Livres
Aux lecteurs de Property of a Lady
Les lecteurs de Property of a Lady auront sans doute remarqué, au fil des années, la publication sur ce site d’articles sur les diamants français et européens des familles royales ou princières, sur les ventes aux enchères spectaculaires de diamants ayant appartenu à des magnats américains ou à des stars de cinéma, ou encore sur les traditions joaillières indiennes du XVe siècle à nos jours…
Chacune de ces histoires, différente par le sujet et par l’angle retenu, se caractérisait par un point commun : elle mettait en jeu des diamants de Golconde. Ainsi, progressivement, les diamants de Golconde me sont apparus, article après article, comme un fil rouge majeur de l’histoire joaillière. Non pas seulement de l’histoire de l’Inde, mais bien de l’histoire mondiale de la tradition joaillière.
En y regardant de plus près, j’ai constaté que cette origine était devenue si légendaire que la réalité historique, géographique, sociale, économique, culturelle et même sacrée des diamants de Golconde s’était effacée derrière le mythe. Quelques synthèses historiques existaient en langue anglaise, sans couvrir forcément la période allant de la découverte de ces diamants jusqu’à nos jours, et de passionnants articles rendaient compte de recherches parfois diamant par diamant. Reconstituer ce fil rouge est dès lors devenu pour moi un projet de recherche à part entière.
Ce projet est aujourd’hui devenu un livre, publié par les éditions SKIRA, et qui sort en librairie ou sur les plateformes numériques ces jours-ci. J’y tente une approche des diamants de Golconde partant des origines géographiques et géologiques des mines de Golconde, pour ensuite traverser la partie indienne de leur histoire, mobilisant à la fois les écrits historiques, mais aussi certains textes littéraires ou religieux leur faisant la part belle. Contrairement aux idées reçues, les diamants ne furent pas toujours au centre de l’intérêt des souverains de l'Inde. C’est avec le temps qu’ils devinrent un signe de richesse et un symbole de puissance.
On constate que cette symbolique s’est transférée en Europe presque à l’identique. La place prépondérante des diamants de Golconde dans les bijoux royaux tient bien sûr au simple fait qu’avant 1725, Golconde était la seule provenance des diamants (quelques gisements à Bornéo exceptés). Mais elle tient aussi et surtout au fait que les cours indiennes, notamment mogholes, avaient fait du diamant la pierre royale par excellence, supplantant toutes les autres. Jamais la reine Victoria n’aurait eu autant à cœur de s’approprier le Koh-i-Noor s’il n’avait été le symbole même de la puissance de l’Inde, que la Grande-Bretagne, par le biais de l'East India Compagny, achevait alors de conquérir. Mais avant elle, bien des souverains européens avaient convoité les diamants pour leur valeur économique mais aussi politique, répliquant peut-être sans le savoir les hiérarchies établies par les souverains de l'Inde.
C’est pourquoi, dans ce livre, après avoir exploré la généalogie des diamants de Golconde, j’ai voulu tracer leur chemin international, des cours royales aux milliardaires américains, des joailliers de cour aux joailliers contemporains travaillant avec talent les diamants de Golconde. S’il a nécessité des lectures, des recherches et des voyages, ce livre n’est pas une somme universitaire, mais un récit. Les diamants de Golconde peuvent naturellement appeler mille investigations de tous ordres, mais mon seul projet était de faire toucher du doigt aux lecteurs intéressés par l’histoire de la joaillerie l’étonnante trajectoire de ces pierres devenues mythiques. Nées dans le sultanat de Golconde, et de ses alentours, elles ont connu un parcours très souvent romanesque, parfois même rocambolesque. Elles sont devenues le témoin d’une part de notre histoire collective, et en ont souvent même été un acteur ou un enjeu central. A travers ce récit et une iconographie choisie, j'ai voulu inviter le lecteur à partager une aventure joaillière unique en son genre.
Édition bilingue en français et anglais, reliée, 23 x 30 cm
208 pages, 125 illustrations
ISBN 978-2-37074-217-9
France – 30 October 2024 / 50 €
UK – 28 November 2024 / £ 45
USA – December 31, 2024 / $ 55
Veuillez cliquer sur ce lien pour découvrir le communiqué de presse
CP-GOLCONDE-20241003-1
Cartier Londres dans les années 30: Le temps des défis
Au coeur de la saga Cartier : la vie hors-norme de Jacques Théodule Cartier (1884-1941) retrouvée et racontée par son arrière-petite-fille Francesca Cartier Brickell. Partie III
To read this article in English click here
Si vous n'avez pas encore lu la Partie I, "Francesca Cartier Brickell raconte son arrière grand-père : Jacques Cartier", vous pouvez la découvrir ici
Si vous n'avez pas encore lu la partie II, Cartier Londres au temps des "roaring twenties", vous pouvez la découvrir ici
À quoi ressemblèrent les années 1930 pour Cartier Londres ?
Mon grand-père [Jean-Jacques Cartier] avait l’habitude de me raconter comment, après le boom des années 1920, les années 1930 avaient durement mis à l’épreuve Cartier et d’autres entreprises de luxe, dont beaucoup n’ont d’ailleurs pas survécu. Le Grand Crash a commencé en octobre 1929. En deux jours seulement, le marché boursier américain a perdu un quart de sa valeur, ruinant les investisseurs, et au cours des trois années suivantes, comme la Grande Dépression s’était enracinée, il y eut une succession de faillites bancaires. «Quatre-vingt pour cent de nos commandes ont été annulées», rapportait Pierre Cartier à la presse américaine en 1930. Et pour les clients qui restèrent, « la Maison a dû accorder des crédits variant de six mois à un an».
Pour Cartier, la difficulté a été exacerbée par la baisse soudaine de la demande de ce qui, depuis plusieurs décennies, représentait la majeure partie de leurs revenus : les perles fines. Le succès de la commercialisation des perles de culture avait engendré une pression croissante depuis la fin des années 1920 sur le marché des perles fines. En 1930, les prix des perles fines ont chuté de quatre-vingt-cinq pour cent. Cartier en a considérablement souffert: mon arrière-grand-père [Jacques Cartier] disait que ce crash avait fait presque plus de mal aux affaires que la Dépression elle-même.
Les liens – alors bien établis- que Cartier avait tissé avec l'Inde se sont avérés essentiels pour maintenir le succès de la Maison à cette époque. Non seulement Cartier Londres continua de recevoir d'importantes commandes des maharajahs à une époque où les riches Américains devaient réduire leurs dépenses personnelles, mais la mode des bijoux indiens en Occident aida aussi Cartier à garder une longueur d'avance sur la concurrence en Europe et en Amérique.
Je me souviens que vous avez écrit que le centre de gravité s’est déplacé de Paris à Londres?
En effet. C’est un fait assez peu connu mais en 1925, Louis Cartier avait déjà démissionné du conseil d'administration de Cartier SA à Paris. Dans les années 1930, alors qu'il s’approchait de la soixantaine, il était dans les faits à la retraite, passant la plupart de son temps à l’étranger, dans son palais de Budapest (il avait épousé en janvier 1924 Jacqueline Almasy, une comtesse hongroise) ou à Saint-Sébastien en Espagne. Mon grand-père disait que Louis avait l’habitude de revenir à Paris après des semaines, voire des mois d’absence telle une tornade se déplaçant des ateliers à la boutique rue de la Paix, critiquant vertement son équipe de ne pas répondre à ses impossibles attentes. Puis, il disparaissait de nouveau, causant une certaine vacance du pouvoir. Il essaya dans un premier temps d’y remédier en confiant les rênes de la Maison à son gendre René Revillon. Malheureusement, cela eut pour effet d’empirer la situation et d’aboutir à une tragédie familiale inattendue. C’est seulement à la fin des années 1930, lorsque Louis décida de confier la direction de Cartier Paris à son brillant protégé Louis Devaux, que la vacance du pouvoir fut résolue.
J’ai trouvé fascinant de lire les lettres échangées entre les frères car elles révèlent l’humanité de leurs relations loin de la parfaite façade que la famille s’est efforcée de présenter au monde depuis ses paisibles et élégants salons. Pierre et Jacques, par exemple, s’inquiétaient pour les affaires, mais ils s’inquiétaient aussi pour leur frère aîné, admettant l’un à l’autre (et le tenant secret pour le reste du monde) que parfois ils ne savaient pas où était Louis ni quand il reviendrait. Louis apporta encore de nouvelles idées à cette époque et continua de pousser son équipe à innover (dans une lettre il leur demande d’arriver avec « quelque chose de plus savoureux, ou quelque chose de nouveau ») ; ces longues absences et le besoin d’être seul ont peut-être été le revers de son génie créatif.
Il y eut aussi une querelle importante entre Jacques et Louis au début des années 1930. Je n’entrerai pas dans les détails ici, l’histoire est décrite dans le livre, sauf pour dire que leurs relations en ont souffert pendant un certain temps. Dans un accès de colère, Louis a refusé à Jacques l’accès à Cartier Paris: «Le pire aspect est la sanction prise par LC [Louis] à l’égard de JC [Jacques]—JC est interdit d’entrée dans les lieux du S.A. au 4 ou 13 rue de la Paix. Arrêt de toutes les relations entre les deux sociétés, aucun stock de S.A. à envoyer, commander ou réparer. Seules les activités actuelles sont à mener, aucune nouvelle affaire n’est à réaliser ».
Malgré cela, Cartier Londres était peut-être la mieux placée des trois succursales dans le monde dans les années 1930 car elle entretenait des relations avec l'Inde (que Jacques visitait depuis deux décennies)aussi bien qu'avec la cour royale britannique. Ces clients de l’aristocratie n’avaient généralement pas été aussi touchés par la Grande Dépression que beaucoup des clients de Pierre outre-Atlantique. On les retrouvait souvent figurant (avec leurs bijoux) dans les pages mondaines de la presse, ce qui en faisait un modèle idéal de marketing pour Cartier.
Lady Granard, par exemple, fille du financier américain Ogden Mills et épouse du comte de Granard, était connue dans la haute société britannique pour son goût des pierres précieuses depuis que le Washington Postavait fait remarquer qu’à ses débuts en 1909 au Parlement qu’« après la Reine, qui portait les joyaux de la couronne, aucune femme dans la chambre n’était parée d’autant de joyaux splendides que la nouvelle comtesse américaine, et si la Reine n’avait pas porté les diamants Cullinan pour la première fois, la comtesse américaine aurait surpassé Sa Majesté.»
Deux décennies plus tard, bien que la capitale britannique vive sous l’ombre de la Grande Dépression, la vie de Cour – et l’exigence qui s’en suit de porter des bijoux – s’était, maintenue. En 1932, Lady Granard commanda un collier absolument remarquable chez Cartier Londres dont elle fournit les gemmes : il était composé de deux mille diamants et d’une énorme émeraude rectangulaire de 143,23 carats
Les relations de la succursale londonienne avec la famille royale britannique furent renforcées en 1933 lorsque la reine Mary demanda à échanger un cadeau qu’elle avait reçu de Cartier pour une broche-clip plus onéreuse. Après que Cartier eut fait l’échange gratuitement, la Reine remercia en venant visiter la boutique de New Bond Street. Visitant les salons et les différents départements à l’étage, «Sa Majesté», se souvint Joseph Sinden, alors directeur de Cartier Londres, «discuta avec un certain nombre d’artisans et la visite dura une heure et demie». Elle était arrivée par l’entrée latérale de la rue Albemarle, mais quand vint le moment de partir, «la nouvelle de la présence de Sa Majesté avait circulé et un certain nombre de personnes attendaient pour la regarder partir». La rumeur de la visite royale fut excellente pour le business. «Bond Street est affairé», rapporta Jacques quelques mois plus tard; « l’atelier joaillier croule sous les commandes » (the workshop is blocked with orders). La visite très médiatisée de Sa majesté participa également à répandre la nouvelle que bien que Cartier fut une entreprise française, la succursale londonienne employait des Anglais. C’était un message important à transmettre à une époque où il y avait un fort mécontentement contre les entreprises de Londres privilégiant les travailleurs étrangers aux dépens des travailleurs britanniques.
Plus tard dans les années 1930, alors que Paris était aux prises avec des troubles politiques et sociaux, Londres était occupée à des commandes pour le couronnement royal de 1937, à l’occasion duquel furent fabriqués vingt-sept diadèmes et ornements de tête.
Deux ans plus tôt, Vogue avait déclaré que les diadèmes avaient fait leur retour en Angleterre « les diadèmes font fureur ».En 1936, Cartier créa un diadème en platine et diamants avec un motif de volutes en cascade que le futur roi George VI acquis pour sa femme, la future reine Elizabeth. Cette pièce, connue sous le nom de « tiare Halo», fut portée par quatre générations de la famille royale et refit une apparition éclatante en 2011 lors du mariage de Catherine Middleton (future duchesse de Cambridge) avec le prince William. Parmi les autres clients royaux importants des années 1930, mentionnons le futur duc de Windsor, dont l’achat d’une bague de fiançailles pour Wallis Simpson mènerait effectivement à son abdication.
Parlez-nous de la bague de fiançailles de Wallis ?
Heureusement pour Cartier, le duc de Windsor (alors prince de Galles) avait choisi la Maison Boucheron pour ses cadeaux à son ancienne maîtresse, Freda Dudley Ward. Quand a débuté sa relation avec Wallis, elle lui aurait apparemment recommandé de changer d’allégeance parce qu’elle ne voulait rien qui rappelle la précédente amante!
Le Prince a inondé Wallis de bijoux. Grand habitué de Cartier Londres, il utilisait généralement l’entrée arrière de la rue Albemarle (afin d’éviter d’être repéré par le public) avant d’être discrètement accueilli par un vendeur dans l’un des salons privés. Pour un grand joaillier, la discrétion était de mise, plus particulièrement encore lorsqu’il s’agissait d’un futur roi entretenant une liaison amoureuse avec une femme mariée. Pendant la majeure partie de l’année 1936, la relation scandaleuse fut cachée à la presse britannique. En réalité, Jacques, un des joailliers de confiance du roi, était l’un des rares à avoir connaissance de la profondeur de leur relation.
