Bijoux et culture Hip-Hop

Par Émilie Bérard et Marion Mouchard

 

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Le hip-hop est un mouvement culturel né à New York au début des années 19701, dans un contexte de paupérisation des quartiers défavorisés – Harlem, Queens, Bronx et Brooklyn. Il regroupe quatre pratiques : le graffiti, le breakdance, le deejaying et le rap. L’une de ses caractéristiques est la volonté d’appartenir à la fois à un groupe socio-économique d’une part, et à un clan, un quartier, une communauté d’autre part.

Surtout, il prône une individualisation ostentatoire, qui passe notamment par l’apparence.

Le vêtement et le bijou sont dès lors, pour les membres de la culture rap, un vecteur d’expression, que ce soit d’un statut ou d’une identité : « Au cours des années 1980, le style vestimentaire en disait plus sur vous que tout autre chose. […] il devait donc parfaitement convenir et il devait vous définir2 ». Ainsi, les choix de couleurs, de marques, et même la façon dont les lacets des chaussures sont noués informent le groupe de son statut social, de ses origines3.

Page de garde du pamphlet Welcome to Fear City, publié en 1975 par un groupe de syndicats de la fonction publique de la ville de New York à l’attention des touristes souhaitant visiter la ville.
Page de garde du pamphlet Welcome to Fear City, publié en 1975 par un groupe de syndicats de la fonction publique de la ville de New York à l’attention des touristes souhaitant visiter la ville.
Mel Rosenthal pour le NY Times, Parmi les derniers résidents, leur terrain de jeu : Bathgate Avenue et East 173rd Street. 1976-1982 Épreuve à la gélatine argentique Musée de la ville de New York
Mel Rosenthal pour le NY Times, Parmi les derniers résidents, leur terrain de jeu : Bathgate Avenue et East 173rd Street. 1976-1982 Épreuve à la gélatine argentique Musée de la ville de New York, don de Roberta Perrymapp (numéro d’inventaire 2013.12.3)
Martha Cooper, Vue du métro new-yorkais, 1981.
Martha Cooper, Vue du métro new-yorkais, 1981.
Dan Farrell, Élus et représentants de l’ordre new-yorkais brandissant des affiches de lutte contre le graffiti, 1988.
Dan Farrell, Élus et représentants de l’ordre new-yorkais brandissant des affiches de lutte contre le graffiti, 1988.
Willy Vainqueur, Breakdancers dans le cadre du Festival Fêtes et forts à la casse d’Aubervilliers, 1984.
Willy Vainqueur, Breakdancers dans le cadre du Festival Fêtes et forts à la casse d’Aubervilliers, 1984.
Flint Gennari, Jeune homme apposant un graffiti dans le métro de New York, 1974.
Flint Gennari, Jeune homme apposant un graffiti dans le métro de New York, 1974.

 

 

1 Elena Romero (dir.), Fresh Fly Fabulous. 50 years of Hip-Hop Style, New York, Rizzoli, 2023, p. 29.

2 « Around the way in the ‘80s, wardrobe said more about you than anything. […] it had to fit well, and it had to define you ». Ibid., p. 121.

3 Ibid., p. 115

 

A- Le bijou comme marqueur ostentatoire de richesse

Dans la culture rap, vêtements et bijoux peuvent être des signes extérieurs de réussite : l’objectif est de « s’habiller comme la personne que l’on souhaiterait devenir4 ». L’ostentation des bijoux que les rappeurs arborent est à la mesure de leurs aspirations, qu’elles soient d’ordre financière ou sociale.

Dans le contexte de spéculation et de récession ouvrant la décennie, tandis que les joailliers traditionnels « [s’adaptent] au marché en allégeant les poids5 » des bijoux et qu’une grande partie de la population new-yorkaise vend ses bijoux à des négociants d’or sur la 47e rue6, les membres de la culture hip-hop se distinguent par des bijoux en or aux proportions exubérantes et portés en accumulation.

