Marc Auclert : l’intaille, un art millénaire
La Maison Auclert, fondée par Marc Auclert en juin 2011 rue de Castiglione, est une maison de joaillerie dont la singularité est de monter, comme le faisaient déjà certains artisans de la Renaissance, des petits objets d’art sur des montures contemporaines. Chaque création de la Maison est une pièce unique, née de cette idée de « bijou de remploi ». C’est-à-dire un bijou créé autour d’un objet ancien.
Marc Auclert conçoit le bijou comme un objet esthétique doté d’une dimension culturelle. « Le bijou est une des premières formes d’expression artistique et esthétique. Aux temps les plus immémoriaux de la préhistoire on a des fresques sur les murs, des statues ou idoles en pierre, et des pierres et coquillages percés qui servent à décorer le corps. Le bijou fait partie de nos racines artistiques ».
Il est une forme d’art joaillier qui passionne cet esthète : c’est la glyptique.
L’art de la glyptique est l’art de graver des pierres fines et ornementales, plus rarement des pierres précieuses. Il existe deux techniques. L’une consiste à graver les gemmes en creux, c’est la technique des intailles ; l’autre consiste à les graver en relief, c’est la technique des camées. «Je suis plus sensible à l’intaille parce qu’elle se présente ton sur ton, sur son avers, et ne se dévoile qu’après une impression du motif. Je trouve l’intaille plus ténue, plus mystérieuse que le camée apparu plus tardivement, au IIIème siècle avant JC, et plus simple à comprendre comme bijou».
L’intaille est au cœur des créations la Maison Auclert : « Ma spécialité, c’est « l’impression ». Je crée des bijoux sur lesquels se juxtaposent une intaille originale et son impression sur or. Je suis en permanence à la recherche de pièces de collection à acquérir. J’imagine et je dessine les montures. Ensuite, je fais appel aux meilleurs artisans et ateliers parisiens pour réaliser mon bijou ».
Quelle est l’histoire de l’intaille ?
Comment ne pas se tromper au moment d’acquérir une intaille ?
Quelles sont les coulisses de ce monde des antiques ?
Marc Auclert répond à ces questions, révélant au passage quelques-uns de ses secrets de collectionneur.
Récit d’un passionné de l’intaille.
« L’intaille, les temps anciens »
Il y a 7000 ans, apparaissait l’intaille
Les premières intailles sont apparues dès le Vème millénaire avant J-C, en Mésopotamie. Tout d’abord sous la forme de cachets puis de sceaux cylindriques.
La fonction première de l’intaille fut sigillaire. Les archéologues ont révélé que les intailles mésopotamiennes servaient à marquer par impression un cachet d’argile, puis de cire, afin de faciliter les premiers échanges commerciaux entre civilisations du croissant fertile.
Les premières intailles précèdent ainsi les plus anciens témoignages d’écriture connus. « Je trouve cela émouvant et fondamental au regard de notre civilisation ». Bien que l’histoire de l’écriture se développe dans différents foyers -et sur plusieurs millénaires- les historiens s’accordent à dire que c’est en Mésopotamie qu’elle est apparue au IVe millénaire avant J.-C. Les pays de Sumer et d’Akkad avaient inventé dès 3300 avant J-C une écriture picto-idéographique qui est à la source du cunéiforme (-2800).
Le développement de l’art de l’intaille suit celui de l’écriture. Après avoir représenté des images figurées sur les sceaux, les gravures évoluent en des symboles graphiques. L’intaille, après invention de l’écriture, sert à signer et l’on devine toute l’importance sous-jacente à ce geste. A la fin du IIIème millénaire avant J-C. « les sceaux-cylindres » se développent. Les intailles sont percées et enfilées sur un lien de chanvre afin d’être portées autour du cou ou bien portées sur une épingle en broche.
«Ce qui est particulièrement beau avec les sceaux-cylindres, c’est qu’ils sont gravés en continu. Ils étaient utilisés en rotations, se renouvelant indéfiniment. A l’époque déjà, cela devait fasciner… » note Marc Auclert.
L’art de l’intaille s’est rapidement diffusé au-delà du Tigre et de l’Euphrate dans toutes les anciennes civilisations : En Anatolie (Asie Mineure), en Égypte – où le motif le plus répandu était le scarabée gravé en turquoise, lapis-lazuli…. L’intaille prit une nouvelle dimension lorsqu’elle devint amulette protectrice.
Cet art de l’intaille s’est également développé en Phénicie, dans la Grèce Mycénienne et Minoenne pour atteindre son apogée entre la première moitié du IVème siècle avant J-C. et le Ier siècle dans la Grèce antique.