J’adore l’histoire de la bague de fiançailles de Wallis. Traditionnellement, les émeraudes ne sont pas utilisées pour les bagues de fiançailles. Par rapport aux diamants, la pierre est bien plus fragile et peu s’égriser facilement lorsqu’elle est portée au quotidien. Mais le roi Édouard VIII (comme il le fut pendant une très brève période après la mort de son père et avant de devenir le duc de Windsor) ne se souciait pas de la tradition.
Quelques années plus tôt, Jacques avait envoyé un vendeur de confiance à Bagdad pour négocier l’achat de plusieurs pierres précieuses importantes. À son arrivée, le vendeur avait été informé que la vente devait être effectuée secrètement et qu’il lui était interdit de télégraphier tous les détails à Londres. Tout ce qu’il avait été autorisé à dire, c’est qu’il avait besoin d’une grosse somme d’argent et qu’elle devait lui être envoyée le plus rapidement possible. Faisant confiance à son employé, Jacques donna son accord et fit transférer la somme demandée sans délai. Pour un prix aussi élevé, il supposait que Cartier allait acquérir un très grand nombre de pierres précieuses. Mais quand son vendeur revint à Londres, il n’avait sur lui qu’une petite pochette. D’où il tira une unique pierre précieuse.
C’était une émeraude de la taille d’un œuf d’oiseau. Jacques était captivé. En tant qu’expert en pierres précieuses, il s’émerveilla de la chance de voir et de tenir l’une des plus belles émeraudes du monde, un joyau si magnifique qu’il avait autrefois appartenu au trésor des Grands Moghols. Mais en tant qu’homme d’affaires, il était consterné. Il y a des années, avant la Révolution russe, ils n’auraient eu aucun problème à trouver des acquéreurs assez fortunés pour s’offrir une telle gemme. Mais les années 1930 étaient une toute autre époque. La seule option qui se présentait aux Cartier pour rentrer dans leurs fonds était de scinder l’émeraude et d’en tirer deux pierres qui seraient magnifiquement taillées et polies. Bien qu’il ait été douloureux pour Jacques de faire tailler une gemme aussi fantastique, il dut raisonner en homme d’affaires. Une moitié fut vendue à un millionnaire américain et l’autre, d’un poids de 19,77 carats, devint la pièce maîtresse de la bague de fiançailles commandée pour Wallis.
Ainsi que l’on peut le voir sur de nombreux bijoux qu’il offrit à Wallis, le roi demanda à Cartier de graver un message personnel. Fut gravé dans l’anneau de la bague : « We are ours now 27 X 36 ». Edward fit sa demande le 27 octobre 1936, le jour même où Wallis obtenait son divorce d’Ernest Simpson.
Jacques Cartier et la Maison de Londres ont donc été au cœur de ce fameux épisode de l’Histoire?
En effet ! J’aime la façon dont cet épisode illustre l’importance capitale de la discrétion chez un joaillier, et le fait qu’un joaillier puisse être au courant d’un secret qu’ignorent des membres d’une même famille, comme dans ce cas-précis, la famille royale.
Jacques travaillait ainsi d’un côté sur des diadèmes pour le couronnement à venir du roi Édouard VIII, et de l’autre sur une bague qui entraînerait son abdication. En fin de compte, le couronnement fixé pour l’été 1937 eut bien lieu, mais ce fut pour un autre roi que celui attendu : le roi George VI.
Une fois que Wallis eut reçu sa bague, le Premier ministre britannique dit au monarque que le peuple britannique n’accepterait jamais une femme divorcée pour reine. «Je crois que je connais notre peuple», a-t-il dit. « Ils toléreront beaucoup dans la vie privée, mais ils ne supporteront pas ce genre de chose chez un personnage public ». Lors d’une série de réunions, il énonça clairement les options qui s’offraient à Edward : soit renoncer à Madame Simpson, soit abdiquer. Lors d’une poignante émission radiophonique diffusée du château de Windsor, le roi annonça son abdication et quitta la Grande-Bretagne en direction de la France.
Dès lors, ce fut Cartier Paris qui récupéra la part du lion des commandes de bijoux du couple (parmi les pièces les plus connues figurent une broche flamant sertie de diamants taille brillant, émeraudes, saphirs et rubis calibrés, cabochons de saphir et citrine ; un collier en améthyste et turquoise et les joyaux emblématiques des grands félins).
Dans les années 1930, la Maison Cartier de Londres fut célèbre pour ses colliers et bijoux en aigue-marine et topazes, pouvez-vous nous expliquer l’origine de ce choix créatif ?
Les années trente furent une période fertile et prolifique pour Cartier Londres, en particulier dans la création de grands colliers - dont malheureusement beaucoup furent ensuite dessertis et qui ne survécurent pas à la période moderne. Le directeur du studio de dessin, Georges Massabieaux, travaillait avec des dessinateurs comme George Charity et Frederick Mew (Mew était l’auteur de nombreux dessins géométriques parmi les plus innovants de la Maison). En 1935, l’équipe londonienne fut rejointe depuis Cartier Paris par le talentueux artiste Pierre Lemarchand qui vint temporairement s’installer à Londres. Il s’entendait particulièrement bien avec Mew, tous deux s’admiraient mutuellement, et Pierre allait continuer à concevoir de nombreux bijoux sur le thème animalier pendant et après la Seconde Guerre mondiale (il est l’homme derrière la célèbre broche « oiseau dans une cage » symbole de l’occupation de Paris, et les bijoux « panthère » de la duchesse de Windsor).
Au regard des difficultés économiques liées à la Dépression, Jacques donna priorité à l’utilisation de pierres fines, qui étaient non seulement beaucoup plus économiques que les quatre pierres précieuses, mais aussi plus facilement disponibles dans une variété de tailles géométriques. Cette décision a donné aux dessinateurs l’occasion de trouver un look presque architectural en accord avec la mode de l’époque. La topaze était généralement associée à des diamants et montée sur or: « La seule exigence», expliquait Vogue dans son numéro d’octobre 1938, « était que les bijoux en topaze devaient paraître aussi importants que s’il s’agissait d’émeraudes ou de rubis. C’est ainsi que Cartier l’a imaginé ». Souvent, les clients demandaient des bijoux assortis : lorsque la débutante Lady Elizabeth Paget fut photographiée pour Harper’s Bazaar en janvier 1935, elle portait « la magnifique parure de Cartier... topaze claire et foncée, comprenant collier, bracelet, clip d’épaule et de grandes boucles d’oreilles ». Mais c’est la combinaison diamants - aigues-marines que Jacques aimait plus particulièrement. Cela donnait, estimait-il, un air frais et élégant qui convenait à toutes les femmes, de la royauté aux « trendsetters » avant-gardistes. Ses clients ont confirmé ce choix, tout comme les nombreux Américains en visite qui ont commandé leurs bijoux chez Cartier Londres.
Mon grand-père m’a raconté les coulisses de la façon dont les frères Cartier ont assemblé ces collections de pierres fines. Il était primordial, s’ils devaient trouver de belles pierres à des prix raisonnables, que ni les marchands ni leurs concurrents ne découvrent leur démarche. Après avoir arrêté leur choix sur une pierre en particulier, les trois frères en faisaient l’acquisition de façon discrète sur des mois, voire des années. Si, par exemple, c’était la topaze, ils achetaient des topazes lorsque différents marchands de gemmes venaient leur présenter leurs gemmes, mais jamais trop à la fois, ni au même marchand. L’idée était qu’au bout de quelques années, ils aient acquis assez de topazes de grande qualité pour en faire une collection impressionnante le temps d’une saison. Et puis, en montrant des colliers de topazes, des boucles d’oreilles en topaze, des bracelets et des bandeaux en topaze dans leurs devantures, ils faisaient immanquablement de la topaze la pierre fine du jour. Au moment où leurs concurrents essayaient de les copier, non seulement il restait très peu de topazes de belle qualité sur le marché, mais de surcroît, les marchands avaient augmenté leurs prix et il devenait presque impossible pour un autre joaillier de créer une collection de même ampleur centrée sur la topaze.
J’ai lu que Jacques souffrait d’une mauvaise santé, et qu’il avait disparu avant ses frères bien qu’il ait été le cadet de la fratrie ?
C’est vrai, Jacques a continué à travailler à Londres et à voyager en Orient tout au long des années 1930, mais il souffrait de problèmes de santé liés à une faiblesse des poumons (pendant la Première Guerre mondiale, Jacques avait eu la tuberculose puis avait été gazé au Front). Ainsi par exemple, lors d’un voyage professionnel en Inde en 1935 où il était accompagné de sa femme, au lieu de s’installer à leur arrivée dans leur suite habituelle avec vue sur mer, Jacques avait été transporté d’urgence à l’hôpital. « Jacques a eu des hémorragies à l’arrivée au Taj Mahal Hotel Bombay, » avait télégraphié Nelly, paniquée, aux frères de son mari. « Bon médecin et infirmières. Je vous tiendrai au courant ». Heureusement, il avait pu se remettre cette fois-ci, mais sa santé en avait pris encore un coup et ses faibles poumons restèrent un souci rémanent.
Pour améliorer sa santé, les médecins de Jacques lui avaient recommandé de d’aller respirer l’air des montagnes en Suisse. Ainsi il alla passer les hivers en famille dans la station très courue de Saint-Moritz. Villa Chantarella, le chalet qu’ils louaient chaque année à côté du grand hôtel du même nom, devint une demeure loin de leur demeure. «Nous voici à nouveau au sommet du monde dans notre arche de Noé pleine à ras bord de nos adolescents», écrivit Jacques à Pierre un Noël, lui racontant comment leurs quatre enfants étaient sur les pentes avec leurs amis tandis qu’il était resté au chaud à l’intérieur à travailler sur des dessins pour une exposition à venir.
La station de ski était également favorable aux affaires et Jacques mit en place une succursale Cartier saisonnière à Saint-Moritz. Extrêmement bien situés à côté du célèbre confiseur suisse Hanselmann, les nouveaux salons Cartier à la montagne ont attiré bon nombre de visiteurs pendant les quelques mois où ils étaient ouverts chaque année. Parmi les clients qui se rendirent dans cette station de ski à cette époque, on compte tout le gratin, de l’Aga Khan III à Coco Chanel, en passant par les stars d’Hollywood comme Gloria Swanson et Douglas Fairbanks, et jusqu’aux hommes d’affaires comme Henri Deterding, « le Napoléon de l’huile », qui acquit le célèbre diamant Polar Star dans la succursale Cartier de St Moritz.
A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, l’état de santé de Jacques s’était considérablement détérioré. Convaincu qu’il devrait être dans sa France natale en temps de guerre (et malgré le fait qu’il n’aurait pas dû voyager d’Angleterre avec sa mauvaise santé) Jacques a passé ses derniers mois à l’Hôtel Le Splendid dans la ville thermale de Dax, dans le sud-ouest de la France. Malheureusement, en ces temps de guerre, il n’a pas pu recevoir les soins médicaux dont il avait besoin et il est décédé le 10 septembre 1941, à l’âge de 57 ans.
L’une de ses dernières actions fut de demander à son ami proche, le designer Charles Jacqueau, de former mon grand-père, Jean-Jacques Cartier, au dessin. Pour Jean-Jacques, ce fut une profonde tristesse de savoir qu’il ne pourrait jamais travailler aux côtés de son père dans l’entreprise familiale, mais comme son père, il était également un artiste dans l’âme. Il apprit à aimer le dessin et le monde des pierres précieuses dans l’entreprise. Il reprit Cartier London dans les années 1940 – lorsqu’à l’ère d’avant-guerre des grands colliers et diadèmes en diamants succéda une ère d’austérité et une taxation ravageuse du luxe de 125% pour les bijoux. Tout comme ses ancêtres avaient dû le faire, il changea radicalement de tactique une fois de plus afin de maintenir l’entreprise à flot... mais c’est une histoire que je vous raconterai une autre fois...
Le livre de Francesca Cartier Brickell, The Cartiers est disponible en anglais via Amazon et à compter du 20 octobre 2022 dans les librairies françaises !
Les Cartier. Editions 5 Continents-Les Arènes. Paris, 2022. Traduit de l'anglais par Marie-Anne de Béru.
Vous pouvez également suivre Francesca sur Instagram (@creatingcartier) ou sur Youtube (@francescacartierbrickell).
Cartier Londres au temps des "roaring twenties"
Au coeur de la saga Cartier : la vie hors-norme de Jacques Théodule Cartier (1884-1941) retrouvée et racontée par son arrière-petite-fille Francesca Cartier Brickell. Partie II
To read this article in English click here
Si vous n'avez pas encore lu la Partie I, "Francesca Cartier Brickell raconte son arrière grand-père : Jacques Cartier", vous pouvez la découvrir ici
Francesca, que pouvez-vous nous dire de la Maison Cartier de Londres dans les années 1920 ? Quelle a été l'implication de Jacques dans la création, et le dessin en particulier ?
Artiste lui-même, Jacques aimait s’impliquer dans le processus de création. Il s'entendait particulièrement bien avec l'équipe des dessinateurs, qui le respectaient parce qu’il aimait leur métier.
Début 1921, Jacques et ses frères fondèrent English Art Works, l'atelier de Londres. Jusque-là, Cartier Londres comptait pour son stock sur les ateliers parisiens qui approvisionnaient le 13 rue de la Paix. Cette configuration avait bien fonctionné pendant un certain temps, mais à mesure que la demande augmentait, il devenait évident que Londres devait avoir sa propre équipe sur le terrain (comme à New York). Félix Bertrand, un joaillier de talent qui avait prouvé ses compétences aux côtés de Pierre au moment de créer de l'atelier American Art Works, fut envoyé pour faire de même à Londres. Sous sa direction et celle d'un compatriote français, Georges Finsterwald, une équipe de bijoutiers, de sertisseurs et de polisseurs qualifiés fut embauchée.
