M. Jannic Durand, Directeur du département des objets d’art au musée du Louvre, à propos des Diamants de la Couronne
Capucine Juncker : Quelle est la politique du Louvre à l’égard des joyaux de la Couronne ?
Jannic Durand : Le Musée du Louvre a reçu sept pièces lors de la vente de 1887. A partir des années 1950, le Louvre s’est efforcé de rassembler quelques-uns des joyaux qui avaient été dissipés lors de cette vente.
En matière d’acquisitions, les départements du musée du Louvre sont force de proposition ; ensuite, on passe aux instances légitimes des acquisitions : la Commission des acquisitions du Louvre, puis le Conseil artistique de la Réunion des musées nationaux.
Cette politique produit des effets puisque nous avons réussi à ramener au Louvre plusieurs pièces de toute première importance. J’ajoute que nous associons volontiers, dans cette politique, les joyaux de la Couronne au sens strict et les collections personnelles des souverains.
CJ : Quels sont les grands principes d’acquisition ?
JD : Notre devoir est d’acquérir des pièces qui n’ont pas été modifiées. Une pièce remontée de nombreuses fois depuis la vente de 1887 n’a guère d’intérêt pour nous. Même si les pierres historiques peuvent être éblouissantes en elles-mêmes, les bijoux et parures doivent être dans leur état premier. Cela limite beaucoup le nombre de pièces que nous pouvons récupérer de la vente de 1887, car un nombre incalculable de bijoux ont été aussitôt dessertis.
De notre point de vue, c’est lamentable et regrettable, mais il est vrai que dessertir dans les années 1880 une pièce datant de 1840 équivaut à peu près à dessertir un bijou des années 70/80 pour nous. La dimension historique n’était pas aussi prégnante qu’elle l’est aujourd’hui, et l’origine monarchique d’une majorité de pièces faisait peser sur elles un véritable opprobre.
Depuis 1950, je résumerai nos principes d’acquisition en trois critères : intégrité, qualité et intérêt pour les collections publiques françaises.
Pour le dire autrement, s’il s’agit d’un chef-d’œuvre ayant appartenu aux joyaux de la Couronne, le Louvre tentera de se porter acquéreur.
CJ : Existe-t-il aujourd’hui un « marché » des joyaux de la Couronne ?
JD : On connaît le destin d’un certain nombre de ces joyaux après 1887 parce qu’on sait que les bijoutiers en ont desserti beaucoup, mais il y en a d’autres dont on ignore absolument tout, et qui ressurgissent. Certaines pièces dispersées en 1887 existent encore par miracle et n’ont pas été dépecées, mais elles appartiennent à des collections privées… Le Louvre n’a pas plus écho que le grand public des joyaux qui figurent dans les collections privées. Les ventes sont publiques. Je pense néanmoins que peu de particuliers possèdent des Diamants de la Couronne.
Nous nous efforçons d’acquérir à mesure que ces pièces apparaissent sur le marché, mais nous devons nous montrer opportunistes puisqu’il nous est impossible de savoir exactement ce qui subsiste et quand cela sera remis en circulation.
CJ : Quel regard les joailliers et maisons de vente portent-ils sur ce marché ?
JD : Fort heureusement, les grandes maisons de vente et les grands joailliers sont extrêmement sensibles à l’aspect patrimonial des Diamants de la Couronne. Beaucoup d’entre eux se sentent concernés et nous contactent pour nous demander si nous sommes intéressés lorsqu’ils voient passer une pièce ayant appartenu aux joyaux de la Couronne. Les Diamants de la Couronne appartenaient à l’Etat : ils étaient remis aux souverains pour leur apparat mais ne leur appartenaient pas en propre. Cette différence a été très claire dès la création des Diamants de la Couronne sous François Ier, qui correspond à la fondation de l’Etat français avec l’ordonnance de Villers-Cotterêt instituant l’état-civil, l’usage du français, ce sens de l’Etat très particulier, que les joyaux de la Couronne ont en un sens incarné pendant des siècles. Cette dimension demeure vivace.
Bien sûr, les maisons de vente ont aussi leur propre clientèle privée, qui elle aussi se montre très intéressée lorsqu’elle voit passer un Diamant de la Couronne… Le vendeur d’une pièce historique souhaite légitimement en tirer une valeur cohérente. Le plus souvent nous sommes informés et contactés. Ensuite, c’est la loi du marché qui s’applique.
