Influence de l’Inde sur les créations européennes : hier et aujourd’hui
[section_title title= » Cartier : de l’inspiration indienne à l’Art déco « ]
Lorsque Jacques Cartier prend en 1906 la direction de la succursale londonienne de la Maison, il vient de découvrir la culture et l’art des Indes. En 1911, il se rend personnellement en Inde pour y acheter des pierres. Dès cette époque, la maison dispose dans différentes villes de l’Inde d’acheteurs chargés de trouver des gemmes, notamment gravées ou taillées en boule – savoir-faire typiquement indien.
A Paris, Cartier verse à son tour dans l’association du vert et du bleu, qui désormais s’appelle « décor du paon » et s’inspire probablement des bijoux moghols émaillés des XVIIe et XVIIIe siècles que Louis Cartier aimait tant. Ces couleurs dominantes, auxquelles on peut ajouter le mélange noir et rose de l’onyx et du corail (qui lui n’est pas inspiré de l’Inde), deviennent caractéristiques du style Art Déco chez Cartier. Ainsi la relecture de la tradition indienne donne-t-elle le jour à la modernité avancée de l’art européen du bijou.
La mode de cette époque prône la verticalité : les longs pendentifs ou les sautoirs en boules de couleur s’imposent rapidement comme la ligne par excellence de l’Art déco.
Saphirs et émeraudes gravées sont ici sertis sans qu’une transition vienne atténuer le choc des couleurs. On retrouve un modèle très proche de ce collier en saphirs et émeraudes, daté de 1924, dans les archives de la maison (page 138, Cartier, H.Nadelhoffer). C’est le collier dit du Baron de Rothschild. Ce collier est passé en vente chez Sotheby’s à New-York le 21 avril 2015.
Les pierres précieuses taillées et gravées, avec un souci naturaliste du détail, en forme de feuilles, de fleurs ou de baies donnent naissance au cours des années 1920 dans les ateliers Cartier à des bijoux entièrement composés de fleurs ou de fruits. Ce nouveau style, qui mêle les différentes pierres de couleurs et s’inspire des bijoux perses ou indiens (origines que la maison différencie peu!), deviendra l’un des traits essentiels de l’art joaillier de Cartier. C’est seulement vers 1970, qu’il sera baptisé le style « Tutti frutti ».
Créés par Cartier dans l’entre-deux-guerres, ces deux colliers figurant aujourd’hui dans les collections nationales de la « Gem Gallery » de la Smithsonian Institution témoignent de l’influence de la joaillerie traditionnelle indienne sur la création joaillière européenne. Ces colliers sont composés de boules d’émeraude, dont la valeur – à qualité égale – était alors supérieure à celle du rubis : d’où leur très haute valeur.
Le « Post emerald necklace »
Créé par Cartier, entre 1928 et 1929, le collier « Post emerald necklace » mélange le style Art Déco et les influences indiennes. Il est typique de la manière de Cartier dans ces années-là. Il a été offert à la « Gem Gallery » par Mme Marjorie Merriweather Post en 1964.
Le « Mackay emerald necklace »
Sur cet autre collier caractéristique de la conciliation par Cartier des racines indiennes et de l’art moderne, l’émeraude centrale de 167,97 carats provient des mines mythiques de Muzo en Colombie. C’est la plus grande émeraude figurant dans la prestigieuse collection de la « Gem Gallery ». L’émeraude est sertie dans un pendentif en platine auquel s’ajoutent 35 émeraudes et 2191 diamants. Conçu par Cartier dans le style Art Déco, le collier était un cadeau de mariage de Clarence Mackay à sa femme Anna Case en 1931. Madame Anna Case Mackay a fait don du collier à la Smithsonian Institution en 1984.
Le 15 août 1947, l’indépendance de l’Inde est proclamée. L’âge d’or des Maharajahs touche à sa fin. S’ils conservent leurs titres, leurs richesses personnelles et leurs propriétés privés, les princes indiens sont privés de leur pouvoir et bénéficient désormais d’une rente à vie proportionnelle à leur rang (une « privy purse »), bien inférieure aux impôts que leur payaient leurs sujets. De nombreux Maharajahs mettent alors en vente des bijoux, des pierres, des parures entières. Pour cela, ils recourent souvent aux joailliers qui avaient créé ces montures.
Le coup de grâce intervient en 1972, lorsque Indira Ganghi décrète la suppression de ces rentes et l’abolition des privilèges royaux. Par surcroît, le gouvernement établit des impôts et met en place des droits de succession de 50% au décès de chaque Maharajah.
Le « Spanish Inquisition necklace », collier qui appartenaiit au Maharajah d’Indore et qui fut racheté à son fils par Harry Winston en 1948, illustre la nouvelle réalité économique et politique à laquelle sont confrontés les princes indiens. Une époque s’achève et avec elle un âge d’or de la création joaillière.