Bien sûr, monter un atelier de haute joaillerie ne s'est pas fait du jour au lendemain. Les Cartier cherchaient à embaucher des maîtres-artisans de haut niveau, pour un coût considérable, puis comptaient sur eux pour enseigner aux jeunes apprentis. L'entreprise embauchait environ cinq ou six apprentis par an, principalement des Anglais (Jacques était convaincu qu'il était de son devoir d'offrir des opportunités à la main-d'œuvre anglaise). Un ou deux apprentis seulement parvenaient au bout de la première année d’une formation qui devait durer six ans. Sous la conduite de Jacques, la qualité de la production de Cartier Londres gagna rapidement les faveurs de l'aristocratie anglaise tant pour l’originalité de son dessin que pour la grande qualité du savoir-faire. J'adore l'exemple d'un collier d'émeraudes gravées fait pour un Maharajah : ces émeraudes étaient si fragiles que l'artisan chargé de les monter reçut au préalable un congé de 48 heures afin d’être entièrement détendu pour œuvrer. Toute légère secousse de sa main aurait pu causer le bris des gemmes !
Un des apprentis a laissé un récit amusant à propos de Jacques comme patron : «Jacques était alors ce que nous appelions un gentleman. Il était vif, aimable et vivait pour le dessin. J'ai appris que rien ne croît qu’à partir de ce qui a déjà crû, et la salle contenait une bibliothèque d’objets des temps passés : tapis chinois, bronze celtique, poignées d'épée japonaises, arabesques... ».
C'est là le fondement de la devise familiale "Never Copy, Only Create" (« ne jamais copier, créer seulement »), dont je parle beaucoup dans le livre (et dans cette vidéo Youtube). L’idée était essentiellement que tout et n'importe quoi pouvait et devait nourrir l'inspiration, sauf les bijoux déjà existants. Les frères étaient de fervents lecteurs du livre d'Owen Jones, «The Grammar of Ornament» (La Grammaire des Ornements), qui contenait des planches explorant les principes du dessin régissant l'architecture, les textiles et les arts décoratifs de périodes culturelles diverses (par exemple, les styles arabe, turc, persan ou indiens).
Dans quelle mesure pensez-vous que Cartier Londres eut une identité propre au temps de Jacques ?
Assurément, à la fin des années 1920, Jacques avait réussi à créer une identité distincte pour Cartier Londres, à tel point qu'il décida d'acheter la succursale à ses deux frères. Mais les trois branches sont restées imbriquées, car les trois frères continuèrent à tout partager, des dessins aux clients en passant par les gemmes. Et même si Jacques vivait en Angleterre et dirigeait une entreprise britannique, il n'a jamais perdu ce sens du devoir envers sa France natale, devenant même directeur de l'Alliance Française à Londres.
Jacques n'était pas particulièrement sociable par nature, mais il sut se créer un beau réseau au sein de la haute société britannique, notamment grâce à son flair commercial. Il offrait des bijoux comme prix pour des événements caritatifs ou prêtait des bijoux à des mondaines pour de grands événements, tels que les « Joyaux du bal de l’Empire » à l'hôtel Park Lane, l'événement le plus couru alors. Souvent, après le travail, sa femme Nelly et lui sortaient dîner dans Londres, et rendaient visite à des dignitaires et des amis français.
Les années 1920 furent une stimulante période de croissance. De nouvelles fortunes entrèrent en concurrence avec les plus anciennes, de sorte que parmi les clients de Jacques figurait un nombre croissant de financiers, d'industriels et d'entrepreneurs, de Victor Sassoon au capitaine Alfred Lowenstein (avant qu’il ne décède prématurément de façon tragique - sinon mystérieuse – en tombant de son avion privé). Les clients de la succursale de Londres couvraient aussi le spectre de la haute société anglaise, des aristocrates et héritières telles que Lady Granard et Lady Sackville (connue pour venir acheter des cadeaux pour sa fille, l'écrivain Vita Sackville-West, après leurs querelles mémorables) à une nouvelle génération de «jeunes gens brillants».
Caricaturé dans les romans de Nancy Mitford et Evelyn Waugh, ce groupe bohème, riche et impatient de vivre, avait des comptes de dépenses ouverts chez Cartier. Toutes les nuits, ils allaient danser, couverts de diamants... Leur groupe comprenait Nancy Cunard, Lady Abdy, Lois Stuart, les sœurs Guinness et même Daisy Fellowes, dont le célèbre Collier Hindou avait été fabriqué à Paris, mais qui faisait ses emplettes, comme de nombreux clients, dans les trois succursales Cartier. C'est à Londres qu'elle acheta le diamant rose Youssoupoff de 17,47 ct, connu sous le nom de Tête de Bélier, qui aurait inspiré la signature rose éclatante d'Elsa Schiaparelli.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur Nelly, la femme de Jacques ?
Nelly était très amusante. C’était une héritière américaine « larger than life » qui était - à première vue - l'opposé de Jacques. Protestante et mariée une première fois, elle vivait à Paris avenue Henri-Martin avec ses parents et sa fille lorsqu’elle rencontra Jacques la première fois en 1911. Le couple tomba amoureux instantanément - mais le père de Nelly, John Harjes, un banquier très riche et très en vue qui était l’associé de J.P.Morgan (son buste orne encore fièrement l’entrée de la banque place Vendôme) n’approuvait pas le mariage de sa fille avec un joaillier. Il posa donc une condition: si Jacques voulait vraiment épouser Nelly, il devait prouver son amour en restant loin d'elle une année entière. Jacques accepta sans hésitation et, trois-cent-soixante-cinq jours jours plus tard, revint pour demander sa main. M. Harjes accepta et Jacques promit à ce moment-là qu'il ne toucherait jamais un centime du patrimoine de Nelly.
Le couple s'adorait. Dans les années 1920 et 1930, Jacques est retourné régulièrement en Inde et Nelly l'accompagnait lors des voyages (elle voyageait avec dix-huit valises et emmenait son habilleuse personnelle !). Le couple apportait aussi de Londres sa Rolls Royce avec chauffeur, mais ce n'était pas toujours simple : ainsi, lorsqu’ils devaient traverser une rivière sur un radeau ou bien quand il fallait démonter la Rolls pour lui permettre de passer des terrains caillouteux avant de la remonter de l’autre côté… L’hébergement aussi variait considérablement. Parfois, le couple dormait à même le sol dans des auberges rudimentaires, d’autres fois ils évoluaient dans le luxueux confort de palais de Maharajahs.
Nelly était aussi une grande aventurière par elle-même, toujours prête à de nouveaux voyages dans des endroits exotiques. Jacques appelait son esprit d’aventure le "Va Va" car elle ne tenait pas en place ! Et quand elle revenait de ces explorations - elle voyageait souvent avec sa meilleure amie, Madame Fournier -, il désirait en savoir le détail : «raconte-moi ton cinéma», disait-il, assis au coin du feu dans leur salon pendant qu’elle emplissait l’air de ses histoires du bout du monde. De son retour d'Égypte, par exemple, elle avait rapporté de petits souvenirs. Jacques conserva un scarabée bleu vif en tissu et plumes, remarquablement similaire à ceux que Cartier créerait plus tard en bijoux.
Est-ce de là que vient l'idée des bijoux néo-égyptiens?
Eh bien, Jacques avait visité l'Égypte pour la première fois en 1911, donc Nelly et lui connaissaient tous les deux le pays, et il y avait un engouement vif pour l’Egypte au début des années 1920. Lorsqu’en 1922 l’égyptologue Howard Carter annonça au monde qu’il avait exhumé une ouverture menant à la tombe de Toutankhamon et, par-là même, aux trésors artistiques d’un passé mystérieux et longtemps scellé, l'égyptomanie enflamma Paris, Londres et New York.
Après les privations de la guerre, l'évasion était plus que jamais la bienvenue, et l'Égypte ancienne devint soudainement le premier sujet de conversation. Les créateurs de mode trouvèrent l'inspiration dans des motifs comme les fleurs de lotus et les couleurs vibrantes des peintures égyptiennes. Les femmes se fardaient les yeux d’eye-liner noir et relevaient leurs cheveux pour ressembler de près aux beautés glamour du passé. D’éclatants cocktails portant des noms comme « King Tut » devinrent les boissons du jour et les fêtes sur le thème égyptien faisaient fureur.
Jacques aussi s’en inspira. Lorsque des photographies et des articles arrivaient en Occident, Jacques les découpait soigneusement dans les journaux et les pliait dans son petit journal en cuir noir. Il conservait peu de choses dans ce journal, mais Jacques estimait que cette découverte capitale avait révélé des œuvres d'art « à un niveau d'excellence probablement plus élevé que celui jamais atteint dans n'importe quelle période ultérieure du monde ».
Cela conduisit la Maison de Londres à créer d’étonnants bijoux Cartier de style néo-égyptien. En janvier 1924 furent publiées en pleine page de l'Illustrated London News les créations égyptiennes de Cartier Londres et l’annonce que «les femmes intéressées par l'égyptologie, et qui désiraient être à la mode Toutankhamon, pouvaient désormais porter en parures de véritables joyaux anciens sertis de façon moderne». Ces pièces uniques contenaient de véritables trésors antiques dénichés par les frères Cartier chez des antiquaires européens et dans des bazars orientaux.
Le défi consistait à conserver la pureté du style ancien tout en le mettant au goût du jour pour un public moderne. Cette démarche ne relevait pas d’une tentative fantaisiste de suivre la mode du moment : elle était profondément enracinée dans une quête d’authenticité. Jacques fit le choix de rehausser la couleur d’une perle d'un bleu profond datée de 900 avant J.-C. par l'ajout d'une infime quantité de diamant et d'onyx sur le sommet et la base, pour créer un délicat pendentif. Une silhouette en faïence émaillée en forme de croissant bleu vif fut ornée d'une subtile bordure de diamants et d'onyx, et des sculptures en pierre vieilles de trois mille ans furent encadrées d’onyx noir. L'accent était mis sur un simple habillage - rien de fantaisiste. La pièce joaillière devait être fidèle au style d'origine et rester classique. Ces artefacts anciens avaient survécu des milliers d'années et ils ne devaient en aucun cas être transformés en pièces élaborées qui auraient risqué de se démoder.
Qu'en est-il des bijoux Tutti Frutti ? Quel rôle Jacques a-t-il joué dans cette collection ?
Jacques regardait le monde avec un oeil d’artiste et l'Inde lui avait fait une vive impression : «Là-bas, tout est inondé de la merveilleuse lumière du soleil indien … On n'y voit pas comme sous la lumière anglaise, on a seulement conscience de nuées de rouge, ici de vert et là de jaune ». Après ses voyages, Jacques retrouvait Louis, son frère aîné, et Charles Jacqueau, le dessinateur en chef à Paris pour évoquer la créations de bijoux de style indiens. Ces bijoux prendraient de nombreuses formes - des broches-pendentifs en émeraudes gravées (comme celle qu’acheta Marjorie Merriweather Post chez Cartier Londres) jusqu'aux bijoux Tutti Frutti devenus depuis iconiques, sur lesquels de flamboyants rubis, émeraudes et saphirs étaient audacieusement associés. Ces pierres de couleur pouvaient être facettées, taillées en cabochons ou gravées ; leur motif était souvent inspiré de la nature mais le critère le plus important pour Jacques était sans conteste celui de la couleur. Il fallait que les gemmes soient d'une couleur vive, intense, frappante. C'était en cela que résidait le secret du puissant effet produit par les bijoux Tutti Frutti (à quoi s’ajoutaient un dessin raffiné et un savoir-faire exquis).
Ce qui m’a particulièrement intéressée dans mes recherches, c’est que ces bijoux d’inspiration indienne, qui atteignent aujourd’hui des prix record dans les ventes aux enchères (quel plaisir d’assister à la vente en ligne de Sotheby’s le mois dernier d’un bracelet Tutti Frutti qui a battu un record en étant vendu 1,3 millions de livres !), utilisaient des gemmes gravées qui revenaient bien moins cher que les autres pierres précieuses parce qu'elles contenaient généralement des inclusions que la gravure recouvrait. Si bien que dans les années Trente ces gemmes gravées devinrent opportunément les « bijoux de la grande dépression ». Je montre plus d’exemples dans cette vidéo Youtube.
Avez-vous des pièces d'inspiration indienne préférées?
C'est difficile à dire - et je me sens coupable de changer souvent d’avis ! Un merveilleux exemple de pièce de Cartier London "Tutti frutti" est le « bandeau Mountbatten » que j’ai vu au Victoria & Albert museum juste avant le confinement (il figure en exposition permanente dans la "William and Judith Bollinger Jewellery Gallery" pour qui souhaiterait le voir aussi !). C’est une pièce extraordinaire, à la fois délicate et audacieuse, d’un dessin remarquable. Ce bandeau fut créé pour être porté soit sur le front, - et l'effet en est spectaculaire -, soit scindé en deux bracelets (soit trois bijoux pour le prix d’un !).
Pendant mes recherches, je me suis plongée dans l’historique de ces bandeaux des années Vingt, et j’ai découvert la lettre que Jacques écrivit en 1928 à son frère Pierre pour lui parler d'un défilé de mode caritatif à Londres sur lequel il travaillait avec Lady Cunard : «L'idée, expliquait Jacques, [était] de montrer ce que les femmes peuvent porter quand elles ont cheveux courts, mais aussi quand les cheveux repoussent.» L'époque des opulentes chevelures d'avant-guerre et des lourdes tiares était révolue et les Cartier adaptèrent rapidement leur offre pour proposer une vaste gamme d’ornements de têtes, de clips à cheveux, de croissants et de cercles en diamants pour orner les têtes coiffées à la garçonne.
Ce bandeau Mountbatten (comme on l’appellerait plus tard), si coloré, était l'une des cent pièces fabriquées par Cartier pour le défilé de mode, mais il fut acquis pour neuf-cents livres avant même d’être présenté sur le podium du défilé. L'acheteuse, Edwina Mountbatten (1901-1960), était une femme à l'élégance marquée, très lancée dans le monde, qui savait ce qu'elle voulait quand elle le voyait. Elle deviendrait aussi - ce qui semble adapté à son choix d’une coiffure d'inspiration indienne - la dernière Vice-reine de l'Inde!
Jacques avait-il un client indien préféré?