La richesse se mesure à l’aune des chaînes, des grillz7 et des montres en or achetées à Canal Street, dans Chinatown. Du reste, cette opulence est évoquée par les rappeurs dans leurs morceaux : en 1985, Pebblee Poo dans « A Fly Guy » assure à son auditoire que ses boucles d’oreilles ne sont pas en plaqué, mais en or massif8.

Jamel Shabazz, Un homme avec une veste et une casquette jaune, 1981, New York, Museum of the City of New York
Jamel Shabazz, Un homme avec une veste et une casquette jaune, 1981, New York, Museum of the City of New York (numéro d’inventaire : 2020.17.18).

Outre les matériaux, l’iconographie révèle également ces ambitions, à l’instar des symboles graphiques monétaires, en particulier celui du dollar. De même, les vêtements et les bijoux siglés ne sont pas seulement l’apanage des Yuppies, mais sont également un marqueur de réussite sociale pour les membres de la culture hip-hop. Cette dernière contribue d’ailleurs pleinement à accentuer ce phénomène. Les paroles de rap, au travers de la pratique du name dropping, reflètent l’obsession de leurs auteurs pour les marques : « le name dropping démontrait que vous apparteniez à un statut différent de toutes autres personnes… […] La mode signifiait beaucoup. Nous devions nous parer pour nous faire respecter9 »

Les paroles de rap sont des indicateurs de ce qui est à la mode. DansLa Di Da Di”, le Get Fresh Crew énumère ainsi les marques Gucci, Bally, Kangol et Ralph Lauren10. Ces dernières, ainsi que Louis Vuitton, Versace, Armani, ou encore Tommy Hilfiger sont autant de noms du luxe européen et américain à être progressivement intégrés et surtout transformés par le style hip-hop. À celles-ci s’ajoutent également les marques de sportswear telles Adidas ou Nike.

Ernie Paniccioli, Le chanteur Bobby Brown portant une veste et un pantalon de Dapper Dan, 1988.
Ernie Paniccioli, Le chanteur Bobby Brown portant une veste et un pantalon de Dapper Dan, 1988.
Marc Terranova, Blouson Adidas, fin des années 1980.
Marc Terranova, Blouson Adidas, fin des années 1980.
Ricky Powell, Le rappeur Rakim portant un blouson Nike à l’Apollo Theatre, 1988, Washington, National Museum of African American History and Culture
Ricky Powell, Le rappeur Rakim portant un blouson Nike à l’Apollo Theatre, 1988, Washington, National Museum of African American History and Culture (numéro d’inventaire : 2015.132.361).

L’œuvre de Daniel Day, dit Dapper Dan, en est l’une des plus célèbres manifestations.

Celui-ci a contribué à introduire les marques de luxe dans la mode hip-hop – principalement Louis Vuitton, Gucci et Fendi. Depuis son atelier à Harlem, ouvert en 1982, il utilise des tissus et des cuirs à logotypes afin de concevoir des créations inédites11. Dès lors, ses réalisations seront portées par les plus grandes stars du rap, tels Heavy D et Big Daddy Kane. Le succès de Dapper Dan repose sur sa compréhension du vêtement en tant que symbole, permettant de transformer le regard qu’un groupe social peut porter sur un individu. La clé de l’apparence à Harlem, à cette époque, était ce qui inspirait de l’admiration12.

Le rappeur LL Cool J., vers 1986.
Le rappeur LL Cool J., vers 1986.
Sir Mix-A-Lot lors d’un concert à Wembley Stadium, Londres, 19 juillet 1986.
Sir Mix-A-Lot lors d’un concert à Wembley Stadium, Londres, 19 juillet 1986.
Michael Benabib, Photographie du rappeur Rakim portant un bague ornée du logo de Mercedes-Benz devant sa Benzeeto, Bleecker Street, New York, vers 1988, Washington, National Museum of African American History and Culture
Michael Benabib, Photographie du rappeur Rakim portant un bague ornée du logo de Mercedes-Benz devant sa Benzeeto, Bleecker Street, New York, vers 1988, Washington, National Museum of African American History and Culture (numéro d’inventaire : 2015.132.110.1-3).

