Egypte antique
Toutankhamon, le trésor du pharaon. Des roches spécifiques à la statuaire et au mobilier royal
L'Egypte ancienne abondait en métaux et en gemmes, mais aussi en roches. Les artefacts provenant du "Trésor de Toutankhamon" prouvent à qui les contemple combien les Egyptiens surent exploiter les richesses de leur monde minéral. La XVIIIème dynastie, dont Toutankhamon fut l'un des derniers représentants, appartient incontestablement à l'âge d'or des arts et de l'architecture de l'Egypte antique. L'emploi de matériaux "d'éternité" n'y fut jamais aléatoire et ne releva en aucun cas, selon les mots de Sydney Aufrère, d' "un acte gratuit". Le choix des métaux précieux et des gemmes sacrées, ainsi que la sélection des pierres de construction pour bâtir les pyramides, les temples, sculpter la statuaire, voire pour créer des objets d'apparat ou funéraires, relèvent d'une pensée profondément structurée par la religion et l'ordre cosmique. Il s'agissait de rapprocher souverains et divinités, et de laisser trace d'un règne, afin que le nom d'un pharaon ne soit jamais oublié et puisse résonner dans les siècles futurs. Les roches les plus recherchées étaient ainsi employées à élever des temples ou "châteaux de millions d'années".
Les roches caractéristiques de l'Egypte pharaonique étaient le granit rouge, le quartzite, l'albâtre, le grès, la pierre de Bekhen, le grauwacke, l'amphibolite. Les Egyptiens du Nouvel Empire attribuaient à certaines roches plus de prestige qu'à d'autres. Sans se soucier de la proximité des sites géographiques d'extraction, ce sont les qualités intrinsèques des roches qui entraient en jeu : couleur, dureté, translucidité.
Trois roches en particulier, présentes dans la statuaire de Toutankhamon telle que nous la découvrons à la Grande Halle de La Villette, étaient fort appréciées pour figurer rois et divinités : la diorite (noir), l'albâtre calcaire (blanc) et le quartzite (rouge-orangé). La statuaire était pour le pharaon un moyen de manifester sa dévotion à l'égard des divinités. Parfois le pharaon, à l'égal des dieux, devenait lui-même l'objet de la prière, du culte, parfois enfin, la statuaire dans son emploi funéraire jouait le rôle de gardien du temple, de protecteur dans le voyage du défunt vers l'au-delà. Ce sont toutes ces expressions figuratives que l'on découvre d'ailleurs tout au long du parcours de l'exposition.
Diorite, quartzite, albâtre, trois roches emblématiques de cette statuaire pharaonique, se retrouvent également sous forme d'objets d'art précieux. Ceux provenant de la tombe KV62 constituent d'extraordinaires témoignages directs du règne de Toutankhamon. De la matière à l'oeuvre, c'est tout l'esprit des anciens bâtisseurs de cette Egypte qui renaît sous nos yeux.
La diorite, cette roche noire symbole d'une terre fertile
Le musée du Louvre s’associe à l’exposition « Toutankhamon, le trésor du Pharaon » en prêtant l’un des chefs-d’œuvre du département des Antiquités égyptiennes : la statue du dieu Amon protégeant Toutankhamon. Une oeuvre haute de plus de deux mètres, réalisée en diorite, qui ouvre la première salle de l'exposition parisienne.
Qu'est-ce que la diorite ?
C'est une roche plutonique opaque, finement grenue, dense et très cohérente, composée en proportions variables de feldspaths plagioclases (bytownite et andésine) et d'amphiboles (surtout de la hornblende) et d'un peu de mica biotite explique Erik Gonthier. Extraite en Nubie, sa couleur varie en fonction de sa composition chimique. Souvent gris foncé, les Egyptiens l'associaient symboliquement à la couleur noire.
Quelle symbolique pour la couleur noire ?
Sa couleur symbolisait la terre noire, les limons fertiles que répandaient les crues du Nil au moment des "vaches grasses".
Les statues de Toutankhamon, qu’elles proviennent de Thèbes (Louxor) ou d’ailleurs, sont très rares. Pourquoi ?
A l’instar de toute la famille amarnienne, la mémoire de Toutankhamon fut condamnée par ses successeurs en raison de sa filiation avec Amenhotep IV-Akhénaton. Ce dernier était considéré comme hérétique. Il avait rompu avec les cultes polythéistes traditionnels et abandonné la ville de Thèbes, berceau des pharaons de la XVIIIème dynastie, pour instaurer le culte unique du dieu soleil (Athon) à Akhetaton (aujourd'hui Tell el-Amarna). Cette première tentative de monothéisme avait rapidement été abolie, peu avant le couronnement de Toutankhaton, dès lors devenu Toutankhamon. Cette statue du dieu Amon protégeant Toutankhamon témoigne de cette restauration des anciens cultes, dont celui rendu au dieu Amon. Pour autant, les successeurs de Toutankhamon éradiqueront son culte en faisant marteler toutes ses représentations et toutes les mentions de son nom après sa mort.
Quels éléments permettent d'identifier Toutankhamon sur cette statue ?
Toutankhamon est représenté au premier plan revêtu d'un costume de prêtre : pagne empesé à large ceinture et pardalide (peau de léopard) sur l’épaule gauche. Son identité est formellement attestée puisque deux minuscules cartouches gravés à son nom sont restés intacts sur le côté droit du pagne royal. L'ouvrier, chargé de détruire les signes de reconnaissance du pharaon, était-il analphabète ? C'est ce que supposent maints éminents spécialistes !
Derrière Toutankhamon, le dieu Amon est représenté assis, paré de ses attributs traditionnels. Il porte la barbe divine, un pagne plissé, un corselet et la couronne surmontée de hautes plumes. Il arbore des bijoux gravés avec grande finesse et précision : collier, armilles (bracelets de biceps) et bracelets. Son visage, en raison de la convention égyptienne selon laquelle le pharaon est l’émanation terrestre du pouvoir divin, a les traits de Toutankhamon.
