Les bijoux de l’Impératrice Eugénie : de l’apogée à la chute
Avec la naissance du prince impérial en mars 1856, l’Impératrice s’affirme dans sa position et ses goûts : certains joyaux, pourtant très récents, sont impitoyablement démontés.
Parmi les bijoux démontés figure le diadème de Viette : « il ne plaisait pas beaucoup à la souveraine, qui le trouvait écrasant, non comme poids peut-être, mais comme volume ; elle le porta rarement, et disait volontiers, en faisant allusion aux flammes des rinceaux et à leur aspect un peu diabolique, que c’était un bijou bon pour Lucifer ! » . (Henri Vever, op.cit.).
Les pierres récupérées vont servir à l’élaboration dès le mois de juillet 1856 par Alfred et Frédéric Bapst d’un très sage diadème grec au classicisme de bon aloi, incluant comme son malheureux prédécesseur échevelé le Régent en son centre .
De la même manière le peigne de Viette est démonté et fera place, à l’occasion des festivités du baptême du prince impérial, à un autre peigne à pampilles encore plus imposant, également par les Bapst, comportant entre autres le diamant rose Hortensia : « Elle portait une large ceinture en diamants et un grand peigne à pampilles, monté spécialement pour la circonstance, qui formait sur le chignon et jusque sur le bas de la nuque comme une cascade mouvante de diamants » .
Toujours en 1856 l’éventail de Mellerio, pourtant neuf de l’année précédente, est démonté pour la création par les Bapst de sept étoiles à six branches , sans doute directement inspirées de celles livrées par Koechert pour l’impératrice Elisabeth d’Autriche.
Eugénie n’hésite donc pas à imiter ce qui se produit dans les cours voisines.
En 1863 la Maison Bapst lui livre ainsi un diadème russe, vraisemblablement copié sur celui observé lors du séjour de la grande duchesse Marie de Russie en France en novembre 1859.
Mais l’inspiration la plus notable de l’impératrice, l’influence quasi mystique sur ses goûts, son modèle par excellence est bien entendu le XVIIIème siècle en général et Marie-Antoinette en particulier.
Cette passion, vue par certain à la cour comme mal venue et quelque peu masochiste, va être largement le fil conducteur de nombre de ses décisions en matière vestimentaire, véhiculées par une presse avide de décrire les toilettes de l‘impériale icône, influençant les modes d’une nation et même au delà. En matière de joaillerie ce retour au XVIIIème siècle se retrouve dans un vocabulaire ornemental fait de rubans, fleurs, bouquets, feuillages, joncs enrubannés et nœuds dits à la Sévigné, déjà présent comme nous l’avons vu dès le début du règne et poursuivi dans les années 1860.
Ainsi Eugénie fait démonter la grande ceinture de Kramer en 1864 mais conserve le nœud central qui, modifié par les Bapst, serait ensuite devenu un devant de corsage .
Dans le même esprit la maison Bapst, toujours, avait confectionné en 1863 deux grands nœuds d’épaule d’un dessin parfait extrêmement élégant, reliés entre eux par un grand collier de quatre rivières de diamants. A la même période elle fournit également un ornement de coiffure composé de guirlandes de feuilles de lierre totalisant 477 brillants .
Si la mode de l’Ancien Régime demeure une constante, les goûts de l’impératrice, et des femmes de son cercle, savent aussi évoluer au rythme des grands événements du règne.
Des extravagances orientales au culte d’une simplicité… relative
Ainsi l’achat de la collection Campana par Napoléon III en 1861 et de son important lot de bijoux antiques entraînent une véritable fièvre étrusque chez les joailliers qui multiplient les pièces inspirées ou copiées d’après les originaux exposés à l’émerveillement de tous au Louvre. Si sa rivale, la comtesse de Castiglione, se fait représenter en reine d’Etrurie , l’impératrice n’est pas en reste et possède broches, bracelets et diadèmes à la manière antique .
L’expédition franco-britannique en Chine en 1860 et le cadeau fait à l’impératrice d’objets provenant du sac de l’ancien palais d’été de Pékin ainsi que les ambassades du Siam et du Japon reçues respectivement en 1861 et 1862 sont le prétexte idéal pour se piquer d’Asie, imposant la mode de l’exotisme et de promesses de voyages lointains. Eugénie commande ainsi chez Mellerio un nouvel éventail entièrement laqué figurant des oiseaux posés sur des branchages en fleurs, le tout en brillants, inspiré des paravents asiatiques .
L’unification des principautés roumaines en 1859, le voyage en Algérie avec l’Empereur en septembre 1860 ou encore la campagne au Mexique en 1861 sont autant d’influences suivies par l’impératrice pour l’élaboration de sa garde robe. Les bals masqués étant remis à la mode, Eugénie n’hésite pas ainsi à s’enticher de parures et costumes turcs ou apparaître en odalisque, laissant libre court à la sensualité, certes maîtrisée, d’une femme épanouie, réfléchie et sûre de son statut.