Dans le cas du bijou, le pendentif adoptant pour iconographie le logotype de la marque automobile Mercedes-Benz est un exemple récurent. De nombreuses versions en or, de diamètres variables, sont portées par des rappeurs tels LL Cool J., Sir Mix-a-lot ou Erick Sermon – leader du groupe EPMD – afin de suggérer leur réussite sociale par la possession d’une automobile de luxe.

Sebastian Piras, DMC portant son pendentif Adidas sur le tournage de « Thougher than Leather », vers 1987, Washington, National Museum of African American History and Culture
Sebastian Piras, DMC portant son pendentif Adidas sur le tournage de « Thougher than Leather », vers 1987, Washington, National Museum of African American History and Culture (numéro d’inventaire : 2015.132.324).
Ricky Powell, Run avec un fan de la Nouvelle Orléans durant le Raising Hell Tour, 1986, Washington, National Museum of African American History and Culture
Ricky Powell, Run avec un fan de la Nouvelle Orléans durant le Raising Hell Tour, 1986, Washington, National Museum of African American History and Culture (numéro d’inventaire : 2015.132.350).
Pierre Terrasson, Run-DMC, années 1980.
Pierre Terrasson, Run-DMC, années 1980.
Ricky Powell, Run DMC à Paris à l’occasion du Together Forever Tour, 1987, Washington, National Museum of African American History and Culture
Ricky Powell, Run DMC à Paris à l’occasion du Together Forever Tour, 1987, Washington, National Museum of African American History and Culture (numéro d’inventaire : 2015.132.367).

Mais l’exemple le plus éloquent est sans doute le pendentif prenant la forme d’une basket Superstar de la marque Adidas, porté par les membres du groupe Run-DMC.

En 1985, le rappeur Dr. Deas sort un morceau intitulé « Felon Sneakers », message directement adressé à l’encontre de ceux portant des sneakers et dénonçant dans le même temps les troubles qui leur sont associés13. En réponse, Run-DMC compose une ode au basket Superstar : « My Adidas » sera lancé en 1986, dans l’album Raising Hell. Le groupe n’est pas à son premier name dropping. En 1984, dans « Rock Box », il mentionnait déjà les marques de jeans Calvin Klein et Lee14. Au travers de son style vestimentaire, il crée l’une des images les plus reconnaissables du début du hip-hop : souvent vêtus de noir, ils portent des lunettes Cazal et surtout des Superstar sans lacets avec la languette dirigée vers l’extérieur. Le morceau « My Adidas » va faire le succès de Run-DMC en menant à l’une des premières collaborations passées entre un groupe de rap et une marque. Le 19 juillet 1986, ils se produisent au Madison Square Garden et demandent aux quarante mille spectateurs de lever en l’air leurs Superstar pendant qu’ils performent « My Adidas »15. Cette action, et la réponse spontanée qui en a résulté, engagent Angelo Anastasio, représentant de la marque, à conclure un accord de partenariat avec Run-DMC, négocié par leur manager Lyor Cohen.

Les marques de sportswear réorientent alors leur stratégie publicitaire en misant sur les effets démultiplicateurs de la controverse et sur les nouvelles figures populaires de la jeunesse. Rappelons ici l’accord passé en 1984 entre Nike et le numéro 23 des Bulls de Chicago, Michael Jordan, donnant naissance à l’une des plus célèbres campagnes publicitaires de la décennie. L’un des fruits de l’association entre Adidas et Run-DMC est un pendentif, offert par la marque au groupe, à l’image de la célèbre basket telle que portée par les trois rappeurs. Ce bijou symbolise ainsi ce partenariat qui est devenu une référence en la matière, et est le témoin du pouvoir culturel du hip-hop.

 

4 « Dress like the person you want to become ». Ibid., p. 33.

