Les Diamants de la Couronne : une épopée historique

L’histoire des « Diamants de la Couronne de France » (que communément on appelle aujourd’hui « joyaux de la couronne ») se confond avec l’Histoire de France depuis près de cinq siècles.

Louis de France, dauphin (1729-1765). Photo (C) RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

Elle en a épousé tous les contours. Elle reflète la personnalité des souverains, les préoccupations esthétiques successives, les valeurs mises en avant par tel ou tel régime politique. Les joyaux de la Couronne ont aussi été les témoins privilégiés des détours de l’Histoire, ils ont été aux premières loges dans les moments de crise, mais aussi lors des grandes histoires d’amour ou dans la perpétuation des grandes lignées. C’est tout cela, et point seulement leur valeur financière et minéralogique, qui les rend si précieux et qui fait toute l’importance de ce qui en subsiste dans les collections des musées.

Une telle histoire cependant ne va pas sans confusions chronologiques, ni sans inexactitudes souvent colportées d’un récit à l’autre. Il importe d’en retracer ici le parcours en tentant d’être le plus précis possible, avant de nous pencher sur les trois grandes collections françaises : celle du Muséum National d’Histoire Naturelle, celle de l’Ecole des Mines et celle du Musée du Louvre.

 

Des débuts tumultueux…

La collection des Diamants de la Couronne débute le 15 juin 1530, à l’instigation de François Ier (1494-1547). Soucieux d’apparat royal mais aussi des finances du royaume, le roi décide d’établir une distinction entre sa cassette privée et des bijoux royaux auxquels il assigne un statut particulier : le roi décide en effet que certains bijoux seront « propriété de l’état » à la condition de n’être jamais aliénés. Roi et Reine en auront la jouissance durant leur vie, mais à leur mort, les bijoux seront remis au Trésor et transmis aux héritiers de la couronne.

Portrait de François Ier Photo (C) RMN-Grand Palais (musée de la Renaissance, château d’Ecouen) : René-Gabriel Ojéda Ecouen, musée national de la Renaissance

C’est François Ier lui-même qui choisit huit bijoux ou pierres destinés à constituer le premier noyau de ce trésor. Parmi eux, trois « rubis balais » dont la « Côte de Bretagne », un spinelle d’un rouge profond (le terme désuet de « rubis balais » provient d’une déformation de nom de leur origine : le Badakhchan, province montagneuse de l’extrême nord-est de l’Afghanistan).

La côte de Bretagne. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau

Ce spinelle, témoin des débuts des Joyaux de la Couronne, est la seule pierre à avoir traversé toute l’histoire de France et à nous être parvenue. Elle n’est certes pas intacte : elle fut retaillée en forme de dragon en 1750 à la demande de Louis XV. Elle connut aussi des avanies : volée en 1792, elle fut retrouvée en 1796 puis rachetée par Louis XVIII et réintégrée aux Diamants de la Couronne. Aujourd’hui elle est visible au Musée du Louvre.

Moins de trente ans après la mort de François Ier (+1547), le roi Henri III (1551-1589) contrevient aux instructions laissées par son grand-père. L’année même de son sacre en 1575, il engage les joyaux auprès de créanciers de la Couronne de France. La raison en est simple : les guerres de religion sont à leur paroxysme et elles coûtent très cher au trésor royal. Pratiquement aucun des joyaux engagés n’est recouvré. Engagées elles aussi, les « Collections royales », des objets précieux datant pour la plupart du Moyen-Age, disparaissent également. C’est la première catastrophe dans la très jeune histoire des joyaux de la couronne.

Le sacre d’Henri IV (1553-1610) apaise les guerres de religion et marque une époque nouvelle pour le royaume de France. Le roi Henri IV et son épouse Marie de Médicis (1573-1642) reprennent la collection des joyaux de la couronne, y ajoutant de très nombreux objets d’art. C’est ainsi que Marie de Médicis acquiert en 1604 le « Beau Sancy » (ou « petit Sancy ») auprès de Nicolas Harlay de Sancy, alors surintendant des finances d’Henri IV. La légende dit qu’il l’aurait rapporté de Constantinople, où il aurait été en ambassade. Il se pourrait en réalité que ce soit son fils, Achille de Harlay, qui y ait été ambassadeur vers 1601. Son origine est obscure, mais il est très probable qu’il provienne d’Inde. Certains toutefois veulent croire qu’il provient du trésor perdu de Charles le Téméraire, qui comportait ce qui pourrait bien avoir été un diamant magnifique, la Rose Blanche – le Beau Sancy et la Rose Blanche ne feraient qu’un. Ce ne sont que des hypothèses sans doute romanesques mais peu étayées.