L’intaille : une œuvre d’art au temps de la Grèce antique & de la Rome Impériale
« La glyptique, indique Marc Auclert, était considérée dans l’Antiquité comme un domaine artistique à part entière. La fonction sigillaire de l’intaille s’est doublée à partir de cette époque d’une fonction esthétique : l’intaille devient bijou. Les fouilles archéologiques ont mis à jour un engouement très fort des Grecs de l’Antiquité pour les intailles. Elles valaient une fortune et les artistes glypticiens étaient renommés à travers tout le bassin méditerranéen. »
Les noms de certains artistes ont traversé le temps. Les signatures des œuvres étaient rares mais existaient sur les intailles à compter du IVème siècle avant J-C. Ainsi, Pyrgotèle est un célèbre lithoglyphe (du IVème siècle avant J-C) dont l’Histoire a retenu le nom. Alexandre le Grand (356-323 avant J-C) lui avait commandé son portrait sur émeraude !
Lorsque le sceau devient un chef d’œuvre porté, les lithoglyphes se mettent à utiliser des pierres venues de contrées exotiques aux couleurs chatoyantes. Ainsi les intailles antiques sont faites sur des cornalines d’Inde du Nord (chauffées pour accentuer leur orangé), des lapis-lazuli d’Afghanistan, des turquoises du Sinaï, des émeraudes d’Égypte, des grenats de Bohème, du cristal de roche du Moyen-Orient et des calcédoines bleues de Perse….
« Cela révèle un autre aspect de la glyptique que j’adore : la compréhension des échanges commerciaux qui existaient d’un bout à l’autre du monde antique». On a également retrouvé des intailles faites sur pâte de verre : cela témoigne d’un engouement pour l’art de l’intaille qui dépassait de loin les sphères aristocratiques.
En Grèce, à mesure que s’installe la dimension artistique de cet art, les sujets mythologiques, les scènes de guerre et les animaux se déclinent à profusion. Les lithoglyphes grecs excellent à graver des représentations de plus en plus gracieuses, fines, précises.
Les intailles relèvent alors de l’exploit technique : l’art de la glyptique, que ce soit pour les intailles ou les camées, est un travail lent et minutieux qui requiert une patience infinie. Les pierres sur lesquelles les lithoglyphes gravent leurs œuvres sont de petite taille dans l’Antiquité. Les gravures ne dépassent pas le centimètre. Quant à l’intaille même, elle est gravée presqu’à l’aveugle. De surcroît, la gravure se fait à l’envers. Fréquemment le lithoglyphe est obligé de s’interrompre pour passer sa pierre à l’eau, prendre une empreinte, et regarder l’évolution du motif. « Ni les intailles ni les camées ne sont taillés. La glyptique n’est pas de la sculpture, mais un art du poli », précise Marc Auclert. En 2009, dans le cadre d’une exposition, le Getty museum a commissionné un glypticien moderne afin qu’il réalise une intaille hellénistique. Alors même que le glypticien travaille avec un outil électrique et non plus manuel, le film « The art of Gem carving » permet de se rendre compte de la complexité et de la lenteur de ce labeur.
L’art de la glyptique s’étend ensuite du monde hellénistique à celui de la Rome antique.
A partir du Ier siècle, dans la Rome Impériale, le style Julio-Claudien se manifeste par de nombreuses représentations de l’Empereur et de ses proches représentés avec les divers attributs du pouvoir. « La glyptique, souligne Marc Auclert, devient quasiment un objet de propagande mais elle n’est pas diffusée au même titre que les pièces frappées à l’effigie des monarques. L’intaille est offerte aux courtisans, aux grands notables uniquement, car c’est un cadeau de très grande valeur ». S’il est un nom à retenir de cette période, c’est celui de Dioscoride qui fut un maître lithoglyphe incontesté. Il pratiquait son art sous le règne d’Auguste (27 avant J-C- 14 après J-C).
Du Vème au XVème siècle, l’art de l’intaille connait une longue période de creux en Occident
La chute de l’Empire romain en 476 marqua un long effacement de la glyptique en Occident. « Cet art se perpétua néanmoins chez les Sassanides (les Perses) où l’on trouve des pièces de grande qualité jusqu’au VIIème siècle ».
Au Moyen-âge, les intailles antiques sont perçues comme des œuvres païennes. Néanmoins, elles sont très recherchées pour leur beauté. « Récupérées », les intailles gréco-romaines sont insérées dans divers objets du culte catholique : châsses, couronnes, croix, reliquaires, et autres objets votifs. On est déjà dans « le remploi » ! Une dimension sacrée est attribuées aux intailles antiques : on leur prête des vertus prophylactiques et leur valeur en est d’autant augmentée.