Au fil du temps, Jacques a établi une relation personnelle avec de nombreux princes indiens, dont les Maharajahs de Kapurthala, Patiala, Indore, Baroda et le Nizam d'Hyderabad. Ils choisirent de passer d’importantes commandes à Cartier pas seulement parce qu'ils appréciaient la qualité du savoir-faire artisanal de la maison, mais aussi parce qu'ils faisaient confiance à Jacques et appréciaient qu'il eût passé tant de temps dans leur pays. Il était particulièrement proche du Maharajah de Nawanagar. Mieux connu sous le nom de Ranji (abréviation de Ranjitsinji), le Jam Sahib avait fait ses études en Angleterre et était un joueur de cricket bien connu.
Après le premier voyage de Jacques en 1911, les deux hommes se revirent et devinrent bons amis. Jacques et Nelly lui rendaient souvent visite dans son palais. Nelly écrivit à ses enfants restés à la maison une lettre décrivant son enthousiasme après leur premier voyage en 1926 : « Je saurais à peine décrire le luxe dans lequel nous vivons. Peut-être faut-il évoquer de cette Rolls à notre disposition et la suite de ce palais construit pour la visite du Prince de Galles (qui n'y est jamais venu, blessant son Altesse le plus horriblement du monde, comme vous pouvez l’imaginer)". Après un banquet de Noël avec «des décorations de table merveilleuses mais sans craquelins ou mince pies (tartes à la viande) il n’y a pas véritable atmosphère de Noël» -, ils purent apprécier une « très, très excitante » chasse à la panthère. Voilà qui n’est pas très politiquement correct de nos jours, mais intéressant si l’on songe à la figure iconique de la panthère.
Ranji, comme nombre de Maharajahs, se rendait régulièrement en Angleterre. A Londres, il retrouvait Jacques pour discuter joaillerie et commandes ou pour l’inviter avec Nelly et les enfants dans son manoir de Ballynahinch en Irlande. Mon grand-père se souvenait de ces étés bienheureux passés lorsqu’il était enfant à se balader avec ses frères dans l’immense domaine où Ranji les accueillait.
À l'origine de l'amitié étroite entre ces deux hommes se trouvaient des valeurs communes. Jacques décrivait Ranji comme « un prince réellement princier dans ses goûts autant que par les qualités de son esprit et de son cœur ». Mais ce n’était pas tout. Ils partageaient aussi l’amour des pierres précieuses. L'élégant souverain indien pouvait attendre patiemment des décennies pour acquérir le rubis parfait ou l'émeraude au vert le plus intense. Il n’était nul besoin que la pierre fût énorme ou impressionnante. Le Maharajah était bien plus intéressé par la qualité et la beauté intrinsèque de la gemme. En véritable collectionneur, il contemplait ses pierres gemmes même lorsqu'il était seul, les tenant dans ses mains et les étudiant par plaisir sous différentes lumières. Les deux hommes s’entendaient sur la plupart de sujets, mais leurs avis divergeaient sur la couleur idéale du rubis - alors que Jacques pensait que le rubis parfait devrait être d'un rouge profond, Ranji pensait qu'il devrait plutôt présenter une teinte pourpre.
Y avait-il une pièce préférée créée pour le maharajah de Nawanagar?
Le Maharajah Jam Sahib de Nawanagar devint un client très important pour Cartier. Il commanda des colliers d'émeraude dignes de musées et acheta des pendules mystérieuses. Il avait une collection de gemmes vraiment incroyable. La commande préférée de Jacques entre toutes fut un collier de diamants. Ce n’était pas n’importe quel collier de diamants : il fallut trois ans pour le monter, car on continuait de découvrir un nombre croissant de diamants de superbe qualité qu’il fallait ajouter à l’ensemble, de sorte que le dessin n’en finissait pas d'être ajusté pour les inclure! « Si notre époque n'avait pas connu une succession sans précédent d'événements venus secouer le monde », écrira plus tard Jacques, se référant à l'effet cumulatif de la Première Guerre mondiale, de la Révolution russe et de la Grande Dépression, « de tels joyaux n'auraient pu être achetés à aucun prix ; à aucun autre moment de l'histoire un tel collier n'aurait pu voir le jour ».
Dans sa forme finale, le collier comprenait le Reine de Hollande - un diamant bleu-blanc de 136,25 carats - ainsi que des diamants bleus et roses et un diamant brillant vert olive de 12,86 carats – « Une pierre rare s’il en est! », s'était exclamé Jacques en le voyant. Une fois le collier terminé, l'effet général était extraordinaire, formant une cascade unique de diamants de couleur. Mon grand-père m'a raconté que son père était un homme très modeste qui parlait rarement de lui-même, mais il admettait avoir été extrêmement fier de créer cette pièce : il la qualifiait de «concrétisation absolument superbe d’un rêve de connaisseur ».
Malheureusement, après tout le travail qui y avait été consacré, Ranji n'eut guère de temps pour profiter du collier et Jacques ne vit pas son ami le porter à nouveau. À peine deux ans plus tard, Ranji décédait d’une crise cardiaque. Son neveu et successeur, le Maharajah Digvijaysinhji de Nawanagar, suivit les pas de son oncle et devint également un excellent client de Cartier à la personnalité propre, demandant souvent à Jacques de remonter dans le style Cartier des bijoux de famille traditionnels. Ainsi, du sarpech portant le diamant "Oeil de tigre".
Cette interview se poursuivra, et s'achèvera, la semaine prochaine. Francesca nous racontera la vie de la Maison Cartier à Londres, des années 30 à l'aube de la seconde guerre mondiale dans "Cartier Londres dans les années 30: Le temps des défis"
Le livre de Francesca Cartier Brickell, The Cartiers est disponible en anglais via Amazon et, à compter du 20 octobre 2022, il sera disponible en version française - traduit de l'anglais par Marie-Anne de Béru.
Vous pouvez également suivre Francesca sur Instagram (@creatingcartier) ou sur Youtube (@francescacartierbrickell).
Francesca Cartier Brickell raconte son arrière grand-père : Jacques Cartier
Au coeur de la saga Cartier : la vie hors-norme de Jacques Cartier retrouvée et racontée par son arrière-petite-fille. PARTIE I
To read this article in English click here
L'histoire de Cartier dans la première moitié du vingtième siècle est en grande partie l'histoire des trois frères Cartier. Jusqu'à présent, l'un d'eux est resté dans l'ombre: le plus jeune, Jacques. Ses frères aînés (Louis et Pierre) ont fait l’objet de plus d’attention : Louis, qui dirigeait Paris, est largement reconnu pour sa contribution créative au monde de la joaillerie. Il a popularisé l'usage du platine pour les montures de bijoux en diamants et des pièces emblématiques comme la montre Tank sont nées de son génie. En Amérique, des expositions et des catalogues ont été consacrés à Pierre et à la maison « Cartier New York » qu'il a fondée. Jacques, le cadet, a eu tendance à rester dans l'ombre simplement parce que sa notoriété publique était moindre. Cette situation a changé avec la découverte des archives de Jacques perdues depuis longtemps - et grâce aux souvenirs de son fils.
Tout a changé récemment avec la découverte d'une malle qui contenait la correspondance familiale égarée depuis longtemps : c'est ce qui a engagé l'arrière-petite-fille de Jacques à enquêter sur cette histoire inédite. Francesca Cartier Brickell a ainsi passé la dernière décennie à explorer et écrire l'histoire de quatre générations de sa famille pour un nouveau livre: "The Cartiers: The Untold Story of the Family behind the Jewellery Empire".
Je me suis dernièrement entretenue avec elle pour en savoir plus sur la vie de ce personnage remarquable.
Je suis honorée que Francesca Cartier Brickell ait réservé à Property of a Lady ce premier entretien exclusif dans un média français !
Jacques Cartier, la passion du dessin
Francesca, parlez-nous de Jacques: à quoi ressemblait-il et quel était son rôle dans l'entreprise familiale ?
Mon arrière-grand-père Jacques était le plus jeune des trois frères Cartier. Né en 1884, il avait presque dix ans de moins que Louis et était encore à l'école lorsque son frère aîné rejoignit leur père Alfred dans l'entreprise familiale. En grandissant, Jacques ne se voyait pas vraiment devenir joaillier. Il était d’un caractère doux et artiste qui se sentait une vocation de prêtre catholique. Sa famille, cependant, avait d'autres idées pour lui. Ses frères lui firent savoir que son devoir était de se consacrer à la trinité fraternelle plutôt qu’à la Sainte Trinité! En 1906, à 21 ans, après avoir terminé ses études et son service militaire, il rejoignit l'entreprise familiale. La première étape passa par un apprentissage au sein de Cartier Paris le conduisant à travailler dans tous les départements : il s’y découvrit une passion pour le dessin et les pierres précieuses.
Dans sa contribution à la société, Jacques était plutôt polyvalent. Comme je l'explique dans cette vidéo Youtube, alors que Louis se concentrait sur le côté créatif (embaucher des dessinateurs et faire en sorte que la firme crée des pièces uniques dans le "style Cartier '') et que Pierre se consacrait entièrement aux affaires (ouverture de succursales à Londres et New York, voyages en Russie pour rencontrer des fournisseurs, en particulier à Saint-Petersbourg où il créa une des premières boutiques éphémères pour la saison de Noël, etc.), Jacques devint un expert en gemmes, un dessinateur respecté et un vendeur inspirant une grande fidélité à ses clients. C'est du reste l'un de ces clients fidèles qui écrivit sa nécrologie lors de son décès. Je l'ai découverte dans un exemplaire jauni du Times conservé en sûreté dans le coffre qui renfermait les lettres échangées par la famille pendant cette période. Je crois utile de la partager ici car cela le résume vraiment. Lady Oxford, épouse de l'ancien premier ministre Asquith, écrivit: «Les joailliers ne sont pas toujours de grands artistes, mais cela ne vaut pas pour Monsieur Jacques Cartier. C’était un homme plus rare qu'un grand artiste ou un créateur en joaillerie : c'était un merveilleux ami. Complètement désintéressé, courtois envers les étrangers, gai, gentil, il fut le meilleur des ambassadeurs entre la France qu'il aimait et l'Angleterre qu'il admirait. » J’ai été très émue de découvrir cet article, car j'avais entendu dire pendant toute mon enfance quel merveilleux père Jacques avait été : ce texte démontrait la haute estime dans laquelle il était également tenu par des gens extérieurs à la famille.
Les recherches que j’ai menées pour mon livre, "Les Cartiers", attestent que la force de Cartier au début du XXe siècle était due aux trois frères, à la complémentarité miraculeuse de leurs talents, à leur lien indissoluble et à leur ambition commune de construire "la première maison de joaillerie dans le monde." Ils avaient aussi ce qui manquait à leur grand-père (qui avait fondé l'entreprise familiale en 1847) et à leur père Alfred: la capacité à se déployer. Ils étaient trois - «trois corps, un seul esprit» comme l’a dit un de leurs contemporains – et à eux trois ils pouvaient mieux se répartir la tâche et conquérir le monde. Prenant une carte du monde, mon grand-père m'a raconté comment ils l'avaient littéralement partagée entre eux avec un crayon: Louis a pris l'Europe, y compris le siège parisien de l'entreprise ; Pierre a pris les Amériques (il a ensuite ouvert la succursale de la Cinquième Avenue à New York) et Jacques a pris la responsabilité des clients en Grande-Bretagne (il dirigerait la succursale de Londres) et les colonies britanniques, surtout en Inde.
Parlez-nous des voyages que Jacques a faits en Inde, en particulier du premier - comment se sont-ils déroulés?
Eh bien, l'Inde était considérée comme le joyau de la Couronne britannique. Patrie des Maharajahs, qui étaient pour certains les meilleurs clients de bijoux de la planète, c'était aussi la capitale mondiale du commerce de pierres précieuses. Jacques y a fait de nombreux voyages d'affaires au fil des ans - à la fois pour acheter et vendre des bijoux - mais ces voyages n'étaient pas seulement un travail pour lui, il en vint à aimer profondément le pays et ses habitants (vous pouvez en savoir davantage sur les coulisses des voyages de Jacques en Inde à travers cette vidéo que j'ai réalisée sur You tube).
En lisant les journaux intimes de Jacques, je réalisais avec fascination à quel point ces voyages avaient inspiré de nombreuses créations de Cartier dans les années 1920 et 1930. Partout où il allait - d'Indore, à Calcutta, Hyderabad, Delhi, Mumbai - il faisait des croquis et prenait des notes sur tout ce qui à ses yeux présentait un intérêt sur son parcours. Il nota ainsi comment la forme d'un temple pouvait être transformée en broche ou comment un simple motif de gland en dentelle qu'il avait relevé dans un bazar indien surpeuplé lui avait donné l'idée d'un collier en diamant. Il avait un grand respect et une grande admiration pour le pays et sa culture. Visitant un temple, il écrit par exemple : « La sculpture de la pierre… atteste un art supérieur. Les dix siècles qui ont précédé notre ère sont l'une des périodes les plus merveilleuses de l'histoire du monde. La part de l'Inde dans les découvertes intellectuelles de cette époque fut primordiale ».
Jacques avait 27 ans lors de sa première visite en Inde en 1911. Toujours célibataire, il travaillait dans l'entreprise familiale depuis cinq ans mais avait vécu une vie relativement protégée, ne s'aventurant à l'étranger que de Paris à Londres pour y diriger la boutique Cartier. Cette fois-ci, il s’agissait d’une mission bien plus aventureuse: trois semaines sur un bateau de Marseille à Bombay, via l'Egypte, le canal de Suez et le golfe d'Aden. Accompagné d'un expert, Jacques partit à l'automne 1911 pour atteindre Delhi en décembre, date du très attendu Durbar de Delhi. Tous les princes indiens seraient présents à Delhi pour rendre hommage au nouveau roi George V et à la reine Mary, et les bijoux seraient au centre de la scène. Le plan des frères Cartier était que la présence de Jacques lui permettrait de rencontrer plusieurs clients potentiels en un même endroit et, espéraient-ils, d’obtenir des invitations à leur rendre visite dans leurs palais.