Vincent Rondot, directeur du département des Antiquités Egyptiennes du Louvre, explique que cette statue est emblématique de l’idée que l’on se fait de la beauté « à l’égyptienne » : "ce visage doux et enfantin, presque féminin, est tout autant ce que nous voudrions reconnaître comme un portrait du roi que la caractéristique générale du style donné aux visages de cette époque. Les yeux en amande, le menton légèrement projeté en avant et la bouche charnue correspondent à l'iconographie des traits du visage de Toutankhamon tels qu’on les connaît par ailleurs".
L'albâtre, symbole de pureté
Qu'est-ce que l'albâtre égyptien ?
Selon Erik Gonthier, l'albâtre égyptien ou marbre-onyx est une roche tendre qui fut utilisée à toutes les époques de l’Antiquité égyptienne.
Il s'agit d'un produit minéralisé extrait de fissures du calcaire nummulitique du Djebel Mokkatam près du Caire à Beni Suef et à Hat-Noub situé à environ dix-huit kilomètres au sud-est de Tell el-Amarna. Ce sont Howard Carter et Percy Newberry qui en 1891 redécouvrirent ces carrières, où des fouilles archéologiques ont encore lieu.
D'origine sédimentaire, l'extraction de ce matériau, sous forme massive, se fait en surface du sol. De faible dureté, il présente des teintes variant du blanc crème ou jaune pâle au jaune-orangé (présence plus ou moins importante d'argiles). Il offre le plus souvent un aspect rubané avec une alternance "plus ou moins ondulante et irrégulière de bandes blanches et jaunes, parfois festonnées" (T. de Putter, C.Karlshausen). Plus l'albâtre est homogène, translucide et blanc, précise Erik Gonthier, plus il est recherché et incontournable au sein du mobilier funéraire du roi, principalement dans les vases canopes.
Le commissariat scientifique de l'exposition a opté pour le terme plus générique de "calcite" au lieu d'albâtre égyptien.
Que symbolisait la couleur blanche pour les anciens Egyptiens ?
La blancheur de l'albâtre symbolisait la pureté et la lumière.
Le travail de l'albâtre est magistralement illustré par plusieurs pièces de mobilier et par de rares objets funéraires
Un ensemble d'une cinquantaine d'objets en albâtre égyptien figurait dans l'hypogée de Toutankhamon : lampes, boîtes ou coffres, coupes à boire, vases, pots à parfums et à onguents dont celui merveilleux représentant le dieu Bès, un dieu bienveillant à la tête de lion qui tire une langue d'ivoire teinte en rouge..
Souvent peints d'ornements à motifs floraux ou géométriques, la plupart servaient à contenir des huiles précieuses et des onguents parfumés.
Parmi les objets sculptés en albâtre figurent également cette barque aux têtes d'ibex et ce magnifique vase translucide qualifié de "coupe des souhaits" ou "coupe d'immortalité". Tous deux sont exposées à la Grande Halle de la Villette.
Ce vase fut le premier objet aperçu par Howard Carter lorsque ce dernier s’introduisit dans l'antichambre du tombeau.
La coupe d'immortalité est à mon sens l'un des plus beaux objets de l'exposition : elle allie une esthétique supérieurement raffinée à une émouvante symbolique d'éternité. Cette coupe est en forme de fleur de lotus ouverte qui se referme progressivement pour devenir bouton. De chaque côté est représentée la figure du dieu de l'infini "Heh" tenant dans ses mains une branche de palmier ornée du signe de la vie éternelle : la croix "Ankh".
Sur le devant de la coupe est inscrit en caractères hiéroglyphiques ce court texte : " Puisse ton ka vivre éternellement; puisses-tu, toi qui aimes Thèbes, vivre des millions d'années, le visage tourné vers le vent du nord et puissent tes yeux contempler le bonheur".
C'est ce même voeu qu'Howard Carter (1874-1939) choisit pour épitaphe : "May your spirit live, May you spend millions of years, You who love Thebes, Sitting with your face to the north wind, Your eyes beholding happiness".
Le quartzite, une roche à caractère solaire
Le Musée du Caire prête pour l'exposition de la Grande Halle de la Villette un remarquable colosse de près de trois mètres en quartzite monolithe, sur lequel demeurent encore quelques reliquats des vives peintures qui le recouvraient voici plus de trois millénaires. Cette statue, ainsi que celle en diorite prêtée par le musée du Louvre sont les deux uniques pièces de l’exposition qui n'appartiennent pas au tombeau de Toutankhamon.
Dénommée "Statue colossale de Toutankhamon usurpée par Horemheb", cette oeuvre se veut objet de prière et de culte du pharaon défunt. Elle clôt magistralement l'exposition.
Qu'est-ce que le quartzite ?
Le quartzite égyptien précise Erik Gonthier est une roche ornementale massive qui contient près de 90% de quartz (oxyde de silicium). Cette roche siliceuse varie du blanc au gris clair, du rosé-orangé au rouge selon ses impuretés - ici des oxydes de fer. D'opaque à translucide, cet orthoquartzite est issu de la cimentation par diagenèse d'un grès.
Où se trouvaient les carrières de quartzite ?
Le quartzite, extrait à l'intérieur même des frontières de l'Egypte, provenait principalement des carrières d'Assouan et de celles du Gebel el-Ahmar.
Quelle symbolique pour cette roche ?
Ce sont les teintes rosé et rouge qui en ont fait une roche emblématique, associée symboliquement au rougeoiement du soleil, notamment à l'époque amarnienne durant laquelle il fut très employé, aussi bien dans la statuaire que pour des monuments royaux.
Il est une autre oeuvre majeure réalisée en quartzite rose : le sarcophage de Toutankhamon :
Nouvellement restauré, il contenait les trois sarcophages d'or et la momie du jeune pharaon. Resté à son emplacement d'origine au coeur de la tombe de Toutankhamon dans la Vallée des Rois, il est protégé à ses quatre angles de déesses ailées et couvert d'inscriptions pieuses hiéroglyphiques.
