sont une célébration constante des savoir-faire les plus pointus et les plus rares des ateliers parisiens. Ils sont un hymne à un art disparu.

1952, don de la reine Mary d'Angleterre à Angela Lascelles.
3.6 x 5.2 x 0.6 cm. William Francis Warden Fund. @Museum of fine arts Boston



Toutefois, dans ce “goût Lacloche”, on repère aussi les inévitables concessions aux goûts du temps, en particulier l’attirance bien connue pour les pays exotiques, en particulier pour l’Asie : Chine et Japon. Là encore, les Frères Lacloche ne se distinguent pas par l’originalité des objets, mais par l’exigence technique : le degré de sophistication et de précision des bijoux répondant à ce goût pour l’Asie nous vaut des pièces de premier ordre.





Résurrection et bouquet final
En 1936, un autre Jacques Lacloche surgit dans l’histoire de la maison : c’est le propre fils du Jacques décédé en 1900 dans l’accident de train, et qui, né en 1901, n’aura pas connu son père. Il reprend en 1936 l’affaire, la marque, la philosophie de son père et surtout de ses oncles.

La deuxième époque qui s’ouvre alors est parfois considérée par les historiens du bijou comme moins remarquable du strict point de vue joaillier. Elle rencontre cependant un succès éclatant. Partant modestement d’une vitrine au Carlton de Cannes, Jacques Lacloche peut rouvrir une boutique Lacloche Place Vendôme deux ans plus tard. Ce qui compte alors, c’est sa clientèle : la seconde guerre mondiale marque un coup d’arrêt, mais l’après-guerre lui apporte toute la haute société cosmopolite qui s’épanouit alors grâce au développement des transports longs courriers, des magazines, du cinéma. Il bénéficie des derniers feux de l’empire indien et des splendeurs des maharajahs, de la clientèle des vedettes d’Hollywood et de la famille princière de Monaco – ces deux versants étant réunis en la personne de Grace Kelly, à qui Jacques Lacloche fournit un très élégant ensemble composé d'une paire de boucles d'oreilles et d'un clip en saphirs et diamants baguette lors de son mariage en 1956.
Cette clientèle commande nécessairement un goût plus éclectique encore que par le passé, et la maison Lacloche doit se montrer à la hauteur d’attentes diverses dont le point commun est le goût de la sophistication et de la rareté.


A partir des années 60, cependant, c’est le goût de Jacques Lacloche lui-même qui change. Il atteint les rives de la soixantaine et son intérêt véritable se porte sur l’art contemporain et en particulier vers le design, qui connaît alors une véritable explosion. Il transforme le premier étage de sa boutique en salon d’exposition dès le début des années 60, puis en 1967, il prend sa retraite comme joaillier. La boutique ferme. La maison Lacloche se transporte rue de Grenelle et devient un spécialiste d’art et de design contemporains, animé par un Jacques Lacloche dont encore aujourd’hui on peut noter en la matière le goût visionnaire.
Lorsqu’il décède en 1999, le souvenir des Lacloche joailliers s’est évanoui. Les archives n’ont pas été conservées. Ne restent que d’admirables pièces soigneusement conservées par leurs propriétaires, et des allusions dans les livres d’histoire du bijou.
Remonter le fil de cette belle histoire aura requis bien des efforts, mais c’est tout un continent qui revit pour nous. Organiser l’exposition correspondant à ce livre aura été un autre tour de force. Car jamais autant de pièces de la maison Lacloche n’avaient été réunies (soixante-quatorze !) et l’on sent à la parcourir la présence d’une époque et la cohérence d’un goût. Est ainsi conjuré un oubli bien injuste, et les Frères Lacloche reprennent leur rang et leur éclat dans l’histoire de la joaillerie, aux côtés des plus grands noms. Ce n’est que justice et il faut remercier Laurence Mouillefarine, Véronique Ristelhueber, et bien sûr Francis Lacloche, fils de Jacques, qui a soutenu leurs recherches, et l’Ecole des Arts Joailliers de l’avoir aussi bien rendue.
Une exposition, une monographie et quelques autres ouvrages
Exposition du 23 octobre au 20 décembre 2019
Entrée libre du lundi au samedi de 12h à 19h
À L’École des Arts Joailliers
31, rue Danielle Casanova, 75001 Paris
L'exposition sera ouverte au public le 31 octobre, mais fermée les 1er, 2 et 11 novembre.
Lacloche joailliers. Ouvrage co-écrit par Laurence Mouillefarine et Véronique Ristelhueber.
Laurence Mouillefarine, journaliste, spécialiste du marché de l’art, a collaboré avec Architectural Digest, Le Figaro Magazine, La Gazette Drouot, Madame Figaro. Passionnée par la création de l’entre-deux-guerres, elle a été la co-commissaire de l’exposition « Bijoux Art déco et avant-garde » au musée des Arts décoratifs à Paris en 2009.
Elle est l’auteur, avec Véronique Ristelhueber, de Raymond Templier, le bijou moderne, la première monographie consacrée au joaillier (Éditions Norma, 2005). Raffolant des histoires de trésors trouvés dans les greniers, elle a écrit à quatre mains, avec Philippe Colin-Olivier, Vous êtes riches sans le savoir (Le Passage, 2012).
Véronique Ristelhueber est documentaliste et iconographe, spécialiste de l’architecture, du design et du paysage du xxe siècle. Son intérêt pour la joaillerie lui vient des dix années qu’elle a passées aux archives de la maison Cartier.
Publié aux Éditions Norma, avec le soutien de L’École des Arts Joailliers.
Format : 25x3,5 cm. 320 pages, 700 images. Prix : 60 €
A vanity affair : l'art du nécessaire. Rizzoli New York
A kind of magic: Art deco vanity cases, Sarah Hue-Williams, Peter Edwards, 2017.