5 « Bijhorca », TF1, 12 septembre 1979, Paris, INA (cote : CAA7901677001).

6 « L’or, incidence sur la fabrication des bijoux », Soir 3, FR3, 16 janvier 1980, Paris, INA (cote : DVC8008015501).

7 Prothèses dentaires, bien souvent en or, parfois rehaussées de diamants.

8 E. Romero (dir.), Fresh Fly Fabulous. 50 years of Hip-Hop Style, op. cit., p. 171.

9 « Name droppin’ happened to show that you are on a different level than someone else… […] The fashion meant something. We had to adorn ourselves. We found respect. » Ibid., p. 97.

10 Ibid.

11 Ibid., p. 33.

12 Ibid., p. 79.

13 Ibid., p. 97.

14 Ibid., p. 99.

15 Ibid., p. 97.

 

 

B- Le bijou comme signe extérieur d’appartenance à un groupe

Pour les membres de la culture hip-hop, l’apparence est également un moyen de revendiquer leur appartenance à un groupe en marge de la culture dominante, que ce soit à un gang, un quartier, une communauté. Chaque groupe possède un langage vestimentaire très codifié dans lequel le bijou tient une place importante.

À l’échelle des gangs, les couleurs des vêtements et des bijoux, les symboles qui les ornent, ou même les signes de mains, permettent de se reconnaître dans un milieu urbain défavorisé, où la façon de se vêtir peut mener à des violences : « Les sneakers que vous portiez peuvent soit vous faire agresser par des voleurs, soit vous faire ridiculiser, donc vous deviez bien réfléchir à la manière dont vous vous habilliez16 ».

Déjà, les années 1970 voient le développement de vestes personnalisées et peintes aux couleurs des gangs ou ornées de leurs logos17. Dans le cas de la rivalité entre Crips et Bloods, qui accompagne l’évolution du rap de la côte Ouest des États-Unis, le bleu est attribué aux premiers tandis que le rouge caractérise les seconds. De même, chaque quartier possède son code vestimentaire : à Brooklyn, on adopte le modèle de chaussures Wallabee de la marque Clarks, une casquette Kangol et des lunettes Cazal, tandis qu’à Harlem, le port du survêtement et des sneakers de la même marque s’impose18. Ces mêmes quartiers possèdent leurs propres boutiques spécialisées, dont des magasins de bijouterie : à Brooklyn, s’établit Gold Teeth USA en 1987 ; dans Chinatown, A$ap Eva ouvre son commerce en 1988.

Surtout, la culture hip-hop, « née de la ségrégation et de l’oppression des communautés de couleurs [afro-américaine, latino, juive, chinoise] dans les centres urbains américains19», utilise le bijou comme symbole d’appartenance à une communauté. Dans le cas des rappeurs afro-américains, le port du bijou s’inscrit dans l’héritage politique des droits civiques et du mouvement Black Power : « Ils étaient la génération succédant aux droits civiques qui aspirait à l’égalité et à la liberté. Ils voulaient avoir une voix, par tous les moyens nécessaires20». En 1989, le New York Times consacre un article à ces éléments de parure, affirmation d’une identité africaine : « C’est un retour aux années 1960, rappelant l’époque durant laquelle les droits civiques et le mouvement Black Power inspira une génération d’afro-américains […].

À nouveau, des bijoux et des vêtements symboliques sont portés par des jeunes afro-américains, les transformant en affirmation de fierté et d’identité21».  Au cours des années 1980, le centre de l’African style et de la Black Power jewelry se situe dans Harlem West22. Revendiquer son appartenance à cette communauté passe par le port de dashikis, de kufis, de t-shirt à slogan23. En 1989, Queen Latifah et Monie Love, dans le clip de « Ladies First », s’affichent avec des turbans africains et des couronnes égyptiennes24. La même année naît la marque Cross Colours, promouvant au travers de tissus ou de campagnes publicitaires une identité africaine25.