Marie de Médicis fera fixer Le Beau Sancy sur sa couronne lorsqu’elle sera sacrée reine de France à Saint-Denis le 13 mai 1610.

Frans Pourbus, le Jeune
Marie de Médicis, reine de France
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado
Musée du Louvre

Le lendemain de la cérémonie, Henri IV est assassiné par Ravaillac. Marie de Médicis, mère de Louis XIII qui n’a alors que neuf ans, assure la Régence. Elle s’exile en 1630. Pour payer ses créanciers, elle finit par vendre le diamant au Prince d’Orange-Nassau en 1641.

Vente de Haute Joaillerie et de Bijoux de provenance aristocratique. Sotheby’s Genève, 14 mai 2012

Le Beau Sancy est un diamant de taille de poire double rose pesant 34,98 carats. Le rapport du GIA (n° 11412121953) indique que le diamant est de couleur K, brun pâle, de pureté SI1 et de type IIa (les diamants de type IIa sont les plus purs chimiquement et ont souvent une transparence exceptionnelle).

Pendant quatre siècles, ce joyau a appartenu tour à tour à quatre familles royales (France, Maison d’Orange, Angleterre, Prusse). Le 14 mai 2012, la Maison royale de Prusse l’a mis en vente : c’est l’un des diamants historiques les plus importants à avoir été proposé aux enchères. Il a été acquis par un collectionneur dont le nom n’a pas été divulgué et a atteint 7,53 millions d’euros.

AFP PHOTO / Fabrice Coffrini

Le Beau Sancy a ainsi rejoint une collection privée et n’est désormais plus visible.

 

La collection royale vers son apogée : le XVIIème siècle

Grand amateur de gemmes devant l’Eternel, le cardinal Mazarin (1602-1661) collectionna avec passion, et avec une certaine avidité, les gemmes et les objets d’art les plus précieux de son temps.

Philippe de Champaigne
Le cardinal Mazarin (1602-1661)
Photo (C) RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / Thierry Ollivier

A sa mort, le Cardinal légua à son filleul Louis XIV dix-huit diamants magnifiques baptisés les « mazarins ». Parmi ces diamants il y avait « le Sancy » ou le « Grand Sancy ». Ce diamant, à priori de même origine que le petit Sancy (les mines de Golconde), avait été vendu par Nicolas Harlay de Sancy (toujours lui) en 1604 au roi d’Angleterre Jacques Ier, puis revendu en 1657 par la reine Henriette-Marie de France, épouse de Charles Ier  d’Angleterre, au cardinal de Mazarin. La petite histoire raconte que le messager de Harlay de Sancy transportant le diamant d’Orient en Europe fut attaqué et tué… et que le diamant fut récupéré par son mandataire dans l’estomac de son émissaire, qui avait avalé la pierre avant de mourir.

Diamant le Grand Sancy
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle
Musée du Louvre

Le Grand Sancy supplante le Petit Sancy : avec ses 55, 232 carats, il sera le plus gros et le plus beau diamant blanc d’Europe jusqu’à la découverte du Régent. Il sera placé sur les couronnes de sacre de Louis XV en 1722 et de Louis XVI en 1775 et porté aussi par leur épouse durant leur règne.

Marie Leszczynska, reine de France (1703-1768) représenté en 1747 en grande Robe de Cour. Elle porte le Sancy en pendentif. Vanloo Carle (dit), Vanloo Charles André (1705-1765)

C’est sous le règne de Louis XIV (1638-1715) que les joyaux de la couronne connurent leur apogée. Le Roi-Soleil avait une passion pour les pierres précieuses et augmenta considérablement la collection jusqu’à posséder la plus belle d’Europe. Cette passion était certes esthétique, mais elle était également politique. Les joyaux de la couronne sont considérés comme les symboles de la puissance royale mais également comme un investissement judicieux dans des pierres précieuses dont la valeur ne saurait être altérée à travers le temps. Les diamants en particulier étaient le signe de la puissance : c’est sur un trône d’argent tout incrusté de diamants que Louis XIV reçut l’émissaire du Grand Turc.