Mais prenons un instant de recul : en lisant la correspondances des trois frères, j'ai découvert non sans surprise (en tout cas pour moi) que la principale raison pour laquelle Jacques avait entrepris ce long voyage en bateau vers l'Orient n'était pas seulement de visiter l'Inde mais de se renseigner sur le commerce des perles dans le golfe Persique. En ce temps-là, avant que n’explose le marché des perles de culture, les perles fines étaient déjà extrêmement rares et précieuses (pour donner une idée de leur valeur: en 1917, Cartier put échanger un collier de perles contre son siège de la Cinquième Avenue à New York). Il n’est donc pas surprenant que les perles aient représenté une part majeure des revenus de Cartier ni que Cartier ait voulu essayer d’acheter les perles à la source afin de se distinguer comme «fournisseur de perles» (un titre qu’ils utilisaient fièrement sur leurs factures).
Parce que nombre des perles blanches les plus recherchées et les plus chères étaient pêchées dans le golfe Arabique, Louis y envoya son jeune frère pour une mission que Jacques explique dans une lettre de décembre 1911: «Mon cher Louis, si j'ai bien compris, la mission la plus importante qui m'a été confiée au cours de ce voyage en Orient était d'enquêter sur le marché des perles et de rendre compte de la manière la plus efficace pour nous de les acquérir. »
Les Cartier pensaient que s'ils pouvaient rencontrer les cheikhs à la tête du commerce des perles du golfe Persique sur leur propre terrain et nouer des relations professionnelles avec eux, ils pourraient alors éliminer certains intermédiaires impliqués dans le commerce des perles. Les frères Rosenthal basés à Paris, concurrents parmi les plus importants de Cartier pour les perles, étaient uniques en ce qu'ils avaient gagné la loyauté et la confiance de ces cheikhs et avaient donc le monopole du commerce des perles en Occident, pour la grande frustration de Louis. Ainsi, lors de ce premier voyage en Orient, le compagnon de voyage de Jacques était le meilleur expert des perles Cartier, Maurice Richard, car il avait besoin avec lui d'un spécialiste qui sache vraiment évaluer les perles. Après avoir assisté au Durbar de Delhi et rencontré quelques clients en Inde, ils prirent en mars 1912 le bateau pour Bahrein en compagnie d'un traducteur qu'ils avaient engagé à Bombay. Cette aventure qui les attendait est fascinante : rencontres avec les pêcheurs de perles, commerce avec les sheikhs et découverte émerveillée des repas partagés sans couverts à même le sol... mais c’est là une histoire en soi !
Visiter l'Inde n'était donc pas vraiment l'objectif principal de ce premier voyage?
Eh bien, je dirais qu'au départ, c'était un à-côté au sein de cette mission principale, mais c'est devenu beaucoup plus que cela. Dans les années 1920 et 1930, le lien de Cartier avec l’Inde est devenu absolument fondamental pour les affaires au sens large. Ce premier voyage au Durbar ne s'est cependant pas déroulé aussi bien que prévu. Tel un vendeur ambulant, Jacques avait emporté avec lui des valises de bijoux pour tenter les Maharajahs : délicats colliers, guirlandes, broches et ornements de tête. Cependant, il découvrit bientôt qu'en Inde, ce n'étaient pas les femmes qui achetaient les bijoux, mais les hommes. Et ils n'achetaient pas pour leurs femmes ou leurs amants, comme en Europe. Ils achetaient pour eux-mêmes. Ainsi, après avoir fait tant d'efforts pour apporter ces bijoux de grande valeur avec lui depuis l'Europe, pour les assurer, les déclarer aux douanes à son arrivée en Inde, les transporter avec lui dans tout le pays, Jacques constata à sa grande consternation que la plupart des commandes qu'il recevait lors de ce premier voyage n'étaient pas du tout pour d'importants bijoux, mais pour la simple montre de poche en argent qui faisait fureur à Paris à l'époque. Bien que les maharajahs possèdent certains des joyaux les plus splendides, exotiques et enviables du monde, Jacques découvrit aussi qu’ils étaient tout simplement désireux de suivre la mode de l'Occident.
Le Durbar s'est donc révélé décevant ?
Eh bien, le Durbar fut un peu terne en termes de ventes, mais il permit à Jacques de rencontrer de nombreux princes régnants dans leurs tentes majestueuses disposées à travers les campements du Durbar. Parmi eux figurait le Maharajah de Nawanagar, qui devint un grand ami. Suite à ces premières rencontres, Jacques reçut des invitations à leur rendre visite dans leurs palais à travers le pays. Parfois, il demeurait dans des palais opulents, d’autres fois, il était simplement un vendeur ambulant dormant sur des nattes brutes par terre dans des auberges rudimentaires. Alors qu'il voyageait à travers le pays, Jacques rédigea de nombreux carnets de voyage : j'ai basé mes voyages sur certains d’entre eux, car je voulais revisiter de nombreux endroits par moi-même.
À Baroda, par exemple, Jacques évoqua en 1911 une rencontre avec le Gaekwad et le Maharani en 1911 et la demande qui lui avait été faite de concevoir des plans pour ressertir des joyaux de la couronne. Il passa des jours à dessiner furieusement dans le palais avant que les bijoutiers de la cour locale ne deviennent jaloux de sa présence et ne le fassent partir sans sécuriser la commande ! La Maharani parvint cependant à lui remettre discrètement quelques-uns de ses bijoux à remonter. Pour moi, ce fut une merveilleuse expérience de visiter le palais de Laxmi Vilas un siècle plus tard et de montrer certaines des esquisses de Jacques à la très aimable Maharani Radhikaraje qui y vit maintenant. Lorsque je lui ai montré cette esquisse au crayon tirée des carnets de Jacques, elle reconnut immédiatement l'aigrette de diamants reproduite ci-dessous. Ce fut un de ces moments passionnants où le passé et le présent se croisent.
Mais Jacques n'était pas venu en Inde seulement pour y vendre des bijoux. En tant qu'expert en pierres précieuses de la famille, il était toujours à la recherche de gemmes à acheter et lorsqu'il voyageait, il emportait sa pochette de fidèles «pierres de référence» (killer stones). Elles étaient les exemples les plus parfaits de pierres précieuses qu'il possédait : un rubis birman, un saphir du Cachemire, une émeraude colombienne et un diamant de Golconde. Il les utilisait comme pierres étalon lors de ses achat auprès de marchands sur des marchés ombragés et surpeuplés, auprès de princes dans leurs palais ou auprès de propriétaires de mines de gemmes en plein soleil aux abord des puits de saphir. Cela lui permettait de disposer d'une parfaite pierre étalon quelle que fût alors la qualité de la lumière. Comme il ne savait jamais quand l'opportunité d'une acquisition de gemmes se présenterait au cours de son voyage, ces "killer gems" lui donnaient au moins l'assurance d'être toujours prêt. Lors de sa visite au palais de Patiala en 1911, par exemple, le Maharajah voulait acheter une perle Cartier spéciale, mais au lieu de la payer comptant, il proposa de l'échanger contre certains de ses propres bijoux : Jacques se retrouva à l'improviste à expertiser des gemmes au lieu de simplement les vendre.
Au fil du temps, grâce à l’expertise de Jacques en achat de pierres, et à ses liens loyaux avec les marchands, Cartier se fit une renommée de joaillier possédant les plus belles pierres précieuses de couleur au monde.
Parlez-nous de la Première Guerre mondiale - Jacques a-t-il combattu?
Oui - il nourrissait envers son pays un fort sens du devoir. Mon grand-père m'a expliqué que pour son père, c'était «Pays, famille, entreprise» dans cet ordre. Lorsque la Première Guerre mondiale éclata, Jacques était atteint de tuberculose et avait été envoyé dans un sanatorium en Suisse - mais au lieu de se sentir soulagé d'éviter ainsi les combats, il voulait juste recevoir les meilleurs traitements le plus rapidement possible pour pouvoir rejoindre son régiment et se battre aux côtés de ses compatriotes. Ses frères prirent des emplois plus sûrs (Pierre comme chauffeur d'un général, et Louis plusieurs postes de bureau) et ils exhortèrent Jacques à faire de même. Il avait l'excuse parfaite, lui disaient-ils : il était facile de demander à un médecin de le déclarer inapte à servir au front étant donné la faiblesse de ses poumons. Mais Jacques refusa: il ne voyait aucune raison d’être traité différemment de ses camarades. Après s'être remis de la tuberculose, il rejoignit une nouvelle fois son régiment de cavalerie au Front, mais fut gazé juste après et envoyé dans un autre hôpital -cette fois-ci à Luçon - pendant plusieurs semaines. Rétabli pour la seconde fois, il rejoignit son régiment au front - au grand dam de ses frères – pour le mener au combat. Pour les services rendus à son pays, il a reçu la Croix de Guerre mais ses poumons ne se remirent jamais vraiment du gazage et plus tard, il se décrirait comme vivant une «demi-vie» manquant d'énergie et luttant pour respirer.
Après la guerre, le monde avait bien changé. Des années de combats avaient fait des ravages en Europe et la richesse - notamment celle des clients-clefs de Cartier- s'était déplacée outre-Atlantique. Jacques est allé aider Pierre à la succursale de la Cinquième Avenue pendant quelques années (ils estimaient avoir besoin de deux membres de la famille pour vraiment y développer l'entreprise et répondre à la demande) avant de retourner en Angleterre quelques années plus tard. Avec son épouse Nelly et leurs quatre enfants, ils s'installèrent à Milton Heath, une grande maison de campagne à Dorking, dans le Surrey. Chaque matin, alors que son fils partait en carriole à l'école, Jacques parcourait les trente miles (une petite cinquantaine de kilomètres) dans sa Rolls-Royce avec chauffeur jusqu'à la Maison Cartier située dans le quartier de Mayfair. Il avait déménagé le siège de Londres au 175 New Bond Street en 1909 (auparavant, Cartier était installé dans un espace plus restreint au rez-de-chaussée de Worth au coin de New Burlington Street) : c'était un bâtiment impressionnant. A l'extérieur, un portier se tenait au garde-à-vous devant les certificats royaux placardés sur les colonnades,, cependant qu'à l'intérieur, les murs étaient drapés de moiré rose, des lustres à candélabres étaient suspendus au plafond, et des miroirs reflétaient de discrètes touches de dorures. Selon un dessinateur qui y travailla dans les années 20, c'était comme étant «presque une réplique de Cartier à Paris, mais peut-être même plus imposant que l'établissement de la rue de la Paix, affichant de surcroît une réserve toute britannique. On y réfléchissait à deux fois avant d'entrer. »
Le livre de Francesca Cartier Brickell, The Cartiers est disponible en anglais via Amazon et, à compter du 20 octobre 2022, il sera disponible en version française - traduit de l'anglais par Marie-Anne de Béru.
Vous pouvez également suivre Francesca sur Instagram (@creatingcartier) ou sur Youtube (@francescacartierbrickell).
Visuel de "une" : Francesca Cartier Brickell. Crédit photo @Jonathan James Wilson
Magnitude de Cartier, entre joaillerie et cosmologie
Créer une nouvelle collection de joaillerie est toujours un pari. Lorsque l’on s’est imposé au fil des décennies par la qualité indépassable des gemmes choisies et la singularité d’un style qui a écrit l’histoire du bijou au XXème siècle, créer une nouvelle collection est littéralement un défi.
La maison Cartier l’a relevé cette année en osant aller là où on ne l’attendait pas : en associant aux gemmes les plus belles et les plus précieuses des pierres ornementales, que leur moindre valeur exclut habituellement des collections de haute joaillerie. Baptisée « Magnitude », la nouvelle collection Cartier bat en brèche les idées reçues, joue avec l’image même de la maison, et propose des appariements audacieux dont la pièce iconique de la collection est l'emblème : un quartz rutile de 68,85 carats poétiquement qualifié de "cheveux de Vénus" en gemmologie.
J’ai eu le privilège de contribuer avec François Chaille au livre que les éditions Flammarion consacrent à cette nouvelle collection.
S’y expose la philosophie qui sous-tend cette nouvelle collection. Au-delà du plaisir ludique de jouer avec les contrastes de pierres, Cartier engage une réflexion sur la nature même des pierres gemmes et interroge leurs origines, leur nature profonde, leur signification pour nous. L’histoire des pierres, c’est l’histoire de l’univers. Cartier a choisi des pierres ornementales qui semblent porter la trace des origines de notre monde. Un cahier central dans le livre mentionne les phénomènes qui ont donné naissance aux pierres, témoins de la cosmogonie.
A l'infiniment grand répond l’infiniment petit des traces laissées au cœur des pierres par le travail de leur genèse. Le geste artistique de Cartier s'inspire de la réflexion de Roger Caillois qui, notamment dans L’Ecriture des pierres, repéra dans les pierres ornementales des paysages, des figures, des histoires, semblant figer un moment de la création. « Presque toujours il s’agit d’une ressemblance inattendue, improbable et pourtant naturelle, qui provoque la fascination », écrivait-il.
C’est à cette réflexion de Roger Caillois et au lien avec la collection « Magnitude » que j’ai consacré ma contribution, dont voici un bref extrait : « Translucides ou opaques, agates, calcédoines, onyx, jaspes, labradorites, malachites, lapis-lazuli et rhodochrosites forment des exemples de ce « fantastique naturel propre aux peintures et aux sculptures des pierres » que Caillois a longuement approfondies dans Pierres et dans L’Écriture des Pierres, s’interrogeant sur le mimétisme naturel qui rapproche le minéral du végétal, et les astres célestes des profondeurs de la terre. Ces images mystérieusement dessinées par la Nature artiste racontent l’histoire de notre monde : « Je parle des pierres que rien n’altéra jamais que la violence des sévices tectoniques et la lente usure qui commença avec le temps, avec elles », écrivait-il. Roger Caillois s’employa à y déceler un message envoyé par la nature elle-même, livrant la clef d’un lien originel entre le cosmique et le microcosmique, mais aussi entre l’art et la nature. »
La mise en page du livre publié par Flammarion mêle photographies dévoilant la structure intime des pierres, carnets de dessins, photographies de constellations, dans des formats et papiers différents, produisant l’effet d’un livre expérimental, à l’image de cette nouvelle collection, aventureuse et innovante.
