Suzanne Belperron et Aimée de Heeren : une amitié, un collier, une redécouverte

Récemment, le marché a vu brièvement réapparaître un collier de Suzanne Belperron dont on avait depuis longtemps perdu la trace. Les experts se sont penchés sur cette pièce avec respect et admiration – et notamment le premier d’entre eux, Olivier Baroin, qui a bien voulu nous faire part de ses impressions et exhumer pour nous la figure trop oubliée d’Aimée de Heeren, grande amie de Suzanne Belperron, mais aussi grande cliente qui rêvait de posséder un exemplaire de ce collier.

Suzanne Belperron à son bureau vers 1945. Observez bien les dessins sur son bureau ! Archives Olivier Baroin.

« Il s’agit d’une pièce exceptionnelle, provenant d’une collection privée européenne, que je n’avais jamais vue autrement que sur une photographie précieusement conservée par la créatrice dans ses archives », explique Olivier Baroin, expert de Suzanne Belperron et détenteur de ses archives personnelles. « Ce collier n’est sans doute pas une pièce unique, c’est l’un des exemplaires de ce type, conçu à la fin des années Trente et reproduit au fil des décennies par la créatrice ». Combien de pièces semblables existe-t-il ? Difficile à estimer selon l’expert… « D’autres modèles réapparaîtront probablement sur le marché une fois celui-ci dévoilé à la presse et au grand public. Je n’imagine pas que ce type de bijou ait pu être démonté par des héritiers lors de successions : l’esthétique du collier, véritable oeuvre d’art, supplante, une fois n’est pas coutume, la valeur intrinsèque du bijou. »

 


Orné de deux motifs coniques retenant des demi-cercles pavés en alternance de diamants taille ancienne, circonférence intérieure 370 mm environ, poinçons français pour l’or 18K (750/00), poids brut 132.30 g, restaurations. Les cinq arceaux sont mobiles. Le poinçon de maître, difficilement lisible se situe au centre du collier, sur le second demi-cercle en or. On en aperçoit en fait qu’une trace : quand on a insculpé le poinçon, la frappe ne s’est faite que sur la pointe du losange. Le poinçon de maître a ripé. Olivier Baroin perçoit la pointe du losange, le « S » surmonté du « t » et le « é » de Sté. Le poinçon Groené et Darde reconnu par l’expert permet de certifier que le collier a été réalisé entre 1942 et 1955.  Accompagné d’une attestation de Monsieur Olivier Baroin. Cf.: Sylvie Raulet & Olivier Baroin, Suzanne Belperron, Paris, 2011, p. 211, pour une photographie d’un collier identique.

Influencée par l’engouement pour les arts africains collectionnés avec passion par les artistes français dès le début du XXème siècle, Suzanne Belperron aurait dessiné ce collier signature à la fin des années 30. Le dessin ci-dessous d’une parure or jaune et diamant est une déclinaison amincie du collier mis aux enchères ce printemps. Les clous d’or sont remplacés par une torsade d’or et de diamants, dessin typique du trait Belperron.


Gouache, projet de collier, bracelets et boucles d’oreilles dits « africains » en or jaune, platine et diamants. Archives Olivier Baroin. Cf.: Sylvie Raulet & Olivier Baroin, Suzanne Belperron, Paris, 2011, p. 210.

On retrouve le même collier que celui de la vente parisienne dans deux pages de publicité commanditées par la Maison Herz-Belperron. Femina et Vogue présentaient en 1948 le collier composé de multiples demi-cercles rigides en or, alternés de demi-cercles sertis de diamants, retenus de chaque côté par un clou de forme conique.

Publicité parue dans Vogue en 1948 et contresignée de la main de la créatrice. @ Archives Olivier Baroin

Ce collier a séduit les personnalités qui suivaient attentivement les créateurs et créatrices de leur temps, et influençaient les réputations, au premier rang desquelles Aimée de Heeren.

Aimée de Sá Sottomaior porte une robe dessinée par Christian Dior alors dessinateur pour Robert Piguet. Printemps1939, Circus Ball reception de Lady Mendl (Elsie de Wolfe) à la Villa Trianon. Exposition Elegance in an Age of Crisis, Fashion of the 1930s. Cette exposition présentait un certain nombre de vêtements de couture ayant appartenu à Aimée@ By The Museum at FIT, NYC.

Aimée de Heeren (vers 1903-2006), ravissante mondaine d’origine brésilienne célébrée pour sa beauté, son originalité, son goût et son élégance, possédait une exceptionnelle collection de bijoux (la légende raconte que le Duc de Westminster, alors amant de Coco Chanel, lui avait offert des bijoux ayant appartenus à l’Impératrice Eugénie). En décembre 2007, The New York Times lui rendit hommage en ces termes : « when she died last year at 103, Aimee de Heeren — of New York; Palm Beach, Fla.; Paris; and Biarritz, France — became one more lost link to an earlier age of social grace and high society ».

Aimée Rodman de Heeren et sa fille Christina, à Biarritz. Aimée s’était remariée en 1941 avec Rodman Arturo de Heeren, héritier de la fortune du grand magasin Wanamaker © Getty images. Henry Clarke

A l’affût des talents de son temps, Aimée de Heeren faisait partie des grandes clientes de Suzanne Belperron. « On peut même aller jusqu’à dire qu’elle était une amie de Suzanne Belperron », précise Olivier Baroin.

Aimée en 1939 par Horst P. Horst
Suzanne Belperron à son bureau à la fin des années 30 @Archives Olivier Baroin

Leur importante relation épistolaire, conservée dans les archives personnelles de la créatrice, témoigne d’une attention mutuelle qui s’étend au-delà des échanges relatifs aux commandes joaillières.