Jean Petitot, le Vieux
Boîte à portrait de Louis XIV
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi
Musée du Louvre

En 1669, deux marchands aux longs cours, Jean-Baptiste Tavernier et son concurrent hollandais David Bazu, par l’entremise du joaillier lapidaire Jean Pittan, rapportent à Louis XIV des centaines de gemmes extraordinaires. Parmi eux, un diamant de 115,4 carats originaire de Golconde qu’on appellera ensuite « le Diamant Bleu » et un saphir parallélépipédique de 135,8 carats, originaire de Ceylan dit « le Grand Saphir ».

Le Grand Saphir est le joyau actuel du MNHN. Cette gemme n’a jamais été retaillée depuis qu’elle est entrée dans le Trésor et fait étonnant, lors du sac du Garde-Meuble en 1792, elle fait partie des rares bijoux auxquels les voleurs ne s’intéresseront pas ! (Cf l’article consacré au Muséum national d’histoire naturelle).

Avec le grand diamant bleu de Louis XIV commence une histoire étonnamment romanesque. Cette histoire aux rebondissements nombreux est racontée par François Farges, éminent spécialiste et professeur au MNHN. Le diamant est taillé pendant deux années à partir de 1672 par Jean Pittan pour obtenir un bijou exceptionnel de 69 carats, d’un bleu profond (appelé violet à l’époque) couleur de la royauté, comprenant 72 facettes, à l’image du Roi-Soleil et représentant une cosmogonie héliocentrique.

En effet, la pierre était facettée en son centre d’une étoile à sept branches (chiffre chargé de symboles : les planètes, les jours de la semaine, le culte d’Apollon). Lorsque le roi portait cette pierre, montée sur une épingle d’or, l’illusion d’un soleil au centre d’un ciel bleu éblouissait tout son entourage.

Le diamant bleu de Louis XVI (Illustration) – Museum national d’Histoire naturelle © MNHN – Bernard Faye
Réplique du Grand Diamant bleu de Louis XIV – Museum national d’Histoire naturelle © MNHN – F. Farges

Ce diamant fut ensuite volé et sa trace se perdit. Ce n’est que récemment que François Farges put démontrer que le Diamant Bleu n’était autre que le diamant Hope, qui peut être admiré au Smithsonian Institution à Washington. Les deux retailles en font aujourd’hui une pierre 45,52 carats.
De plus amples détails sont donnés dans l’article III.

Le diamant Hope de 45,52 carats est présenté ici dans sa monture moderne conçue par Cartier avant la vente du Hope à Evalyn Walsh McLean en 1912. 16 diamants blancs de taille poire et coussin l’encerclent. Photo Chip Clark. Photo ID 97-35270. Source Smithsonian Institution
Le diamant Hope Diamond desserti. Poids : 45,52 carats. Longueur 25,60 mm, Largeur 21,78 mm, Profondeur 12,00 mm. Clarté : VS1. Présence d’un grain blanchâtre. Couleur : Bleu grisâtre foncé. Photo number: 2003-37145. Source Smithsonian Institution

 

Le très brillant siècle des Lumières

En 1717, le Duc Philippe d’Orléans (1674-1723), régent de France jusqu’en 1723, acquiert pour la Couronne un diamant de 140,615 carats, découvert dans la région de Golconde en 1698, qui portera son nom : Le Régent.

Portrait du Régent
Boit Charles (1663-1727).
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) : Jean-Gilles Berizzi

Cette gemme devient le principal diamant de la couronne de France, surpassant par sa beauté, sa couleur, sa taille et son poids tous les diamants jusqu’alors connus en Occident.

Diamant dit Le Régent Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) : Stéphane Maréchalle Musée du Louvre
Credit- Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) : Stéphane Maréchalle

Le Régent deviendra le symbole de la royauté, il ornera la couronne de Louis XV (1722), la couronne de Louis XVI (1775), l’épée du Premier consul (1801) devenue épée de sacre, le glaive de Napoléon Ier (1812), la couronne de Charles X (1825), et le diadème à la grecque de l’impératrice Eugénie.

