Une histoire des bijoux régionaux : la Normandie
Par Brigitte Serre-Bouret
Guy de Maupassant, La Maison Tellier, 1881
Témoin de son temps, Guy de Maupassant (1850-1893) nous évoque sa région, la Haute Normandie (à l’époque la Seine-Inférieure et l’Eure) où les parures ne brillaient qu’en de rares occasions.
A quelle catégorie sociale appartenaient les élégantes qui portaient ces bijoux ? Gravures et portraits nous renvoient indifféremment, paysannes, femmes de pêcheurs, maîtresses ou servantes, modestes artisanes, commerçantes aisées. Comme dans toutes les provinces de France, le bijou est avant tout transmission patrimoniale et valeur refuge, jalousement conservé de mère en fille. Assorti de la coiffe en dentelle, parfois presque aussi coûteuse, il sert aussi de langage, attestant de la provenance géographique de sa propriétaire, témoignant de son bien.
A l’époque de l’écrivain, quelques kilomètres suffisent à souligner les différences : coutumes, costumes, langage. Les jours de foires ou de fêtes, avant de se parler, chacune, chacun, s’identifie au port du vêtement et du bijou, à la manière dont la coiffe est amidonnée. Dans le pays de Caux natal de Maupassant, le montage de cette dernière suffit à lui seul à identifier une femme de Dieppe, d’Yvetot ou des bords de Seine.
Pour le bijou, le particularisme est moindre. Si la Seine est une sorte de frontière entre la Haute et la Basse Normandie, les bijoutiers se copient, voyagent, suivent la mode. Certains fabriquent sur place, d’autres se fournissent à Paris d’éléments assemblés selon la commande. C’est ainsi qu’il n’est pas rare dans la Manche de trouver un bijou provenant de Rouen.
Dès avant la Révolution, Normandie et Provence, sont les premières régions de France, économiquement prospères, à témoigner de bijoux fabriqués localement. Du fait de l’essor industriel et des réseaux de communication, ferroviaires, maritime également avec l’Angleterre, la Normandie sera aussi parmi les premières à perdre son identité régionale, la mode parisienne gagnant vite du terrain.
La croix-bosse : un vénérable ancêtre
Presque toutes les croix normandes présentent la particularité d’avoir le pendant inférieur amovible. La croix bosse se porte dès avant la Révolution en Haute Normandie et dans le Calvados. Les deux faces du bijou obtenues par estampage d’une mince feuille d’or ou d’argent, sont soudées l’une à l’autre. Le décor bosselé imite les pointes de diamant. Le rembourrage de ce bijou fragile et creux se fait avec de la résine, du plâtre, parfois même du torchis !
Le bijou se complète de pendants d’oreilles et d’un cœur coulant, les petits orifices aménagés au verso de ce dernier permettant de passer un ruban remplacé au début du XIXème siècle par une chaîne. Ce bijou léger peut atteindre des dimensions surprenantes, plus de 15cm de hauteur. Il est fragile : la croix bosselée se cabosse !
Les pans de dentelle relevés sur le sommet de la tête évoquent une coiffe de l’Eure. Croix bosse et cœur coulant en or sont retenus par une chaine jaseron. Des pendants d’oreilles les complètent.
Les croix à pierres
La quadrille et la croix de Saint-Lô
Mis à la mode par les grands bijoutiers du XVIIIème siècle, le strass séduit par son imitation parfaite et économique du diamant. Sous l’Empire, il brille sur les croix normandes, reléguant la croix-bosse dans quelques écrins d’ancêtres. Dans toute la Normandie se fabrique la « croix drille » (du nom de l’outil du bijoutier) aussi nommée, la « quadrille » du fait de sa forme carrée.
Sur fond d’or ou d’argent repercé à décor de fleurons, le bijoutier aménage des cabochons sertis en cônes retenant le strass. Croix et cabochons deviennent volumineux à Saint Lô, ville qui donnera l’appellation générique à ce type de croix.