Pendentifs « Rythme Syndicate » et « Zulu Nation » conçus par Afrika Islam et le rappeur Ice-T, entre 1982 et 1988, cuir peint, Sotheby’s « The Art and Influence of hip hop », New York, 30 mars 2022, lot 27.
Pendentifs « Rythme Syndicate » et « Zulu Nation » conçus par Afrika Islam et le rappeur Ice-T, entre 1982 et 1988, cuir peint, Sotheby’s « The Art and Influence of hip hop », New York, 30 mars 2022, lot 27.
Étalage d’un magasin à Harlem commercialisant des t-shirts à slogan, The New York Times, 1989.
Étalage d’un magasin à Harlem commercialisant des t-shirts à slogan, The New York Times, 1989.
Yan Morvan, B-girl arborant un tee-shirt Zulu Nation, Paris, fin des années 1980.
Yan Morvan, B-girl arborant un tee-shirt Zulu Nation, Paris, fin des années 1980.

Pendentifs, l’un en forme de croix Ânkh, un second à l’effigie d’Elijah Muhammad, et un troisième portant l’inscription Zulu Nation, n.d., métal, cuir, photographie, tissu, Washington, National Museum of African American History and Culture (numéro d’inventaire : 2006.0067.11, 2006.0067.17, 2006.0067.12).

 

Dans le cas de la bijouterie, le New York Times observe le port de « collier en cuir avec des médaillons rouges, noirs et vert, certains formant la silhouette du continent africain, d’autre comportant des photographies de Malcom X, Marcus Garvey et Haile Selassie26 ». À la fin des années 1980, on constate en effet un très relatif « éloignement de l’or27 » dans les parures des rappeurs. L’utilisation du cuir lui est parfois préférée pour être associée à des iconographies faisant référence à l’Afrique : « les pionniers du rap comme Expérience Unlimited, Heavy D and the Boys, Kool Mo Dee et Public Enemy – associés au port de larges bijoux en or – portent à présent des bijoux inspirés de l’Afrique28». Un jeune homme interrogé par le magazine new- yorkais exprime sa satisfaction d’observer cette réminiscence du passé politique afro-américain avant d’ajouter : « Au moins, ce ne sont plus ces pacotilles en or de mauvais goût. »

D’autres bijoux suggèrent, par leur sujet, une glorification du passé antique du continent africain, notamment des pendentifs prenant la forme de croix Ânkh, d’un buste de pharaon égyptien ou de la reine Néfertiti. Se positionnant dans les pas de Malcom X arborant sa chevalière aux couleurs de Nation of Islam, les rappeurs des années 1980 se parent pour revendiquer leur identité dans une société qui les marginalise.

Le bijou devient symbole de fierté et d’affirmation de soi.

 

16 « The sneakers you wore on your feet could either get you robbed or get you roasted, so you had to dress defensively. » Ibid., p. 121.

 17 Ibid., p. 50.

18 Sacha Jenkins, Fresh Dressed, 2015.

19 E. Romero (dir.), Fresh Fly Fabulous. 50 years of Hip-Hop Style, op. cit., p. 11.

20 « They were the post-civil rights generation who wanted equality and liberation. They wanted to have a voice by any means necessary. » Ibid., p. 65.

21 « They are throwbacks to the 1960’s, recalling the time when the civil rights and black power movements inspired a generation of young black men and women, when everything and anything black was beautiful. […] Once again, symbolic jewelry and clothing is being worn by young black Americans making statements of pride and identity. » Lena Williams, « In Leather Medallions and Hats, Symbol of Renewed Black Pride », The New York Times, 30 juillet 1989, p. 46.

22 E. Romero (dir.), Fresh Fly Fabulous. 50 years of Hip-Hop Style, op. cit., p. 65.

23 L. Williams, « In Leather Medallions and Hats, Symbol of Renewed Black Pride », op. cit.

24 E. Romero (dir.), Fresh Fly Fabulous. 50 years of Hip-Hop Style, op. cit., p. 33.

25 Ibid., p. 89.

26 « Leather necklaces with medallions of red, black and green, some shaped in the outline of Africa, others framing photographs of Malcom X, Marcus Garvey and Haile Selassie. » L. Williams, « In Leather Medallions and Hats, Symbol of Renewed Black Pride », op. cit.