CJ : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les pièces remarquables et acquisitions récentes ?
JD : Nous sommes très fiers d’avoir acquis la broche d’épaule de l’Impératrice Eugénie qui est entrée dans nos collections il y a un an exactement. Il a fallu faire des choix déchirants : nous n’avons pas acquis la broche en fleurs de groseillier d’Eugénie, qui aurait pu être intéressante pour le Louvre – et qui était en vente au même moment (Christie’s, novembre 2014)
Nous espérons que resurgiront les trois autres broches d’épaule de même dessin fournies par François Kramer en 1853 et qui ont disparu. Un rêve fou, parce que je crois qu’on n’y arrivera pas, serait de reconstituer une parure complète.
Cette broche est aussi extrêmement intéressante car elle montre, avec le diadème de perles et diamants fourni par Alexandre-Gabriel Lemonnier, que plusieurs orfèvres joailliers pouvaient être impliqués dans une même commande, et travailler dans un esprit commun.
CJ : Pourquoi cette forte présence du Second Empire ?
JD : Le Second Empire est le mieux représenté au Louvre car c’est le plus proche de nous. Même si tout avait été reconstitué sous le Ier Empire, les joyaux les plus spectaculaires et nombreux sont ceux du Second Empire et de la Restauration.
CJ : Qu’en est-il des dons ?
JD : Nous bénéficions de dons merveilleux, comme la paire de bracelets en rubis et diamants ayant appartenu à la Duchesse d’Angoulême, offerte en 1973 par Monsieur Claude Menier. Les bracelets appartenaient au Trésor et nous sont parvenus sans altération.
De même, la couronnette (couronne de chignon) offerte par Monsieur et Madame Roberto Polo en 1988 est un bijou passionnant car c’est le seul vestige des couronnes impériales de Napoléon III, en plus d’être un témoignage de la joaillerie du second empire. Un dernier exemple : le grand nœud de ceinture en diamants d’Eugénie. Son acquisition en avril 2008 a été rendue possible grâce à un legs privé de 5 millions d’euros et des crédits du Fonds du Patrimoine et du musée lui-même. C’est une pièce extraordinaire. D’abord parce qu’elle est belle, ce sont des diamants qui proviennent des collections de la Couronne, mais il est évident que c’est aussi un chef d’œuvre de la joaillerie française avec notamment cet aspect mobile des diamants qui font que lorsqu’il était porté il y avait des effets de passementerie liés au mouvement des pierres précieuses.
CJ : Une petite parenthèse : pourquoi la broche d’Eugénie s’appelle-t-elle « broche reliquaire » ?
JD : C’est une bonne question ! D’autant que je suis moi-même médiéviste et que je m’intéresse beaucoup aux objets reliquaires de manière transversale. En fait, on ne sait pas. Ce qu’on sait c’est que c’est écrit au dos de la barrette. Un reliquaire doit abriter une relique, ici où serait-elle ? Inscription d’époque, impératrice pieuse… mais mystère entier ! C’est un bijou extraordinaire, le seul bijou du Second Empire confié au Louvre en 1887.
CJ : Par souci de protection, exposez-vous parfois des copies ?
JD : Tous les bijoux présentés dans les vitrines sont des originaux ! C’est un devoir de l’Etat, une loi française générale : pas de copies ! Il est vrai qu’une copie du diamant le Régent portée par Eugénie est au Louvre… mais elle n’est pas exposée !
Certes, cela expose les pièces aux vicissitudes de l’Histoire – comme le vol de l’épée en diamants de Charles X en 1976 dont le Louvre fut jadis victime. Mais cela ne change pas notre règle qui consiste à exposer les originaux.
CJ : Les Diamants de la Couronne pourraient-ils être prêtés à d’autres musées ?
JD : Exceptionnellement. Et il faut que le sujet le justifie pleinement. Il faut aussi que les bijoux soient prêtables – beaucoup sont très fragiles. Précisément nous allons faire un prêt au Musée d’Orsay : la petite couronne et le diadème seront prêtés pour l’exposition sur le Second Empire : « Spectaculaire Second Empire, 1852-1870 », du 27 septembre 2016 au 16 janvier 2017 au Musée d’Orsay. C’est assez rare pour être souligné !
Photo:La Galerie d’Apollon au Musée de Louvre
©RMN-Grand Palais / Stéphane Maréchalle