Suzanne Belperron : le parcours d’une créatrice en cinq bijoux
L’ensemble formé par les lots 59 à 63 du catalogue de la prochaine vente de bijoux de la Maison Aguttes ne peut qu’arrêter l’œil des passionnés de joaillerie. Il s’agit de cinq bijoux non signés dont le style pourtant est immédiatement reconnaissable.
Le bleu indigo, les jaunes d’or, le vert émeraude, les roses éclatants ; les jeux de contraste entre les matières ; le lustre satiné de perles fines associées à la translucidité mate de l’agate ; les proportions parfaites des bijoux ; les motifs et les formes emblématiques – quoique fort variés : tout cela signale l’impressionnante inventivité et le charme inépuisable d’une créatrice qui ne jugea jamais utile de signer ses créations joaillières, Suzanne Belperron (1900-1983).
Les pièces présentées lors de cette vente ont comme particularité d’évoquer chacune un chapitre de la vie de Suzanne Belperron. Créées entre 1935 et 1973, elles jalonnent en effet quarante années de création joaillière qui virent Suzanne Belperron expérimenter, approfondir, se renouveler sans cesse.
Pour mémoire, c’est en mars 1919 que Suzanne Belperron débuta sa carrière en tant que modéliste-dessinatrice chez René Boivin. A l’aube de ses vingt-trois ans, en 1924, elle avait été nommée codirectrice de cette Maison. Elle la quitta non sans un certain fracas en mars 1932 pour devenir « directrice artistique et technique exclusive, unique et reconnue » de la maison Herz, aux côtés de Bernard Herz (1877-1943), négociant parisien en perles fines et pierres précieuses, Pygmalion de cette jeune créatrice dont il avait perçu l’originalité. En collaboration avec le lapidaire Adrien Louart (1890-1989) et l’atelier Groëné et Darde (puis Darde et fils à partir de 1955, et Darde et Cie entre 1970 à 1974), Suzanne Belperron se lança alors à corps perdu dans la création de bijoux d’avant-garde : elle conférait à ses bijoux un caractère puissant, fait d’audace et de sensualité, qui leur valut d’être bientôt recherchés des collectionneuses et fins connaisseurs en joaillerie. Le décès de la créatrice en 1983 mit un terme temporaire à ce succès, mais son travail fut rapidement redécouvert et n’a depuis jamais cessé d’être célébré.
Bracelet « Perles fines » (lot 62)
Créé dans les années Trente, ce bracelet délicat, formé de six rangs de perles fines de forme légèrement baroque offre un doux camaïeu de blanc, crème et brun, dans un style qui renvoie aux bijoux du XIXe siècle, mais qu’un fermoir en agate blonde sculptée inscrit indubitablement dans la modernité. Une « idée de génie », selon Olivier Baroin, expert de Suzanne Belperron. Si le talent de l’artiste est encore en maturation à cette époque, l’affirmation d’un style vibre déjà dans cette pièce.
De forme rectangulaire, l’agate, gemme parmi les plus prisées de Suzanne Belperron, taillée en sept gradins surmontés d’une ligne de six perles fines très homogènes reflète le style de son temps : sans avoir jamais épousé à la lettre la vogue de l’Art déco, Suzanne Belperron a su en jouer subtilement.
Ce bijou paraît pour la première fois en vente publique.
Clip « Fleur » (lot 59)
Ce clip atteste la « coloriste hors-pair » qu’était Suzanne Belperron . Il traduit sans conteste l’épanouissement personnel et artistique de la créatrice durant les années d’avant-guerre. Trois rangs circulaires de baguettes de citrines rayonnent en corolle autour d’un rubis central taillé en cabochon. Deux anneaux de diamants taille ancienne de couleur jaune « fancy vivid » et « fancy intense » au dégradé de teintes minutieusement sélectionné par l’artiste couronnent cette fleur, qui semble cueillie dans le jardin onirique de l’Alice de Lewis Carroll.