Sources et informations diverses
Mise à jour - 1er octobre 2022 : Fort du succès de l'exposition de 2019, "Toutânkhamon, le trésor du pharaon", la Grande Halle de La Villette s'apprête à présenter « Ramsès et l’or des pharaons ». Cette exposition se tiendra du 6 avril au 24 septembre 2023. A suivre !
Toutânkhamon, le trésor du pharaon, à la Grande Halle de la Villette
Exposition du 23 mars au 15 septembre 2019
211 avenue Jean Jaurès. 75019 Paris
Tous les jours de 10h à 20h. Dernière séance à 18h30
Billets en vente : www.expo-toutankhamon.fr
Pour feuilleter le livre de l'exposition, cliquez sur ce lien
A voir également :
L'année 2019 marque le trentième anniversaire de la Pyramide imaginée par Ieoh Ming Pei. Divers événements sont organisés pour fêter cet anniversaire.
Moi, Taharqa, Pharaon des Deux Terres, au musée du Louvre
Automne 2020 : Cette exposition majeure dévoilera un pan de l’histoire de la vallée du Nil et de la Méditerranée, selon un parti pris à la fois historique et archéologique.
Le département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre est le plus ancien musée d’antiquités égyptiennes au monde avec le Museo Egizio de Turin. A travers les milliers d'oeuvres présentées sont illustrés l’art, les croyances et la vie quotidienne dans la vallée du Nil depuis la fin de la Préhistoire jusqu’à la conquête arabe. Le parcours dans les salles pharaoniques se répartit en deux niveaux : une présentation thématique et de civilisation occupe le rez-de-chaussée, tandis qu’une approche chronologique, historique et d'histoire de l’art est proposée au premier étage.
Pendant la durée de l'exposition Toutankhamon, le musée du Louvre organise dans ses salles d’exposition permanente un parcours intitulé "Vallée des rois"
Museo Egizio
Via Accademia delle Scienze 6. 10123 Torino
+39 011 5617776
info@museoegizio.it
Si vous avez manqué : Servir les dieux d’Egypte, au musée de Grenoble cet hiver, cliquez sur ce lien pour un aperçu.
L'exposition proposait une immersion archéologique dans la puissante ville de Thèbes en valorisant le fonds grenoblois, complété pour l’occasion par près de 200 œuvres du Louvre.
A lire :
Cornaline et pierres précieuses. La Méditerranée, de l'Antiquité à l'Islam. Louvre, conférences et colloques, 1995, La documentation française.
L'univers minéral dans la pensée égyptienne. L'intégration des minéraux, des métaux, et des trésors dans la marche de l'univers et dans la vie divine. Sydney Aufrère. Institut français d'Archéologie orientale du Caire. 1991.
Les pierres utilisées dans la sculpture et l'architecture de l'Egypte pharaonique. Guide pratique illustré. Christina Karlshausen et Thierry De Putter. Connaissance de l'Egypte ancienne 1992.
Dans l'intimité de Toutankhamon. Ce que révèlent les objets de son trésor. Florence Quentin. First éditions. 2919.
Beaux Arts Hors-série. Toutankhamon, révélations sur les mystères du pharaon. Mars 2019
A consulter absolument :
Les archives complètes des fouilles sur dix ans ont été déposées au Griffith Institute peu de temps après le décès de Howard Carter par sa nièce, Phyllis Walker. Ce site est mon préféré pour revivre les fouilles de Howard Carter avec les exceptionnelles photographies de Harry Burton.
Pour un voyage virtuel :
Secrets d'Histoire - Ramsès II, Toutankhamon, l'Egypte des pharaons. France 2. Replay
La révélation des pyramides
EKWANIM Productions Réalisation Patrice Pooyard. Avec la participation d'Erik Gonthier.
BAM- Bâtisseurs de l'Ancien monde
Jayan Production. Avec la participation d'Erik Gonthier
***
Tous mes remerciements à Erik Gonthier.
***
Si vous souhaitez recevoir la prochaine newsletter de Property of a lady, n'hésitez pas à vous inscrire sur ce lien. Merci!
Toutankhamon, le Trésor du pharaon. Les gemmes sacrées.
Les gemmes sont une clef indispensable pour aborder le mode de pensée des anciens Egyptiens et tenter de comprendre leur art.
Dans son ouvrage de référence L'univers minéral dans la pensée égyptienne, l'égyptologue Sydney Aufrère soulignait le fait que certaines gemmes symbolisent à la fois les divinités, les éléments du cosmos et les cycles de la vie terrestre.
L'exposition parisienne ne consacre pas de section particulière aux bijoux de Toutankhamon. Nous les découvrons disséminés au long du parcours de visite, et plus spécifiquement dans les salles consacrées aux gardiens et à la renaissance. Une douzaine de colliers, pendentifs et pectoraux -avec ou sans chaînes-, quatre bracelets, six bagues (toute or, calcédoine blanche, calcédoine verte, lapis-lazuli, uraeus), trois boucles d'oreilles individuelles (et non en paire) et nombre d'amulettes en matériaux précieux forment un ensemble joaillier tout à fait significatif des arts joailliers sous le Nouvel Empire. L'état de conservation des pièces est étonnant et nous serions tenté d'écrire que ces bijoux sont d'une extraordinaire modernité, n'eussent été les trois millénaires qui nous séparent de ces ouvrages d'orfèvrerie.
Trois pierres principalement étaient empreintes d'une dimension sacrée aux yeux des contemporains de Toutankhamon : le lapis-lazuli, la turquoise et la cornaline, soit les couleurs bleu, vert et rouge. Ces pierres portées en bijoux ou en amulettes étaient dotées de pouvoirs magiques, de vertus prophylactiques ou apotropaïques, et leur usage dans l'art funéraire participait pleinement à la renaissance du défunt.
L'exposition en cours est l'occasion d'évoquer le rôle majeur de ces trois pierres dans la cosmogonie pharaonique, car elles sont le plus souvent associées dans les bijoux du pharaon, et leurs symboliques se superposent de façon complexe.