27 « A Move Away From Gold ». Ibid.

28 « Rap grounds like Experience Unlimited, Heavy D and the Boys, Kool Mo Dee and Public Enemy – associated with the fad of large gold jewelry – now wear African-inspired jewelry. » Ibid.

 

C- Le bijou comme support d’une individualité 

Au sein de la culture hip-hop, la quête d’une reconnaissance sociale passe également par l’individualisation des bijoux : « Lorsque les marques de luxe n’étaient plus à la hauteur et ne nous servaient pas, nous créions notre propre luxe. La récompense la plus satisfaisante était d’être interpellé par quelqu’un dans la rue qui nous demandait : “Où as-tu eu cela ?” et de répondre “Quoi ? Tu ne connais pas ?! Je l’ai fait moi-même”29 ».

Les modes d’expression du hip-hop consistent à imposer la présence de ses inventeurs dans un contexte socio-politique qui les marginalise au travers d’une pauvreté systémique, des déplacements, et des mesures d’austérité ciblées30. Plus généralement, la customisation et le re-mixing – c’est-à-dire la personnalisation par adjonction d’un signe singulier ou par l’association d’éléments provenant d’émetteurs culturels différents voire opposés – sont au cœur de la culture hip-hop que ce soit dans la manière de se parer ou dans l’adoption de surnoms. Ces phénomènes s’observent dès les années 1970 dans les pratiques vestimentaires des B-boys et des B-girls31, combinant le style des gangs urbains avec des chaussures de sport. Le graffiti offre de nouvelles images qui migrent rapidement des murs ou des trains vers les couvertures d’albums et les vêtements. Les graffeurs – tels Shirt King Phade – interviennent sur des vestes ou des jeans pour y peindre des logos uniques et personnels.

Jamel Shabazz, Père et Fils, début des années 1980, Washington, National Museum of African American History and Culture
Jamel Shabazz, Père et Fils, début des années 1980, Washington, National Museum of African American History and Culture (numéro d’inventaire : 2014.84.7).

De même, si Dapper Dan utilise les logotypes des marques établies du luxe européen et américain, il les transpose en réalité sur des vêtements à la coupe ample, issue de la culture urbaine d’alors. Dan se place ainsi à contre-courant des grandes maisons : « Je ne dicte pas la mode. Je transcris la culture32 ». Il accueille ses clients – notamment des rappeurs qui alors ne sont pas les bienvenus dans les boutiques de la Cinquième Avenue – et les habille de telle sorte que, par le vêtement et la parure, ils deviennent la meilleure version d’eux-mêmes33. En prenant en compte leur musique et leur personnalité, il crée ainsi l’image qu’ils voulaient véhiculer.

En somme, « La traduction du hip-hop pour l’individualité s’exprimait par la customisation. Avoir quelque chose que personne n’a, […] porter un élément de parure unique en son genre ou des bijoux inscrits à votre nom, c’est montrer au monde qui vous êtes34 ». Ainsi, les pionniers du hip-hop, n’ayant pas accès aux grandes marques de joaillerie, vont faire fabriquer des bijoux vecteurs de leur individualité.

Les bijoux dits namesplates sont un support privilégié de cette personnalisation. Ils consistent à inscrire un mot, généralement des noms, dans une plaque de métal ajourée à la forme et parfois empierrée. Ils comprennent une grande variété de typologie : collier, motifs d’oreilles, bague, boucle de ceinture et bracelet. Une grande liberté de choix est également accordée quant à la taille, la typographie, le type de chaîne ou encore les ornements qui encadrent l’inscription, autant d’éléments permettant de créer un bijou unique. Les nameplates sont de ce fait un moyen pour les premiers rappeurs de montrer de manière ostentatoire leur surnom, leur personnalité, leur identité à l’échelle individuelle.

