italienne
Bijoux italiens du XXème siècle : une rétrospective milanaise
Par Marie-Laure Cassius-Duranton et Gislain Aucremanne
L’historienne du bijou Melissa Gabardi présente en ce moment à Milan au musée Poldi Pezzoli une exposition sur l’histoire du bijou italien au XXe siècle. Elle vient justement de publier un ouvrage sur ce sujet, intitulé Il Gioiello italiano del XX secolo (traduction anglaise : Italian Jewelry in the XXth century). Spécialiste reconnue de la joaillerie et de l’orfèvrerie françaises du XXe siècle, notamment de Jean Després, Melissa Gabardi met en évidence avec beaucoup de pertinence l’identité propre du bijou italien et nous fait découvrir les joailliers italiens les plus féconds et les plus remarquables du XXe siècle. Comme dans d’autres domaines de la création italienne, nous sommes frappés par la qualité du design et de la fabrication qui font toujours le succès de certains grands noms de la joaillerie actuelle, comme Pomellato et Vhernier, nés dans les années 1970.
Une scénographie simple et didactique invite le visiteur à suivre un parcours chronologique, où se déroule sous ses yeux l’histoire du bijou italien au XXe siècle. Chaque vitrine incarne un goût ou une époque, marquée par une sélection de pièces emblématiques des courants artistiques et de personnalités du monde de la joaillerie. Melissa Gabardi n’insiste pas sur l’histoire de Maisons joaillières déjà bien connues et documentées, comme Bulgari ou Buccellati. Elle réussit avec brio à mettre en lumière les créations de joailliers moins connus, mais qui se sont distingués par leur originalité. C'est une manière de leur rendre hommage.
De 1900 à 1920 environ, les grands noms de la joaillerie italienne classique sont Musy (Turin), Chiappe (Gênes), Cusi (Milan) et Petochi (Rome), pour certains joailliers de la Couronne. Leurs bijoux correspondent à la demande de l’aristocratie italienne qui partagent ce goût européen pour le bijou de représentation, lequel n’a pas beaucoup évolué depuis les années 1880.
Ces maisons suivent les modes, notamment la tendance Art Déco, fortement inspiré par la France. Le milanais Alfredo Ravasco s’est particulièrement distingué dans l’expression de ce style lors de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes, qui s’est tenue à Paris, en 1925.
Parallèlement à ces courants et en réponse à une clientèle ayant d’autres attentes artistiques, certains joailliers vont développer une identité plus intemporelle, comme le milanais Mario Buccellati. A partir de 1919, celui-ci jette les bases d’un style immédiatement reconnaissable qui fait toujours le succès de la Maison aujourd’hui. Ce style d’un raffinement remarquable se fonde sur la spécificité du travail du métal qui imite la dentelle. Ses clients sontd'abord des gens de culture, des artistes et des écrivains prestigieux, comme Gabriele d’Annunzio.
Dans un autre goût, les références à l’Antiquité et à la Renaissance, racines de la culture italienne, caractérisent les Vénitiens Codognato et Nardi. Dès les années 1940, ils créent leurs premières broches « Moretto » emblématiques. Leurs bijoux seront portés par les personnalités les plus en vue du monde de la mode et du cinéma du XXe siècle.
En marge des styles dominants, certains créateurs imaginent des bijoux figuratifs ou abstraits qui associent inspiration artistique et portabilité. C’est le cas de la turinoise Orisa et de la milanaise Margherita dans les années 1940, mais aussi du florentin Enrico Serafini. Ce dernier retient particulièrement notre attention pour son interprétation à la fois surréaliste et poétique de la traditionnelle bague « mani in fede », choisie par Melissa Gabardi en image en couverture pour son livre et comme affiche de l’exposition.
Cette tendance se prolonge dans les années 1950 avec les frères sculpteurs Arnaldo et Gio Pomodoro et l’orfèvre Masenza,
puis au cours des années 1960 avec James Rivière.
Chaque décennie est décryptée grâce à des figures majeures, comme Gio Caroli pour les années 1970 ou encore l’Ecole de Padoue dans les années 1980.
Du point de vue des gemmes et des techniques, l’identité italienne s’exprime dans l’emploi des monnaies anciennes, des camées et des intailles.
On retrouve cette même identité dans le goût pour le corail
et enfin dans le retour en force des techniques d’émaillerie. Notons, dans les années 1960, Frascarolo et Cazzaniga (Rome), créateurs d’un style nouveau à la fois précieux et décontracté.