Les bijoux, ornements et autres amulettes que portaient le pharaon de son vivant indiquaient son statut de roi de la Haute- Egypte et de la Basse-Egypte, le liaient aux dieux, témoignaient de sa grandeur. La valeur esthétique de ces objets est incontestable : le travail des métaux précieux, le poli et la taille des gemmes en perles ou en cabochons en font des pièces tout à fait admirables.
Cependant le but premier de ces ornements était de protéger le jeune pharaon des dangers quotidiens pendant sa vie terrestre. La mort représentait pour les anciens Egyptiens un passage vers une vie éternelle. Pour y accéder, le défunt devait braver de nouveaux dangers : aussi, ses bijoux funéraires, et les pierres qui les ornaient, conservaient-ils cette fonction de protection et de secours sur ce chemin vers l'au-delà. On observe du reste que les bijoux portés de son vivant par le jeune pharaon étaient dotés d'un contrepoids dorsal afin de soulager la charge de l'objet sur son cou (c'est vrai en particulier des bijoux pectoraux) : les bijoux à usage funéraire placés dans son tombeau sont, eux, privés de ce contrepoids, devenu inutile.
La visite de cette exposition requiert une certaine patience. Pour admirer ces merveilleux artefacts, il faut tenter de faire abstraction de la foule amassée devant les petites vitrines du Trésor, des écrans et de la musique qui créent une atmosphère bien peu recueillie. Mais cela en vaut la peine. Au sortir de cette incursion dans l'Egypte des pharaons, on réalise avec plus d'acuité encore combien le bijou est une forme d'art à part entière qui transcende les siècles, les cultures, et confine parfois au sacré.
Quelques petits regrets et quelques manques dans l'exposition probablement dûs à des raisons de fragilité : vous ne verrez ni le mythique masque funéraire d'or de Toutankhamon restauré en 2015, ni l'élément de pectoral en verre libyque, ces deux derniers avaient déjà été présentés en 1967 à Paris, ni le délicat diadème dont la tête de la momie était parée (visuels ci-dessous).
Le lapis-lazuli, pierre d'éternité
L'exposition parisienne présente de très nombreux éléments réalisés en lapis-lazuli. La plupart des objets sculptés dans cette gemme bleu outremer sont des scarabées que nous retrouvons sur des pectoraux mais aussi sur des bracelets, dont deux particulièrement remarquables. L'un en or, amazonite, cornaline et verre porte trois scarabées en lapis-lazuli et les cartouches de Toutankhamon (GEM 157). Le second est un bracelet souple dont le motif central est un anneau d'or finement ciselé orné en son centre d'un important cabochon de lapis-lazuli (GEM 19988). L'exposition présente également une importante bague à double cerclage sculptée dans du lapis-lazuli (GEM 156). Ces trois dernières pièces sont présentées pour la première fois hors d'Egypte (je ne dispose pas de visuels de qualité pour ces trois bijoux, il vous faudra les découvrir sur place).
D'où provenaient les importantes quantité de lapis-lazuli retrouvées dans les artefacts du tombeau de Toutankhamon?
Il n'y avait pas de gisements de lapis-lazuli en Egypte, explique Erik Gonthier. Aussi, cette gemme bleue avec laquelle furent réalisés tant de bijoux et d'objets sacrés, provenait du Nord-est de l’Afghanistan. Elle était importée par des marchands de l'Euphrate. Le lapis-lazuli était extrêmement recherchée sous le Nouvel Empire et les anciens Egyptiens la négociaient littéralement à prix d'or!
Le lapis-lazuli est-il une gemme ou une roche?
Le lapis-lazuli est une roche bleu foncé composée principalement de lazurite, sodalite, calcite, l'haüyne etc... et que l'on retrouve parfois pailletée de particules métalliques de pyrite. Dans sa plus belle variété précise Erik Gonthier, le lapis-lazuli - à l'instar de la turquoise- est considéré comme une pierre précieuse ornementale.
Quelle était sa symbolique dans l'Egypte pharaonique?
Par sa couleur et ses inclusions de pyrite, le lapis-lazuli est traditionnellement associé à la nuit, au ciel étoilé ou à la voûte céleste. Les anciens Egyptiens l'associaient aussi à l'eau primordiale, et, fait plus étonnant, à la chevelure des dieux.
"Le lapis-lazuli auquel sa couleur de ciel nocturne semble avoir valu une puissance de régénération céleste, puisque le soleil renaît de la nuit sombre, était la substance dont la chevelure des dieux était faite. Aussi les mortels aimaient-ils cette pierre génératrice d’éternité ». François Daumas, la vie dans l’ancienne Egypte, 1968.
Dans son usage funéraire, le lapis-lazuli évoquait un être divin, ou en passe de le devenir (cf. S.Aufrère) et faisait allusion à la régénération des dieux cosmiques. Dans l'Egypte antique, couleurs et formes se répondent, amplifiant l'une l'autre leurs vertus prophylactiques, c'est pourquoi le scarabée, animal associé au dieu-soleil de l'aube et symbole de renaissance, est figuré le plus souvent en lapis-lazuli.
Et plus rarement en quartz- améthyste translucide.
Lapis-lazuli ou "bleu lapis-lazuli" ?
La demande en lapis-lazuli était si forte dans l'Egypte antique, qu'à partir du Nouvel Empire apparaissent des imitations de la pierre, notamment en pâte de verre bleue.
La faïence et la stéatite émaillée ont été également utilisées pour compléter la palette chromatique des bleu foncé, bleu clair et du rouge sous l'Egypte des pharaons. L'essentiel était d'imprégner les objets d'une couleur symbolique.
La turquoise, une promesse de naissance éternelle
"Pour bien comprendre la turquoise, ainsi que de nombreux minéraux précieux, il faut se replonger dans la mentalité d'un monde ignorant la lumière artificielle et dont la vision du ciel n'était troublée par aucun autre phénomène, de sorte que les spectacles de l'aube et du coucher du soleil prenaient leur véritable dimension, celle d'une féerie à laquelle était associé tout un monde poétique constitué de nombreuses métaphores qu'il n'était nul besoin d'expliciter". L'univers minéral dans la pensée égyptienne, Vème partie, chapitre 17. Sydney Aufrère (1991).
