Toutankhamon, le Trésor du pharaon. Les gemmes sacrées.
Les gemmes sont une clef indispensable pour aborder le mode de pensée des anciens Egyptiens et tenter de comprendre leur art.
Dans son ouvrage de référence L’univers minéral dans la pensée égyptienne, l’égyptologue Sydney Aufrère soulignait le fait que certaines gemmes symbolisent à la fois les divinités, les éléments du cosmos et les cycles de la vie terrestre.
L’exposition parisienne ne consacre pas de section particulière aux bijoux de Toutankhamon. Nous les découvrons disséminés au long du parcours de visite, et plus spécifiquement dans les salles consacrées aux gardiens et à la renaissance. Une douzaine de colliers, pendentifs et pectoraux -avec ou sans chaînes-, quatre bracelets, six bagues (toute or, calcédoine blanche, calcédoine verte, lapis-lazuli, uraeus), trois boucles d’oreilles individuelles (et non en paire) et nombre d’amulettes en matériaux précieux forment un ensemble joaillier tout à fait significatif des arts joailliers sous le Nouvel Empire. L’état de conservation des pièces est étonnant et nous serions tenté d’écrire que ces bijoux sont d’une extraordinaire modernité, n’eussent été les trois millénaires qui nous séparent de ces ouvrages d’orfèvrerie.
Trois pierres principalement étaient empreintes d’une dimension sacrée aux yeux des contemporains de Toutankhamon : le lapis-lazuli, la turquoise et la cornaline, soit les couleurs bleu, vert et rouge. Ces pierres portées en bijoux ou en amulettes étaient dotées de pouvoirs magiques, de vertus prophylactiques ou apotropaïques, et leur usage dans l’art funéraire participait pleinement à la renaissance du défunt.
L’exposition en cours est l’occasion d’évoquer le rôle majeur de ces trois pierres dans la cosmogonie pharaonique, car elles sont le plus souvent associées dans les bijoux du pharaon, et leurs symboliques se superposent de façon complexe.
Les bijoux, ornements et autres amulettes que portaient le pharaon de son vivant indiquaient son statut de roi de la Haute- Egypte et de la Basse-Egypte, le liaient aux dieux, témoignaient de sa grandeur. La valeur esthétique de ces objets est incontestable : le travail des métaux précieux, le poli et la taille des gemmes en perles ou en cabochons en font des pièces tout à fait admirables.
Cependant le but premier de ces ornements était de protéger le jeune pharaon des dangers quotidiens pendant sa vie terrestre. La mort représentait pour les anciens Egyptiens un passage vers une vie éternelle. Pour y accéder, le défunt devait braver de nouveaux dangers : aussi, ses bijoux funéraires, et les pierres qui les ornaient, conservaient-ils cette fonction de protection et de secours sur ce chemin vers l’au-delà. On observe du reste que les bijoux portés de son vivant par le jeune pharaon étaient dotés d’un contrepoids dorsal afin de soulager la charge de l’objet sur son cou (c’est vrai en particulier des bijoux pectoraux) : les bijoux à usage funéraire placés dans son tombeau sont, eux, privés de ce contrepoids, devenu inutile.
La visite de cette exposition requiert une certaine patience. Pour admirer ces merveilleux artefacts, il faut tenter de faire abstraction de la foule amassée devant les petites vitrines du Trésor, des écrans et de la musique qui créent une atmosphère bien peu recueillie. Mais cela en vaut la peine. Au sortir de cette incursion dans l’Egypte des pharaons, on réalise avec plus d’acuité encore combien le bijou est une forme d’art à part entière qui transcende les siècles, les cultures, et confine parfois au sacré.
Quelques petits regrets et quelques manques dans l’exposition probablement dûs à des raisons de fragilité : vous ne verrez ni le mythique masque funéraire d’or de Toutankhamon restauré en 2015, ni l’élément de pectoral en verre libyque, ces deux derniers avaient déjà été présentés en 1967 à Paris, ni le délicat diadème dont la tête de la momie était parée (visuels ci-dessous).