Jeweled splendors of the Art Deco era, the prince and princess Saddrudin Aga Khan collection. Thames & Hudson
Objets précieux Art déco, catalogue d'exposition de la collection du prince et de la princesse Saddrudin Aga Khan. 4 au 25 avril 2018. Ecole des arts joailliers. Cliquez sur ce lien pour accéder aux vidéos relatives à l'exposition.
Article "Lacloche grand joaillier français" (deux parties). Jean-Jacques Richard
A visiter si vous allez à Londres :

La collection des quarante-neuf vanity cases de Kashmira Bulsara, dont trois sont signés Lacloche frères.
Victoria and Albert Museum
Cromwell Road, London, SW7 2RL
à Hong Kong :
L'extraordinaire collection de vanity cases du
Lang Yi museum
181-199 Hollywood Rd,
Sheung Wan, Hong Kong
Acquérir un bijou signé Lacloche frères ou Jacques Lacloche ?
Bernard Bouisset, paire de clips d'oreilles en or jaune, diamants et rubis.
Ventes aux enchères :
A venir :
Christie's Magnificent jewels, Genève 12 novembre 2019. Bracelet rétro en or jaune, saphirs et diamants. Jacques Lacloche. Lot 57.
Sotheby's Magnificent jewels and noble jewels, Genève, 13 novembre 2019. Une broche en diamants, et une broche double clip. Lot 1
Et une ravissante broche "giardinetto" lot 163

Deux nécessaires vendus récemment :

Signé. Travail des années 1925. @ Pierre Bergé & associés. Bijoux, orfèvrerie & objets de vitrine. Mercredi 5 décembre 2018


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Poinçon d’importation de Londres de 1926.
Fabrication Strauss Allard Meyer.
A Collection Privée. Photo Bonhams. Ce poudrier est présenté à l'exposition de l'Ecole des arts joailliers.
Visuel de "une" : Boîte à cigarettes Art Déco en onyx, émail, turquoise, lapis-lazuli et diamant, Lacloche Frères, 1925. Collection privée. Cette boîte à cigarettes figure dans l'exposition de l'Ecole des arts joailliers. @ Christie's
Les fleurs dans la joaillerie du XIXème au XXIème siècle : une inspiration inépuisable
"Flowers are one of the ways we mark particular moments in our lives, and jewellery is another. It’s a small wonder, therefore, that flowers are a significant theme in the oeuvre of jewellery designers". Carol Woolton
La Nature est une source d'inspiration pour les artistes depuis la Haute-Antiquité : lotus et papyrus sont un motif récurrent des arts de l'Egypte Antique ; chars fleuris, couronnes et guirlandes végétales évoquent les Anciens, Grecs et Romains ; quant à l'art islamique des redoutables Empereurs Moghols, il se caractérise par la très grande richesse de ses ornements végétaux et floraux, l'iconographie du Taj Mahal en est particulièrement emblématique.
L'orfèvrerie aussi est fortement empreinte de cette thématique depuis l'Antiquité. Au-delà de l'aspect proprement esthétique, la fleur revêt une dimension symbolique consacrée, recelant un message qui prend la forme d'un "langage floral" et qui confère une signification très personnelle, intime, au bijou. La Renaissance et l'époque romantique en ont été très marquées.
Au début du XIX ème siècle, une nouvelle impulsion fut donnée au motif floral : les joailliers s'intéressèrent à l'évolution des sciences naturelles et s'inspirèrent d'une science botanique alors en plein essor.

Bouquets de corsage, fleurs fraîches piquées dans les coiffures ou sur les chapeaux, boutonnières d'un soir, ces beautés éphémères furent peu à peu remplacées par des bijoux d'inspiration naturaliste dont le grand mérite était... de ne pas faner !
L'histoire du motif floral et végétal depuis le XIXème siècle nous a laissé de précieuses oeuvres d'art miniatures, et l'évolution de cette thématique traduit celle, parallèle, des techniques artisanales. Les fleurs réalisées en joaillerie sont aussi typiques des personnalités, des artisans joailliers et des Maisons qui les ont produites. Loin d'être simplement un exercice de style obligé, le motif floral favorise de multiples formes d'expression. Toutes les vitrines de joailliers, ou presque, l'attestent. Certaines Maisons se singularisent même par leur choix d'une fleur devenue leur emblème : le camélia chez Chanel, la rose chez Dior, l'orchidée chez Cartier- ou par celui d'un végétal attitré : le lierre chez Boucheron.
Une vaste littérature a été écrite autour des Arts décoratifs inspirés de la nature, des milliers de bouquets joailliers ont été créés, certains sont d'ailleurs inoubliables : la broche rose de la Princesse Mathilde, la broche lilas de Mellerio ou celle de l'Impératrice Eugénie commandée à Rouvenat, le collier noisettes de René Lalique. Le sujet pourrait presque apparaître épuisé.... mais ce serait ne pas tenir compte du goût constant, intemporel et international des femmes pour le motif floral.
La création joaillière contemporaine peut-elle encore briller au regard de ce riche passé ?
Paris, New-York et Genève répondent en choeur avec deux expositions rassemblant un éventail non exhaustif de créations joaillières du XIXème à nos jours : "Dess(e)in de nature" et "In Bloom" et que vient compléter une sélection de très beaux bijoux floraux présentée lors des "Magnificent jewels" de Sotheby's.
La diversité du monde végétal est majestueusement transposée dans le monde minéral : pierres précieuses, perles fines et pléthore de gemmes multicolores offrent une floraison printanière de toute beauté. Les créations joaillières d'il y a un siècle se confrontent à celles d'aujourd'hui. Les inspirations sont multiples, les créateurs proviennent d'horizons géographiques divers, une joute florale oppose les Anciens et les Modernes !