***
Livre Magnitude, collection Styles et Design, Flammarion
Paru le 13 novembre 2019. 256 pages - 261 x 309 mm
Magnitude, Haute Joaillerie Cartier, Flammarion
Magnitude, Cartier High Jewelry - En langue anglaise, l'ouvrage sera distribué par Rizzoli New York, à compter du 14 avril 2020
Cartier, dernière collection de haute joaillerie Magnitude
Magnitude de Cartier -fascination et pouvoir des pierres. LUXE.TV
Œuvres, Roger Caillois
Précédé de L'homme qui aimait les pierres par Marguerite Yourcenar, Vie et œuvre par Odile Felgine et d'Itinéraire de Roger Caillois par Dominique Rabourdin
Collection GALLIMARD/Quarto
Parution : 02-05-2008
Visuel de "une" : Bague Equinoxe. Or jaune, une boule de lapis-lazuli de 37,10 carats, diamants jaunes coussin, diamants jaunes et incolores taille brillant.
Crédit photos @Flammarion /Cartier
***
Si vous souhaitez recevoir la prochaine newsletter de Property of a Lady, veuillez cliquer sur ce lien. A bientôt !
Livres de joaillerie : quelques références choisies par Bernard Letu.
Nichée au coeur de la vieille ville de Genève, à deux cents mètres de la cathédrale Saint-Pierre, la Librairie Galerie Bernard Letu a été fondée en 1973. Spécialisée à ses débuts dans le surréalisme et la gravure, la Galerie, à la faveur d'une expérience éditoriale (Appia, Irina Ionesco, Poumeyrol, Mohlitz etc.) est assez rapidement devenue une librairie d'art dans laquelle les arts appliqués (photographie, bijouterie et joaillerie, textiles, verre, horlogerie...etc..) se sont faits une place de choix en étayant sa réputation et son rayonnement.
Personnalité incontournable de la cité de Calvin, mais également figure appréciable du salon Gem Genève où depuis deux ans il présente une sélection extrêmement pointue d'ouvrages ayant trait aux arts joailliers, Bernard Letu a sélectionné quelques livres pour les lecteurs de Property of a lady. Des plus rares aux derniers parus, d'une valeur de quinze euros ou de plus de mille, publiés en France, à Londres, ou à Moscou... voici une sélection très haut de gamme des livres d'art spécialisés en joaillerie les plus recherchés des lecteurs avisés !
1- India, Jewels that enchanted the world
Usha R. Bala Krishnan, Ekaterina Scherbina, Diana Scarisbrick, Larisa Peshekhonova, Alex Popov. 2014
Ce livre référence près de cinq cents ans de joaillerie indienne avec une perspective historique approfondie. Le texte est d'une grande qualité, et on découvre une très belle sélection des oeuvres de Munnu Kasliwal et de Viren Bhagat. Cet ouvrage est aujourd'hui un collector. Il fut publié à l'occasion de l'exposition "L'Inde : des bijoux qui ont enchanté le monde", qui s'est tenue au musée du Kremlin à Moscou entre avril 2014 et juillet 2015.
2- JAR Paris, volumes I et II
par Joël Arthur Rosenthal et Pierre Jeannet
Ces deux volumes font références aux deux expositions "The Jewels by JAR, Paris" qui se sont tenues l'une à la Somerset House à Londres en 2002-2003 et la seconde au Metropolitan Museum of Art de New York en 2013-2014. Nous attendons avec grande impatience l'annonce de la troisième retrospective de cet artiste dont les pièces joaillières figurent parmi les plus recherchées sur le marché international des enchères, comme en témoignent les ventes des "Magnificent jewels".
3- Ruby, the king of Gems
Joanna Hardy. Thames and Hudson, 2017
Joanna Hardy est venue dédicacer ses deux ouvrages, Ruby et Emerald sur mon stand lors de la seconde édition de Gem Genève.
D'un format "classique" ce livre joliment illustré dévoile un panorama des plus belles créations joaillières conçues pour célébrer le rubis. Que les parures soient de provenance historiques, royales, modernes ou contemporaines, les icônes du style qui les ont eu le privilège de s'en parer portent haut les couleurs du glamour. Cet ouvrage fit suite au retentissant succès d'Emeraude, bâti sur le même principe et aujourd'hui difficile à se procurer.
A quand le dernier opus consacré à la troisième pierre précieuse de couleur, intitulé Saphir ?
4- Emerald, twenty-one centuries of jewelled opulence and power
Jonathan Self, Joanna Hardy, Franca Sozzani, Hettie Judah. Thames and Hudson, 2013
5- La collection Cartier
Ouvrage collectif en deux volumes de François Chaille, Thierry Coudert, Pascale Lepeu, Violette Petit, Pierre Rainero, Jenny Rourke, Michael Spink, Christophe Vachaudez. 744 pages. Paru en décembre 2018 aux éditions Fammarion.
Créée en 1983, la Collection Cartier rassemble des pièces historiques d’horlogerie, de joaillerie et des accessoires précieux emblématiques du style Cartier depuis la fin du XIXème siècle. Ces deux riches volumes sont entièrement consacrés au patrimoine joaillier de la Maison. Ils retracent les grands courants artistiques et les influences diverses qui ont jalonné la création de la Maison. Avec ce bel ouvrage, le lecteur est assuré de se former au "style Cartier".
6- Cartier, Objets d'exception
Par Olivier Bachet et Alain Cartier, Palais Royal, 2019
Ces deux volumes rassemblent et présentent plus de mille objets d'art et "timepieces" (pendules et montres) réalisés par la maison Cartier entre 1875 et 1965, pour la plupart inédits et provenant de différentes collections. Fruit d’un travail de recherche de grande ampleur, cet ouvrage s’impose d’emblée comme une référence majeure dans la documentation écrite sur la maison. A lire: l'interview exclusive d'Olivier Bachet réalisée par Marie-Laure Cassius-Duranton pour Property of a lady en cliquant sur ce lien.
7- Les Arts Joailliers, métiers d'excellence.
de Guillaume Glorieux. Coédition Gallimard / L'Ecole des Arts Joailliers. Collection Découvertes Gallimard Hors série, paru le 25 avril 2019.
Un livre très bien fait et qui a eu un grand succès lors du Salon, les étudiants se sont jetés dessus !
L'auteur dévoile, avec érudition et pédagogie, les coulisses des métiers de la joaillerie et explore les différentes étapes de la création d’un bijou. Richement illustré par des photographies issues de grandes maisons de joaillerie, cet ouvrage raconte la naissance d'un bijou, depuis la première esquisse jusqu'à l'ultime polissage. On y croise tous les métiers qui collaborent à cette naissance. Dessinateur, maquettiste, gemmologue, fondeur, joaillier, polisseur, sertisseur, lapidaire, diamantaire, graveur et sculpteur, tous œuvrent au service d'un seul objectif : la beauté.
8- The Jewels of the Romanovs : Family and court
de Stefano Papi, Thames and Hudson, 2010, 2013 (la seconde édition comprenant quarante-huit pages supplémentaires et une soixantaine de nouvelles illustrations).
Ancien spécialiste joaillerie chez Sotheby's et Christie's, Stefano Papi est un auteur chevronné qui transporte son lecteur aux temps de la famille Romanov qui a gouverné la Russie de 1613 jusqu'à la Révolution de1917. L'arbre généalogique est fort utile pour bien se repérer.
Publié dans le prolongement du 400e anniversaire de la dynastie des Romanov, ce livre retrace l'histoire des bijoux de la dernière dynastie des tsars russes, des années d'or à leur vie en exil après la Révolution. A Paris, dans les cours européennes, aux Etats-Unis, l'auteur a poursuivi son enquête auprès des survivants de la lignée Romanov. Passionnant !
2 rue Calvin. 1204 Genève.
T: +41 22 310 47 57
Mail : arts@letubooks.com
La librairie est ouverte du mardi au vendredi de 11h30 à 18h30 et le samedi de midi à 17h.
Mogok, la vallée des pierres précieuses : Emmanuel Fritsch raconte une exploration inédite.
Qui n’a pas entendu parler de Mogok ? Mogok, cette ville lointaine et mystérieuse située en haute Birmanie, la provenance la plus recherchée pour les rubis et les saphirs, le sésame des ventes de prestige, la destination dont rêve tout passionné de minéraux et de belles pierres.
Grâce à une personnalité éminente dans notre profession - Kennedy Ho - , et profitant d’une période d’ouverture aux étrangers, le Professeur Emmanuel Fritsch a conduit une expédition constituée de trois scientifiques et d’un photo-reporteur à travers la vallée entre 2016 et 2017, juste avant que les portes n’en soient abruptement refermées.
Mogok, la vallée des pierres précieuses est le livre écrit collectivement par cette petite équipe pour relater une formidable aventure humaine et scientifique. C’est aussi un des seuls témoignages complets sur ce lieu. S’adressant au grand public, le livre offre une compréhension globale de ce qu’est Mogok, de sa mythologie à l’analyse scientifique de sa géologie en passant par l’étude gemmologique des pierres précieuses issues de ses gisements extrêmement variés.
Peu avant sa parution en librairie – prévue le 24 octobre – le Professeur Fritsch nous raconte le contexte dans lequel ce livre a pu se réaliser et nous présente les principaux thèmes abordés, répondant aux questions que l’on se pose sur les gemmes d’exception qu’on y récolte.
Comment est né le projet de ce livre ?
En décembre 2013, Henri Ho, fondateur et Président émérite de l’Asian Institute of Gemological Sciences, a invité un groupe de gemmologues occidentaux – dont j’étais - à venir visiter Mogok. Je réalisais là un de mes rêves. Après ce premier aperçu de la vallée mythique, et pour remercier Henri, j’ai proposé de faire un livre et lui ai adressé un projet, mais cela ne s’est pas fait.
Étonnamment, il existe peu de livres sur les gemmes de la région de Mogok. Ceux parus jusqu’à présent traitent beaucoup de l’histoire du lieu, mais ils évoquent peu les gemmes à proprement parler, malgré les nombreuses couvertures illustrées de rubis et de saphirs !
Il se trouve cependant que mon ami Frank Notari souhaitait lui aussi écrire sur Mogok. Il co-dirige avec Thomas Hainschwang les Laboratoires de gemmologie GGTL. Peu de temps après ma propre visite, Franck est ainsi entré en contact avec Kennedy Ho, le jeune frère d’Henri Ho, et Président de l’Asian Institute of Gemological Sciences (AIGS). (En novembre 2017 l’AIGS et GGTL créaient Gem Alliance, une coopération fondée sur le partage d’informations et de données gemmologiques).
Kennedy Ho est un expert reconnu et influent dans toute l’Asie. Il a un style très particulier de management : il parle peu, sourit beaucoup et avec lui, les choses se font. Il fait dans l’efficacité. Grâce à lui, le projet a pu se réaliser.
Début 2016, j’ai donc pu monter une petite équipe de scientifiques composée de Candice Caplan, Thomas Hainschwang, Franck Notari et d’un photo-reporteur, Jean-Baptiste Rabouan. Au mois de mai, Kennedy Ho nous avait obtenu nos permis d’accès pour Mogok et notre expédition à « Rubyland » débutait. Deux autres séjours suivirent, en août 2016 à la saison des pluies, et en mars 2017.
Grâce à Kennedy Ho, nous avons ainsi pu parcourir la région de Mogok dans les meilleures conditions possibles, aidés d’un formidable guide, Jordan Aung Naing. Nous avons pu accéder à plusieurs mines de la vallée, et parfois y descendre, notamment dans la célèbre Ruby Dragon Mine. Il nous a été permis de collecter et de rapporter des échantillons de minéraux, dont de nombreuses gemmes rares.
Mogok, la célèbre « vallée des rubis » racontée par Joseph Kessel est-elle à la hauteur du mythe ?
Mogok est une « fabrique » naturelle incroyable de gemmes, un phénomène qui s’explique en grande partie par la géologie du site. J’en retiens aussi la beauté ineffable des paysages, la gentillesse de ses habitants, la luxuriance de la végétation et les pieux stupas d’or qui ponctuent les chemins.
Mais se rendre à Mogok relève du parcours du combattant !
Les conditions d’accès à la région ont peu changé depuis le voyage de Kessel en 1955. La région reste difficile d’accès à tous points de vue. Le gouvernement ferme régulièrement l’accès de cette vallée aux touristes étrangers. Depuis mars 2017 il n’est à nouveau plus possible d’aller à Mogok.
Géographiquement parlant, Mogok est nichée dans une vallée entourée de montagnes dans le district de Pyin Oo Lwin. Seules deux routes y conduisent depuis la ville de Mandalay, située à quelques deux cents kilomètres plus au sud. Et la plus récente et plus rapide des deux routes est réputée dangereuse puisque située en plein Pays Shan.
Rares sont les scientifiques qui jusqu’à présent ont eu la chance de pouvoir étudier avec précision les riches gisements gemmifères dont la vallée de Mogok est abondamment pourvue.
C’est pourquoi ce livre relate une expérience inédite.
Pouvez-vous nous présenter ce livre ?
Mogok, la vallée des pierres précieuses est publié en deux éditions : anglais et français, sous la direction de Kennedy Ho qui a d’ailleurs rédigé l’avant-propos du livre.
Je dirais qu’il s’agit d’un livre « grand public » avec un côté « nantais ». Je suis professeur à l’université de Nantes, et les autres auteurs de ce livre sont tous des anciens du Diplôme universitaire de gemmologie (DUG) de Nantes. Notre auteur et photo-reporter Jean-Baptiste Rabouan fait figure d’exception mais il a néanmoins étudié la gemmologie à Saumur, une formation co-créé par « notre véritable ancêtre », mon prédécesseur Bernard Lasnier ! Professeur Émérite, Bernard Lasnier a fondé en 1982 le programme de gemmologie à Nantes. Le DUG permet aux personnes formées en gemmologie classique de se hisser au niveau d’expert.
Le livre compte dix chapitres, qui présentent un large aperçu des diverses facettes de Mogok. Il y est question de géographie, de culture, de l’histoire huit fois centenaire de cette localité, et de celle plus ancienne encore des rubis. Nous y évoquons aussi la rude vie des mineurs, les différents types d’exploitations minières, le commerce des gemmes de la mine vers les marchands, et des marchands vers le reste du monde, sans oublier une description des marchés de Mogok qui animent la vie locale.
Quatre chapitres du livre sont assez techniques. L’un, que j’ai écrit, présente la géologie de la vallée, base de la compréhension de l’origine de ces multiples gisements gemmifères pour la plupart alluvionnaires qui sont rassemblés dans la région. Puis sont présentées successivement les analyses gemmologiques des rubis, des saphirs, des spinelles et des péridots.