Mélissa Gabardi ne s'attarde pas sur Bulgari, mais elle rappelle que la Maison est une référence incontournable. A partir des années 1960, Bulgari crée, avec l’aide d’autres ateliers, des bijoux au style reconnaissable. Le cas le plus fameux est celui d’Illario pour le bracelet-montre serpent émaillé. Les stars du cinéma sont les premières ambassadrices de la Maison et participent au rayonnement international de cette joaillerie italienne.
Il s’agit d’une superbe exposition, autour d’un thème peu étudié et rarement abordé dans son ensemble. L’histoire de l’Italie se lit à travers l’évolution d'une identité joaillière singulière que ce parcours nous propose de découvrir. La grande place accordée aux collectionneurs privés, qui ont accepté de prêter la majeure partie des pièces exposées, montre l’importance de ce sujet que le Musée Poldi Pezzoli nous invite à voir et à revoir avec bonheur, à Milan, jusqu’au 20 mars 2017 !
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Marie-Laure Cassius-Duranton est gemmologue, historienne d'art et professeur à L'École des Arts Joailliers ainsi qu'au Laboratoire Français de Gemmologie.
Gislain Aucremanne est historien d'art, spécialisé dans le bijou ancien, et professeur à L'École des Arts Joailliers.
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Ringraziamenti a Silvia Gualano e Ilaria Toniolo.
Museo Poldi Pezzoli
Via Manzoni 12 - 20121 Milano
Bracelet en "une" de Cazzaniga. Rome, 1960. Collection privée.
Buccellati : l'étoffe des bijoux
Art de la joaillerie et art des étoffes dialoguent depuis des siècles. Que l'étoffe soit faite pour le quotidien ou pour les grands moments de l'existence, le bijou en sera toujours le complément indispensable. De même, il n'est pas de bijou dont la beauté ne soit relevée par la qualité, la couleur, la texture d'une étoffe.
Mais ce dialogue va plus loin. La technique joaillière et la technique textile présentent des points communs parfois méconnus. Le détail du geste, la précision du motif, la sublimation de la matière sont des traits partagés. Cette proximité plonge ses racines dans l'histoire : les grandes cités joaillières, notamment d'orfèvrerie, furent toujours aussi de grandes cités textiles - qu'on songe à Anvers, Florence, Venise, Milan... ou Paris.
Pour ce premier article de l'année, j'ai confié à deux artistes le soin de mettre en valeur ce dialogue entre bijoux et étoffes. Pour cela, j'ai retenu les bijoux de la maison Buccellati. Pourquoi ? Parce que le savoir-faire Buccellati est ancré dans la grande tradition italienne issue des Romains et magnifiée à la Renaissance : les techniques de la maison Buccellati ont perpétué une proximité avec l'art textile issue de cette longue tradition. La beauté des créations Buccellati peut ainsi s'apparier aux créations des grandes maisons de tissu.
Sarah Prier, styliste et designer, a accepté de choisir les étoffes correspondant le mieux aux bijoux choisis. Olivier Braive a prêté son œil et son talent de photographe pour rendre sensible ce dialogue des matières et des formes.
Orfèvrerie : trois techniques caractéristiques de Buccellati
Une fois n'est pas coutume, les pierres précieuses ne seront pas le sujet central de cet article. En effet, ce qui retient surtout l'attention dans les bijoux Buccellati, c'est leur lien étroit avec la tradition de l'orfèvrerie italienne.
Ils perpétuent l’habileté technique des artisans romains du Ier siècle avant Jésus-Christ jusqu'au premier siècle après Jésus-Christ, dont le savoir-faire impressionnant a par exemple été révélé par les pièces retrouvées à Boscoreale, près de Pompéi, et dont la maison Buccellati a édité de très belles copies. Ils réinterprètent aussi les concepts artistiques et techniques de la Renaissance italienne. Ces techniques d'orfèvrerie présentent une grande proximité avec les techniques textiles, au point d'emprunter à l'art des tissus leur dénomination. Voici trois de ces techniques caractéristiques.
La technique dite de "rigato" ("striée") consiste en une multitude de fines lignes parallèles, qui sont gravées au burin sur la surface du métal par un maître-orfèvre. L’or ainsi travaillé capte et renvoie la lumière. Cette technique, réinventé il y a quarante ans par Gianmaria Buccellati, confère au bijou un aspect très proche de celui de la soie. On parle même d'un bijou "soyeux".
A cette technique s'ajoute celle dite de l' "ornato" ("ornée") qui consiste à réaliser des ornementations à la surface de l'or. Ici des diamants, sertis dans de petites rosaces.
Une autre technique est définie par Buccellati comme le "style florentin" (Stile fiorentino). Le dessin, inspiré d'un motif naturel de la Renaissance, est obtenu par un minutieux travail d'ajourage et de gravure. cette prouesse artisanale mélange or blanc et or jaune, qui sont gravés et sertis, pour styliser au maximum le motif naturel jusqu'à en faire un motif géométrique. Cette technique n'est pas sans rappeler l'art de la dentelle.