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visuel de "une" : Paire de boucles d'oreilles asymétriques et transformables spécialement créées par Shaun Leane pour "In bloom". Inspirées par l'Art Nouveau, ces boucles d'oreilles sont ornées l'une d'un diamant de couleur vert vif SI1 de 0,89 ct et l'autre d'un diamant incolore D, IF, de 0.82 ct, et de grenats tsavorites et émail. Exposition-vente Sotheby's New-york "In bloom". Prix de vente : 1.100.000 USD.
Marie-Caroline de Brosses, en souvenir
Marie-Caroline de Brosses nous a quittés le 6 avril 2019.
Dernière créatrice de la célèbre Maison Boivin, elle fut également une grande créatrice en son nom propre jusqu'à ce que la maladie la frappe début 2019. De son travail, on retiendra assurément l'originalité des mélanges des matériaux (pierres précieuses et bois naturels par exemple), un style très féminin, l'élégance et bien sûr un humour toujours présent, l'inscrivant, avec son style propre, dans la grande tradition du bijou français et de ses prédécesseures illustres au sein de la maison Boivin.
En mai 2017, nous avions publié un article sur son travail de joaillière de la Maison Boivin, et sur ses créations plus récentes. Elle avait alors accepté de nous consacrer de longues heures pour nous guider dans l'histoire de son travail. Je me souviens aujourd'hui avec émotion de ces échanges sous la véranda de sa jolie maison de Boulogne.
Cet article avait trouvé son prolongement dans une conférence en forme de conversation que nous avions tenue ensemble à L'Ecole des Arts joailliers en janvier 2018. Le public avait alors redécouvert son travail et sa personnalité éminemment attachante. En hommage, nous proposons ici un choix de créations passées en vente ces derniers mois qui ne figuraient pas dans l'article, et qui attestent la vitalité de son imagination et de son caractère d'artiste.
Nul doute que son oeuvre lui survivra.







Sotheby's Fine Jewels Londres. 6 juin 2016. Lot 73. René Boivin, vers 1980. Six rangées de perles de culture de couleur grise et crème, un clip central muni d'un fermoir orné d'une kunzite ovale et rehaussé de kunzites de taille circulaire et de diamants taille brillant. Ce bijou peut être porté comme un bracelet avec des perles grises d'une longueur d'environ 160 mm. Ou bien avec les perles grises et crème en tour de cou, longueur du collier d'environ 320 mm.

Sotheby's Magnificent jewels and noble jewels. 11 novembre 2015. Genève. Lot 52. Caractéristique du travail de Marie-Caroline de Brosses, cette broche Botte de Radis en diamants, rhodochrosite polie et grenats tsavorite. René Boivin, 1985
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Visuel de "une" : Christie's Paris Fine Jewels. 6 juin 2018. Lot 180.
Chevalière en bois et or au motif de tête de panthère.
Jacques Lenfant : inventeur du bijou optico-cinétique
Par Marie-Laure Cassius-Duranton.
Historienne d'Art, gemmologue, professeur au Laboratoire Français de Gemmologie ainsi qu'à l'Ecole des Arts Joailliers.
Photographies : Yves Gellie.

Acrylique sur toile, 170 x 170 cm.
Collection particulière.
Photo © Editions du Griffon, Sully Balmassière © Adagp, Paris, 2018.
Alors que le Centre Pompidou consacre à Victor Vasarely (1906-1997) sa première exposition parisienne majeure, les pièces de la collection « Optical » réalisée par le bijoutier-chaîniste Jacques Lenfant (1904-1996) dans les années 1970 sont toujours plus cotées sur le marché des enchères.
Pendant "Jeux de jetons", Collection Optical,
poinçon de maître Georges Lenfant. Collection privée.




Meilleurs voeux aux abonnés
Chers abonnés,
Exceptionnellement, pour faire suite à de nombreuses demandes, l'interview d'Olivier Baroin sur la redécouverte de Suzanne Belperron et sa cote dans les enchères internationales fait l'objet d'une traduction en anglais due aux bons soins de Madame Claudine Seroussi.
Je souhaitais à l'occasion de cette publication vous remercier pour votre soutien constant et croissant. Trois années exactement après le lancement de Property of a lady, les marques d'intérêt et le nombre de lecteurs ne cessent d'augmenter, et je vous en suis profondément reconnaissante.
Mes meilleurs voeux à chacun de vous : que 2019 soit une année lumineuse et colorée de mille feux!
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visuel Artcurial - vente du 19 juillet 2016 /Lot 65.
Paire de clips de revers "Spire" par Suzanne Belperron vers 1938-39.
Paris Couture 2018 : Rien que pour vos yeux...
Paris - Du 1er au 5 juillet 2018 - Pas d'extravagances d'avant-garde en cette FashionWeek. Mais chez les grandes maisons parisiennes le voeu d'approfondir les fondamentaux, et même de revenir aux racines : Van Cleef & Arpels puise dans les contes populaires racontés par les frères Grimm, Dior réaffirme et magnifie les traits majeurs de son identité esthétique, Chaumet explore les traditions africaines, Chanel crée autour du vaste paravent en laque de Coromandel de sa fondatrice, Coco Chanel, cependant que d'autres ont confié leur imaginaire à cette saison solaire, comme Piaget, et fleurie, comme Boucheron ou Lorenz Bäumer, de manière stylisée ou plus figurative - "voici des fleurs, des fruits, des feuilles" comme disait Verlaine. De là des collections qui vibrent de sincérité et de sens, déployant des savoir-faire éblouissants. Les images cette fois-ci parleront d'elles-mêmes.