Ces quatre gemmes sont les principales que l’on trouve à Mogok et sont reconnues comme parmi les plus belles au monde. Mais de très nombreuses autres gemmes sont aussi présentes dans la vallée : nous en faisons une description non-exhaustive dans le livre. Le lecteur y découvrira ce que j’appelle les « bizarreries » de Mogok !
Pouvez-vous nous dire un mot de l’étonnante couverture du livre ?
L’image de couverture a été réalisée sans aucun trucage, mais deux photos se superposent grâce au talent de la femme de Jean Baptiste Rabouan.
La photo au bas de la couverture montre Kennedy Ho de profil en train d’observer un péridot vert vif : c’est une image extraordinaire – le point focal se forme sur l’œil. La source lumineuse traverse en transparence la gemme, la loupe et concentre son faisceau sur l’œil qui a son tour renvoie la lumière.
Le choix de cette photo est particulier, parce que nous avons décidé de mettre en avant un péridot et non pas, comme on s’y attendrait lorsqu’on évoque Mogok, un corindon (le rubis étant la variété rouge de ce minéral et le saphir la variété bleue). Les gisements de péridots se situent au nord de Mogok, dans la zone de Pyaung Gaung. Ces gisements de péridots sont une des surprises de la vallée : il est inhabituel de trouver ce type de gisement à côté de gisements de rubis. Les cristaux birmans de péridots figurent parmi les grands au monde (derrière ceux provenant du Pakistan) et présentent de très belles couleurs avec d’importantes variations de teinte selon leur teneur en fer.
Quant à la partie haute de la couverture, elle évoque Mogok à merveille : la brume du matin – c’est époustouflant de beauté-, les stupas, les montagnes et la jungle.
Des découvertes sont-elles publiées pour la première fois dans ce livre ?
Quelques-unes y ont été consignées, mais nous avons tenu compte du fait qu’il s’agit d’un ouvrage grand public. Nous avons ainsi montré des inclusions inhabituelles de gros cristaux prismatiques de rutile dans les rubis (p.111). Nous avons aussi découvert que certains rubis rouge sombre (mais un peu pourpre) sont colorés par du vanadium seulement, et non par du chrome. Est-ce qu’on trouve ce type de cas ailleurs ? C’est possible, mais à ce jour, c’est une observation extrêmement rare.
Un autre scoop révèle, avec photos à l’appui, le traitement thermique des spinelles à Mogok pour en améliorer la couleur (p.180. 181.182). Bien d’autres encore figurent dans le livre !
« La vallée est probablement un cas géologique unique » : cela justifie-t-il la variété des gemmes qu’on y trouve ?
La richesse gemmifère de Mogok provient de la déformation qu’a subie l’ensemble du pays, depuis cinquante millions d’années. Cette déformation est due à la collision du sous-continent indien (toujours en mouvement) avec la plaque asiatique. Cet événement géologique, qui a engendré la chaîne de l’Himalaya, a eu un fort impact sur la géologie du Myanmar. Le pays se divise en trois blocs géologiques dont la ceinture métamorphique de la région de Mogok.
Dans le chapitre « Le dragons aux yeux rubis », une carte géologique montre l’actuelle juxtaposition du gneiss, du granite et des marbres qui constituent la géologie de la région de Mogok. C’est dans les marbres que cristallisent les rubis (marbres « bleus »), les spinelles (marbres blancs) et parfois même, mais c’est rare, des saphirs (mine de Dattaw).
Les éléments naturels font ensuite leur œuvre : L’eau - qui descend des montagnes -, l’air, le climat, ainsi que le passage des siècles érodent les marbres et y créent par endroit des espaces vides (gouffre, grotte, rivières souterraines) dans lesquels des roches gemmifères de lourde densité (3,6 pour les spinelles, 4 pour les corindons) se déposent. Les marbres sont les roches-mères des rubis et spinelle, et lorsqu’ils sont érodés, ils deviennent des coffres-forts naturels.
Les paysages de la vallée de Mogok qui s’offrent au promeneur sont hérissés de crêtes parallèles noires de karst (marbres érodés) sous lesquelles se cachent les marbres clairs et le gravier gemmifère local qu’on appelle le byon.
Les rubis birmans sont-ils si exceptionnels qu’on peut les reconnaître au premier coup d’œil ?
Prétendre reconnaître un rubis birman au premier regard n’est ni scientifique, ni honnête… c’est du baratin de pseudo-expert !
Lorsqu’ils sont sans inclusions, certains rubis Verneuil (de synthèse) ressemblent à s’y méprendre à des rubis birmans puisque le fer est absent de la composition chimique de ces oxydes d’aluminium.
Actuellement, la plus importante source de rubis au monde (près de 80% de la production mondiale) se situe à Montepuez, dans la province de Cabo Delgado au Mozambique. Certains rubis extraits de cette mine ressemblent aux rubis birmans. Après une observation scientifique, on se rend compte cependant que les rubis mozambicains ont trop de fer et trop de chrome par rapport aux rubis birmans.
Dans les pierres de très grande qualité, nous trouvons généralement très peu, voire aucune, inclusion. Seule une analyse en laboratoire peut déterminer un rubis birman exceptionnel.
Pour conclure, je dirais qu’il faut regarder tout rubis avec attention. Personne n’est en droit d’affirmer avec certitude qu’il s’agit d’un rubis birman, à moins qu’il ait été acquis au sortir de la mine, et à Mogok !
Existe-t-il des inclusions caractéristiques, qui graveraient du sceau de « Mogok » certaines gemmes ?
Je crois que rien n’est totalement unique donc je ne pense pas. Ce ne sont pas tant les inclusions prises séparément, que l’ensemble des inclusions, qui forment ce que E.J. Gübelin et J.J. Koivula ont appelé in Photoatlas of Inclusions in Gemstones un « paysage d’inclusions », qui permettent une identification des gemmes. Le paysage d’inclusions donne des informations sur le mode de formation de la gemme observée et renseigne sur son origine géographique. Hors contexte, ces inclusions prises séparément indiquent rarement une localité spécifique!
Nous retrouvons des inclusions similaires dans les rubis de la John Saul Mine au Kenya et dans ceux provenant des gisements historiques de Jagdelek en Afghanistan puisqu’ils ont en commun de provenir de marbres gemmifères.
Néanmoins, un ensemble caractéristique d’inclusions (cristaux corrodés de calcite, inclusions de pyrite, « soies » de rutile) et un manque d’homogénéité dans la répartition de la couleur avec des zones de couleur flexueuses laissent présager avec raison de l’origine birmane du rubis. Frank Notari estime que la majeure partie des rubis de Mogok est identifiable au microscope.
Certains rubis de Mogok, aux multiples nuances de rouges, se reconnaissent à leur faible teneur en impuretés de fer, et à la présence de vanadium, une impureté chromogène qui accentue la couleur induite par le chrome.
Mais il faut savoir qu’à Mogok, la plupart des rubis trouvés sont de couleur légèrement pourpre. Les rubis exceptionnels à la couleur imprécise et pourtant si recherchée dite « sang de pigeon » restent des trouvailles rares. Et lorsque le poids d’un rubis de couleur exceptionnelle dépasse les dix carats, ce qui est rarissime, alors son prix explose. A l’instar des diamants de couleur, le prix au carat d’un tel rubis avoisine le million de dollars !
Qu’est-ce qui explique l’extraordinaire luminosité des rubis birmans ?
La luminosité des rubis birmans est liée à cette absence de fer dans leur composition que nous venons d’évoquer ainsi qu’à une très forte luminescence, qui est le pendant de cette absence de fer. Ce phénomène de luminescence est difficile à observer à l’œil nu mais nous le percevons inconsciemment. Il est à l’origine de l’étonnante luminosité de certains rubis birmans qui nous rappellent le vieux terme d’escarboucle, « charbons ardents ».
Les saphirs birmans sont également très réputés : présentent-ils un aspect caractéristique ?
Mogok produit en effet des saphirs de très belle qualité qui se caractérisent par une couleur d’un bleu velouté. Ils ont rarement à subir des traitements pour améliorer leur couleur ou leur transparence. Les saphirs les plus réputés étaient ceux qui sont originaires du Cachemire, mais comme les gisements sont épuisés, ce sont les saphirs birmans qui sont aujourd’hui les plus recherchés. Mais la production est bien moins importante qu’auparavant.
Depuis la fin des années 1990 les mineurs ont découvert d’étonnants saphirs dans le gisement de Baw Mar, à l’ouest de Mogok. La qualité de ces saphirs ne correspond pas au standard des saphirs birmans, et leur analyse en laboratoire révèle une importante teneur en fer. En me promenant près de cette mine la veille de mon départ, j’ai découvert juste à côté une péridotite ... donc la présence de fer dans la composition de ces saphirs n’est finalement pas si étonnante !
Les plus beaux saphirs ont été trouvés en même temps que les rubis, drainés par le byon. Pourquoi ? Comment se fait-il qu’ils proviennent d’un même gisement ? On ne sait pas trop, car il n’y a pas d’étude géologique détaillée à ce sujet.
Les bizarreries de Mogok
Rubis, spinelles, saphirs et péridots constituent les gemmes les plus recherchées de cette « vallée aux pierres précieuses », mais ce qui est vraiment étonnant, c’est qu’à l’exception des émeraudes, on trouve dans la région de Mogok une multitude d’autres gemmes !
Des petits diamants (qui proviendraient non pas de cheminées kimberlitiques, mais d’une roche-mère rare : la lamproïte), des petites aigues-marines et des apatites bleu clair, des topazes incolores, des pierres de lunes bleues, des grenats – pas très beaux ! -, des améthystes, des quartz bruns et roses, du lapis-lazuli etc...
Ce qui fait rêver tous les experts, gemmologues et collectionneurs à Mogok, ce sont surtout les raretés qu’on y trouve : la johachidolite, les hackmanites (variété de sodalite qui passe de l’incolore au pourpre à la lumière du jour), la painite, les pierres de lune « bambou », les tourmalines champignon, les danburites, jeremejevites, sinhalites et poudretteites roses... le livre établit une liste non exhaustive de ces gemmes singulières.
Dernier phénomène rencontré dans la vallée : ce sont les découvertes qui s’y font et celles qui restent à faire. Prudence et humilité sont alors de mise car même les meilleurs experts peuvent avoir des surprises et risquer de commettre des méprises !
Ainsi, sur un marché, alors que Kennedy Ho venait d’acquérir à ma grande stupéfaction quelques saphirs de qualité médiocre, et avec une simple identification à l’œil comme il ne faut pas le faire, je me suis fait piéger ! Les dits saphirs étaient des calcites bleues ! C’était troublant, on y retrouvait les mêmes macles polysynthétiques que sur les saphirs.
On découvre d’étranges bizarreries sur les marchés de Mogok, même les vendeurs qui n’ont pas tout le matériel d’identification se trompent parfois entre deux espèces rares.
La leçon à tirer c’est qu’il est facile à Mogok, même pour les experts, de se faire piéger par une espèce ou une variété inhabituelle, ou nouvelle. La vallée recèle tellement de merveilles et de découvertes.
Quel avenir pour Mogok ?
Mogok reste un endroit où on trouve des rubis exceptionnels, plus qu’ailleurs et ce, depuis deux mille ans. Il n’y a pas encore d’exploitation massive des gisements comme on le voit aujourd’hui au Mozambique. A Mogok, nous avons observé principalement des exploitations minières artisanales. Les mines mécanisées avec bulldozer, excavatrices, tractopelles ne sont pas majoritaires dans le paysage de la vallée...
Bien que Mogok compte une centaine de milliardaires parmi ses habitants, on nous a avoué que certaines mines restent très modérément mécanisées dans le but de faire travailler le plus de monde possible. Au cours de nos voyages, nous avons constaté un respect de la nature - les exploitations mécanisées n’utilisant pas de produits chimiques - et des populations de la part des responsables locaux. Mais cette situation est très fragile.
Conclusion :
Vers un deuxième tome ?
Aujourd’hui nous disposons d’une matière première très importante et nous pourrions sortir un deuxième livre! Je l’imagine plus scientifique. Il porterait sur les monstres et les bizarreries de Mogok et contiendrait une carte géologique et la tectonique de la vallée.
Que rapporter de Mogok ?
Certainement pas des rubis exceptionnels ! Les très beaux rubis sont vendus avant d’être trouvés et ils n’apparaissent jamais sur le « gem market » de Mogok. Il faut montrer « patte blanche » comme dans le livre de Joseph Kessel qui, lui, était accompagné de son ami le négociant en gemmes Pierre Rosenthal. Il y a une photo rare dans notre livre qui montre Kennedy Ho en train d’acheter un très beau rubis. Les échanges sont secrets, confidentiels.
La plupart des gemmes originaires de Mogok sont vendues en Thaïlande, à Bangkok, qui est la plaque tournante du commerce des gemmes en Asie. Dans un troisième temps seulement ces gemmes arrivent sur les marchés européens.
Il existe de nombreux marchés aux gemmes à Mogok : Cinema market, LeiOo market, Umbrella market pour n’en citer que quelques-uns. Ils ouvrent à tour de rôle au long de la journée et ont chacun un esprit différent que Jean-Baptiste Rabouan décrit bien dans le chapitre « le sang de la terre ».
Je recommanderai d’acheter des spinelles, les bruts autant que les gemmes taillées sont remarquables. Et des lots de pierres - c’est ce qu’il y a de plus intéressant.
***
Mogok, la vallée des pierres précieuses
Sous la direction de Kennedy Ho
Direction scientifique : Emmanuel Fritsch
Photographies de reportage : Jean-Baptiste Rabouan
Candice Caplan, Thomas Hainschwang, Frank Notari.
Cartonné sous jaquette
192 pages. 39,50 €
A paraître le 24 octobre 2018. Glénat.
Et à relire,
Joseph Kessel, La Vallée des rubis, Éditions Gallimard, Paris, 1955, réédition 1973.
« Et je pensai qu’un jour, peut-être, le garçon haillonneux à la bicyclette déguenillée aurait assez de saphirs et de rubis pour bâtir, lui aussi, des temples » Joseph Kessel, La vallée des rubis.