Détail Jean-Léon Gérôme, Réception des ambassadeurs du Siam par Napoléon III et l’impératrice Eugénie, Château de Versailles © RMN. L’impératrice porte un diadème orné du « Régent ».

Il demeure la seule acquisition importante du règne de Louis XV. En effet,  le roi fit retailler sous son règne de nombreux diamants, y compris les Mazarins, pour ne pas avoir à racheter des diamants bruts mais aussi parce que la « retaille en brillant » des tailles anciennes, roses en particulier, apportait plus d’éclat. Cette préférence accordée à la brillance sur une très belle taille ancienne reste souvent critiquée.

Une nouvelle étape est franchie en 1749, lorsque Louis XV confie à Pierre-André Jacquemin, joaillier du roi, la création de l’insigne de la Toison d’or. Ce chef- d’œuvre constitue la première œuvre de « haute-joaillerie » française, mais il est aussi en quelque sorte la synthèse des joyaux de la couronne tels qu’ils ont été transmis depuis leur origine.

La décoration de l’ordre de la Toison d’Or comporte en effet les gemmes exceptionnelles ayant appartenu à Louis XIV : le grand Diamant  Bleu, « Le Bazu » et un autre diamant bleu pâle de 32,6 ct. Il reprend également le spinelle rouge de 107 ct, « Le Côte de Bretagne », hérité de François Ier et retaillé pour l’occasion en forme de dragon par Jacques Guay (graveur en pierres fines du cabinet du roi). Il comporte aussi trois saphirs jaunes (nommés dans l’inventaire royal « Topazes d’Orient ») totalisant environ 25 ct, plusieurs brillants de 4 à 5 ct et des centaines de petits brillants.

Reconstitution de la Toison d’Or par M. H. Horovitz – Photo © Herbert Horovitz

Le règne de Louis XVI (1754-1793) ne semble pas avoir apporté de pièce significative aux Diamants de la couronne. Certes, le Régent fut serti sur la couronne royale, puis Marie-Antoinette (1755-1793) aima à le porter, mais ni le roi ni la reine n’eurent de goût pour les parures de grande dimension.Les modes lancées par une Marie-Antoinette réputée frivole furent du reste champêtres et fleuries (on songe au Hameau de la Reine). Il est cruellement paradoxal que la réputation de la reine se soit effondrée dans une affaire de bijoux dont précisément elle n’avait que faire : il s’agit de la fameuse « affaire du collier ». Le protagoniste en est un collier de diamants que Louis XV aurait offert à la Du Barry si la mort ne l’en avait empêché. Marie-Antoinette refusa obstinément de porter ce collier, le trouvant trop lourd et marqué par la personnalité de la Du Barry, qu’elle détestait. Eût-elle accepté de le porter, ce collier aurait sans doute rejoint les joyaux de la couronne et la réputation de la reine serait restée intacte. Mais c’est là de l’histoire-fiction.

François-Hubert Drouais, 1773. Ce tableau est un portrait de la Dauphine Marie-Antoinette, épouse du futur roi de France, Louis XVI, à l’âge de 17 ans. Il représente la princesse en robe de cour et parée de bijoux. @ Victoria and Albert Museum.

Dix rares bijoux ayant appartenu à Marie-Antoinette ont été mis en vente par Sotheby’s à Genève le 14 novembre 2018. Cette vente de  bijoux historiques provenant de la famille des Bourbon- Parme a atteint des records.

Lot 100. Exceptional and highly important natural pearl and diamond pendant, 18th century. Royal Jewels from the Bourbon Parma Family. 14 novembre 2018. Genève. Estimation : 879,301 – 1,749,809 EUR. Lot vendu : 32,030,299 EUR. (Prix d’adjudication avec commission acheteur). @Sotheby’s

 

Le grand pillage de septembre 1792

Symbolisant la fabuleuse richesse des joyaux de la couronne, la Toison d’or fut volée lors du pillage du Garde-Meuble en septembre 1792.