De l'authenticité des intailles : conversation avec Marc Auclert
Aussi étonnant que cela paraisse, il y a une réelle difficulté à distinguer les intailles antiques des modernes.
Le passage des siècles n’est pas un indicateur pour dater des intailles. Lorsque les gemmes sont conservées dans de bonnes conditions, elle ne « s’usent » pas. On peut y percevoir une patine mais qui ne permet aucunement une datation scientifique de l’intaille. La technique de la gravure ne permet pas non plus d’assigner une date à une intaille puisque les techniques sont restées à peu près les mêmes jusqu’au XIXème siècle. On pourrait penser que les formes des gemmes ou bien que les matières sont différentes selon les époques et la géographie des lieux : c’est en partie vrai, mais pas toujours ! Les intailles de la Renaissance par exemple sont très semblables aux intailles de la Grèce antique. Les sujets et les styles ne permettent pas non plus de les distinguer. A toute époque un lithoglyphe habile a pu reproduire une intaille d’une période antérieure.
Les procédés scientifiques de datation des objets qui aident à la détection comme le carbone 14 (pour les matériaux organiques), la dendrochronologie (pour les objets en bois), la thermoluminescence (pour les céramiques) etc… ne sont d’aucune utilité dans la datation d’une intaille ou d’un camée.


« Quand j’achète une intaille romaine, il est convenu qu’elle est « romaine » à 80 % et à 20% elle est peut-être classique (XVIII-XIXème). Inversement, je peux avoir du très beau XIXème et quand même avoir un doute et me dire que c’est du sublime romain…» reconnait Marc Auclert. La question se pose avec cette paire de boucles d'oreilles : les camées sont-ils du Ier ou du XVIIIème siècle?

« L’iconographie néo-classique XVIIIème et celle du XIXème sont semblables à l’iconographie antique. Les lithoglyphes utilisaient les mêmes pierres, traitaient des mêmes sujets, les outils dont ils se servaient étaient les mêmes de l’antiquité jusqu’aux années 1870-80 » « Mais, précise Marc Auclert, je vois des différences dans les dimensions des gemmes. La plupart des intailles et camées de l’Antiquité sont de petits objets; sauf quelques-uns de provenance impériale et que l’on peut trouver dans les musées. Une grande intaille antique, c’est à mes yeux douteux… Il faut attendre la Renaissance et le XIXème siècle pour avoir de grandes intailles ».
Force est de donc constater auprès des spécialistes de la glyptique, que le doute, parfois l’erreur, font partie de la vie des marchands et collectionneurs d’antiques. Marc Auclert possède dans sa bibliothèque un remarquable ouvrage d’Anatole Chabouillet, numismate, chercheur et conservateur français qui fut en poste un demi-siècle durant au Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale. Ce dernier proposait en 1858 une classification des gemmes gravées tout à fait intéressante :
« Les pierres gravées conservées à titre d'antiques dans les cabinets publics de l'Europe devraient, selon moi, être divisées en trois classes, au point de vue de l'authenticité. Dans la première, se placeraient les pierres munies de titres de noblesse en règle, celles qui ont été au Moyen-âge employées à la décoration de croix, de châsses, de reliures de manuscrits, etc., qu'elles soient encore dans des trésors d'église ou qu'elles en soient sorties notoirement, en un mot, les pierres dont on peut prouver l'existence avant la Renaissance de la glyptique en Italie. (…). Dans la seconde classe, viendraient les pierres qui, quoique privées de lettres de noblesse, exhalent un tel parfum d'antiquité, qu'il est impossible de leur refuser créance; encore, même à l'égard de ces pierres d'élite, faut-il s'attendre à ne pas rencontrer l'approbation générale. Dans la troisième classe, enfin, se presseraient en foule les pierres sans histoire, dont le travail, estimable ou remarquable, n'est ni assez franc, ni d'un style à inspirer la confiance à première vue, en un mot, les pierres qu'un connaisseur hésiterait à déclarer antiques ».
In Études sur quelques camées du cabinet des médailles, Anatole Chabouillet, Paris, 1858.


Ce doute sur la datation joue-t-il sur la valeur de l’intaille ?
« Cela ne change pas le prix ! Une jolie intaille à 5000 euros datée de la fin du XIXème sera vendue au même prix que si elle était d’époque Impériale, ce que bien entendu je reproduis sur mes propres tarifs. Évidemment, je préfère qu’elle soit impériale, c’est plus rare et plus émouvant ! »
Qu’en est-il des copies d’antiques ?
« C’est un vaste sujet sur lequel le doute persiste encore. Les faussaires n’ont pas toujours été très adroits, notamment en signant leurs œuvres. Les caractères alphabétiques révèlent souvent des inexactitudes, des fautes d’orthographe ou des mélanges de typographie entre différentes époques. Certains cependant ont été d’excellents lithoglyphes … »