L’experte de la vente, Philippine Dupré la Tour, compte ce clip parmi les bijoux les plus marquants qu’elle ait rencontrés : « son design très moderne et la perfection de ses proportions me subjugue. Il s’agit d’une pièce importante dans l’œuvre Belperron ». Le poinçon de maître Groëné et Darde, date ce bijou des années Quarante : ce n’est que très récemment qu’il a pu être attribué à Suzanne Belperron par Olivier Baroin, mais l’on ignore encore qui en fut la destinataire.
Bague « Tourbillon » (lot 63)
Cette bague en quartz rose godronnée, ornée d’un rubis, fut exécutée en 1940 par Adrien Louart. C’est un dessin que l’on retrouve décliné dans d’autres matières précieuses dans l’œuvre de la créatrice. D’esprit fantaisiste, cette pièce atteste le goût prononcé de la créatrice pour les volutes, les formes rondes, organiques, sensuelles et sculptées, que la couleur du bijou ici allège et rend aériennes.
De ce bijou fait d’insouciance et de douceur, la créatrice parlait avec humour et affection : « C’est un bonbon », disait-elle. Il contraste avec les sombres années d’Occupation qui suivirent : emprisonné, Bernard Herz, l’associé, l’ami, l’âme-sœur et l’amant de Suzanne Belperron meurt à Drancy au cours de l’hiver 1943. La créatrice tomba alors dans un profond désespoir, et pendant trois ans, nous apprennent ses lettres, vécut les rideaux tirés.
Broche « Bouquet de ballons » (lot 61)
Ce bijou arrive pour la première fois sur le marché des enchères. Créé en 1952 et insculpé du poinçon de maître Groené & Darde, cette broche présente un subtil dégradé ton sur ton, caractéristique de la palette Belperron, avec ses treize saphirs roses de Ceylan qui capturent la lumière avec intensité. En apparence d’une grande simplicité, cette broche frappe par la finesse poétique de sa composition et le rayonnement immédiat de cette efflorescence colorée. Elle fait irrésistiblement songer à la petite fille hissée sur la pointe des pieds de la flying balloons girl de Banksy retenant un bouquet de ballons.
Ce bijou est d’un style tout à fait à part dans l’œuvre joaillière de Suzanne Belperron.
Bague « Dôme » (Lot 60)
Les archives indiquent que cette bague fut commandée en octobre 1973, peu avant que Suzanne Belperron et son associé Jean Herz, qui avait pris la suite de son père Bernard, ne dissolvent à l’amiable leur société Herz-Belperron. Âgée alors de soixante-treize ans, Suzanne Belperron continuait de travailler tous les jours.
Les couleurs et le dessin de ce bijou appartiennent au répertoire bien identifiable de la créatrice. Olivier Baroin confirme qu’il existe différentes variations de cette bague boule « très Belperron » mais aucune d’entre elles n’est jamais absolument identique aux autres. Le bleu céleste et froid du saphir de Ceylan de 19.15 ct contraste avec le pavage ardent des rubis birmans, comme si les gemmes se rehaussaient mutuellement.
Cette bague « Dôme » apparaît aussi pour la première fois en vente publique.
Il est rare que soit présenté à la vente un ensemble qui raconte l’histoire d’un parcours si fécond. Il traduit un demi-siècle de recherches et d’audaces, et dessine le portrait en creux d’une créatrice que l’on ne finit jamais de découvrir.
A noter que chaque lot est accompagné d’un certificat de Monsieur Olivier Baroin attestant qu’il s’agit d’une création de Suzanne Belperron.
Crédits photos @Aguttes
Informations pratiques :
164 bis Avenue Charles de Gaulle
92200 Neuilly-sur-Seine
Directeur du département Bijoux et Perles fines
Philippine Dupré la Tour
du*********@ag*****.com
+33 1 41 92 06 42
Exposition sur rendez-vous :
Jusqu’au lundi 8 mars +33 (0)1 41 92 06 47
Exposition publique :
Mardi 9 et mercredi 10 mars : 10h-13h et 14h-18h
Jeudi 11 mars : 10h-12h
Vente aux enchères :
jeudi 11 mars 2021 à 14h30
La Golconde
9, Place de la Madeleine
Galerie de la Madeleine
75008 Paris
Tél. +33 1 40 07 15 69