Pierre Patte, Monuments érigés en France à la gloire de Louis XV, Paris. RMN-Grand Palais.
Photo (C) RMN-Grand Palais (Institut de France) / Gérard Blot

Les joyaux de la couronne avaient été déposés à l’hôtel du Garde-Meuble National (actuel Hôtel de la Marine place de la Concorde) après la fuite à Varennes (au cours de laquelle Marie-Antoinette avait pris soin d’emporter le Sancy) et l’emprisonnement de la famille royale. Pendant trois nuits consécutives, du 13 au 16 septembre 1792, le Garde-Meuble fut littéralement pillé par une bande de cambrioleurs. Nuit après nuit, d’inestimables trésors furent volés, passés par les fenêtres ou par les portes sans que personne ne s’en aperçoive.

En cette période de trouble révolutionnaire, les uns et les autres se renvoient les responsabilités. Les voleurs sont faits prisonniers puis assez vite libérés tant il semble évident qu’ils ne faisaient qu’obéir à des instructions venues de plus haut – sans qu’on sache jamais de qui : agents étrangers soucieux de mettre la main sur les joyaux de la couronne ? Royalistes français désirant exfiltrer ces bijoux? Girondins ou Jacobins cherchant à financer leurs combats politiques ? Les principaux documents judiciaires qui auraient permis d’y voir clair ont brûlé en 1871 dans l’incendie de l’Hôtel de Ville de Paris.

Parmi les gemmes retrouvées figure le Sancy mais il est mis en gage en 1796 et non dégagé. Il réapparaît en 1828, est vendu à un prince russe, qui le revend en 1865. Après plusieurs détours, il est acquis par William Waldorf Astoria pour son épouse en 1906. Finalement, le diamant sera acquis par le Musée du Louvre en 1976. C’est là qu’il est désormais visible.

Quant aux autres mazarins, ils furent presque tous retrouvés mais le Directoire en vendit onze en 1796 pour renflouer les caisses de l’Etat. Ils se trouvent probablement dans des collections privées. Trois néanmoins subsistent au Louvre :  les « Mazarins » 17 et 18, en forme de cœur, qui sont insérés dans la broche-pendentif de l’Impératrice Eugénie et le premier Mazarin, le Sancy.

Une chose est sûre : les pertes sont considérables. L’épée de diamants de Louis XVI ou encore la « chapelle de Richelieu » sont perdus pour toujours. Le Diamant Bleu s’est évanoui : on ne le reverra plus jamais tel qu’il avait été taillé par Jean Pittan, et c’est en Amérique qu’on le retrouvera, sous une forme altérée, des dizaines d’années plus tard.

Enfin, la Toison d’or a irrémédiablement disparu. Le Côte de Bretagne sera retrouvé en 1796 mais tout le reste a été soigneusement démonté et les pierres ont été vendues séparément. François Farges et le célèbre joaillier genevois Herbert Horovitz en ont fait une reconstitution en 2010 qui attend aujourd’hui l’intervention d’un mécène pour figurer à nouveau dans le patrimoine français.

Les derniers feux des Diamants de la Couronne

Sous le Premier Empire, Napoléon Ier (1769-1821) renoua avec les symboles monarchiques dont les joyaux de la couronne sont l’emblème. Il fit ainsi sertir le « Régent » sur son épée de Premier Consul qui servit aussi lors de son sacre. En 1812, le diamant prit place sur le glaive impérial. Afin d’éviter  les dérives d’une monarchie de droit divin, Napoléon Ier s’inspira d’une autre période historique : celle de la mythique et glorieuse Rome antique, qu’appuie le choix politique de l’Empire.

Napoléon Ier fait aussi revenir des joyaux qui avaient été engagés sous le Directoire, excepté le Sancy. A partir de 1805, il effectue des acquisitions importantes pour les Diamants de la Couronne – indépendamment des différentes et nombreuses parures personnelles qu’il offrira à Joséphine (1763-1814), qui possèdera le plus riche écrin privé d’Europe, ou à sa seconde épouse Marie-Louise (1791-1847).