Enfin, il est une technique d’exécution typique de la maison Buccellati : la ligne "Tulle", référence explicite à la dentellerie.
Pour réaliser ces "nids d'abeilles", les artisans percent à la main de fines feuilles d’or sur lesquelles le motif de dentelle est ensuite tracé. Puis, avec patience et dextérité, ils percent à nouveau jusqu'à obtenir le plus petit et le plus délicat des motifs. Ce travail minutieux demande beaucoup de temps, ce qui explique sa rareté, son prestige... et son prix.
Bijoux et étoffes : regards croisés
La rencontre de l'art du bijou et de l'art de l'étoffe n'est pas seulement technique. Elle est visuelle et tactile. Je remercie vivement Sarah Prier et Olivier Braive d'avoir donné corps et couleurs à ce dialogue.
Bague "Tulle Broccato" en or blanc et diamants.
Tissu Rubelli Venezia
Matisse Calce" - 69116-01
Bague "Eternelle Rombi" deux ors et diamants
Tissu S&W brodé "Onagre"
Broderie entièrement réalisée à la main, fil de coton et fil d’or
Bracelet manchette "Macri" en or rose avec chatons en or blanc sertis de diamants.
Tissu S&W brodé "Héliante"
Broderie entièrement réalisée à la main, fil de coton.
Boucles d'oreilles pendantes collection "Macri" en or jaune avec chatons en or blanc sertis de diamants
Tissu Rubelli Venezia , "Ermengarda Stagno" - 30025-01
Bague "Eternelle Macri" en or blanc et jaune avec chatons en or blanc sertis de diamants
Tissu S&W brodé "Viola"
Broderie entièrement réalisée à la main, fil de coton et cannetille d’or
Boucles d'oreilles pendantes en or jaune et en or blanc serties de diamants
Tissu Rubelli Venezia, "Effie Gray" - 30133-03
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Sarah Prier
Designer textile et styliste
Fondatrice et créatrice de la maison S&W, Sarah Prier a travaillé pendant une dizaine d’années après sa sortie de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris : d’abord pour le Bureau de style Peclers puis pour les maisons Descamps et Bouchara. De la recherche au dessin et à la création textile, des décorations pour des salons aux cahiers de tendance, du style au suivi de production, Sarah Prier a acquis une solide expérience avant de lancer sa propre marque, qui relève de plein droit de l’artisanat de luxe. Ce n’est pas par hasard que Sarah Prier associe volontiers son travail à celui d’un orfèvre : elle veut que ses créations soient pérennes, uniques – et bien sûr signées… au fil d’or
Olivier Braive
Photographe
Diplômé de l'école EFET en 2000, Olivier Braive est un photographe cherchant dans tous ses sujets le "supplément d'âme". Son travail personnel le mène dans les quartiers de Paris à la recherche de la photographie saisissant des instants de vie autant que des lieux. Spécialisé dans la photographie de joaillerie, il apporte aux bijoux qu'il capte une présence évocatrice.
Buccellati Boutique
1, Rue de la Paix, 75002 Paris.
téléphone lecteur : 01 42 60 12 12
www.buccellati.com
Bisson Bruneel
Contemporary living
21, Place des Vosges. 75003 Paris
www.bisson-bruneel.com
Rubelli
11/13 rue de l'Abbaye. 75006 Paris
www.rubelli.com
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Mes remerciements à Tamara Vatelot, Laure Bégué et Nathalie Martineau.
Stylisme tissus et photos @ Sarah Prier
Crédits photos @Olivier Braive
Visuel en "une" : Bague "Eternelle Macri" en or blanc et jaune avec chatons en or blanc sertis de diamants.
Tissu Bisson Bruneel, Wind 00/98.
Pour qui sont ces serpents ? Bulgari s'expose à Rome
Le Palais Braschi, musée de la ville de Rome, sert de décor - pour quelques jours encore - à l'exposition "Serpenti form" organisée par la maison Bulgari qui présente diverses créations artistiques inspirées par le serpent.
"Serpenti form" s'articule autour de trois axes : l'art, la joaillerie et le design. Je présenterai ici les pièces joaillières, mais l'éclectisme de cette exposition montre combien le serpent a inspiré les artistes, en particulier des artistes contemporains de style et d'expression très différents tels que Keith Haring, Niki de Saint-Phalle, Alexander, Calder, Paul Klee, mais aussi des photographes illustres: Robert Mapplethorpe et Helmut Newton. Une salle consacrée aux costumes portés par Elizabeth Taylor pour le film Cléopâtre (1963) souligne le lien entre le serpent, la puissance et la séduction.