La turquoise : une pierre délicate
La turquoise est un phosphate hydraté de cuivre et d'aluminum de couleur bleu ciel, bleu-vert à vert selon les teneurs en cuivre et en fer qu'elle contient. C'est une pierre opaque relativement fragile, poreuse, dont la couleur est instable et s'altère. Très peu d'artefacts ornés de turquoise de la période du Nouvel Empire nous sont parvenus intacts.
La turquoise est historiquement associée à l'Egypte ancienne, pourquoi ?
Les sources de turquoise de l'Antiquité égyptienne, explique Erik Gonthier, se trouvaient dans le sud-ouest du Sinaï. Les deux mines les plus renommées étaient Wadi Maghara/ Ouâdî Maghârah et Serabit el-Khadim/Serâbît el-Khâdem où un temple avait été élevé à la déesse Hathor surnommée "la dame des turquoises" et protectrice des mineurs.
L'autre source majeure de turquoise durant l'Antiquité était située en Iran (dans le centre et le nord-est).
L'association des métaux or- argent trouvent son pendant avec le lapis-lazuli et la turquoise qui forment un couple de minéraux indissociables dans la pensée des Egyptiens du temps des pyramides.
Quelle était la symbolique attribuée à la turquoise ?
L'une des principales préoccupations de la civilisation antique égyptienne, rappelle Sydney Aufrère, était le retour cyclique de la lumière, garant de toute forme de vie sur Terre : "De nombreuses formes de lumière ont été ainsi associées à la pâle lueur de la turquoise exprimant la sérénité, le repos et la naissance". La couleur bleu ciel de la turquoise "passe pour un symbole d'espoir et de renouveau, dans la mesure où elle rappelle la lueur de la pleine lune ou les prémisses du jour, avec son cortège de significations".
La turquoise matérialise ce passage de la nuit vers le jour, lorsque le coucher de la lune laisse place au lever du soleil et à ses premiers rayons sur l'horizon, elle caractérise de façon métaphorique "la gestation" sur le point d'aboutir, et donc, d'un point de vue spirituel, la renaissance.
Par sa couleur à vertu prophylactique, la turquoise est corrélée à la naissance en Egypte : sous le Nouvel Empire, la turquoise symbolisait déjà la procréation, la gestation et la maternité. Aujourd'hui encore, les nouveaux-nés égyptiens se voient parés par leurs proches d'une amulette de turquoise.
Turquoise ou "bleu turquoise"?
Lorsqu'une pierre faisait défaut, les artisans égyptiens n'hésitaient pas à lui substituer un matériau de couleur similaire puisque "la couleur d'un minéral représente le minéral lui-même et est censée produire les mêmes effets". La faïence constituait un très judicieux substitut artificiel pour la turquoise du Sinaï.
Du bleu au vert, de la vie céleste à la vie végétale : une métaphore filée
Des pierres dures vertes étaient également employées par les anciens Egyptiens : amazonite, jaspe vert, chrysocolle, malachite, calcédoine. Principalement sculptées en amulettes, elles étaient destinées à assurer au défunt "une perpétuelle verdeur à l’instar des plantes auxquelles elles empruntent leur couleur" (S. Aufrère). Dans l'ensemble, les pierres vertes symbolisaient la fertilité, la renaissance de la végétation liée à la crue du Nil, le renouveau de la vie et par delà, la régénération de l'être.
La malachite avait une symbolique proche, sinon identique, à celle de la turquoise mais venait après cette dernière en hiérarchie sous le Nouvel Empire. Elle n'est d'ailleurs pas représentée dans l'exposition de la Villette. Pourtant, ce carbonate de cuivre, fait remarquer Erik Gonthier, était exploité au même endroit que la turquoise : dans le Sinaï, à l’est de l’Egypte.
L'exposition présente, pour la première fois visible hors d'Egypte, une très belle bague en calcédoine verte gravée à double cerclage.
Cornaline et jaspe rouge : fureur et protection divines
Symboliquement, dans la pensée égyptienne antique, la couleur rouge signifiait la colère, l'agression et d'un autre côté, la défense et la protection. Deux pierres rouges en particulier se partageaient la préférence parmi les contemporains de Toutankhamon : la cornaline et le jaspe.
La cornaline
La cornaline est une calcédoine contenant des oxydes de fer qui, selon leur teneur, donnent à la pierre une couleur rouge-orangé à rouge-brun. Elle était rapportée par les mineurs du désert oriental égyptien et de Nubie.
Quel rôle jouait la cornaline dans l'Egypte ancienne ?
La cornaline était associée à la manifestation de la colère, de la fureur voire à la violence. On la voit souvent enfilée sous forme de perles ou bien taillée en plaquettes pour figurer les yeux des divinités. Sa matière, translucide à opaque, évoque également la flamme et la chaleur.
Jouant de l'ambivalence, la pensée égyptienne antique attribuait à la cornaline une vertu de protection contre les agressions extérieures, voire symbolisait la défense contre les dangers que le défunt encourait avant de parvenir dans l'au-delà.
Le jaspe rouge
Comme la calcédoine, les Egyptiens de l'Antiquité accordaient au jaspe (quartz microcristallin) une importance majeure à la fois pour ses couleurs et pour sa texture.
"Il s'agit d'un minéral que l'on trouve, de façon presque obligatoire pour la confection de certains bijoux liturgiques, car il constitue la protection par excellence, avec l'argent, le lapis-lazuli, la turquoise. On l'emploie pour signaler l'aspect dangereux ou coléreux d'une divinité et l'on peut dire avec certitude que son nom est toujours employé avec un grand discernement, son aspect, voire le mot qui le désigne étant générateurs de violence, du moins invitant les agresseurs à la méfiance", écrivait Sydney Aufrère.