Le lapis-lazuli, pierre d’éternité
L’exposition parisienne présente de très nombreux éléments réalisés en lapis-lazuli. La plupart des objets sculptés dans cette gemme bleu outremer sont des scarabées que nous retrouvons sur des pectoraux mais aussi sur des bracelets, dont deux particulièrement remarquables. L’un en or, amazonite, cornaline et verre porte trois scarabées en lapis-lazuli et les cartouches de Toutankhamon (GEM 157). Le second est un bracelet souple dont le motif central est un anneau d’or finement ciselé orné en son centre d’un important cabochon de lapis-lazuli (GEM 19988). L’exposition présente également une importante bague à double cerclage sculptée dans du lapis-lazuli (GEM 156). Ces trois dernières pièces sont présentées pour la première fois hors d’Egypte (je ne dispose pas de visuels de qualité pour ces trois bijoux, il vous faudra les découvrir sur place).
D’où provenaient les importantes quantité de lapis-lazuli retrouvées dans les artefacts du tombeau de Toutankhamon?
Il n’y avait pas de gisements de lapis-lazuli en Egypte, explique Erik Gonthier. Aussi, cette gemme bleue avec laquelle furent réalisés tant de bijoux et d’objets sacrés, provenait du Nord-est de l’Afghanistan. Elle était importée par des marchands de l’Euphrate. Le lapis-lazuli était extrêmement recherchée sous le Nouvel Empire et les anciens Egyptiens la négociaient littéralement à prix d’or!
Le lapis-lazuli est-il une gemme ou une roche?
Le lapis-lazuli est une roche bleu foncé composée principalement de lazurite, sodalite, calcite, l’haüyne etc… et que l’on retrouve parfois pailletée de particules métalliques de pyrite. Dans sa plus belle variété précise Erik Gonthier, le lapis-lazuli – à l’instar de la turquoise- est considéré comme une pierre précieuse ornementale.
Quelle était sa symbolique dans l’Egypte pharaonique?
Par sa couleur et ses inclusions de pyrite, le lapis-lazuli est traditionnellement associé à la nuit, au ciel étoilé ou à la voûte céleste. Les anciens Egyptiens l’associaient aussi à l’eau primordiale, et, fait plus étonnant, à la chevelure des dieux.
« Le lapis-lazuli auquel sa couleur de ciel nocturne semble avoir valu une puissance de régénération céleste, puisque le soleil renaît de la nuit sombre, était la substance dont la chevelure des dieux était faite. Aussi les mortels aimaient-ils cette pierre génératrice d’éternité ». François Daumas, la vie dans l’ancienne Egypte, 1968.
Dans son usage funéraire, le lapis-lazuli évoquait un être divin, ou en passe de le devenir (cf. S.Aufrère) et faisait allusion à la régénération des dieux cosmiques. Dans l’Egypte antique, couleurs et formes se répondent, amplifiant l’une l’autre leurs vertus prophylactiques, c’est pourquoi le scarabée, animal associé au dieu-soleil de l’aube et symbole de renaissance, est figuré le plus souvent en lapis-lazuli.
Et plus rarement en quartz- améthyste translucide.
Lapis-lazuli ou « bleu lapis-lazuli » ?
La demande en lapis-lazuli était si forte dans l’Egypte antique, qu’à partir du Nouvel Empire apparaissent des imitations de la pierre, notamment en pâte de verre bleue.
La faïence et la stéatite émaillée ont été également utilisées pour compléter la palette chromatique des bleu foncé, bleu clair et du rouge sous l’Egypte des pharaons. L’essentiel était d’imprégner les objets d’une couleur symbolique.
La turquoise, une promesse de naissance éternelle
« Pour bien comprendre la turquoise, ainsi que de nombreux minéraux précieux, il faut se replonger dans la mentalité d’un monde ignorant la lumière artificielle et dont la vision du ciel n’était troublée par aucun autre phénomène, de sorte que les spectacles de l’aube et du coucher du soleil prenaient leur véritable dimension, celle d’une féerie à laquelle était associé tout un monde poétique constitué de nombreuses métaphores qu’il n’était nul besoin d’expliciter ». L’univers minéral dans la pensée égyptienne, Vème partie, chapitre 17. Sydney Aufrère (1991).
La turquoise : une pierre délicate
La turquoise est un phosphate hydraté de cuivre et d’aluminum de couleur bleu ciel, bleu-vert à vert selon les teneurs en cuivre et en fer qu’elle contient. C’est une pierre opaque relativement fragile, poreuse, dont la couleur est instable et s’altère. Très peu d’artefacts ornés de turquoise de la période du Nouvel Empire nous sont parvenus intacts.
