De l’authenticité des intailles : conversation avec Marc Auclert

Aussi étonnant que cela paraisse, il y a une réelle difficulté à distinguer les intailles antiques des modernes.

Le passage des siècles n’est pas un indicateur pour dater des intailles. Lorsque les gemmes sont conservées dans de bonnes conditions, elle ne « s’usent » pas. On peut y percevoir une patine mais qui ne permet aucunement une datation scientifique de l’intaille. La technique de la gravure ne permet pas non plus d’assigner une date à une intaille puisque les techniques sont restées à peu près les mêmes jusqu’au XIXème siècle. On pourrait penser que les formes des gemmes ou bien que les matières sont différentes selon les époques et la géographie des lieux : c’est en partie vrai, mais pas toujours ! Les intailles de la Renaissance par exemple sont très semblables aux intailles de la Grèce antique. Les sujets et les styles ne permettent pas non plus de les distinguer. A toute époque un lithoglyphe habile a pu reproduire une intaille d’une période antérieure.

Les procédés scientifiques de datation des objets qui aident à la détection comme le carbone 14 (pour les matériaux organiques), la dendrochronologie (pour les objets en bois), la thermoluminescence (pour les céramiques) etc… ne sont d’aucune utilité dans la datation d’une intaille ou d’un camée.

BAGUE Impression Intaille Onyx – copie Bague en or 18K sertie d’une intaille en onyx à striure blanche gravée d’une représentation d’un Mars casqué avec lance appuyée à l’épaule, debout dans un élégant déhanchement. Art Romain du II° siècle, et son impression dans l’or. Crédit photo : Atelier Mai 98.
BAGUE Intaille Bonus Eventus. Bague en or rose 18K et argent oxydé sertie d’une intaille en nicolo du XVIII° siècle gravée de Bonus Eventus, dieu romain du succès. Crédit photo : Atelier mai 98.

« Quand j’achète une intaille romaine, il est convenu qu’elle est « romaine » à 80 % et à 20% elle est peut-être classique (XVIII-XIXème). Inversement, je peux avoir du très beau XIXème et quand même avoir un doute et me dire que c’est du sublime romain…» reconnait Marc Auclert. La question se pose avec cette paire de boucles d’oreilles : les camées sont-ils du Ier ou du XVIIIème siècle?

Paire de boucles d’oreilles en or rose ou noirci 18K, serties de deux camées d’onyx à couches noire et blanche figurant de jeunes patriciens. XVIII° siècle ? Ou romain du 1er siècle? Ces deux camées proviennent de la collection des Ducs de Wellington, et sont agrémentées de saphirs (6.93 carats en poids total), d’opales et de petits diamants. Crédit photo : Atelier Mai 98

« L’iconographie néo-classique XVIIIème et celle du XIXème sont semblables à l’iconographie antique. Les lithoglyphes utilisaient les mêmes pierres, traitaient des mêmes sujets, les outils dont ils se servaient étaient les mêmes de l’antiquité jusqu’aux années 1870-80 » « Mais, précise Marc Auclert, je vois des différences dans les dimensions des gemmes. La plupart des intailles et camées de l’Antiquité sont de petits objets; sauf quelques-uns de provenance impériale et que l’on peut trouver dans les musées. Une grande intaille antique, c’est à mes yeux douteux… Il faut attendre la Renaissance et le XIXème siècle pour avoir de grandes intailles ».

Force est de donc constater auprès des spécialistes de la glyptique, que le doute, parfois l’erreur, font partie de la vie  des marchands et collectionneurs d’antiques. Marc Auclert possède dans sa bibliothèque un remarquable ouvrage d’Anatole Chabouillet, numismate, chercheur et conservateur français qui fut en poste un demi-siècle durant au Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale. Ce dernier proposait en 1858 une classification des gemmes gravées tout à fait intéressante :

« Les pierres gravées conservées à titre d’antiques dans les cabinets publics de l’Europe devraient, selon moi, être divisées en trois classes, au point de vue de l’authenticité. Dans la première, se placeraient les pierres munies de titres de noblesse en règle, celles qui ont été au Moyen-âge employées à la décoration de croix, de châsses, de reliures de manuscrits, etc., qu’elles soient encore dans des trésors d’église ou qu’elles en soient sorties notoirement, en un mot, les pierres dont on peut prouver l’existence avant la Renaissance de la glyptique en Italie. (…). Dans la seconde classe, viendraient les pierres qui, quoique privées de lettres de noblesse, exhalent un tel parfum d’antiquité, qu’il est impossible de leur refuser créance; encore, même à l’égard de ces pierres d’élite, faut-il s’attendre à ne pas rencontrer l’approbation générale. Dans la troisième classe, enfin, se presseraient en foule les pierres sans histoire, dont le travail, estimable ou remarquable, n’est ni assez franc, ni d’un style à inspirer la confiance à première vue, en un mot, les pierres qu’un connaisseur hésiterait à déclarer antiques ».

In Études sur quelques camées du cabinet des médailles, Anatole Chabouillet, Paris, 1858.