François Pascal Simon Gérard L’impératrice Joséphine Photo (C) RMN-Grand Palais (Château de Fontainebleau) : image RMN-GP Fontainebleau, château
François Pascal Simon Gérard L’impératrice Marie-Louise en grand costume Photo (C) RMN-Grand Palais (Château de Fontainebleau) : Jean-Pierre Lagiewski

La principale composante du style Empire est la référence à l’Antiquité romaine (mais aussi à l’Antiquité grecque et égyptienne). En témoigne cette parure en or et mosaïques romaines exécutée par François-Regnault Nitot en 1810, cadeau de mariage de l’Empereur à Marie-Louise :

Parure de l’impératrice Marie-Louise Nitot François-Regnault (1779-1853) , joaillier Pronti Domenico (18e siècle) (d’après).
Vers 1809-1810. Composée d’un peigne, d’un collier, d’une paire de bracelets et de boucles d’oreilles.
Parure offerte par Napoléon Ier à l’archiduchesse Marie Louise comme présent de mariage, le 28 février 1810.
Micromosaïques : Rome, d’après des gravures de Domenico Pronti.
Monture : feuilles de vigne et grappes de raisins.
Ecrin : Gouverneur, gantier, pour l’impératrice Eugénie.
Parure inscrite à l’inventaire des Diamants de la Couronne en 1811.
Seule parure de Marie-Louise des Diamants de la Couronne parvenue intacte. Vendue en 1887.
Collection des Diamants de la Couronne. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Le parcours de Marie-Étienne Nitot (1750-1809) est caractéristique de l’art joaillier sous l’Empire.
Il crée sa maison à Paris en 1780, après avoir fait son apprentissage chez Auber, fournisseur attitré de la reine Marie-Antoinette. En 1802, la bijouterie Nitot prend son essor lorsqu’elle devient le joaillier attitré de Napoléon Ier. Avec l’aide de son fils François-Regnault (1779-1853), Nitot crée les bijoux du mariage de Napoléon avec Joséphine puis avec Marie-Louise. Il dessinera et sertira aussi la couronne du sacre de Napoléon, la poignée de son épée ainsi que bon nombre d’autres parures pour le couple et pour la cour. François-Regnault Nitot reprendra la joaillerie de son père à la mort de ce dernier en 1809 et continuera son activité jusqu’à la chute de l’empire en 1815. L’exil de Napoléon le conduit à se retirer de la bijouterie. Il s’installe alors dans le château d’Echarcon (Val d’Essonne) avec son épouse et devient maire de sa ville.

Sous la Restauration, certaines pierres qui avaient pu être retrouvées, comme la Côte de Bretagne et le second mazarin, furent réintégrés aux joyaux de la couronne. Louis XVIII (1755-1824) fait monter de nouveau les parures exécutées pour Marie-Louise afin de les remettre au goût du jour. Nombre de ces bijoux seront portés par la Duchesse d’Angoulême, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette. En 1821, c’est Jacques-Evrard Bapst (1771-1842) qui obtint le brevet de joaillier de la Couronne, titre qu’il conserva jusque sous le Second Empire.

Alexandre-François Caminade
Portrait de la duchesse d’Angoulême
1827
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Adrien Didierjean
Sulfure avec le portrait de la duchesse d’Angoulême Photo (C) RMN-Grand Palais (Sèvres – Manufacture et musée nationaux) : Martine Beck-Coppola
Jacques-Evrard Bapst, Christophe-Frédéric Bapst, Paul-Nicolas Menière
Paire de bracelets de la duchesse d’Angoulême
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Surnommé le « roi minéralogiste », Louis XVIII fait l’achat de divers diamants ainsi que de deux opales de Hongrie dont une figurera sur le manteau de sacre de son frère et a été conservée au Muséum National d’Histoire Naturelle – avec la collection de gemmes dont Louis XVIII fit don à sa mort.

Lorsque Charles X (1757-1836) se fait sacrer à Reims, le 29 mai 1825, il porte une couronne qui incorpore les principales pierres du Trésor : le Régent et les 7e et 8e mazarins.

Louis-Philippe (1773-1850) se voulant « Roi des Français » sera en revanche beaucoup plus mesuré sur l’usage de ces emblèmes royaux. Aussi fera-t-il peu usage des Diamants de la Couronne : il ne les porte guère et n’en enrichit pas la collection.