La turquoise est historiquement associée à l’Egypte ancienne, pourquoi ?
Les sources de turquoise de l’Antiquité égyptienne, explique Erik Gonthier, se trouvaient dans le sud-ouest du Sinaï. Les deux mines les plus renommées étaient Wadi Maghara/ Ouâdî Maghârah et Serabit el-Khadim/Serâbît el-Khâdem où un temple avait été élevé à la déesse Hathor surnommée « la dame des turquoises » et protectrice des mineurs.
L’autre source majeure de turquoise durant l’Antiquité était située en Iran (dans le centre et le nord-est).
L’association des métaux or- argent trouvent son pendant avec le lapis-lazuli et la turquoise qui forment un couple de minéraux indissociables dans la pensée des Egyptiens du temps des pyramides.
Quelle était la symbolique attribuée à la turquoise ?
L’une des principales préoccupations de la civilisation antique égyptienne, rappelle Sydney Aufrère, était le retour cyclique de la lumière, garant de toute forme de vie sur Terre : « De nombreuses formes de lumière ont été ainsi associées à la pâle lueur de la turquoise exprimant la sérénité, le repos et la naissance ». La couleur bleu ciel de la turquoise « passe pour un symbole d’espoir et de renouveau, dans la mesure où elle rappelle la lueur de la pleine lune ou les prémisses du jour, avec son cortège de significations ».
La turquoise matérialise ce passage de la nuit vers le jour, lorsque le coucher de la lune laisse place au lever du soleil et à ses premiers rayons sur l’horizon, elle caractérise de façon métaphorique « la gestation » sur le point d’aboutir, et donc, d’un point de vue spirituel, la renaissance.
Par sa couleur à vertu prophylactique, la turquoise est corrélée à la naissance en Egypte : sous le Nouvel Empire, la turquoise symbolisait déjà la procréation, la gestation et la maternité. Aujourd’hui encore, les nouveaux-nés égyptiens se voient parés par leurs proches d’une amulette de turquoise.
Turquoise ou « bleu turquoise »?
Lorsqu’une pierre faisait défaut, les artisans égyptiens n’hésitaient pas à lui substituer un matériau de couleur similaire puisque « la couleur d’un minéral représente le minéral lui-même et est censée produire les mêmes effets ». La faïence constituait un très judicieux substitut artificiel pour la turquoise du Sinaï.
Du bleu au vert, de la vie céleste à la vie végétale : une métaphore filée
Des pierres dures vertes étaient également employées par les anciens Egyptiens : amazonite, jaspe vert, chrysocolle, malachite, calcédoine. Principalement sculptées en amulettes, elles étaient destinées à assurer au défunt « une perpétuelle verdeur à l’instar des plantes auxquelles elles empruntent leur couleur » (S. Aufrère). Dans l’ensemble, les pierres vertes symbolisaient la fertilité, la renaissance de la végétation liée à la crue du Nil, le renouveau de la vie et par delà, la régénération de l’être.
La malachite avait une symbolique proche, sinon identique, à celle de la turquoise mais venait après cette dernière en hiérarchie sous le Nouvel Empire. Elle n’est d’ailleurs pas représentée dans l’exposition de la Villette. Pourtant, ce carbonate de cuivre, fait remarquer Erik Gonthier, était exploité au même endroit que la turquoise : dans le Sinaï, à l’est de l’Egypte.
L’exposition présente, pour la première fois visible hors d’Egypte, une très belle bague en calcédoine verte gravée à double cerclage.
Cornaline et jaspe rouge : fureur et protection divines
Symboliquement, dans la pensée égyptienne antique, la couleur rouge signifiait la colère, l’agression et d’un autre côté, la défense et la protection. Deux pierres rouges en particulier se partageaient la préférence parmi les contemporains de Toutankhamon : la cornaline et le jaspe.
La cornaline
La cornaline est une calcédoine contenant des oxydes de fer qui, selon leur teneur, donnent à la pierre une couleur rouge-orangé à rouge-brun. Elle était rapportée par les mineurs du désert oriental égyptien et de Nubie.
Quel rôle jouait la cornaline dans l’Egypte ancienne ?