De tous les animaux, le serpent est sans doute celui dont la symbolique est la plus riche et la plus complexe : symbole chtonien (de la terre), lunaire, de connaissance, de sagesse, du mal, de fertilité, de renaissance, d'immortalité, symbole funéraire, sexuel, serpent guérisseur et du caducée... Ces symboles s'entremêlent depuis des siècles avec l'histoire de l'humanité, saisissant l'imaginaire aussi bien en Orient qu'en Occident.
Le serpent est aussi une figure récurrente dans l'orfèvrerie depuis l'Antiquité que ce soit pour son rôle apotropaïque ou pour sa dimension esthétique, C'est cette double dimension qui est présentée au Palazzo Braschi.
L'exposition s'ouvre avec des bijoux anciens provenant de Pompéi, prêtés par le Musée archéologique de Naples.
Dans l'Antiquité grecque et romaine, les maisons avaient un génie protecteur souvent figuré sous forme d'un serpent comme en témoignent encore de nombreuses fresques et mosaïques à Pompéi, Herculanum,Ostie... En ce qui concerne les bijoux en forme de serpent, comme les bracelets ci-dessous dits "armilla serpentiforme", on leur prêtait des vertus prophylactiques : ils préservaient la santé de leurs propriétaires et conjuraient le mauvais sort. Ils possédaient aussi une dimension décorative certaine : on sait que ce motif était très à la mode dans la Rome impériale du Ier siècle après J-C.
Bulgari, dont le serpent est devenu une des signatures et rappelle les origines gréco-romaines de la maison, présente une partie de sa collection "héritage" composée d'une quarantaine de bijoux contemporains
Les premières montres-bracelets en forme de serpent datent de la fin des années quarante et sont étroitement liées à l'utilisation du "tubogas" : prouesse technique qui évoque les tuyaux de raccordement au gaz de ville dans les années vingt et qui consiste en des anneaux flexibles entrelacés sans soudure. Le serpent est très stylisé dans les premiers modèles de montre, la tête est formée par le cadran et le boîtier, le corps par le double enroulement du tubogas.
Apparaissent ensuite différentes versions du design de la boîte, du cadran et du bracelet. Sur ce second modèle, le corps est réalisé en mailles d'or et la tête en diamants du serpent dissimule le boîtier de la montre.
Au cours des années soixante les interprétations du serpent se firent plus réalistes avec notamment l'apparition des écailles sur le corps du reptile. Les premiers exemplaires furent exclusivement réalisés en or jaune avec la tête et la queue sertis de diamants.
Elizabeth Taylor possédait cette montre-bracelet serpent d'esprit naturaliste réalisée en 1961 et la portait sur le plateau de tournage de Cléopâtre. Sa double passion pour l'acteur Richard Burton (rencontré sur ce tournage) et pour les bijoux Bulgari est née à ce moment-là.
Les mouvements de ces montres de haute-joaillerie étaient toujours de grande qualité et réalisés par les horlogers suisses (le boîtier de la montre de Liz est signé Jaeger-Lecoultre).
Le corps de l'animal se para aussi de pierres précieuses et de pierres fines
Ou bien encore d'émaux polychromes :
Le motif du serpent continue de nourrir les créations de la maison Bulgari, comme en témoigne la collection 2016 présentée sur le site internet de la maison. L'exposition du Palazzo Braschi confirme que le serpent reste un motif éminemment graphique adaptable à toutes sortes de modèles, et porte encore en lui en ce début de XXIème siècle la dose de mystère vénéneux qu'on lui prêtait déjà il y a deux mille ans.
Bulgari
Via dei Condotti, 10. (magasin historique ouvert en 1905)
wwwbulgari.com
Museo di Roma Palazzo Braschi (un des plus beaux exemples de style néo-classique à Rome, construit au XVIIIème siècle par l'architecte Cosimo Morelli pour le Pape Pie VI qui voulait en faire cadeau à son petit-fils Luigi Braschi. L'escalier date de 1802 et a été réalisé par l'architecte Giuseppe Valadier)
Piazza Navona, 2.
www.museodiroma.it
Les symboles, Philippe Seringe, Helios
La collection de bijoux d'Elizabeth Taylor, mise en vente le 11 septembre 2015 chez Christie's
A noter que le 18 mai 2016, Christie's mettra en vente à Genève, deux montres-bracelets "serpenti" vintage de Bulgari. Geneva Magnificent Jewels
Je remercie Carlotta Sapia pour les visuels des bijoux Bulgari appartenant au "Brand heritage department" ainsi que Giusi Alessio, Responsable du bureau de presse Zètema, pour les autres visuels de l'exposition.