Les bijoux de l’Impératrice Eugénie

Par Nicolas Personne

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Médaillon-pendentif ouvrant de l’impératrice Eugénie, avec son écrin. Compiègne, musée national du palais de Compiègne C.2009.005. Or ou Métal doré ; émail

Les dirigeants de Christie’s, Manson & Wood peuvent être satisfaits. En effet en ce début d’après-midi du 24 juin 1872 les salles de vente du 8 King Street à Londres ne désemplissent pas.

La raison d’une telle affluence se résume en cent-vingt-trois lots présentés au plus offrant. Une simple liste fait office de catalogue, dressée sous le pudique titre « A portion of the magnificent jewels, the property of a distinguished personnage ». L’assemblée, constituée d’experts et de joailliers de renom tels que S.J. Phillips et Garrard, et des représentants des plus grands noms de l’aristocratie, n’est cependant pas dupe : il s’agit bien là d’une partie du fabuleux écrin personnel de l’impératrice Eugénie . L’ex-souveraine s’est en effet résolue à se séparer des bijoux de sa collection personnelle, dont elle avait emporté une partie en exil, cependant que l’autre partie avait été mise en sécurité et envoyée en Angleterre après la chute de l’Empire – cela afin d’adoucir les rigueurs de l’exil de la petite cour impériale rassemblée à Camden Place, Chislehurst, à quelques lieues de la capitale britannique. Alors que Napoléon III, conspirateur devant l’éternel, nourrit sans doute quelques velléités de retour en terre française, Eugénie a-t-elle jeté un dernier regard désolé sur ces parures qui furent les attributs privilégiés de son règne ?

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Montre-châtelaine de l’Impératrice Eugénie. 1853. Jules Jean-François Fossin. Rueil-Malmaison, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau 1853 Or ; diamant taillé en rose ; perle baroque ; émail

 

 

Le trèfle de Compiègne

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Franz-Xaver Winterhalter. Portrait de l’Impératrice Eugénie. Museum of Fine Arts in Houston, Texas, USA

Comme toutes les belles histoires, celle d’Eugénie avec les joyaux commence par une légende : celle du trèfle de Compiègne.

Objet de toutes les attentions et d’une cour empressée de la part du prince-président d’alors, la jeune mademoiselle de Guzman, invitée avec sa mère à passer quelques jours au château de Compiègne au cours de l’automne 1852, s’enchante lors d’une promenade en compagnie de son soupirant des effets des gouttes de la rosée matinale sur un trèfle.
Quelques jours plus tard, cette remarque anodine va prendre la forme, sous le prétexte d’une loterie malicieusement orientée, d’une broche en or et argent composée de trois feuilles en émail vert translucide entourées de brillants figurant le végétal tant admiré.

Trèfle en or, argent, émail et diamants réalisé par Jules Fossin. @Collection privée

L’anecdote est charmante, peut être trop. Ce qui est cependant certain c’est que la nouvelle impératrice se fera très officiellement représenter plusieurs fois avec le fameux trèfle de Jules Fossin épinglé sur son corsage, démontrant une affection toute particulière pour ledit bijou .

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Edouard Dubuffe@RMN-GP. Domaine de Compiègne. Droits réservés. Sur ce portrait du début de son règne, en 1853, l’Impératrice Eugénie porte les colliers de perles, d’un rang avec poires et de quatre rangs, appartenant aux Diamants de la Couronne. On aperçoit aussi le Trèfle de Compiègne.
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Edouard Dubuffe@RMN-GP. Domaine de Compiègne. Droits réservés. Détail du Trèfle de Compiègne.

Ce dernier, qui a pu donc faire office de cadeau de fiançailles, présageait des cadeaux infiniment plus somptueux commandés pour une occasion exceptionnelle : le mariage impérial.

 

Les parures officielles et l’écrin privé du mariage impérial

La corbeille nuptiale est en effet à la mesure de l’événement que l’empereur désire d’un faste absolu .

On notera ainsi la commande faite aux joailliers François Kramer (joaillier attitré de l’impératrice Eugénie) et Alexandre-Gabriel Lemonnier (joaillier de la Couronne) de quatre broches d’épaule et de corsage en perles et brillants.

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Les quatre broches réalisées par François Kramer sont de même dessin mais de tailles décroissantes. Au centre, le devant de corsage de Lemonnier orné en son centre de la perle Napoléon. Photo Berthaud de 1887
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François Kramer – Broche d’épaule de l’Impératrice Eugénie – La broche acquise par le musée du Louvre est la deuxième, adjugée à Bapst et fils. Elle est le dernier bijou à être entré dans les collections du Louvre le 11 février 2015. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Gabriel Lemonnier est chargé d’exécuter pour sa part le devant de corsage en perles et diamants portant en son centre l’énorme perle « Napoléon » de 346,27 grains, achetée par le premier empereur à Nitot en 1811 .