***
Conférence autour du livre, lundi 19 novembre 2018 à l'Institut de bijouterie de Saumur
avec Emmanuel Fritsch et Jean-Baptiste Rabouan
***
Tous mes remerciements à Emmanuel Fritsch, Jean-Baptiste Rabouan et Franck Notari.
Des livres pour 2017 : 10 conseils d'experts
Par Sarah Boidart
L'année 2016 aura apporté une riche moisson de publications sur les gemmes, depuis la création joaillière jusqu'à la gemmologie scientifique en passant par les approfondissements historiques. Il n'est pas toujours aisé de s'y retrouver.
Nous avons demandé à dix experts exerçant dans des domaines différents de désigner leur coup de cœur pour 2016. De quoi commencer la nouvelle année avec un petit programme de lectures hautement recommandées... tout en restant bien sûr à l'affût des nouveautés qu'apportera 2017 !
LE CHOIX DE MARC AUCLERT, créateur de la Maison Auclert :
"Rarement ou marginalement présenté dans les nombreux ouvrages sur le bijou d'hier et d'aujourd'hui, le fermoir, petit accessoire discret et pourtant essentiel, quitte enfin sa position d'oublié de la joaillerie grâce à l'excellent ouvrage d'Anna Tabakhova: elle nous apprend en effet à aimer la beauté esthétique et l'ingéniosité fonctionnelle des fermoirs grâce à une approche rigoureuse et claire couvrant une foultitude d'époques et de régions...
Nous comprenons tout sur le fermoir à cliquet, le fermoir à languette, le fermoir à clavette, la boîte cliquet, le mousqueton grâce auxquels colliers et bracelets ne se nouèrent plus mais se fermèrent avec élégance et sécurité!
« Le fermoir en bijouterie, 4000 ans d'histoires » est un livre intelligent pour les passionnés de joaillerie qui aborde un sujet certes technique mais avec clarté, dans un texte précis (avec des pointes de poésie) et permet de mieux appréhender le bijou dans toute sa dimension esthétique et pratique".
Le fermoir en bijouterie, 4000 ans d'histoires, Anna Tabakhova, Terracol
LE CHOIX D’ÉMILIE BÉRARD, experte en bijoux anciens et responsable du patrimoine chez Mellerio dits Meller :
"Voici un livre abordant les facettes stylistiques et techniques du joaillier Mellerio au Second Empire. Au fil des chapitres, il permet au lecteur de découvrir la richesse des créations Mellerio : de la tige flexible de 1855 à la plume de paon commandée par l'Impératrice Eugénie. De nombreuses illustrations, du contenu et un format idéal rendent cet ouvrage de référence lisible par tous."
Mellerio, le joaillier du Second Empire, RMN
LE CHOIX DE MARIE CHABROL, rédactrice en chef du gemmologue.com, journaliste et gemmologue :
"Un regard brut sur le commerce des diamants loin de l'image glamour qu'on lui prête souvent. Un livre sans concession ni complaisance, parfois polémique, mais à lire absolument".
Pour retrouver l'entretien entre Marie Chabrol et Jean-Baptiste Mayer, cliquez sur ce lien.
A l'Ombre du diamant, ou les élucubrations d'un diamantaire, Jean-Baptiste Mayer, Mayer Publishing.
LE CHOIX DE FRANCOIS FARGES, Professeur de minéralogie au Muséum national d'histoire naturelle, membre honoraire de l'Institut Universitaire de France :
"Ce livre propose, dans sa partie dédiée à la géologie des gemmes, un résumé des principaux mécanismes de formation de ces superbes minéraux et ce, depuis la formation de la Terre, il y a 4,6 milliards d'années".
Van Cleef & Arpels : the art & science of gems, Alvin Pang et Berenice Geoffroy-Schneiter, Editions Xavier Barral
LE CHOIX D'OLIVIER GABET, Directeur du Musée des Arts Décoratifs
"Ce livre est une façon de relire nos collections de façon novatrice. Il se présente non pas de façon chronologique mais thématique. Deux volumes lui succéderont jusqu'à l'automne prochain, l'un sur la Faune et l'autre intitulé La Figure. Le thème de la Flore, abordé par ce premier volume, me paraît être le plus beau sujet. C'est un hommage à la virtuosité, à l'inventivité dans le domaine du bijou.Ce sujet est universel, et l'on peut se laisser émouvoir par la beauté des œuvres même si l'on n'a pas de connaissances en joaillerie. Cette collection est très accessible et bénéficie d'une campagne photographique de premier ordre due à Jean-Marie del Moral. Le texte est dû à l’écrivain Patrick Mauriès et à la conservatrice en chef Évelyne Possémé. Ce livre donnera envie de retrouver tous ces bijoux, présents dans notre musée".
Ce livre est édité par le Musée des Arts Décoratifs avec le soutien de l'Ecole Van Cleef & Arpels.
FLORE. Galerie des bijoux, Patrick Mauriès et Évelyne Possémé, Les Arts Décoratifs
LE CHOIX DE CARINE LOEILLET, journaliste, consultante en joaillerie :
"Une explosion de couleurs et de pierres. Un livre passionnant pour les néophytes comme pour les gemmologues aguerris. Le talent lapidaire de Vladyslav Yavorskyy s’exprime à travers chaque pierre photographiée, toutes plus belles les unes que les autres".
Gemstones, Terra Connoisseur, Vladyslav Yavorskyy
LE CHOIX DE NICOLAS PERSONNE, Historien, auteur de Napoléon III et Eugénie reçoivent à Fontainebleau. L'art de vivre sous le second Empire :
"Après Boucheron, Van Cleef & Arpels et Mellerio, Vincent Meylan nous plonge dans les extraordinaires archives de la maison londonienne Christie's, plaque tournante depuis ses origines des grandes ventes de joyaux d’exception. Ainsi, au hasard des pages de ce beau livre, le lecteur partira à la découverte d'enchères retentissantes liées à des figures réputées pour leur goût des belles pierres : de madame du Barry à l'impératrice Eugénie, de la princesse Lilian de Belgique à la duchesse de Windsor. En compulsant les catalogues, l'auteur est également parti à la recherche des parures rescapées des trésors des monarchies déchues, comme en France ou en Russie, exhumant en cela de nombreuses découvertes inédites".
Christie's the jewellery archives revealed , Vincent Meylan, ACC
LE CHOIX DE THIERRY PRADAT, négociant en gemmes, directeur de Gems-Plus.com :
"Ce "kolossal" livre de l'auteur allemand ne peut pas laisser indifférent, que ce soit par son poids (4,090 kg !), par le nombre impressionnant de ses superbes photos grand format, par la richesse de son contenu textuel puisé aux meilleures sources ou par le sujet lui-même. L'auteur nous entraîne dans le monde fascinant des pierres étoilées. Il nous montre les plus connues que sont le corindon, le quartz, le grenat, le spinelle..., il poursuit avec de nombreuses improbables comme les pyroxènes, l'opale, la rhodonite, la tourmaline..., et il termine avec un étalage "d'étoiles de rêve" dont des gemmes à 12 branches, des étoiles parallèles, des effets trapiche... on ne s'en lasse pas. Ce livre est un must dans toute bibliothèque gemmologique digne de ce nom".
Asterism, gems with a star, Martin P.Steinbach
LE CHOIX D'OLIVIER SEGURA, directeur du Laboratoire Français de Gemmologie
"Vivienne Becker, spécialiste de l’histoire du bijou, retrace dans son dernier ouvrage superbement illustré plusieurs siècles d’un bijou iconique : le collier de perle. A travers les cultures et les usages, des maharadjas aux stars de cinéma, le collier de perle reste un objet de fascination".
Pearl necklace, Vivienne Becker, Assouline
LE CHOIX DE JULIET WEIR-DE LA ROCHEFOUCAULD, auteur de Haute-Joaillerie : Bijoux exceptionnels du XXIème siècle et de Wallace Chan : Dream, Light, Water
"Célèbre pour ses bagues Memento Mori et Vanité, Lydia Courteille combine symboles de la foi et rappels de notre mortalité, incitant à la méditation. Jamais macabres et toujours spirituels, ses bijoux raffinés racontent des légendes venues du monde entier, du désert Danakil aux tribus éloignées de la vallée de l'Omo et du peuple Bontoc des Philippines"
Lydia Courteille, Juliet Weir-de la Rochefoucauld, ACC.
N’hésitez pas à vous inscrire à la newsletter pour recevoir les prochains articles.
Visuel de "une" @Librairie 7L. Crédit photo T. Balaÿ
Librairie 7L
7 rue de Lille. 75007 Paris
Tel. 01 42 92 03 58
Gemmologie ou joaillerie : quels livres pour Noël ?
par Sarah Boidart
En ce mois de décembre, le manque d’inspiration pour les cadeaux des uns et des autres vous guette peut-être. Pas de panique, cette sélection de livres va vous aider à satisfaire tous ceux qui autour de vous souhaitent approfondir leurs connaissances en joaillerie et gemmologie. Au passage, il se peut que vous trouviez le livre que vous rêvez secrètement de vous (faire) offrir...
RUBY AND SAPPHIRE par Richard W. Hughes
Prix : 270€
Un travail méticuleux et très technique écrit par le spécialiste mondial des corindons. Troisième édition d’un livre très prisé par les gemmologues car il aborde tous les sujets : cristallographie, géologie, gisement, taille, imitations, traitements… Les photos sont magnifiques et vous emmènent au cœur des rubis et saphirs notamment dans le chapitre des inclusions.
Idéal pour les gemmologues, et toutes celles et ceux qui veulent percer le mystère des corindons.
BEJEWELLED TREASURES THE AL-THANI COLLECTION par Susan Stronge
Prix : 26€
Une collection extraordinaire de 230 pièces -diamants, gemmes de renom, joyaux spectaculaires et objets précieux mais également des oeuvres et pièces inédites provenant de collections de maharadjahs et d’institutions prestigieuses- que vous pourrez admirer à Paris à partir du 29 mars 2017.
Cet ouvrage relate l'histoire de cette collection et de cinq siècles d’histoire indienne. Il s’agit d’un inventaire passionnant de toutes les pièces présentées avec une description précise des pierres qui composent ces joyaux. Grâce à ce livre, vous pourrez patienter tranquillement jusqu'à l'ouverture de l'exposition "Des grands Moghols aux Maharajas" qui se tiendra au Grand Palais.
Idéal pour les amoureux des splendeurs des Maharajas.
SUR LA PISTE DES PIERRES PRECIEUSES – UN RECIT D’AVENTURES de Patrick Voillot
Prix : 18€
Un roman qui vous fait voyager aux quatre coins de la planète tel un aventurier. Vous suivrez la quête des pierres les plus prisées comme le diamant ou l’émeraude. Patrick Voillot vous révèle aussi les légendes qui entourent ces pierres mythiques comme les célèbres rubis de Birmanie. L’occasion d’en apprendre davantage sur la recherche de ces trésors qui s’exposent dans les vitrines de la Place Vendôme.
Idéal pour tous ceux qui ont une âme d’Indiana Jones et qui veulent connaître l’envers du décor.
FANCY COLOURS DIAMONDS THE PRICING ARCHITECTURE par Eden Rachminov
Prix : 230€
Deuxième volume signé d’un des plus grands experts mondiaux des diamants de couleurs. C’est un livre très technique et précis sur les critères d’évaluation de ces raretés. Vous connaîtrez tous les critères qui permettent de donner un prix à un diamant de couleur. Les illustrations sont de toute beauté et vous tomberez sous le charme de ces diamants. Si le diamant incolore est assez froid, il n’est rien de ceux de couleur qui sont des merveilles de la nature.
Idéal pour les adeptes des ventes aux enchères qui veulent comprendre l’envolée des prix des diamants de couleurs et ceux qui veulent approfondir leurs connaissances.
GEMMES par l’Association Française de Gemmologie
Prix : 40€
Publié à l’origine par L’Association Française de Gemmologie en 1965 avec la revue, cet ouvrage est une référence pour tous les gemmologues. Il s’agit de la troisième édition qui présente dorénavant les caractéristiques de 185 gemmes. La particularité réside dans les confusions présentées pour chaque gemme. Vous pouvez le compléter de vos notes et photos grâce aux pages blanches.
Idéal pour les étudiants en gemmologie, les gemmologues et les professionnels de la joaillerie.
TANZANITE : BORN FROM LIGHTNING par Didier Brodbeck et Hayley Henning
Prix : 80€
Un ouvrage entièrement consacré à cette gemme qui fascine les hommes depuis sa découverte en 1967. Vous connaîtrez l’histoire, l’origine du nom et les réponses aux 21 questions les plus fréquemment posées. L’occasion d’embarquer pour un tour du monde de la joaillerie présentant les bijoux les plus emblématiques sertis de tanzanite : des bagues, des broches, des boucles d’oreilles, des colliers et même une pendule, qui rivalisent de créativité.
Idéal pour les adultes ayant gardé une âme d’enfant et s’émerveillant du savoir-faire de tous ces joailliers et aussi celles et ceux qui veulent tout savoir sur la tanzanite.
101 MINERAUX ET PIERRES PRECIEUSES QU’IL FAUT AVOIR VUS DANS SA VIE de Jean-Claude Bouillard
Prix : 22€
Très richement illustré, chaque minéral ou gemme est présenté en double page : une page de texte avec la description et l'explication scientifique et en vis-à-vis ou une plusieurs magnifiques photographies parfois sous trois formes - brute, taillée et sertie dans un bijou. Ce livre vous révèle les richesses du sous-sol en vous présentant les pierres les plus emblématiques (or, diamant, rubis, argent..) aux plus méconnues (proustite, hematite, azurite, aragonite...) accompagnées de leurs anecdotes. Un chapitre est dédié aux curiosités minéralogiques.
Idéal pour ceux qui s’initient à la gemmologie et qui voudraient commencer ou continuer une collection minéralogique.
La Librairie Galignani présente aussi une très belle sélection de livres sur la joaillerie.
***
N'hésitez pas à vous inscrire à la newsletter pour recevoir les prochains articles.
Mes remerciements à Pia Dandiguian pour le visuel de "une" @librairie Galignani