Dans l'usage funéraire, le jaspe était assimilé au sang d'Isis. Howard Carter a retrouvé, déposée à hauteur du cou de Toutankhamon, une amulette en faïence rouge - à défaut de jaspe - représentant le noeud d'Isis dit "Tit". Traditionnellement, expliquait l'expert en archéologie Christophe Kunicki dans le cadre d'une vente "Antiquités" chez PB&A en 2015, "cette amulette devait être suspendue au cou de la momie avec un fil en fibre de sycomore, arbre lié au dieu Osiris. Le but était d'inciter la déesse Isis et son fils Horus à protéger le corps en faisant appel à la fidélité de la déesse et à la fureur filiale et vengeresse de son fils".
On lit du reste dans le Livre des morts :
"Tu as ton sang, Isis. Tu as ton pouvoir magique, Isis. Tu as ta magie. L'amulette qui est la protection du grand dieu, qui réprime celui qui lui cause du tort" (Extrait du chapitre 156).
Le verre libyque ou lechatéliérite, une rareté minéralogique
Il est une rareté gemmologique dont nous regrettons vivement l'absence dans cette exposition : c'est le verre libyque ou lechatéliérite. Cette rareté minéralogique, du fait de sa couleur et de sa translucidité, est inhabituelle dans la palette chromatique de l’Égypte pharaonique. Elle figure parmi les gemmes sacrées du trésor de Toutankhamon.
Le verre à lechatéliérite ou verre libyque est une pâte de verre de couleur jaune à vert clair. Il se collecte dans la "Grande Mer de Sable" du désert libyque située principalement dans le sud-ouest égyptien.
Erik Gonthier rappelle que cette impactite vitreuse, extrêmement riche en silice (98%), aurait été formée il y a environ 28 à 29 millions d'années suite à un impact de météorite. L'astroblème aurait explosé dans l'atmosphère, engendrant une puissante vague de chaleur qui aurait effleurée le sol et fait fondre partiellement certains sables du désert libyen.
Erik Gonthier ajoute que les anciens Égyptiens avaient identifié ces pierres "tombées du ciel" comme des phénomènes extra-terrestres. Plusieurs artefacts de l'antiquité égyptienne témoignent d’une réflexion avancée sur les origines célestes de certains matériaux. Comme toute matière rare devait revenir au pharaon, il était logique que des fers météoritiques et des verres libyques entrent dans ses collections royales.
***
Le dernier volet de ce triptyque sur l'exposition :
"Toutânkhamon, le trésor du pharaon" sera consacré aux roches emblématiques de la royauté.
Cet article sera complété de diverses informations pratiques, de proposition de lectures, ainsi que d'une présentation des expositions à venir centrées autour de cette thématique de l'Egypte pharaonique.
Si vous souhaitez recevoir la prochaine newsletter de
Property of a lady, veuillez cliquer sur ce lien. Merci !
***
Toutânkhamon, le trésor du pharaon,
à la Grande Halle de la Villette
Exposition du 23 mars au 15 septembre 2019
211 avenue Jean Jaurès. 75019 Paris
Tous les jours de 10h à 20h. Dernière séance à 18h30
Billets en vente : www.expo-toutankhamon.fr
***
Visuel de "une" : éléments de pectoraux et pièces d'orfèvrerie issus de la tombe de Toutankhamon @National geographic
Toutânkhamon, le trésor du pharaon. Les métaux précieux
L'Egypte antique, une passion française vieille de plus de deux siècles
L'exposition d'envergure internationale intitulée "Toutânkhamon, le trésor du pharaon" qui ouvre ces jours-ci ses portes à la Grande Halle de La Villette jusqu'au 15 septembre 2019 est un nouveau témoignage de la passion française pour l'Egypte antique. Rappelons-nous : en 1967, "l’exposition du siècle" intitulée "Toutankhamon et son temps" qui présentait 45 objets avait drainé plus de 1,2 million de visiteurs au Petit Palais. Moins de dix ans après, en 1976, l’exposition sur Ramsès II au Grand Palais vint entretenir cette fascination du public français pour l'Egypte antique. Bien entendu, ce goût reconnu des français pour l'Egypte pharaonique remonte plus loin encore : aux expéditions de Bonaparte en Égypte entre 1798 et 1801, au livre de souvenirs Voyage dans la Haute et la Basse Égypte de Vivant Denon en 1802, à Jean-François Champollion qui en 1822 résolut l'énigme de l'écriture et de la langue pharaoniques.
L'exposition de la Villette s'organise autour d'un épisode fameux et romanesque : la découverte de la fameuse soixante-deuxième tombe trouvée dans la Vallée des Rois (KV62) par Howard Carter et Lord Carnavon.
Le visiteur est d'abord invité à approcher au plus près la réalité archéologique avant de découvrir, à travers une sélection de fascinants artefacts, le périple du jeune roi (1336-1326 av. J.-C) vers l'immortalité. Le parcours s'achève sur l'impact de cette découverte auprès de la communauté scientifique et du grand public. Présentés à Los Angeles l'année passée, à Paris et Londres en 2019-2020, puis dans d'autres villes par la suite, les objets du pharaon seront installés de façon permanente au Grand Musée Égyptien de Gizeh courant 2022. L'année 2022 marquera également le bi-centenaire du déchiffrement des hiéroglyphes et le centenaire de la découverte du tombeau de Toutankhamon.
A l'heure où une légitime "Toutankhamon-mania" s'empare des médias, nous nous concentrerons ici sur les pierres gemmes et les métaux précieux qui véhiculent symboles cosmiques, imaginaire religieux, mais revêtent aussi un sens politique.
Au Grand Musée Egyptien, c'est l'intégralité du contenu du tombeau de Toutankhamon, soit 5398 objets, qui sera exposée. A Paris, c'est un corpus exceptionnel de 150 œuvres, dont une grande partie n’a jamais voyagé hors d’Égypte auparavant, que l'on peut admirer : Naos en bois doré présentant des scènes de Toutankhamon et de son épouse Ankhésenamon, cercueil miniature canope et statues à l’effigie du roi, lit funéraire en bois doré, chapelles en bois doré, sièges, coffres, bouclier cérémoniel, dagues et arcs, trompettes en argent, gants en lin brodés de soie etc... des objets d'apparat, mais aussi des objets de la vie quotidienne du défunt, qui tous traduisent à la fois l'opulence des tombes de la Vallée des rois, et la prospérité qui régna sous le Nouvel Empire (1550-1069 av. J.-C).
