L’Age d’or des Maharajahs
[section_title title= »Mellerio dits Meller: l’histoire d’un paon et d’un maharajah »]
La Maison Mellerio dits Meller créa plusieurs bijoux inspirés par le motif du paon. Dès 1867, elle présenta lors de l’Exposition universelle de Paris une plume de paon toute de diamants, saphirs et émeraudes. L’année suivante, l’Impératrice Eugénie en acheta un modèle similaire.
Cette thématique du paon se poursuivra de nombreuses années durant chez Mellerio et sera un des motifs récurrents de l’Art Nouveau.
Entre 1898 et 1908, une série de seize pièces travaillant le thème du paon fut réalisée chez Mellerio. L’une de ces seize pièces, un collier de chien « plume de paon » est aujourd’hui conservé au Smithsonian Museum à Washington.
Une autre pièce, une aigrette-broche est actuellement présentée au Grand Palais dans le cadre de l’exposition « Joyaux, des Grands Moghols aux Maharajahs ». Ce modèle d’aigrette-broche avait été réalisé en trois exemplaires qui différaient par le nombre de diamants, le traitement des émaux et la matière choisie pour l’œil du paon.
Ces bijoux ne pouvaient qu’attirer l’œil d’un Maharajah amoureux de joaillerie. En effet, en Inde, le paon occupe une place extrêmement importante dans le patrimoine religieux; sa présence dans l’art hindou ancien est très prégnante, ainsi que dans la mythologie et les traditions.
Le paon est annonciateur de pluie, de mousson, de fertilité et prospérité. Il est aussi symbole d’immortalité et fut également l’emblème de la royauté islamique comme l’atteste le Trône du paon des empereurs moghols puis de la monarchie iranienne. Enfin, cet oiseau « aux cent yeux » décore nombre de palais : sa roue est très souvent stylisée dans des arcades et il est l’oiseau par excellence des jardins royaux.
Le 19 décembre 1905, Jagatjit Singh, futur Maharadjah de Kapurthala (1872-1949), personnage haut en couleurs dont Vincent Meylan relate avec humour et tendresse la vie dans son livre sur Mellerio dits Meller, visite la France. Il a découvert l’Europe en 1895. Francophile, il a fait construire dans sa ville un palais de style français suite à ce premier voyage. Chez Mellerio dit Meller il acquiert plusieurs pièces dont une aigrette-broche au motif de paon.
La beauté et la symbolique du bijou durent toucher le Maharajah de Kapurthala, qui en fit l’acquisition immédiate. Cet achat apparaît dans le livre de registre client de la Maison Mellerio 1904-1907 folio 406. La date de l’achat est un indice précieux qui contribue à authentifier la pièce. Que faisait en Europe le futur Maharajah ? Fin 1905, il figurait tout simplement sur la liste des invités officiels au mariage du roi d’Espagne Alphonse XIII prévu le 31 mai 1906 au Palacio Real. Il devait faire partie de l’impressionnant cortège accompagnant la fiancée Victoire Eugenie de Battemberg (nièce du roi Edouard VII et petite-fille de la reine Victoria). Il est donc typique des mœurs et usages des princes indiens en ce début de XXème siècle.
L’aigrette-broche achetée est en or rose, jaune, platine, diamants et émaux. Elle est sertie de 1742 diamants taille rose. Emilie Bérard, directrice du patrimoine de Mellerio révèle que la queue du paon est articulée et peut s’adapter, selon son utilisation, à la coiffure, au couvre-chef ou bien au vêtement. Bijou de tête ou broche d’épaule, elle peut donc aussi devenir broche de corsage lorsque la queue est détachée. Ce bijou est remarquable par le mouvement qui l’anime. Il se distingue également par la qualité du travail de mise à jour, difficile sur une forme convexe et par la finesse du rendu. Les yeux des plumes, en émail, confèrent à l’ensemble un réalisme étonnant.
L’histoire de cette broche se poursuit de façon romanesque : lors de son voyage à l’occasion du mariage royal, le Maharajah tombe amoureux d’une jeune danseuse andalouse de 16 ans, Anita Delgado (1890-1962). Il l’emmène à Paris où il l’épouse civilement. Le Maharajah lui offre l’aigrette-broche en forme de paon : « Tu seras pour toujours mon petit oiseau des îles », lui aurait-il dit. Anita portera ce bijou comme ornement de tête et il lui servira également à fixer sa coiffure. Le peintre Edward Patry (1856-1940) a réalisé un portrait d’Anita Delgado en 1907 avec la broche dans ses cheveux.
Lors du mariage religieux sikh qui eut lieu ensuite à Kapurthala, Anita Delgado devint la cinquième épouse du Maharajah et prit le nom de Maharani Prem Kaur. Ensemble ils eurent un fils puis divorcèrent quelques années plus tard, non sans fracas. La presse qualifia ce drame domestique de « Phèdre en Inde »: Anita était tombée amoureuse d’un de ces jeunes beaux-fils… Elle revint s’installer à Paris puis se fixa en Espagne définitivement.
Longtemps disparu de la circulation, ce bijou fut vendu en 23 février 2005 lors d’une vente aux enchères organisée par la Maison Sotheby’s en faveur des victimes du Tsunami du 26 décembre 2004. Conservée dans les coffres d’une fondation américaine au cours des dernières décennies, cette pièce spectaculaire se trouve actuellement dans la collection privée du Sheikh Hamad bin Abdullah Al-Thani.
Tous mes remerciements à Emilie Bérard pour m’avoir reçue et fait découvrir les cahiers d’archives de la maison.
Mellerio dits Meller, Joaillier des reines, Vincent Meylan, 2013, Editions Télémaque
Une passion indienne, La véritable histoire de la princesse de Kapurthala, Javier Moro, 2006, Editions Robert Laffont
A voir :
Le jubilé du Maharadjah de Kapurthala
Archives de la planète – musée Albert Kahn, opérateurs Georges Thibaud et Roger Dumas, 1927, court-métrage 20’
En 1927, le maharajah Jagatjit Singh régne depuis 50 ans sur l’Etat du Kapurthala. Des fêtes somptueuses sont données en l’honneur de son jubilé auquel assistent les principaux Maharajahs du Punjab, du Cachemire et du Rajasthan, ainsi que des personnalités de la couronne anglaise tel que le vice-roi Lord Irwin.