De la quadrille aux formes stylisées, naît la croix de Rouen. Sa forme s’étire sur une large plaque d’or repercée, bombée, garnie de strass. Le cabochon central s’ouvre en une myriade de pierreries nommée « à l’enfantement ». Elle est articulée et se complète du « coulant » qui tient plus du bouton de fleur que du cœur. Ce bijou, toujours en or, fabriqué à Rouen sous l’Empire et la Restauration, se fera aussi à Paris ultérieurement.
Des artistes parisiennes séduites par les bijoux normands
Le tableau Le Balcon réalisé par Édouard Manet est célèbre car il représente la première apparition de celle qui, d’élève à modèle, allait devenir la première femme impressionniste : Berthe Morisot (1841-1895). Elle porte le cœur coulant d’une croix de Rouen, témoignage de ses attaches familiales fécampoises.
De même dans ses autoportraits, Marie Bracquemond (1840-1916), peintre impressionniste méconnue, témoigne de son intérêt pour les bijoux normands. Ces artistes font preuve d’originalité. En effet, dans certains milieux parisiens, il était à la mode de se démarquer en portant des bijoux régionaux.
Le collier d’Yvetot
Ce collier à pierres, lourd et d’un bel effet, se compose d’éléments s’articulant entre eux à décor géométrique ou floral, retenant une croix ou la colombe du Saint-Esprit.
Cette appellation lui a été donnée par un bijoutier du pays de Caux ayant constaté qu’il s’en portait beaucoup à Yvetot, gros bourg du pays de Caux ainsi qu’à Rouen et sa région. En réalité, son origine est parisienne.
C’est l’exemple typique d’une fabrication que les bijoutiers normands s’approprient, se procurant à la capitale les éléments de bijoux qu’ils assemblent ensuite selon la demande et les moyens financiers du client.
Le Saint-Esprit
Ce bijou suspendu à une bélière en forme de nœud était déjà fabriqué à Saint Lô avant la Révolution. Au siècle suivant, il provient aussi d’ateliers niortais et parisiens.
On le nomme Saint Esprit car il représente la colombe emblématique descendant du ciel tenant au bec un rameau orné de pierres blanches ou de couleurs. Parfois ce sont des grappes de raisins auxquelles s’abreuvent des oisillons en signe de fécondité. Messagère de Vénus puis symbole de paix et du baptême chrétien, il est difficile de déterminer si ce bijou, évocateur de l’amour était offert au moment du mariage ou s’il était symbole religieux, catholique ou protestant.
Ce bijou fragile s’est porté dans toute la Normandie.
Les ivoires de Dieppe
En créant au milieu du XVIIème siècle la Compagnie normande, Richelieu accordait à une association de marchands de Dieppe et de Rouen le privilège d’exploiter le Sénégal et la Gambie. Parmi les marchandises importées, le commerce de défenses d’éléphants allait faire de Dieppe le principal centre ivoirier de France.
Au sein de la production surabondante qui va de la maquette de navire à la statuette en ronde-bosse, de l’objet religieux aux objets usuels, râpes à tabac, carnets de bal, souvenirs touristiques, les ivoiriers produisent des bijoux à motifs floraux, pensées, corbeilles de mariages, colombes, gerbes de blé, tout un vocabulaire évoquant l’amour, l’union conjugale et que les ébénistes sculptent aussi sur le fronton des armoires de mariage.
Le travail de l’ivoire était florissant à Dieppe qui comptait en 1820 près d’une centaine d’ateliers. En 2016, le décret Ségolène Royal interdisant le commerce de l’ivoire en France a conduit à la fermeture du dernier atelier qui perpétuait un artisanat de qualité depuis six générations.
Le collier dit « d’esclavage »
« De s’y mettre en ménage, ce n’est qu’un trépas certain… penser à son ouvrage. Adieu plaisirs, adieu beau temps, je suis dans l’esclavage »
Cette chanson populaire poitevine a malheureusement associé la condition féminine à ce charmant collier offert au moment du mariage. Un bien vilain nom pour un collier original qui se distingue par l’enchaînement de une à trois plaques à des chaînes différentes.