L'histoire raconte que le Prince Stanislas Poniatowski (1754-1833) avait hérité de son oncle une superbe collection de gemmes gravées qui comprenait des trésors de l’Antiquité, de la Renaissance et des pièces modernes. Il se passionna pour cette collection et s’installa à Rome pour l’accroître dans l’environnement qu’il jugeait le plus favorable. A sa mort on découvrit une collection comptant 2601 gemmes gravées dont une vingtaine de camées et le reste d’intailles. Les gemmes étaient dans leur ensemble de grandes dimensions et 1737 d’entre elles portaient la signature d’anciens graveurs. « La collection est pleine d’œuvres de Pyrgotèle, Polyclitès, Apollonide, Dioscuride, en plus grand nombre qu’il n’y en avait dans l’Antiquité », notait D.Raoul-Rochette spécialiste de l'archéologie classique sous la restauration et la Monarchie de Juillet. Le scandale ne fut révélé qu’après le décès du Prince dont on comprit qu’il avait fait réaliser de fausses signatures sur de ravissantes œuvres de la fin XVIIIème et du début du XIXème siècle !
Marc Auclert, pouvez-vous nous dire où les collectionneurs comme vous achètent leurs intailles ?
« J’achète uniquement en salle de vente, chez des antiquaires et chez mes marchands. L’origine des objets est très importante, précise-t-il, et il faut être d’une probité exemplaire dans mon métier. Je me dois de connaître la provenance de tout objet que j’achète. Face au trafic illicite d’objets archéologiques, aux fouilles clandestines, aux pillages d’antiquités, un marchand digne de ce nom ne prend aucun risque. L’objet archéologique est une valeur stable, une valeur refuge et de ce fait il est très recherché ». Et Marc Auclert de conclure : « Pour toutes ces raisons, je n’achète jamais à des particuliers. »
Il y a sept ans, en juin 2011, la Maison Auclert ouvrait ses portes rue de Castiglione, dans le premier arrondissement de Paris. Sept ans… le nombre d’or chez les Anciens, et un premier cycle accompli, durant lequel Marc Auclert a gagné la confiance d’experts et de clients exigeants, dans un domaine où la joaillerie, l’histoire et l’art se rejoignent au plus haut degré.
Maison Auclert
10, rue de Castiglione, 75001 Paris
Tél : +33 (0)1 42 61 81 81
maisonauclert@gmail.com
Tous les jours de 10h30 à 13h00 et de 14h00 à 18h30 sauf le dimanche
Visuel de "une" : BRACELET GRANDE INTAILLE.
Bracelet en or rouge mat 18K serti d'une large intaille en agate rubannée figurant Hercule appuyé sur sa massue et Vénus accompagnée de Cupidon, travail Milanais du début du XVII° siècle, agrémenté de perles de calcédoines bleues antiques et de diamants cognac (2.77 carats) et milky (5.41 carats).
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Pour devenir un spécialiste de la glyptique :
Ancient Gems and Finger Rings
Catalogue of the Collections
Jeffrey Spier
This fully illustrated catalogue documents the comprehensive collection of Greek, Roman, Etruscan, and Near Eastern gems in the J. Paul Getty Museum.
Carvers and Collectors: The Lasting Allure of Ancient Gems
March 19–September 7, 2009 at the Getty Villa
Anatole Chabouillet, Etudes sur quelques camées du Cabinet des médailles
Louis XV un moment de perfection de l’art français. 1974, Josèphe Jacquiot.
Josèphe Jacquiot, Mathilde Avisseau, “Glyptique”, Encyclopaedia Universalis.
BnF - Collections du département des Monnaies, médailles et antiques.
Marc Auclert : l'intaille, un art millénaire
La Maison Auclert, fondée par Marc Auclert en juin 2011 rue de Castiglione, est une maison de joaillerie dont la singularité est de monter, comme le faisaient déjà certains artisans de la Renaissance, des petits objets d’art sur des montures contemporaines. Chaque création de la Maison est une pièce unique, née de cette idée de « bijou de remploi ». C’est-à-dire un bijou créé autour d’un objet ancien.

Marc Auclert conçoit le bijou comme un objet esthétique doté d’une dimension culturelle. « Le bijou est une des premières formes d’expression artistique et esthétique. Aux temps les plus immémoriaux de la préhistoire on a des fresques sur les murs, des statues ou idoles en pierre, et des pierres et coquillages percés qui servent à décorer le corps. Le bijou fait partie de nos racines artistiques ».
Il est une forme d’art joaillier qui passionne cet esthète : c’est la glyptique.
L’art de la glyptique est l’art de graver des pierres fines et ornementales, plus rarement des pierres précieuses. Il existe deux techniques. L’une consiste à graver les gemmes en creux, c’est la technique des intailles ; l’autre consiste à les graver en relief, c’est la technique des camées. «Je suis plus sensible à l’intaille parce qu’elle se présente ton sur ton, sur son avers, et ne se dévoile qu’après une impression du motif. Je trouve l’intaille plus ténue, plus mystérieuse que le camée apparu plus tardivement, au IIIème siècle avant JC, et plus simple à comprendre comme bijou».

L’intaille est au cœur des créations la Maison Auclert : « Ma spécialité, c’est « l’impression ». Je crée des bijoux sur lesquels se juxtaposent une intaille originale et son impression sur or. Je suis en permanence à la recherche de pièces de collection à acquérir. J'imagine et je dessine les montures. Ensuite, je fais appel aux meilleurs artisans et ateliers parisiens pour réaliser mon bijou ».


Quelle est l’histoire de l’intaille ?
Comment ne pas se tromper au moment d’acquérir une intaille ?
Quelles sont les coulisses de ce monde des antiques ?
Marc Auclert répond à ces questions, révélant au passage quelques-uns de ses secrets de collectionneur.
Récit d’un passionné de l’intaille.
"L’intaille, les temps anciens"
Il y a 7000 ans, apparaissait l’intaille
Les premières intailles sont apparues dès le Vème millénaire avant J-C, en Mésopotamie. Tout d’abord sous la forme de cachets puis de sceaux cylindriques.
La fonction première de l’intaille fut sigillaire. Les archéologues ont révélé que les intailles mésopotamiennes servaient à marquer par impression un cachet d’argile, puis de cire, afin de faciliter les premiers échanges commerciaux entre civilisations du croissant fertile.