"... as my eyes grew accustomed to the light, details of the room within emerged slowly from the mist, strange animals, statues, and gold - everywhere the glint of gold". In The Tomb of Tut-Ankh-Amen, discovered by the late Earl of Carnavon and Howard Carter, H.Carter & A.C.Mace, 1923-1933.
"… Alors que mes yeux s'habituaient à la lumière, des détails de la pièce émergeaient lentement de la pénombre, des animaux étranges, des statues et de l'or - partout la lueur d'or". H. Carter
Un trésor d'un luxe inouï : des kilos d'or et de pierres de couleur
La momie de Toutankhamon, révélée en 1925 reposait dans un cercueil d'or de 110kg... Et plus d'une centaine de pièces d'orfèvrerie décoraient la momie! Les experts estiment qu'il nous reste environ 40% des bijoux du pharaon, conséquence des deux pillages qui eurent lieu dans l'hypogée après sa fermeture - c'est dire l'éblouissante richesse de cette tombe.
La possession de pierres gemmes et de métaux précieux était l'apanage des dieux, et des pharaons. Colliers, bagues, bracelets, diadème, boucles d'oreilles, emblèmes royaux, masque funéraire en or (de près de 11kg), sandales d'or, amulettes protectrices forment un ensemble d'une très grande beauté et d'un faste inouï.
Pourtant, ce n'est pas là l'essentiel. L'usage des pierres gemmes ou de leur substitut, celui des minéraux, des roches et des métaux était extrêmement codé dans l'ancienne Egypte.
Pour les anciens Egyptiens, la valeur de ces objets provenait de la puissante symbolique qui leur était attachée : ils constituaient un gage d'éternité et devaient permettre au défunt de renaître à une vie éternelle.
Les matières précieuses étaient empreintes d'un caractère sacré lié en grande partie à leur couleur originelle. Les principales couleurs qui caractérisent l'Egypte pharaonique sont le jaune, le blanc, le bleu foncé, le bleu clair-vert et le rouge. Cette palette chromatique relativement restreinte unifie l'ensemble des artefacts de Toutankamon.
L'or (jaune), l'argent (blanc), le lapis-lazuli (bleu foncé), la turquoise (bleu clair-verte), la cornaline (rouge) étaient les matériaux précieux les plus prisés de l'Egypte antique et représentaient à eux seuls un monde miniature. Ils symbolisaient dans la pensée égyptienne les divinités, les cycles cosmiques, et l'univers céleste.
Les éléments figuratifs intervenaient également dans la symbolique des objets précieux : figures animales (cobra, vautour, scarabée, panthère, lion); motifs végétaux (lotus, tiges de palmier, feuilles d'olivier, baies, coquelicots, bleuets); scènes de conquêtes, formules hiéroglyphiques... chaque élément de représentation avait un sens propre, une signification précise dont l'objet était d'assurer au roi une survie dans l'au-delà.
Les formes également participaient au salut du pharaon, à sa protection contre les dangers, et à la pérennité de l'ordre cosmique. Ainsi des centaines d'amulettes que l'on retrouve dans le sarcophage d'or du pharaon et qui avaient pour vertus de protéger et d'éloigner le danger, dans la vie terrestre et dans l'au-delà. L'oeil wedjat associé au pouvoir de régénération, à la guérison, les noeuds d'Isis ou "tit", l'oiseau Ba, le scarabée de coeur "kheper" destiné selon l'égyptologue Christine Ziegler à rendre au défunt l'usage de son coeur, non comme organe vital mais comme siège de la pensée, la colonnette de couleur verte "ouadj" symbole de pouvoir et d'autorité etc...
Les croyances égyptiennes, les innombrables analogies, métaphores, et correspondances auxquelles renvoie chaque matériau précieux laissent entrevoir un monde et une pensée d'une incommensurable complexité.
Erik Gonthier, ethno-minéralogiste et paléo-musicologue, maître de conférences au MNHN, passionné par l'Egypte antique, a accepté de nous guider dans cette évocation des métaux les plus précieux au temps de Toutankhamon, mais aussi dans celle des pierres gemmes sacrées, et des quelques roches incontournables dans les arts pharaoniques de l'Antiquité Egyptienne.
L'or, lumière et chair des dieux
"Everywhere the glint of gold", la lueur de l'or de tout côté, ce fut la première impression générale, la première émotion, ressentie par Howard Carter lorsqu'il ouvrit le tombeau funéraire.
La fascination qu'exerce le trésor de Toutânkhamon trouve son acmé dans les pièces d'orfèvrerie.
Collier à vertu prophylactique, émouvant pendentif précurseur de trois millénaires de nos bijoux de sentiment, bandelettes ornées de pierres sacrées, mains incrustées d’or tenant la crosse et le fléau, pectoraux en or et pierres dures : les pièces d'orfèvrerie trouvées dans le tombeau du pharaon témoignent des savoir-faire des artisans-joailliers sous la XVIIIème dynastie. Les orfèvres de l'ancienne Egypte étaient capables de traiter et de raffiner l'or afin d’en accroître la pureté et la couleur jaune, offrant par leur art une leçon d'humilité à la postérité. L'or était produit en fils, en feuilles, et les orfèvres possédaient déjà de nombreuses techniques pour le travailler : repoussé, ciselure, dorure à la feuille d'or, niellure, techniques du filigrane et de la granulation, et surtout celle, propre à ces artisans, du cloisonné. Les pièces d'orfèvrerie du trésor de Toutânkhamon, indépendamment de leur symbolique sacrée, sont admirables par une finesse technique mise au service de la beauté.
D'où provenait cet or?
Erik Gonthier explique que l'or natif, très abondant en Égypte, était exploité dans le royaume indépendant de Nubie (aujourd'hui la Nubie correspond à une région du nord du Soudan et du sud de l'Égypte). La Nubie fournissait près de 260 kg d'or chaque année à l'Egypte.
Quelle était la symbolique de l'or?
