Influence de l’Inde sur les créations européennes : hier et aujourd’hui
[section_title title= »Le goût oriental à partir de 1910″]
Plusieurs moments-phares jalonnent la naissance en Europe d’un vif intérêt pour ce qui vient de l’Est.
A Paris, à partir de 1909, les Ballets Russes de Serge de Diaghilev connaissent un immense succès. Le public est fasciné, tant par les scènes de danse de Nijinski que par les décors et les costumes réalisés par Léon Bakst, S’ils sont marqués par la culture russe, ces Ballets sont surtout empreints d’un imaginaire oriental très puissant, prenant sa source dans les légendes d’un Orient rêvé. Ce n’est pas la part « occidentale » de la Russie qui s’y manifeste, mais véritablement ce que la Russie doit à l’Orient.
En 1911, le rideau de scène de Shéhérazade, oeuvre du peintre Valentine Serov, ressemble à une miniature persane et dévoile un orient sensuel et coloré où se meuvent des personnages aux costumes chatoyants et couverts de joyaux, évoluant dans un harem éblouissant. La féerie de couleurs qui se dégage du spectacle frappe les esprits artistiques de tout Paris. Cette féerie orientalisante influence profondément les artistes du temps, qui s’intéressent soudainement à la culture orientale, à ses mythes, à ses motifs, à ses couleurs, à ses sonorités.
Le chef de file de la haute-couture de l’avant-guerre, Paul Poiret, est le premier à être envoûté par les Ballets Russes et leur arrière-plan oriental. En ce début de XXe siècle, il a déjà profondément marqué l’évolution de la silhouette féminine en la libérant de l’effroyable corset qu’elle endure depuis plusieurs siècles. Le voici enchanté par l’imaginaire oriental, et imposant aigrettes et pendentifs indo-persans : la mode suit. Les créations indiennes prennent alors une ampleur considérable.
Dans l’univers de la joaillerie, l’influence des Ballets Russes mène à des combinaisons contrastées de couleurs qu’on estime caractéristiques des parures d’Orient. Le vert est associé au bleu, le rouge au le noir, le pourpre au vert vif. Les délicates teintes du style Marie-Antoinette ainsi que le style guirlande jusqu’alors en vogue, sont remplacés comme l’explique Hans Nadelhoffer par « le spectre des combinaisons complémentaires ».
Paul Iribe (1883-1935), connu pour ses multiples talents, dessina en 1910 une broche, exécutée par l’orfèvre Robert Linzeler, qui marqua son temps.
Elle se compose d’une importante émeraude colombienne conservée dans la taille hexagonale propre à son habitus (système de cristallisation). La gemme est gravée sur ces deux faces d’un motif floral asymétrique et daterait de la fin de l’Empire Moghol. Tels des rayons de soleil – ou des plumes de paon très stylisées? – des diamants, perles et saphirs montés sur platine jaillissent de l’émeraude. Cette création d’Iribe rappelle l’aigrette indienne portée sur leur turban par les Maharajahs. L’association des couleurs bleue et verte, inusuelle pour l’époque, s’inspire des « plumes de paon », motif que nous avons déjà aperçu, travaillé sur émail, chez Mellerio-dits-Meller (1867) et Boucheron (1870). Quant aux à-plats géométriques, ou bidimensionnels, ils vont devenir très à la mode quelques années plus tard.Ainsi, tout en mettant à l’honneur l’imaginaire oriental, tant dans ses couleurs que dans ses motifs, Paul Iribe anticipait l’Art Déco de plus d’une décennie!
Paul Iribe, Raymond Bachollet, Daniel Bordet et Anne-Claude Lelieur, Editions Denoël, 1982