Les premières intailles précèdent ainsi les plus anciens témoignages d’écriture connus. « Je trouve cela émouvant et fondamental au regard de notre civilisation ». Bien que l’histoire de l’écriture se développe dans différents foyers -et sur plusieurs millénaires- les historiens s’accordent à dire que c’est en Mésopotamie qu’elle est apparue au IVe millénaire avant J.-C. Les pays de Sumer et d’Akkad avaient inventé dès 3300 avant J-C une écriture picto-idéographique qui est à la source du cunéiforme (-2800).
Le développement de l’art de l’intaille suit celui de l’écriture. Après avoir représenté des images figurées sur les sceaux, les gravures évoluent en des symboles graphiques. L’intaille, après invention de l’écriture, sert à signer et l’on devine toute l’importance sous-jacente à ce geste. A la fin du IIIème millénaire avant J-C. « les sceaux-cylindres » se développent. Les intailles sont percées et enfilées sur un lien de chanvre afin d’être portées autour du cou ou bien portées sur une épingle en broche.

«Ce qui est particulièrement beau avec les sceaux-cylindres, c’est qu’ils sont gravés en continu. Ils étaient utilisés en rotations, se renouvelant indéfiniment. A l’époque déjà, cela devait fasciner… » note Marc Auclert.

L’art de l’intaille s’est rapidement diffusé au-delà du Tigre et de l’Euphrate dans toutes les anciennes civilisations : En Anatolie (Asie Mineure), en Égypte - où le motif le plus répandu était le scarabée gravé en turquoise, lapis-lazuli…. L’intaille prit une nouvelle dimension lorsqu’elle devint amulette protectrice.
Cet art de l’intaille s’est également développé en Phénicie, dans la Grèce Mycénienne et Minoenne pour atteindre son apogée entre la première moitié du IVème siècle avant J-C. et le Ier siècle dans la Grèce antique.
L’intaille : une œuvre d’art au temps de la Grèce antique & de la Rome Impériale
« La glyptique, indique Marc Auclert, était considérée dans l’Antiquité comme un domaine artistique à part entière. La fonction sigillaire de l’intaille s’est doublée à partir de cette époque d’une fonction esthétique : l’intaille devient bijou. Les fouilles archéologiques ont mis à jour un engouement très fort des Grecs de l’Antiquité pour les intailles. Elles valaient une fortune et les artistes glypticiens étaient renommés à travers tout le bassin méditerranéen. »

Les noms de certains artistes ont traversé le temps. Les signatures des œuvres étaient rares mais existaient sur les intailles à compter du IVème siècle avant J-C. Ainsi, Pyrgotèle est un célèbre lithoglyphe (du IVème siècle avant J-C) dont l’Histoire a retenu le nom. Alexandre le Grand (356-323 avant J-C) lui avait commandé son portrait sur émeraude !

Lorsque le sceau devient un chef d’œuvre porté, les lithoglyphes se mettent à utiliser des pierres venues de contrées exotiques aux couleurs chatoyantes. Ainsi les intailles antiques sont faites sur des cornalines d’Inde du Nord (chauffées pour accentuer leur orangé), des lapis-lazuli d’Afghanistan, des turquoises du Sinaï, des émeraudes d’Égypte, des grenats de Bohème, du cristal de roche du Moyen-Orient et des calcédoines bleues de Perse….

« Cela révèle un autre aspect de la glyptique que j’adore : la compréhension des échanges commerciaux qui existaient d’un bout à l'autre du monde antique». On a également retrouvé des intailles faites sur pâte de verre : cela témoigne d’un engouement pour l’art de l’intaille qui dépassait de loin les sphères aristocratiques.
En Grèce, à mesure que s’installe la dimension artistique de cet art, les sujets mythologiques, les scènes de guerre et les animaux se déclinent à profusion. Les lithoglyphes grecs excellent à graver des représentations de plus en plus gracieuses, fines, précises.
Les intailles relèvent alors de l’exploit technique : l’art de la glyptique, que ce soit pour les intailles ou les camées, est un travail lent et minutieux qui requiert une patience infinie. Les pierres sur lesquelles les lithoglyphes gravent leurs œuvres sont de petite taille dans l’Antiquité. Les gravures ne dépassent pas le centimètre. Quant à l’intaille même, elle est gravée presqu’à l’aveugle. De surcroît, la gravure se fait à l’envers. Fréquemment le lithoglyphe est obligé de s’interrompre pour passer sa pierre à l’eau, prendre une empreinte, et regarder l’évolution du motif. « Ni les intailles ni les camées ne sont taillés. La glyptique n’est pas de la sculpture, mais un art du poli », précise Marc Auclert. En 2009, dans le cadre d’une exposition, le Getty museum a commissionné un glypticien moderne afin qu’il réalise une intaille hellénistique. Alors même que le glypticien travaille avec un outil électrique et non plus manuel, le film "The art of Gem carving" permet de se rendre compte de la complexité et de la lenteur de ce labeur.
L’art de la glyptique s’étend ensuite du monde hellénistique à celui de la Rome antique.

A partir du Ier siècle, dans la Rome Impériale, le style Julio-Claudien se manifeste par de nombreuses représentations de l’Empereur et de ses proches représentés avec les divers attributs du pouvoir. « La glyptique, souligne Marc Auclert, devient quasiment un objet de propagande mais elle n’est pas diffusée au même titre que les pièces frappées à l’effigie des monarques. L’intaille est offerte aux courtisans, aux grands notables uniquement, car c’est un cadeau de très grande valeur ». S’il est un nom à retenir de cette période, c’est celui de Dioscoride qui fut un maître lithoglyphe incontesté. Il pratiquait son art sous le règne d’Auguste (27 avant J-C- 14 après J-C).