Son port se développe sous le Directoire à Paris pour être très en vogue sous l’Empire et jusqu’au milieu du XIXème siècle où il rencontre un vif succès en Normandie, en Poitou-Charentes, en Bourgogne, en Auvergne. Les bijoutiers se fournissent en éléments séparés. Les plaques émaillées proviennent du Poitou ou de la Bresse, les chaînes aux mailles différentes sont fabriquées à Paris. En Normandie, des bijoutiers plus talentueux gravent et repercent eux-mêmes la plaque centrale. Le charme de ces colliers vient de la variété de l’assemblage des éléments aux choix de la cliente. Ils sont tous différents !
C’est encore en Normandie que l’on retrouve les plus anciens esclavages aux décors gravés. Ils évoquent l’amour et la symbolique nuptiale (colombes, arc et flèches, corbeille de mariage, cœurs unis). Lorsqu’il s’agit d’une plaque émaillée le décor associe le chien de la fidélité aux cœurs enlacés ou le rébus de la pensée fleurie associée à l’inscription A MOI (Pensez à moi).
Au tout début du XIXème siècle, le collier de type « esclavage » comporte souvent une seule plaque comme en atteste cette élégante jeune femme. Le couple de colombes qu’elle tient répond en écho au décor identique gravé de colombes se becquetant sur ce collier normand.
Le sous-sol normand était-il riche ?
Les « diamants » normands
Dans son livre paru en 1787, intitulé Mémoires historique sur la ville d’Alençon et sur ses seigneurs, Joseph Odolant Desnos écrit : « les orfèvres de la ville utilisent des diamants faux, blancs et bruns extraits des carrières environnantes et qui lorsqu’ils sont mis en œuvre ne le cèdent en rien pour l’éclat aux diamants fins ». Effectivement, la carrière du Pont-Percé à quelques kilomètres d’Alençon, a longtemps livré un beau quartz cristallisé en prisme exploité et vendu sous le nom de diamants d’Alençon pour la fabrication des bijoux.
Jusqu’à l’Empire, des croix de Saint Lô sont reconnaissables car ce quartz fumé est légèrement brunâtre. Les bijoux ont continué à être fabriqués avec l’appellation « diamants d’Alençon » que seule une analyse géologique authentifierait car au fil de l’épuisement des carrières, des quartz plus blancs venant d’autres régions et surtout le strass, vinrent le remplacer.
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Brigitte Serre-Bouret est docteur en histoire de l’art et archéologie, conservateur en chef du patrimoine et enseignant chercheur. Après plus de trente ans de direction de musées de Beaux-arts, elle se consacre aujourd’hui à la recherche et à l’enseignement supérieur dans ses domaines de compétences. Notamment, elle enseigne à l’Institut National de Gemmologie à Paris et à Lyon, l’histoire et la sociologie du bijou. Elle a organisé ou participé à plusieurs expositions sur le sujet.
Son dernier ouvrage « Bijoux, l’Orfèvre et le Peintre » porte sur la symbolique des gemmes et des bijoux au travers des portraits, de l’Antiquité au début du vingtième siècle.
A voir !
Manet/Degas
Du 28 mars au 23 juillet 2023
Cette exposition est organisée par les musées d’Orsay et de l’Orangerie et le Metropolitan Museum of Art, New York où elle sera présentée de septembre 2023 à janvier 2024.
Musée d’Orsay
Esplanade Valéry Giscard d’Estaing
75007 Paris
Pistes bibliographiques :
Brigitte Serre-Bouret Bijoux, l’orfèvre et le peintre 2022
co*****@ed*****************.fr
Brigitte Bouret Bijoux et Orfèvres en Haute-Normandie 1993
Michael Fieggen Les Bijoux des Français 2021.
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