Le Second Empire (1852-1870) se définit par son éclectisme, son goût du faste et sa polychromie (Lorsque l’impératrice Eugénie visita le chantier de l’Opéra, elle crut bon d’interroger Charles Garnier sur les sources historiques du décor qu’il avait conçu : « Mais quel style est-ce donc ? Ce n’est pas antique, ce n’est pas Moyen Âge, ce n’est pas Renaissance. » – « C’est Second Empire, Madame », répondit l’architecte. Les bijoux de cette époque révèlent la virtuosité et les prouesses techniques des joailliers. Alexandre-Gabriel Lemonnier (vers 1808-1884), joaillier de la Couronne et François Kramer, joaillier attitré de l’Impératrice, sont les deux grands noms à retenir de ces dix-sept années d’Empire.

En 1855, à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris, Lemonnier fut chargé de réaliser les couronnes de l’Empereur et de l’Impératrice. Pour la couronne de l’Empereur, le joaillier a utilisé une grande partie des diamants de la Couronne. Cette couronne a été démontée et fondue en 1887. La couronne de l’Impératrice, que l’on peut voir au musée du Louvre, est composée de 2480 diamants et de 56 émeraudes qui appartenaient à l’Empereur. Les motifs de l’aigle et de la palmette sont typiquement des symboles impériaux.

Couronne de l’impératrice Eugénie. Credit- Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) : Stéphane Maréchalle
Olympe Aguado
Napoléon III
Photo (C) RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) / Daniel Arnaudet

Le Musée du Louvre conserve aujourd’hui cinq bijoux de tout premier ordre de l’Impératrice Eugénie.

 

Le crépuscule des Diamants de la couronne

A la chute du Second Empire, pendant la guerre de 1870, les joyaux de la couronne furent mis à l’abri sur un bateau de guerre à Brest.  Ils furent exposés deux fois avec succès à Paris : à l’occasion de l’Exposition universelle de 1878, puis en 1884 au Louvre, dans la salle des Etats.

Mais parce qu’ils mêlent les symboles de puissance, de richesse, de prestige du régime monarchique et des deux Empires, les joyaux de la Couronne n’ont guère la faveur des Républicains. Tirant argument de ce que représentent ces joyaux et espérant quelque revenu utile en des temps de fragilité économique, la IIIème République prend une décision radicale : la vente des joyaux de la Couronne.

Diamants de la Couronne de France. 1887. Photographie Berthaud. 9, rue Cadet, Paris. Portfolio en tissu contenant 23 épreuves sur papier albuminé, dont deux panoramas (doubles planches), contrecollées sur cartons avec légendes et mentions imprimées. Du 12 au 13 mai 1887, la vente d’une partie des Diamants fut à l’origine de la création de ce portfolio de photographies. @Gallica.bnf.fr
Recueil. Diamants, perles et pierreries provenant de la collection dite des joyaux de la couronne] / Berthaud Berthaud, Michel (1845-1912 ; photographe).

Du 12 au 23 mai 1887, les joyaux de la Couronne de France sont donc dispersés aux enchères publiques lors de neuf vacations qui se déroulèrent  au Louvre. Un seul des deux objectifs fut atteint. Financièrement, ce ne fut pas un succès, tout simplement parce que la mise soudaine sur le marché d’une telle quantité de gemmes eut pour principal effet de casser les prix. Symboliquement en revanche, ce fut une réussite : la France fut pour toujours débarrassée de ces encombrants symboles royaux et impériaux que joailliers venus du monde entier et rares particuliers s’arrachèrent. A plus d’un siècle de distance, il est permis de se demander si cette opération ne fut pas un pur et simple désastre sur le plan patrimonial et artistique…

Heureusement, avant cette vente, une commission d’experts avait sélectionné quelques pièces pour leur intérêt historique ou minéralogique et en avait prescrit le dépôt dans trois musées parisiens : le Musée du Louvre, le Musée de Minéralogie de l’Ecole des Mines, le Muséum National d’Histoire Naturelle.

Les fragments d’Histoire de France déposés dans ces musées sont d’une valeur inestimable d’un point de vue scientifique, artistique, patrimonial.

 

 

Si vous souhaitez recevoir le prochain article de Property of a Lady, veuillez vous inscrire sur ce lien. Merci !