Du Vème au XVème siècle, l’art de l’intaille connait une longue période de creux en Occident
La chute de l’Empire romain en 476 marqua un long effacement de la glyptique en Occident. « Cet art se perpétua néanmoins chez les Sassanides (les Perses) où l’on trouve des pièces de grande qualité jusqu’au VIIème siècle ».

Au Moyen-âge, les intailles antiques sont perçues comme des œuvres païennes. Néanmoins, elles sont très recherchées pour leur beauté. « Récupérées », les intailles gréco-romaines sont insérées dans divers objets du culte catholique : châsses, couronnes, croix, reliquaires, et autres objets votifs. On est déjà dans « le remploi » ! Une dimension sacrée est attribuées aux intailles antiques : on leur prête des vertus prophylactiques et leur valeur en est d’autant augmentée.

Rois et nobles également font grand cas des intailles antiques : Charlemagne a signé des actes avec un sceau gravé d’une tête de Marc-Aurèle, ou encore de Sérapis (voir l’article de J.Jacquiot). Charles V collectionnait les plus belles pièces de glyptiques anciennes. Quant au Duc Jean de Berry (1340-1416), il possédait paraît-il une collection des plus remarquables, dont on peut encore voir quelques camées au musée du Louvre.
L'intaille de la Renaissance à la période contemporaine
La Renaissance : un nouvel âge d’or de l’intaille

L’art de la glyptique connaît un nouvel essor dès le début du XVème siècle en Italie. Une frénésie s’empare des graveurs italiens qui copient, imitent et bien souvent surpassent les créations des anciens. Sous l’influence de Laurent de Médicis (1449-1492), de riches mécènes participent à ce renouveau artistique de la glyptique. Des dactyliothèques qui mêlent indifféremment les intailles antiques et leurs copies se constituent chez des collectionneurs érudits. Quinze siècles après l’époque hellénistique, l’art de l’intaille connaît un second Age d’or.

En France, il faut attendre les débuts du XVIème siècle pour voir refleurir cet art. François Ier fait venir à sa cour, entre autres artistes, un des lithoglyphes italiens les plus réputés, Matteo del Nassaro, pour participer à cette renaissance de la gravure sur gemmes.
Mais c’est au XVIIIe siècle que la France gagne sa renommée dans l’art de l’intaille. Madame de Pompadour (1721-1764), favorite de Louis XV et patronne des Arts durant son règne, pratiquait avec goût et talent l’art de graver les gemmes. Elle contribua fortement à la réhabilitation de l’art de la glyptique en France. En 1745, elle fit nommer le talentueux Jacques Guay (1711-1793), dont elle était l’élève, « graveur sur pierres fines de Louis XV ». Disciple du peintre François Boucher, Jacques Guay réussit à s’éloigner de la copie des modèles antiques et à renouveler le genre de l’intaille. C’est lui qui retailla en forme de dragon le célèbre spinelle rouge appartenant aux Diamants de la Couronne de France que l’on peut voir dans la Galerie d’Apollon au Louvre.

"L’intaille au XIXème : de la perfection technique à l’objet d’art"

Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle surgit une vision renouvelée de l’Art Antique. Le néo-classicisme se nourrit des découvertes, suivies des fouilles archéologiques, d’Herculanum (1738) et de Pompéi (1748). Cette redécouverte de la civilisation gréco-romaine s’accentue au XIXème siècle. L'expédition en Égypte de Bonaparte (1798), l’émergence du Romantisme, la découverte des tombeaux étrusques et des vestiges assyriens (1845) renforcent ce goût de l’Antique.

« A regarder l’intaille en transparence, on se dit que le travail est trop beau pour être vrai ! Ce serait romain, il y aurait une petite gaucherie, quelque chose de plus humain ! La modelé de la gravure au XIXème est d’une qualité incroyable ».
Les camées surtout deviennent très en vogue et ornent leurs parures joaillières des élégantes du XIXème siècle, avec une acmé sous le Ier Empire.

L’Art de l’intaille se fait plus discret. En Italie, pléthores de talentueux copistes gravent les gemmes à l’identique des modèles antiques et les faussaires diffusent leurs œuvres dans toute l’Europe.
Le XXème siècle se voulant résolument moderne mettra une nouvelle fois de côté ces splendides vestiges du passé. Les bijoux dans le goût de l’Antique seront remplacés par ceux Art Nouveau, de style Guirlande, Art Déco, Rétro, etc...
L’intaille au XXIème siècle ?
« Aujourd’hui, il reste quelques maîtres glypticiens, mais c’est un métier rare », nous dit Marc Auclert.
La glyptique se pratique principalement dans des tailleries, avec des machines. Idar Oberstein en Allemagne est un site historiquement réputé. Autrefois connu pour ses gisements d’agate, Idar Oberstein demeure un des lieux d’excellence de la taille et de la gravure des gemmes. « Mais je dois avouer que ce qui me touche le plus ce sont les intailles avec une certaine ancienneté, la patine y est incomparable. L’or antique offre de même une couleur, une lumière, un luisant, une oxydation, une malpropreté qui a un charme incroyable et qu’on ne peut reproduire ».
Qu’en est-il actuellement du marché des intailles anciennes ?
« Je dirais que les intailles représentent un marché convoité, qui attire des collectionneurs avisés dans le monde entier ».
A suivre : "De l'authenticité des intailles : conversation avec Marc Auclert"
Visuel de "une" : Collier gravure Prince. Collier serti en son centre d'une importante ronde-bosse en calcédoine bleue figurant le buste d'un jeune prince hellénistique à la touchante expression et aux détails de gravure remarquables (chevelure). Art Impérial Romain du Ier siècle, dans un entourage de diamants et d'or blanc laqué bleu. Crédit photo : Atelier mai 98
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Chaumet : un hymne à l'hiver russe
Janvier 2018 - Alors que les Russes viennent de fêter leur nouvel an traditionnel, dans la nuit du 13 au 14 janvier selon l'ancien calendrier julien, Chaumet présente en hommage à la Russie une collection de onze pièces de haute-joaillerie intitulée "Promenades impériales".

