Bijoux italiens du XXème siècle : une rétrospective milanaise

Par Marie-Laure Cassius-Duranton et Gislain Aucremanne

L’historienne du bijou Melissa Gabardi présente en ce moment à Milan au musée Poldi Pezzoli une exposition sur l’histoire du bijou italien au XXe siècle. Elle vient justement de publier un ouvrage sur ce sujet, intitulé Il Gioiello italiano del XX secolo (traduction anglaise : Italian Jewelry in the XXth century). Spécialiste reconnue de la joaillerie et de l’orfèvrerie françaises du XXe siècle, notamment de Jean Després, Melissa Gabardi met en évidence avec beaucoup de pertinence l’identité propre du bijou italien et nous fait découvrir les joailliers italiens les plus féconds et les plus remarquables du XXe siècle. Comme dans d’autres domaines de la création italienne, nous sommes frappés par la qualité du design et de la fabrication qui font toujours le succès de certains grands noms de la joaillerie actuelle, comme Pomellato et Vhernier, nés dans les années 1970.

Pomellato Bracelets collection Schiava « esclave » Milano 1976 or jaune, or rose. Archive Pomellato Milano

Une scénographie simple et didactique invite le visiteur à suivre un parcours chronologique, où se déroule sous ses yeux l’histoire du bijou italien au XXe siècle. Chaque vitrine incarne un goût ou une époque, marquée par une sélection de pièces emblématiques des courants artistiques et de personnalités du monde de la joaillerie. Melissa Gabardi n’insiste pas sur l’histoire de Maisons joaillières déjà bien connues et documentées, comme Bulgari ou Buccellati. Elle réussit avec brio à mettre en lumière les créations de joailliers moins connus, mais qui se sont distingués par leur originalité. C’est une manière de leur rendre hommage.

De 1900 à 1920 environ, les grands noms de la joaillerie italienne classique sont Musy (Turin), Chiappe (Gênes), Cusi (Milan) et Petochi (Rome), pour certains joailliers de la Couronne. Leurs bijoux correspondent à la demande de l’aristocratie italienne qui partagent ce goût européen pour le bijou de représentation, lequel n’a pas beaucoup évolué depuis les années 1880.

Musy Diadème. Turin, fin XIXème-début XXème siècle. Or jaune, argent, diamants. Collection privée.

Ces maisons suivent les modes, notamment la tendance Art Déco, fortement inspiré par la France. Le milanais Alfredo Ravasco s’est particulièrement distingué dans l’expression de ce style lors de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes, qui s’est tenue à Paris, en 1925.

Alfredo Ravasco. Broche. Milan années 30. Platine et diamants. Collection privée.

Parallèlement à ces courants et en réponse à une clientèle ayant d’autres attentes artistiques, certains joailliers vont développer une identité plus intemporelle, comme le milanais Mario Buccellati. A partir de 1919, celui-ci jette les bases d’un style immédiatement reconnaissable qui fait toujours le succès de la Maison aujourd’hui. Ce style d’un raffinement remarquable se fonde sur la spécificité du travail du métal qui imite la dentelle. Ses clients sontd’abord des gens de culture, des artistes et des écrivains prestigieux, comme Gabriele d’Annunzio.

Mario Buccellati. Diadème. Milano 1929. Or jaune, argent platiné, diamants. Fondation Gianmaria Buccellati


Dans un autre goût, les références à l’Antiquité et à la Renaissance, racines de la culture italienne
, caractérisent les Vénitiens Codognato et Nardi. Dès les années 1940, ils créent leurs premières broches « Moretto » emblématiques. Leurs bijoux seront portés par les personnalités les plus en vue du monde de la mode et du cinéma du XXe siècle.

Nardi. Broche. Venezia 1947. Platine, diamants, ébène. Collection Nardi Venezia

En marge des styles dominants, certains créateurs imaginent des bijoux figuratifs ou abstraits qui associent inspiration artistique et portabilité. C’est le cas de la turinoise Orisa et de la milanaise Margherita dans les années 1940, mais aussi du florentin Enrico Serafini. Ce dernier retient particulièrement notre attention pour son interprétation à la fois surréaliste et poétique de la traditionnelle bague « mani in fede », choisie par Melissa Gabardi en image en couverture pour son livre et comme affiche de l’exposition.

Enrico Serafini. Bague . Florence 1950-1960 Or jaune et diamants. Collection privée.

Cette tendance se prolonge dans les années 1950 avec les frères sculpteurs Arnaldo et Gio Pomodoro et l’orfèvre Masenza,

Afro Basaldella pour Masenza. Bracelet. Rome, circa 1950. Or jaune, diamants, émeraudes, saphirs et rubis. Collection privée.

puis au cours des années 1960 avec James Rivière.

James Rivière. Collier Trio 18. Milan 1978 Or jaune et titane polychrome. Collection privée.

Chaque décennie est décryptée grâce à des figures majeures, comme Gio Caroli pour les années 1970 ou encore l’Ecole de Padoue dans les années 1980.

Du point de vue des gemmes et des techniques, l’identité italienne s’exprime dans l’emploi des monnaies anciennes, des camées et des intailles.

Alfredo Ravasco Pendentif représentant une tête de Minerve. Milan1928-1934 Intaille réalisée par Franz Pelzer. Or jaune, titanite, grenat hessonite, cristal de roche et grenat. Museo Nazionale della Scienza e della Tecnologia Leonardo da Vinci Milano.

On retrouve cette même identité dans le goût pour le corail

Giuseppe Ascione. Chaîne et pendentif. Naples 1906. Or jaune, argent, diamants, corail et perles. Museo del Corallo Ascione Napoli.

et enfin dans le retour en force des techniques d’émaillerie. Notons, dans les années 1960, Frascarolo et Cazzaniga (Rome), créateurs d’un style nouveau à la fois précieux et décontracté.

Frascarolo et C. Broche de la collection Bestiaire féroce. Valenza 1968 Or jaune, diamants, rubis et émail. Collection privée.

Mélissa Gabardi ne s’attarde pas sur Bulgari, mais elle rappelle que la Maison est une référence incontournable. A partir des années 1960, Bulgari crée, avec l’aide d’autres ateliers, des bijoux au style reconnaissable. Le cas le plus fameux est celui d’Illario pour le bracelet-montre serpent émaillé. Les stars du cinéma sont les premières ambassadrices de la Maison et participent au rayonnement international de cette joaillerie italienne.

Carlo Illario e F.lli Bracelet Serpent. Valenza 1969 Or jaune, diamants, rubis et émaux. Collection privée.

Il s’agit d’une superbe exposition, autour d’un thème peu étudié et rarement abordé dans son ensemble. L’histoire de l’Italie se lit à travers l’évolution d’une identité joaillière singulière que ce parcours nous propose de découvrir. La grande place accordée aux collectionneurs privés, qui ont accepté de prêter la majeure partie des pièces exposées, montre l’importance de ce sujet que le Musée Poldi Pezzoli nous invite à voir et à revoir avec bonheur, à Milan, jusqu’au 20 mars 2017 !

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Marie-Laure Cassius-Duranton est gemmologue, historienne d’art et professeur à L‘École des Arts Joailliers ainsi qu’au Laboratoire Français de Gemmologie.

Gislain Aucremanne
est historien d’art, spécialisé dans le bijou ancien, et professeur à L‘École des Arts Joailliers.

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Ringraziamenti a Silvia Gualano e Ilaria Toniolo.

Museo Poldi Pezzoli
Via Manzoni 12 – 20121 Milano

@Giovanni Dall’Orto


Bracelet en « une » de Cazzaniga. Rome, 1960. Collection privée.