La Maison Bapst exécute ainsi un croissant de 89 diamants, commandé selon la légende pour un costume de Diane, mais porté fort opportunément par Eugénie lors de l’inauguration du canal de Suez en 1869.
De même Frédéric et Charles Bapst sont chargés en 1864 de la création d’une extravagante ceinture de pierreries d’inspiration orientalisante rassemblant diamants, perles, topazes, améthystes, rubis, saphirs et émeraudes pour un total de 15 000 francs . Une berthe en résille en diamants et pierres d’imitation livrée en 1864, une broche à aiguillettes en diamants et une imposante plaque de ceinture figurant une rosace en brillants d’inspiration mauresque en 1868 relèvent du même goût.
Ménageant l’aspect spectaculaire de ses apparitions, Eugénie va jusqu’à faire exécuter par Bapst, pour un bal au ministère de la Marine en 1866, une chaîne de 32 maillons entièrement composée de 832 brillants et supportant à chaque extrémité une broche de diamants en forme d’ancre .
Tout cela est bien entendu d’un luxe inouï et quelque peu tapageur, largement reproché à l’auguste commanditaire, surnommée « Falbala 1ère » ou la « Fée chiffon ».
Paradoxalement Eugénie se fatigue sans doute peu à peu de tant de faste et impose bientôt une certaine simplicité à sa Maison, du moins en privé.
Les diamants de la Couronne restent l’apanage des apparitions officielles qui, telles des pièces de théâtre, rythment l’almanach de la cour. Les parures font partie des « toilettes politiques » , des obligations de la fonction, de l’être et du paraître en tant qu’impératrice des Français et dont d’ailleurs elle n’a même pas la garde, cette tâche revenant au trésorier de l’empereur M. Bure : « Elle était en représentation pour montrer sa robe, ses bijoux. Avec son sens inné de l’élégance, elle s’habillait merveilleusement bien. Le diadème nuisait plutôt à sa beauté, mais il faisait partie du personnage. On détaillait ses joyaux. Portait-elle ce soir le Régent ? » .
Rien de tel donc au quotidien où « l’Impératrice donne elle-même l’exemple d’une grande simplicité et est loin d’exciter ses dames à faire de la toilette » .
Face aux parures officielles somptueuses, fantastiques mais lourdes des Bapst, les commandes privées auprès des joailliers comme Mellerio relèvent de la subtilité, de la finesse et de l’intime, propres à ces instants dévolus à la famille et aux amis lors des réceptions des « Lundis de l’impératrice » ou des fêtes organisées en l’hôtel d’Albe, réservé aux parents espagnols.
Travaillant plusieurs fois pour les diamants de la Couronne, notamment en 1857 en intervenant sur la parure de rubis et en 1861 avec la livraison de deux bracelets à barrettes et plaques pour la parure de perles, Mellerio se spécialise néanmoins dans la livraison à titre personnel de joyaux à l’impératrice, qui y dépense des sommes colossales pour elle et surtout son entourage.
Pas ou peu de pièces exceptionnelles mais une liste presque infinie de petits bijoux tels que bracelets en jarretière, montres-châtelaine , broches végétales de toutes formes, boucles de ceinture , tout un bestiaire de petits animaux et d’insectes en or, diamants ou émail. L’ensemble relève au demeurant d’un goût exquis et relativement sobre : « Je suis bien heureuse que le bracelet t’ait plu, moi je l’ai trouvé charmant car il était simple » .
Par inclination personnelle Eugénie dirige beaucoup de ses achats sur les perles et surtout les émeraudes, dont elle a la passion.
Cette dernière pierre fait malheureusement largement défaut au trésor de la Couronne, un unique diadème, datant également de la Restauration, étant à sa disposition .
L’impératrice se constitue donc une collection personnelle importante, sous la vigilance de sa trésorière la terrible madame « Pepa » Pollet. L’une de ses plus belles acquisitions, exécutée par Eugène Fontenay en 1858, demeure ainsi un diadème en brillants en forme de couronne dont neuf branches présentent des festons ayant au centre de grosses émeraudes en cabochon, lesdits festons pouvant être démontés et remplacés judicieusement par de larges perles .
Les derniers feux de la fête impériale et l’exil à Londres
Lors de l’Exposition universelle de 1867, reprenant son rôle d’encouragement et s’arrêtant devant la production des joailliers parisiens, Eugénie sélectionne chez Rouvenat une broche en forme de lilas, facturée 25 000 francs .