L'or au temps de Toutankhamon était selon le célèbre égyptologue Sydney Aufrère « considéré comme un matériau d’éternité, suscitant la lumière par sa seule présence, et ce, dans des contextes tant religieux que funéraires »
En raison de sa couleur jaune, l'or était associé à la lumière solaire, à la possibilité donnée au défunt de se régénérer. Mais il symbolisait également la chair des dieux. Ce métal divin, incorruptible, représentait ainsi l’accompagnement parfait pour l’au-delà. D'où la présence de tant d’objets en or trouvés dans les tombes mais aussi sur les corps des défunts, que l'or préservait.
A cette dimension sacrée de l’or s'ajoutait une dimension profane puisque l'or servait également de monnaie, de marchandise et de valeur d’échange pour la politique extérieure de l’Egypte.
L’argent, pureté et ossature des dieux
L'argent aussi était considéré comme un métal précieux par les contemporains de Toutankhamon, et était ainsi souvent associé à l'or.
Pectoral, chaîne et contrepoids en or et argent incrusté avec un scarabée en lapis flanqué d’uræi
D'où provenait l'argent natif à l'époque de Toutankhamon?
Selon Erik Gonthier, il était extrait pour majeure partie de la galène argentifère du Proche-Orient et du monde égéen mais aussi des gisements d'électrum.
Quelle symbolique était associée à l'argent?
Par sa blancheur, l'argent évoquait l'innocence, la pureté, et il symbolisait la lumière de la lune. Ce métal noble caractérisait l’ossature des Dieux.
La couleur blanche était plus largement associée au triomphe, au faste et à la joie.
Selon Sydney Aufrère, l'argent, avec l’or, le lapis-lazuli et la turquoise, matérialise le mythe de l’éternelle jeunesse, de la régénération dans l'antiquité égyptienne.
Deux autres métaux prévalaient dans l'Egypte des pharaons :
L’électrum, un alliage naturel d’or et d’argent que les Égyptiens considéraient comme un minerai particulier et dont ils se servaient dans la réalisation de divers objets et montures joaillières. L'électrum se trouvait associé à l’or sur la plupart des sites aurifères d’Egypte et de Nubie.
Le fer : rare et résistant, le fer était reconnu comme le métal par excellence. Dans la tombe de Toutankhamon furent retrouvés dans une boîte quelques outils en fer. Sydney Aufrère rappelle qu' "au cours du rituel d’ouverture de la bouche, nécessaire à ce que le défunt recouvrît l’usage de ses sens, on faisait usage d’une herminette, instrument en fer" .
Il est un dernier métal, qui par sa rareté et sa provenance surpassait tous les autres... Quelques pièces de cet extraordinaire métal, fer sacré, figuraient dans l'hypogée de Toutankhamon :
Il s'agit du "fer céleste"
Le fer céleste, matériau extra-terrestre
Le fer céleste ou fer météorique
Fait extraordinaire, dont la découverte a été confirmée récemment, du fer d'origine météoritique figurait dans la décoration d'objets précieux ayant appartenu au pharaon, dont la lame de cette dague qu'Howard Carter retrouva placée sur la cuisse droite embaumée du pharaon. L'exposition parisienne ne présente pas cette dague néanmoins il nous a semblé indispensable de mentionner l'existence de ce fer d'origine extra-terrestre dans le cadre d'un sujet sur les métaux précieux retrouvés dans la sépulture du jeune pharaon.
L'analyse scientifique de cette lame de dague confirme ainsi que les premiers objets en fer ont été fabriqués... à partir de fer météoritique.
Depuis sa découverte en 1925, l'origine de la lame de poignard en fer provenant du sarcophage avait fait l'objet de débats et les précédentes analyses avaient donné des résultats controversés. En 2016, des chercheurs* de l’École polytechnique de Milan, de l’Université de Pise et du Musée égyptien du Caire, ont révélé de façon certaine que la lame de fer a été fabriquée à partir d’une météorite. L’équipe a publié ses résultats dans la revue Meteoritics and Planetary Science.
En accord avec les résultats récents de l'analyse métallographique d'anciens artefacts en fer de Gerzeh, l'étude confirme que les anciens Égyptiens accordaient une grande valeur au fer météoritique pour la production d'objets précieux. De plus, la haute qualité de fabrication de la lame, comparée à d'autres artefacts en fer météoritique de formes plus simples, révèle une maîtrise poussée du travail du fer à l'époque de Toutankhamon.
Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont également découvert que la composition de la dague correspondait aux météorites trouvées dans un rayon de 2 000 kilomètres autour de la côte égyptienne de la mer Rouge.
"Je crois fortement, indique Erik Gonthier, que les Égyptiens savaient qu'ils utilisaient du matériel extraterrestre, anticipant de ce fait la culture occidentale de plus de deux millénaires". (cf doc. "météorites, entre ciel et terre", MNHN.)
* Maurizio Gemelli, Tommaso Di Rocco, Luigi Folco and Massimo D'Orazio, Parentage Identification of Differentiated Achondritic Meteorites by Hand‐held Energy Dispersive X‐Ray Fluorescence Spectrometry, Geostandards and Geoanalytical Research, 41, 4, (613-632), (2017).
***
Article à suivre : Toutânkhamon, le trésor du pharaon.
II- Les gemmes sacrées.
Si vous souhaitez vous abonner à la newsletter de Property of a lady, veuillez cliquer sur ce lien. Merci !
***
Toutânkhamon, le trésor du pharaon, à la Grande Halle de la Villette
Exposition du 23 mars au 15 septembre 2019
211 avenue Jean Jaurès. 75019 Paris
Tous les jours de 10h à 20h. Dernière séance à 18h30
Billets en vente : www.expo-toutankhamon.fr
***
visuel de "une" : Le masque funéraire en or de Toutankhamon, chef-d'oeuvre absolu d'orfèvrerie antique. 54 cm de hauteur. Sur le haut du masque se dressent le vautour, Nekhbet, emblème de la Haute-Egypte, et le cobra, Ouadjet, symbole de la Basse-Egypte sur lesquelles régnaient le pharaon. Photo by Hannes Magerstaedt.