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La Perle Napoléon dite aussi La Régente depuis la vente des Diamants de la Couronne du 12 au 23 mai 1887. Comme le constate Bernard Morel, le culot de diamants taille ancienne n’est pas celui d’origine. @Christie’s

La vénérable Maison Mellerio dits Meller Frères livre quant à elle un éventail avec une monture en or, orné de 1075 brillants et recouvert d’émail rouge pour 3800 francs.

La plupart de ces pièces impressionnantes sont constituées avec les pierres fournies par la Couronne, ce véritable trésor d’Etat, minutieusement inventorié, considéré comme inaliénable, fruit des achats et création des règnes précédents, principalement de la Restauration, et dont Eugénie a désormais l’usufruit .

A côté des ces joyaux que l’on pourrait qualifier d’« officiels », la future impératrice se constitue très vite un écrin particulier considérable, fait d’achats personnels ou de cadeaux et qui échappent eux aux inventaires.

Pour les noces impériales, la presse se fait d’ailleurs largement l’écho de ces nouvelles parures privées : « Lemonnier fit éclore plusieurs parures, véritables fleurs d’intelligence et de génie. L’une de ces parures était en perles fines et en rubis, et se composait de la petite couronne fermée qu’on place derrière la tête, d’un bracelet et d’un collier à plaques. L’autre, en perles noires, d’une rareté introuvable, consistait en un bracelet formé de trois grosses perles noires. Le collier, juste au cou et de forme Louis XV, avait pour milieu une énorme perle pendeloque. Quatre grosses perles composaient la broche. Puis c’étaient des parures Louis XV en pièces de toutes couleurs. Une parure de saphirs et de diamants et une parure d’émeraudes et de perles fines » (in H.Vever, La bijouterie française au XIXème siècle, Paris, H.Floury, 1908)

Finalement le dimanche 30 janvier 1853 la jeune comtesse espagnole devient impératrice.

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Dessin issu des archives Life

A l’entrée de Notre-Dame la mariée plonge dans une profonde révérence devant une foule en liesse, scellant le début d’une relation, parfois tumultueuse, avec le peuple français. Eugénie est vêtue d’ « une robe à queue en velours épinglé blanc, recouverte en point d’Angleterre, au corsage à basques, parsemé de diamants. Sur son front est posé le diadème de diamants et de saphirs, mêlés de fleurs d’orangers » . Le diadème, sélectionné parmi les joyaux de la Couronne, est une création d’Evrart Bapst issue d’une parure livrée en 1818 pour la duchesse d’Angoulême, dont le style n’est pas encore jugé trop démodé .

Pour son dîner de noces au petit château de Villeneuve-l’Etang, dans le parc de Saint-Cloud, la nouvelle souveraine porte d’ailleurs une autre production de la Maison Bapst : la parure de rubis et diamants livrée également pour la duchesse d’Angoulême en 1816. Remaniée à partir de pierres fournies à l’origine en 1811 par Nitot pour Marie-Louise, la parure de rubis était considérée, à juste titre, comme la plus somptueuse des créations de pierres de couleur, rubis, saphirs, émeraudes et turquoises, élaborées sous la Restauration et conservées intactes sous le Second Empire .

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Paul-Nicolas Menière, Christophe-Frédéric Bapst, Jacques-Evrard Bapst – Paire de bracelets de la duchesse d’Angoulême – Photo (C) RMN-Grand Palais / Daniel Arnaudet

Les mois qui suivent l’union impériale apporteront de nouvelles créations d’importance.

 

La première’Exposition Universelle à Paris, le 15 mai 1855

L’approche de l’Exposition Universelle suscite des commandes marquantes.

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L’Impératrice Eugénie porte sur ce portrait le collier de perles d’un rang avec poires des Diamants de la Couronne. Franz-Xaver Winterhalter @RMN-GP. Crédit Franck Raux. Palais de Compiègne

Favorisant particulièrement les perles, Eugénie fait remanier l’ancien fonds des joyaux de le Couronne avec notamment la livraison, à nouveau par Gabriel Lemonnier, d’une couronnette et d’un diadème en argent et or, ce dernier constitué de 212 perles et de 1998 diamants, d’un dessin de rinceaux Louis XVI très élégant .

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Alexandre-Gabriel Lemonnier – Diadème de l’impératrice Eugénie – Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

La Maison Mellerio, fournisseur à titre privé de la cour et de la souveraine, qui multiplie les achats personnels et les cadeaux au 9, Rue de la Paix, est une nouvelle fois sollicitée très officiellement en 1855 pour créer un nouvel éventail avec des pierres de la Couronne. Ce dernier prend la forme d’une création en ivoire peint ornée de dentelle d’Alençon et composée de 1066 brillants pour 9382 francs .