La cornaline était associée à la manifestation de la colère, de la fureur voire à la violence. On la voit souvent enfilée sous forme de perles ou bien taillée en plaquettes pour figurer les yeux des divinités. Sa matière, translucide à opaque, évoque également la flamme et la chaleur.
Jouant de l’ambivalence, la pensée égyptienne antique attribuait à la cornaline une vertu de protection contre les agressions extérieures, voire symbolisait la défense contre les dangers que le défunt encourait avant de parvenir dans l’au-delà.
Le jaspe rouge
Comme la calcédoine, les Egyptiens de l’Antiquité accordaient au jaspe (quartz microcristallin) une importance majeure à la fois pour ses couleurs et pour sa texture.
« Il s’agit d’un minéral que l’on trouve, de façon presque obligatoire pour la confection de certains bijoux liturgiques, car il constitue la protection par excellence, avec l’argent, le lapis-lazuli, la turquoise. On l’emploie pour signaler l’aspect dangereux ou coléreux d’une divinité et l’on peut dire avec certitude que son nom est toujours employé avec un grand discernement, son aspect, voire le mot qui le désigne étant générateurs de violence, du moins invitant les agresseurs à la méfiance », écrivait Sydney Aufrère.
Dans l’usage funéraire, le jaspe était assimilé au sang d’Isis. Howard Carter a retrouvé, déposée à hauteur du cou de Toutankhamon, une amulette en faïence rouge – à défaut de jaspe – représentant le noeud d’Isis dit « Tit ». Traditionnellement, expliquait l’expert en archéologie Christophe Kunicki dans le cadre d’une vente « Antiquités » chez PB&A en 2015, « cette amulette devait être suspendue au cou de la momie avec un fil en fibre de sycomore, arbre lié au dieu Osiris. Le but était d’inciter la déesse Isis et son fils Horus à protéger le corps en faisant appel à la fidélité de la déesse et à la fureur filiale et vengeresse de son fils ».
On lit du reste dans le Livre des morts :
« Tu as ton sang, Isis. Tu as ton pouvoir magique, Isis. Tu as ta magie. L’amulette qui est la protection du grand dieu, qui réprime celui qui lui cause du tort » (Extrait du chapitre 156).
Le verre libyque ou lechatéliérite, une rareté minéralogique
Il est une rareté gemmologique dont nous regrettons vivement l’absence dans cette exposition : c’est le verre libyque ou lechatéliérite. Cette rareté minéralogique, du fait de sa couleur et de sa translucidité, est inhabituelle dans la palette chromatique de l’Égypte pharaonique. Elle figure parmi les gemmes sacrées du trésor de Toutankhamon.
Le verre à lechatéliérite ou verre libyque est une pâte de verre de couleur jaune à vert clair. Il se collecte dans la « Grande Mer de Sable » du désert libyque située principalement dans le sud-ouest égyptien.
Erik Gonthier rappelle que cette impactite vitreuse, extrêmement riche en silice (98%), aurait été formée il y a environ 28 à 29 millions d’années suite à un impact de météorite. L’astroblème aurait explosé dans l’atmosphère, engendrant une puissante vague de chaleur qui aurait effleurée le sol et fait fondre partiellement certains sables du désert libyen.
Erik Gonthier ajoute que les anciens Égyptiens avaient identifié ces pierres « tombées du ciel » comme des phénomènes extra-terrestres. Plusieurs artefacts de l’antiquité égyptienne témoignent d’une réflexion avancée sur les origines célestes de certains matériaux. Comme toute matière rare devait revenir au pharaon, il était logique que des fers météoritiques et des verres libyques entrent dans ses collections royales.
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Le dernier volet de ce triptyque sur l’exposition :
« Toutânkhamon, le trésor du pharaon » sera consacré aux roches emblématiques de la royauté.
Cet article sera complété de diverses informations pratiques, de proposition de lectures, ainsi que d’une présentation des expositions à venir centrées autour de cette thématique de l’Egypte pharaonique.
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Toutânkhamon, le trésor du pharaon,
à la Grande Halle de la Villette
Exposition du 23 mars au 15 septembre 2019
211 avenue Jean Jaurès. 75019 Paris
Tous les jours de 10h à 20h. Dernière séance à 18h30
Billets en vente : www.expo-toutankhamon.fr
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Visuel de « une » : éléments de pectoraux et pièces d’orfèvrerie issus de la tombe de Toutankhamon @National geographic