Jamel Shabazz, Trois hommes, dont l’un portant un collier nameplate, devant un magasin de sneakers à Delancey Street, New York, 1980, Washington, National Museum of African American History and Culture
Jamel Shabazz, Trois hommes, dont l’un portant un collier nameplate, devant un magasin de sneakers à Delancey Street, New York, 1980, Washington, National Museum of African American History and Culture (numéro d’inventaire : 2014.84.8).
Janette Beckman, Grandmaster DST, 1982, New York, Museum of the City of New York
Janette Beckman, Grandmaster DST, 1982, New York, Museum of the City of New York (numéro d’inventaire : 2016.5.2).
Le rappeur Kurtis Blow, vers 1980.
Le rappeur Kurtis Blow, vers 1980.

Le rappeur Kurtis Blow, par exemple, contribue à façonner le port des bijoux chez les rappeurs dès son premier album : sur la pochette, il s’affiche avec pour ornements une accumulation de colliers et chaînes à pendentifs, à ce moment-là de dimensions raisonnables. Il porte à d’autres occasions un pendentif nameplate à son nom : les lettres « BLOW » sont disposées à la verticale depuis une chaîne. Le pendentif devient ainsi un bijou distinctif permettant d’imprimer dans l’imaginaire collectif le style et l’image du rappeur.

Roberto Rabanne, LL Cool J, juin 1989, Washington, National Museum of African History and Culture
Roberto Rabanne, LL Cool J, juin 1989, Washington, National Museum of African History and Culture (numéro d’inventaire : 2015.132.386).
Le rappeur LL Cool J en 1987 photographié par Janette Beckman.
Le rappeur LL Cool J en 1987 photographié par Janette Beckman.

Le rappeur LL Cool J, quant à lui, contribue à populariser la bague à quatre doigts. Il possédait deux exemplaires de bagues nameplates – l’une inscrite avec son prénom de naissance, James, dont la lettre finale est remplacée par un « $ », la seconde en or jaune et empierrée portant son nom de scène.

Dans les années 1990, la culture hip-hop trouve une première forme de légitimité dans l’industrie musicale et de la mode. Les rappeurs New School, dont Run-DMC, contribuent à étendre l’influence d’une culture alternative, le hip-hop, sur la culture dominante. L’apparition d’émissions dédiées sur des radios libres ou à la télévision – rappelons ici l’important rôle de MTV, créé en 1981, dans la diffusion des clips vidéo – contribue à propager la musique rap et son style vestimentaire aux heures de grandes écoutes.

Le succès de Dapper Dan ou encore d’April Walker et Karl Kani, ouvre également la voie aux nombreuses marques de mode hip-hop créées durant la seconde moitié des années 1980, à l’instar de Cross Colours. Celle-ci rencontre un enthousiasme grandissant et sature les écrans, diffusée par les clips vidéo ou les séries télévisées à l’instar du Prince de Bel-Air. Dans le même temps, les rappeurs fondent leurs propres labels indépendants. Dès lors, « les artistes promouvant leur propre marque devint la nouvelle norme pour les labels et leur manière de faire des affaires. Ils demandèrent leur propre placement de produit, et les contrats commencèrent à refléter cela35».  Alors que les rappeurs accèdent à une reconnaissance commerciale et internationale dans les années 1990, il est devenu plus facile pour eux d’afficher leur succès, ce qu’ils peuvent à présent aisément s’offrir ou encore obtenir par des partenariats.

La culture hip-hop devient une industrie à part entière, en mesure de composer avec les maisons de haute couture et de haute joaillerie. Les collaborations de A$AP Ferg et Tiffany en 2018, puis celle de Jay-Z et Beyoncé avec cette même maison de joaillerie en 2021 confirment l’évolution du regard porté par les industries du luxe, et en particulier la joaillerie, sur la culture hip-hop.