Cette collection est aussi un hommage indirect à ceux qui furent ses illustres commanditaires tels la Grande Duchesse Wladimir, ou le Prince Demidoff au début du XXème siècle. En témoignent les cahiers de commande et les dessins extraits des archives de la maison.
Cette collection est formée autour de trois pierres précieuses : le diamant, le saphir (bleu), et le saphir de couleur dit Padparadscha.

Le Padparadscha est un saphir à la couleur rose-orangé très recherché et dont le nom signifie "fleur de lotus" en cinghalais. C'est une dénomination commerciale et non pas une espèce minéralogique. Chez Chaumet, cette pierre évoque l'aurore ou le crépuscule des hivers russes, en contraste avec le ciel bleu des journées d'hiver symbolisées par le saphir.

Sept saphirs Padparadscha rivalisent de luminosité et d'éclat : notamment une taille poire de 16,31 carats, un cabochon de 9, 03 carats, une taille ovale de 7,07 carats. Cinq de ces gemmes proviennent de Ceylan; deux ont pour origine Madagascar, autre source de ces rares saphirs.

L'architecture des bijoux, réalisée en diamants, est inspirée des Kokochnik. Le kokochnik fut un incontournable accessoire du costume féminin traditionnel du XVIème siècle jusqu'au règne de Nicolas Ier. C'était une coiffe ornée de perles et de broderies qui ressemblait à une grande tiare. C'est aussi un élément purement décoratif que l'on retrouve dans l'architecture russe et qui s’apparente à l'encorbellement.



Cette première collection de haute-joaillerie est une jolie manière de souhaiter «S novim godom» !*
*«bonne année» en russe
Crédit photo Chaumet
Chaumet
12, Place Vendôme
75001 Paris
Marie-Caroline de Brosses : mes années chez Boivin... et après
Fondée en 1890 par René Boivin (1864-1917), la maison Boivin fut d’abord une belle maison d’orfèvrerie, avant de devenir une des principales maisons de joaillerie française du XXème siècle. Marie-Caroline de Brosses en fut l'ultime dessinatrice, reprenant le flambeau de Juliette Moutard. Elle nous raconte ici vingt ans de création nourrie par une tradition dont elle sut recueillir l'esprit, mais aussi par un goût pour la modernité qu'elle perpétue dans ses créations actuelles.
Suzanne Belperron & la technique de l'or vierge
L'or vierge était un des matériaux de prédilection de Suzanne Belperron (1900-1983). Mais qu'est-ce au juste que l'or vierge? Et en quoi cet or jaune vif, fort en titre, est-il emblématique du travail de celle qui avait coutume de dire "mon style est ma signature"?

En novembre 1961, dans un article consacré à "ce que les bijoux nous révèlent de leur créateur"("Jewels that tell about their owners") publié dans les San Francisco Chronicles, Cécile Sandoz définissait la spécificité des bijoux Belperron : "Une «fluidité abstraite» instantanément reconnaissable, un éclat pharaonique ou aztèque que donne une patine séculaire et une technique très personnelle de sertissage des pierres précieuses à l'intérieur de pierres fines ou ornementales plus importantes".
Ces pierres étaient souvent de calcédoines, d'agates, de quartz "cristal de roche" ou "fumé", qui avaient été taillés par le célèbre lapidaire Adrien Louart. Suzanne Belperron avait été la première à oser associer, dès les années 30, des pierres de moindre valeur à des pierres précieuses. Le mélange entre pierres précieuses et pierres dites ornementales offrait un contraste qui permettait d'obtenir des effets de matière -entre transparence et opacité-, de jouer avec la lumière des pierres -brillance versus matité-, et de travailler avec une palette de couleur inédite à des créations joaillières proprement avant-gardistes.
Dans ce même article, Cécile Sandoz évoquait aussi la technique de travail de l'or vierge, qui est en fait un or quasi pur à 22 carats : "assez souple pour pouvoir être travaillé comme le plomb ou la cire. Ignoré par la plupart des bijoutiers, l'or vierge permet non seulement d'obtenir la fluidité renommée des bijoux Belperron, mais leur donne également cette patine qui paraît ancienne. Avant d'être monté sur un support plus dur d'or 18 carats, le bijou est incisé, marqué, courbé et ciselé pour acquérir cette apparence antique".

Les orfèvres joailliers Emile Darde et Maurice Groëné, qui s'étaient associés en 1928 pour fonder la société Groëne et Darde, étaient les fabricants exclusifs des bijoux de Suzanne Belperron. C'est d'ailleurs en partie grâce à leur poinçon de maître que l'on peut authentifier des bijoux Belperron.

Groëne et Darde étaient les spécialistes de ces montures en or vierge rendues réalisables grâce à une technique appelée "or doublé". L'or est un métal malléable, il est donc rarement utilisé sous forme pure (Au) en bijouterie. Généralement il est associé à d'autres métaux tels que l'argent, le cuivre ou le palladium pour former un alliage plus résistant -et jouer sur les couleurs de l'or . L'atelier Groëné et Darde avait mis au point une technique qui consistait à renforcer cet or 22 carats en l'associant à une couche d'or 18 carats afin de produire une feuille d'or plus ferme qui permettait la fabrication du bijou. La patine antique, qu'aimait tant la créatrice était ensuite obtenue par martelage, ciselage et brunissage de l'or vierge.