BO Intaille Grenats et Rubis. Paire de boucles d’oreilles en or rose et noir 18K, serties de rubis (1.35 carat PT) et de diamants (1.88 carat PT), l’une présentant en son centre une intaille de grenat. Art Romain du Ier siècle av. J.-C.-Ier siècle apr. J.-C., représentant Vénus Victrix, de dos, dénudée et en armes, l’autre son impression en argent oxydé. Crédit photo : Atelier Mai 98
BO Impression Satyre. Paire de boucles d’oreilles en or rouge er noir 18K, serties de deux diamants cognac de 1.15 carat chacun, de petites perles fines mordorées et de petits diamants. Une médaillon est orné d’une intaille en cornaline orange gravée de la représentation d’un satyre versant du vin d’une amphore à un enfant satyre. Art du XVIII° s. L’autre médaillon est l’empreinte en or rouge de l’intaille. Crédit photo : Atelier Mai 98

Ce doute sur la datation joue-t-il sur la valeur de l’intaille ?

« Cela ne change pas le prix ! Une jolie intaille à 5000 euros datée de la fin du XIXème sera vendue au même prix que si elle était d’époque Impériale, ce que bien entendu je reproduis sur mes propres tarifs. Évidemment, je préfère qu’elle soit impériale, c’est plus rare et plus émouvant ! »

Qu’en est-il des copies d’antiques ?

« C’est un vaste sujet sur lequel le doute persiste encore. Les faussaires n’ont pas toujours été très adroits, notamment en signant leurs œuvres. Les caractères alphabétiques révèlent souvent des inexactitudes, des fautes d’orthographe ou des mélanges de typographie entre différentes époques. Certains cependant ont été d’excellents lithoglyphes … »

Intaille en cornaline provenant de la collection du Prince S.Poniatowski. Circa 1800. La gravure représente Bacchus, assis avec une peau d’animal sur l’épaule, son bras étendu pointant vers Psyché. Cette dernière est drapée d’une robe flottante, avec un papillon perché sur sa main tendue. Entre eux, une plus petite figure. L’entaille est signée Kromos. Crédit photo : Bonhams.

L’histoire raconte que le Prince Stanislas Poniatowski (1754-1833) avait hérité de son oncle une superbe collection de gemmes gravées qui comprenait des trésors de l’Antiquité, de la Renaissance et des pièces modernes. Il se passionna pour cette collection et s’installa à Rome pour l’accroître dans l’environnement qu’il jugeait le plus favorable. A sa mort on découvrit une collection comptant 2601 gemmes gravées dont une vingtaine de camées et le reste d’intailles. Les gemmes étaient dans leur ensemble de grandes dimensions et 1737 d’entre elles portaient la signature d’anciens graveurs. « La collection est pleine d’œuvres de Pyrgotèle, Polyclitès, Apollonide, Dioscuride, en plus grand nombre qu’il n’y en avait dans l’Antiquité », notait D.Raoul-Rochette spécialiste de l’archéologie classique sous la restauration et la Monarchie de Juillet. Le scandale ne fut révélé qu’après le décès du Prince dont on comprit qu’il avait fait réaliser de fausses signatures sur de ravissantes œuvres de la fin XVIIIème et du début du XIXème siècle !

Marc Auclert, pouvez-vous nous dire où les collectionneurs comme vous achètent leurs intailles ?

« J’achète uniquement en salle de vente, chez des antiquaires et chez mes marchands. L’origine des objets est très importante, précise-t-il, et il faut être d’une probité exemplaire dans mon métier. Je me dois de connaître la provenance de tout objet que j’achète. Face au trafic illicite d’objets archéologiques, aux fouilles clandestines, aux pillages d’antiquités, un marchand digne de ce nom ne prend aucun risque. L’objet archéologique est une valeur stable, une valeur refuge et de ce fait il est très recherché ». Et Marc Auclert de conclure :  « Pour toutes ces raisons, je n’achète jamais à des particuliers. »

Il y a sept ans, en juin 2011, la Maison Auclert ouvrait ses portes rue de Castiglione, dans le premier arrondissement de Paris. Sept ans… le nombre d’or chez les Anciens, et un premier cycle accompli, durant lequel Marc Auclert a gagné la confiance d’experts et de clients exigeants, dans un domaine où la joaillerie, l’histoire et l’art se rejoignent au plus haut degré.

Maison Auclert
10, rue de Castiglione, 75001 Paris
Tél : +33 (0)1 42 61 81 81
maisonauclert@gmail.com
Tous les jours de 10h30 à 13h00 et de 14h00 à 18h30 sauf le dimanche

 

Visuel de « une » : BRACELET GRANDE INTAILLE.
Bracelet en or rouge mat 18K serti d’une large intaille en agate rubannée figurant Hercule appuyé sur sa massue et Vénus accompagnée de Cupidon, travail Milanais du début du XVII° siècle, agrémenté de perles de calcédoines bleues antiques et de diamants cognac (2.77 carats) et milky (5.41 carats).

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Pour devenir un spécialiste de la glyptique :

Ancient Gems and Finger Rings
Catalogue of the Collections
Jeffrey Spier
This fully illustrated catalogue documents the comprehensive collection of Greek, Roman, Etruscan, and Near Eastern gems in the J. Paul Getty Museum.

Carvers and Collectors: The Lasting Allure of Ancient Gems
March 19–September 7, 2009 at the Getty Villa

Anatole Chabouillet, Etudes sur quelques camées du Cabinet des médailles

Louis XV un moment de perfection de l’art français. 1974, Josèphe Jacquiot.

Josèphe Jacquiot, Mathilde Avisseau, “Glyptique”, Encyclopaedia Universalis.

BnF – Collections du département des Monnaies, médailles et antiques.