Chez Mellerio, dont de nombreux diadèmes iront bientôt coiffer les têtes des princesses européennes, elle observe une plume de paon faite de diamants et pierres de couleur : une commande sera passée l’année suivante.
1867 marquera l’une des dernières occasions pour Eugénie de briller et de jouer à l’hôtesse des princes du globe.
Trois ans plus tard la guerre éclate et les événements se précipitent : la défaite, l’emprisonnement de l’Empereur, la fuite honteuse des Tuileries et l’arrivée en Angleterre, l’exil. La femme la plus sophistiquée d’Europe, si ce n’est du monde, a quitté la France avec deux mouchoirs. Quand la famille se retrouve enfin dans la tristesse grise de Camden Place, les parures récupérées grâce à des mains amies n’ont plus vraiment de raison d’être, si ce n’est de rappeler des jours meilleurs. La vente de juin 1872 permet au moins d’alimenter certains espoirs, qui vont s’avérer bien éphémères. En 1873 la mort de Napoléon III et en 1879 celle du Prince impérial anéantissent les ultimes projets. Eugénie décide alors que l’avenir se fera sans elle, reniant désormais tout colifichet et se drapant de noir pour les quarante prochaines années, elle finit par distribuer aux derniers fidèles, parents et amis les restes de sa fabuleuse collection.
Comme un écho à ces diamants impériaux dispersés, la IIIe République décide de son côté de se débarrasser définitivement en mai 1887 des ces symboles par trop voyants de la monarchie impériale . Les parures d’Etat de Bapst iront orner les nouvelles princesses américaines.
A Madame Carette de conclure : « une tradition espagnole veut que les perles dont les femmes se parent le jour de leurs noces deviennent le symbole de larmes répandues. L’Impératrice dédaignant un ancien préjugé portait ce jour là un collier de perles incomparables qui couvrait son corsage de satin. La tradition, hélas, devait être fidèle » .
Nicolas Personne
Nicolas Personne est diplômé de troisième cycle de l’École du Louvre. Spécialisé dans l’étude des grandes demeures et des lieux de pouvoir, en particulier sous le Second Empire, il est l’auteur de plusieurs essais et articles sur les châteaux de Fontainebleau et de Compiègne sous Napoléon III.
Visuel de « une » : « MARÍA EUGENIA GUZMAN COMITISSA TEBAE GALLORUM IMPERATRIX. MDCCCLXII » Portrait de l’Impératrice Eugénie par Winterhalter, 1862. @Fundacion Casa de Alba, Madrid.
Lectures, sites et musées
Bernard Morel Les Joyaux de la couronne de France – Les objets du sacre des rois et des reines suivis de l’histoire des joyaux de la couronne de François Ier à nos jours. Edité par Anvers / Paris, Fonds Mercator / Albin Michel, 1988
Henri Vever. La Bijouterie française au XIX . 1800-1900, Trois volumes.
Madame Carette Souvenirs intimes de la cour des Tuileries, Paris, Ollendorf, 1890.
Souvenirs de la Princesse Pauline de Metternich 1859-1871. Paris, Plon, 1922.
Napoléon III et Eugénie reçoivent à Fontainebleau, l’art de vivre sous le Second Empire. Editions Faton, 2011.
Vous y retrouverez un texte passionnant écrit par Nicolas Personne consacré à « La vie de château »et intitulé « Etre invité à Fontainebleau sous le Second Empire ».
La Revue du Souvenir Napoléonien numéro 503
QUELQUES VISITES…
Le Palais de Compiègne
Et sa ravissante exposition sur le dernier peintre de cour, Franz-Xaver Winterhalter
Le Musée d’Orsay
A ne pas manquer la très belle exposition « Spectaculaire Second Empire » jusqu’au 15 janvier 2017. Voir notre entretien avec Hubert le Gall, scénographe de cette exposition ici.
Retrouvez mention de la série d’articles Second Empire de Property of a lady sur la page facebook Orsay
Le Musée du Louvre
Les bijoux de l’Impératrice sont rassemblés près des appartements Napoléon III (aile Richelieu)
UNE CONFERENCE
« Les joyaux d’Eugénie, Impératrice des français » par Béatrice Vingtrinier et Gislain Aucremanne à L’Ecole Van Cleef & Arpels, le jeudi 17 novembre 2016.
UN FILM
Violettes Impériales de Richard Pottier avec Luis Mariano, Carmen Sevilla, Simone Valère et Louis Arbessier, 1953.
ET UN PEU DE SHOPPING
La Réunion des musées nationaux – Grand palais a créé une ligne exclusive de produits « Spectaculaire Second Empire », en vente à la boutique du musée d’Orsay.
Cette ligne se compose d’une pochette, d’un sac, d’un miroir, d’un crayon, d’un bloc de correspondance, d’un mug et de deux estampes.