Suzanne Belperron & la technique de l’or vierge
L’or vierge était un des matériaux de prédilection de Suzanne Belperron (1900-1983). Mais qu’est-ce au juste que l’or vierge? Et en quoi cet or jaune vif, fort en titre, est-il emblématique du travail de celle qui avait coutume de dire « mon style est ma signature »?
En novembre 1961, dans un article consacré à « ce que les bijoux nous révèlent de leur créateur »(« Jewels that tell about their owners ») publié dans les San Francisco Chronicles, Cécile Sandoz définissait la spécificité des bijoux Belperron : « Une «fluidité abstraite» instantanément reconnaissable, un éclat pharaonique ou aztèque que donne une patine séculaire et une technique très personnelle de sertissage des pierres précieuses à l’intérieur de pierres fines ou ornementales plus importantes ».
Ces pierres étaient souvent de calcédoines, d’agates, de quartz « cristal de roche » ou « fumé », qui avaient été taillés par le célèbre lapidaire Adrien Louart. Suzanne Belperron avait été la première à oser associer, dès les années 30, des pierres de moindre valeur à des pierres précieuses. Le mélange entre pierres précieuses et pierres dites ornementales offrait un contraste qui permettait d’obtenir des effets de matière -entre transparence et opacité-, de jouer avec la lumière des pierres -brillance versus matité-, et de travailler avec une palette de couleur inédite à des créations joaillières proprement avant-gardistes.
Dans ce même article, Cécile Sandoz évoquait aussi la technique de travail de l’or vierge, qui est en fait un or quasi pur à 22 carats : « assez souple pour pouvoir être travaillé comme le plomb ou la cire. Ignoré par la plupart des bijoutiers, l’or vierge permet non seulement d’obtenir la fluidité renommée des bijoux Belperron, mais leur donne également cette patine qui paraît ancienne. Avant d’être monté sur un support plus dur d’or 18 carats, le bijou est incisé, marqué, courbé et ciselé pour acquérir cette apparence antique ».
Les orfèvres joailliers Emile Darde et Maurice Groëné, qui s’étaient associés en 1928 pour fonder la société Groëne et Darde, étaient les fabricants exclusifs des bijoux de Suzanne Belperron. C’est d’ailleurs en partie grâce à leur poinçon de maître que l’on peut authentifier des bijoux Belperron.
Groëne et Darde étaient les spécialistes de ces montures en or vierge rendues réalisables grâce à une technique appelée « or doublé ». L’or est un métal malléable, il est donc rarement utilisé sous forme pure (Au) en bijouterie. Généralement il est associé à d’autres métaux tels que l’argent, le cuivre ou le palladium pour former un alliage plus résistant -et jouer sur les couleurs de l’or . L’atelier Groëné et Darde avait mis au point une technique qui consistait à renforcer cet or 22 carats en l’associant à une couche d’or 18 carats afin de produire une feuille d’or plus ferme qui permettait la fabrication du bijou. La patine antique, qu’aimait tant la créatrice était ensuite obtenue par martelage, ciselage et brunissage de l’or vierge.