 

29 « When the luxury brands fall short and don’t serve us, we create our own luxury. The most satisfying payoff is when someone on the street asks that age-old question: “Where’d you get that from?”, my answer is always at the ready “What, you ain’t know!? I made it myself”. » Vikki Tobak (dir.), Ice Cold. A Hip-Hop Jewelry History, Cologne, Taschen, p. 9.

30 E. Romero (dir.), Fresh Fly Fabulous. 50 years of Hip-Hop Style, op. cit., p. 168.

31 Contraction de Breaking-Boys et Breaking-Girls, autrement dit des danseurs de breakdance.

32 « I do not dictate fashion. I translate culture. » E. Romero (dir.), Fresh Fly Fabulous. 50 years of Hip-Hop Style, op. cit., p. 79.

33 Ibid.

34 « Hip-Hop’s tradition of individuality was expressed through customization. To have something nobody else has, to make you piece a bit more unique, to wear an article of adornment made with a one-of-a-kind design, to rock jewelry displaying your name, is to show the world who you are. » V. Tobak (dir.), Ice Cold. A Hip-Hop Jewelry History, Cologne, Taschen, p. 19

35 « Artists endorsing their own brands became the new norm for record labels and how they did business. They demanded their own product placement, and contracts eventually started to reflect that. » Fresh Fly Fabulous. 50 years of Hip-Hop Style, op. cit., p. 122.

 

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Émilie Bérard

Émilie Bérard est titulaire d’un master d’histoire et d’histoire de l’art de l’université de Grenoble-II et de l’Université de Salamanque, et d’un diplôme de gemmologie du Gemological Institute of America. Pendant dix ans, elle a été responsable du patrimoine chez le joaillier Mellerio International. Elle a contribué à plusieurs publications, dont l’ouvrage collectif Mellerio, le joaillier du Second Empire (2016). Elle a rejoint Van Cleef & Arpels en 2017 en tant que responsable des archives et est actuellement responsable de la collection patrimoniale.

Marion Mouchard

Marion Mouchard est titulaire d’un master en histoire de l’art et archéologie de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle a écrit deux mémoires sur le joaillier Pierre Sterlé (1905-1978) et sur le créateur et fabricant de montres et de bijoux Verger (1896-1945). Doctorante en histoire de l’art au Centre André-Chastel, elle prépare une thèse sur le bijou archéologique dans la seconde moitié du XXe siècle.

 

 

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Exposition :

Ice Cold: An Exhibition of Hip-Hop Jewelry
American Museum of Natural History
Opening Thursday, May 9, 2024
Floor 1, Mignone Halls of Gems and Minerals, Meister Gallery

Ice Cold: An Exhibition of Hip-Hop Jewelry célèbre l’influence culturelle du hip-hop à travers des bijoux portés par certaines de ses stars emblématiques. S’appuyant sur la célébration par la ville de New York du 50e anniversaire du hip-hop en tant que phénomène mondial, l’exposition mettra en lumière l’évolution des bijoux dans le hip-hop au cours des cinq dernières décennies, en commençant par les chaînes en or surdimensionnées portées par les pionniers du rap dans les années 1980 et en passant par les années 1990, lorsque les rappeurs devenus des magnats du business arboraient des pendentifs de maison de disques étincelants de diamants et de platine.

A symbol of the Atlanta-based powerhouse Quality Control Music, the QC necklace boasts stunning diamonds and 14-karat white gold and was designed by Wafi of Jewelry Unlimited in 2021.
A symbol of the Atlanta-based powerhouse Quality Control Music, the QC necklace boasts stunning diamonds and 14-karat white gold and was designed by Wafi of Jewelry Unlimited in 2021.

 

 

visuel de « une » : Jam Master Jay, Adidas Pendant
Alvaro Keding/© AMNH
Après la chanson « My Adidas » de Run-DMC en 1986, Adidas a conclu avec le groupe un accord de parrainage unique en son genre, offrant à chaque membre un de ces pendentifs en or 14 carats en forme de chaussures de sport.

 

 

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