L’inauguration de l’Exposition universelle le 15 mai 1855 est le point culminant de ce début de règne :

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Provost. Exposition universelle de 1855, vue de la grande nef du Palais de l’Industrie. 1855 Lithographie en couleurs. Archives Saint-Gobain © Archives Saint-Gobain

Napoléon III, qui veut que son épouse se présente avec un éclat incomparable, demande en effet à plusieurs joailliers de confectionner de nouvelles parures d’Etat, qui seront considérées parmi les plus célèbres du Second Empire, démontrant par la même occasion aux autres nations la maestria et la supériorité de la joaillerie française :

« C’est par un sentiment des plus fiers, écrit le rapporteur de 1855, que S. M. l’Empereur a voulu que les diamants de la Couronne fissent l’ornement le plus magnifique de l’Exposition ; et jamais Paris, à aucune époque précédente, ne s’est montré si prodigue d’une mise en dehors de capital, représenté par une masse de parures d’une aussi grande valeur, en même temps que d’un goût aussi élégant . L’esprit qui a entraîné nos joailliers à une pareille dépense est encore plus national que personnel ».

A tout seigneur tout honneur, une couronne impériale dite de haut de tête est exécutée par Gabriel Lemonnier pour Eugénie en même temps qu’une nouvelle couronne pour l’empereur. Celle de la souveraine, en or, est constituée de 2490 diamants et de 56 émeraudes, le tout pour 33 622 francs .

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Alexandre-Gabriel Lemonnier – Couronne de l’impératrice Eugénie – Photo (C) RMN-Grand Palais / Les frères Chuzeville
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d’après Franz Xaver Winterhalter Eugénie de Montijo de Guzman (1826-1920), impératrice des Français – portrait officiel en 1853. Photo (C) RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Droits réservés

Viette se charge de la création d’un peigne et surtout d’un imposant diadème de diamants, en collaborations avec Oscar Massin, d’un dessin de rinceaux entremêlés de style rocaille particulièrement audacieux, inspiré de boiseries versaillaises, et portant en son centre le Régent , faisant d’Eugénie la seule souveraine ayant l’insigne honneur de porter la pierre emblématique du trésor de la Couronne .

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Projet pour le diadème porté par l’Impératrice Eugénie à l’inauguration de l’Exposition Universelle de 1855. @RMN-GP. Crédit : Michèle Bellot

Théodore Fester livre un grand bouquet de corsage, d’un esprit naturaliste très XVIIIème remis au goût du jour par la jeune impératrice, composé de 2637 brillants (136 carats) et de 860 petites roses.

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Le grand bouquet de corsage en diamants. Photo Berthaud de 1887.

Dans le même style Kramer exécute une grande ceinture de 4485 brillants figurant en son centre un large nœud de diamants ainsi que plusieurs broches d’épaule et de corsage dont une entièrement constituée de diamants jaunes. Les joailliers Marret et Baugrand, Ouizille-Lemoine et Lemoine Fils se contentent pour leur part de fournir une coiffure de brillants et des décorations .

Bapst Christophe-Frédéric (1789-1870). Paris, musée du Louvre. MV1024;MV1024BIS.

La commande la plus extraordinaire revient en effet à la Maison Bapst qui, outre la livraison d’une grande broche de devant de corsage de style rocaille exécutée d’après un modèle du XVIIIème siècle , se voit chargée de l’élaboration de la mythique parure de feuilles de groseillier, livrée en juillet 1855.

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Parties (ici séparées pour la vente de 1887) du grand tour de corsage de la parure de feuilles de groseillier. Photo Berthaud de 1887

Cet ensemble de près de 7500 brillants et facturé 15 800 francs est composé d’une guirlande formant collier, d’un tour de corsage et d’un devant de corsage tous composés de bouquets de feuillages délicatement ouvragés, alternant avec des diamants et des aiguillettes, finement reliés entre eux.

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Une partie de la parure feuilles de groseillier. Vente Doyle du 13 avril 2011.

Les éléments, d’une grande légèreté, sont parfaitement mobiles, bougeant et scintillant au gré des mouvements de l’impératrice, rendant féerique chacune des ses apparitions .

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Une autre partie de la parure fleurs de groseillier. Christie’s Genève 2014.

Aussi somptueuses soient-elles, les parures de 1855 ne semblent pas avoir donné entière satisfaction à Eugénie. La naissance du prince impérial en mars 1856 aidant, l’impératrice va s’affirmer dans sa position et ses goûts….

A suivre :

« Les bijoux de l’Impératrice Eugénie, de l’apogée à la chute«