Rois et nobles également font grand cas des intailles antiques : Charlemagne a signé des actes avec un sceau gravé d’une tête de Marc-Aurèle, ou encore de Sérapis (voir l’article de J.Jacquiot). Charles V collectionnait les plus belles pièces de glyptiques anciennes. Quant au Duc Jean de Berry (1340-1416), il possédait paraît-il une collection des plus remarquables, dont on peut encore voir quelques camées au musée du Louvre.
L’intaille de la Renaissance à la période contemporaine
La Renaissance : un nouvel âge d’or de l’intaille
L’art de la glyptique connaît un nouvel essor dès le début du XVème siècle en Italie. Une frénésie s’empare des graveurs italiens qui copient, imitent et bien souvent surpassent les créations des anciens. Sous l’influence de Laurent de Médicis (1449-1492), de riches mécènes participent à ce renouveau artistique de la glyptique. Des dactyliothèques qui mêlent indifféremment les intailles antiques et leurs copies se constituent chez des collectionneurs érudits. Quinze siècles après l’époque hellénistique, l’art de l’intaille connaît un second Age d’or.
En France, il faut attendre les débuts du XVIème siècle pour voir refleurir cet art. François Ier fait venir à sa cour, entre autres artistes, un des lithoglyphes italiens les plus réputés, Matteo del Nassaro, pour participer à cette renaissance de la gravure sur gemmes.
Mais c’est au XVIIIe siècle que la France gagne sa renommée dans l’art de l’intaille. Madame de Pompadour (1721-1764), favorite de Louis XV et patronne des Arts durant son règne, pratiquait avec goût et talent l’art de graver les gemmes. Elle contribua fortement à la réhabilitation de l’art de la glyptique en France. En 1745, elle fit nommer le talentueux Jacques Guay (1711-1793), dont elle était l’élève, « graveur sur pierres fines de Louis XV ». Disciple du peintre François Boucher, Jacques Guay réussit à s’éloigner de la copie des modèles antiques et à renouveler le genre de l’intaille. C’est lui qui retailla en forme de dragon le célèbre spinelle rouge appartenant aux Diamants de la Couronne de France que l’on peut voir dans la Galerie d’Apollon au Louvre.
« L’intaille au XIXème : de la perfection technique à l’objet d’art »
Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle surgit une vision renouvelée de l’Art Antique. Le néo-classicisme se nourrit des découvertes, suivies des fouilles archéologiques, d’Herculanum (1738) et de Pompéi (1748). Cette redécouverte de la civilisation gréco-romaine s’accentue au XIXème siècle. L’expédition en Égypte de Bonaparte (1798), l’émergence du Romantisme, la découverte des tombeaux étrusques et des vestiges assyriens (1845) renforcent ce goût de l’Antique.
« A regarder l’intaille en transparence, on se dit que le travail est trop beau pour être vrai ! Ce serait romain, il y aurait une petite gaucherie, quelque chose de plus humain ! La modelé de la gravure au XIXème est d’une qualité incroyable ».
Les camées surtout deviennent très en vogue et ornent leurs parures joaillières des élégantes du XIXème siècle, avec une acmé sous le Ier Empire.
L’Art de l’intaille se fait plus discret. En Italie, pléthores de talentueux copistes gravent les gemmes à l’identique des modèles antiques et les faussaires diffusent leurs œuvres dans toute l’Europe.
Le XXème siècle se voulant résolument moderne mettra une nouvelle fois de côté ces splendides vestiges du passé. Les bijoux dans le goût de l’Antique seront remplacés par ceux Art Nouveau, de style Guirlande, Art Déco, Rétro, etc…
L’intaille au XXIème siècle ?
« Aujourd’hui, il reste quelques maîtres glypticiens, mais c’est un métier rare », nous dit Marc Auclert.
La glyptique se pratique principalement dans des tailleries, avec des machines. Idar Oberstein en Allemagne est un site historiquement réputé. Autrefois connu pour ses gisements d’agate, Idar Oberstein demeure un des lieux d’excellence de la taille et de la gravure des gemmes. « Mais je dois avouer que ce qui me touche le plus ce sont les intailles avec une certaine ancienneté, la patine y est incomparable. L’or antique offre de même une couleur, une lumière, un luisant, une oxydation, une malpropreté qui a un charme incroyable et qu’on ne peut reproduire ».
Qu’en est-il actuellement du marché des intailles anciennes ?
« Je dirais que les intailles représentent un marché convoité, qui attire des collectionneurs avisés dans le monde entier ».
A suivre : « De l’authenticité des intailles : conversation avec Marc Auclert »
Visuel de « une » : Collier gravure Prince. Collier serti en son centre d’une importante ronde-bosse en calcédoine bleue figurant le buste d’un jeune prince hellénistique à la touchante expression et aux détails de gravure remarquables (chevelure). Art Impérial Romain du Ier siècle, dans un entourage de diamants et d’or blanc laqué bleu. Crédit photo : Atelier mai 98
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