Aimée de Heeren, grande admiratrice du travail de Suzanne Belperron soutenait le projet d’un livre sur l’oeuvre de la créatrice, qui aurait été le couronnement de sa carrière. C’est ailleurs pour ce projet, dont Hans Nadelhoffer aurait été l’auteur, que la créatrice rassemblait cahiers de commandes et souvenirs. Aimée de Heeren offrit d’ailleurs à Suzanne Belperron un appareil pour enregistrer ses mémoires, et lui proposa aussi son soutien pour exposer à New York au MET !

Une page du cahier de commande de Suzanne Belperron, datée de novembre 1970  qui souligne le nombre de bijoux Belperron que possédait Aimée de Heeren ! @Archives Olivier Baroin

En post-scriptum d’une lettre envoyée de l’hôtel Meurice (au début des années 1980) à sa « chère Amie », Aimée de Heeren décrit, d’un jugement pour le moins définitif, le collier d’inspiration africaine qu’elle avait aperçu des années auparavant chez Bernard Herz et dont elle avait étonnamment conservé intact le souvenir : « Si pendant que vous regarderez vos dessins, si vous tombiez sur celui de ce merveilleux collier en or et diamants, (d’inspiration africaine ?) qui avait de grands clous d’or et que j’ai vu chez Herz en 1939. (…) C’était vraiment merveilleux. Peut-on encore le répéter ? C’est rare un collier en or pour le soir qui soit original et pas les horreurs que l’on voit d’habitude ».

Aimée de Heeren à Suzanne Belperron. @Archives Olivier Baroin

Il est touchant que la réapparition de ce collier fasse renaître tout un pan de la vie de Suzanne Belperron et en particulier cette amitié avec Aimée de Heeren, mondaine  fantasque et impertinente incarnant un monde englouti.

 

Galerie La Golconde – Olivier Baroin
9, Place de la Madeleine. 75008 Paris.
Tel : + 33 (0) 1 40 07 15 69

Suzanne Belperron, Sylvie Raulet et Olivier Baroin,
La Bibliothèque des Arts (version française), 2011.
Antique Collector’s Club (version Anglaise)

 

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Les émeraudes de Mellerio, Van Cleef & Arpels et de Belperron : quelques pièces à ne pas manquer lors de la vente Sotheby’s, Joaillerie Paris, du 10 juin 2020

@Archives Mellerio 1979

Sotheby’s présente dans ses salons parisiens une exposition de dix-sept pièces historiques de la maison Mellerio, dont la broche transformable et articulée en émeraude, saphirs, rubis, diamants, formant une plume de paon, achetée par l’Impératrice Eugénie en 1868 et un collier de chien en perles fines, or rose, diamants et émail réalisée en 1900. Cet hommage sera suivi de la vente le 10 juin 2020 de vingt-cinq bijoux Mellerio créés dans les cinquante dernières années.

COLLIER EMERAUDES ET DIAMANTS, MELLERIO, 1977

Le motif central du collier est orné d’une émeraude de Colombie cabochon de forme goutte pesant 19.76 carats dans un entourage de brins rehaussés de diamants taille brillant et d’émeraudes taille ronde du Zimbabwe, longueur 480 mm environ, signé Mellerio, numéroté, poinçons français pour l’or 18K (750°/00), poinçon de maître pour Mellerio dits Meller, poids brut 171.53 g, écrin signé Mellerio. Accompagné d’un certificat gemmologique. Lot 169. @Sotheby’s Joaillerie Paris, 10 juin 2020. Estimation: 20,000 – 40,000 EUR

DEMI-PARURE EMERAUDES ET DIAMANTS, MELLERIO, 1979

Comprenant une paire de clips d’oreille et un collier ornés de cabochons ovales d’émeraudes et de diamants taille brillant, dimensions des clips d’oreille 54 x 17 mm environ, longueur du collier 345 mm environ, signés Mellerio, numérotés, poinçons français pour l’or 18K (750°/00), poinçons de maître, poids brut 146.58 g, écrins signés Mellerio. Accompagnée par deux certificats gemmologiques. Lot 152. @Sotheby’s Joaillerie Paris, 10 juin 2020. Estimation : 20,000 – 40,000 EUR

BRACELET EMERAUDES ET DIAMANTS, MELLERIO, 1968

Bracelet orné de cabochons d’émeraude et de diamants taille brillant, baguette et marquise, longueur 190 mm environ, signé Mellerio, numéroté, poinçons français pour le platine (950°/00), poids brut 75.91 g, écrin signé Mellerio. Accompagné d’un certificat gemmologique. Lot 168. @Sotheby’s Joaillerie Paris, 10 juin 2020. Estimation: 18,000 – 22,000 EUR

COLLIER/BROCHE EMERAUDE ET DIAMANTS, VAN CLEEF & ARPELS

COLLIER/BROCHE EMERAUDE ET DIAMANTS, VAN CLEEF & ARPELS
Le motif central amovible, orné d’une émeraude taille coussin rectangulaire pesant 18.22 carats dans un entourage de diamants taille poire et brillant, longueur 420 mm environ, signé Van Cleef & Arpels, numéroté, poinçons français pour l’or 18K (750°/00), poinçons de maître, poids brut 150.95 g, écrin signé Van Cleef & Arpels. Accompagné d’un certificat gemmologique. Lot 267. @Sotheby’s Joaillerie Paris, 10 juin 2020. Estimation : 200,000 – 300,000 EUR

CLIP EMERAUDES ET DIAMANTS, « HINDOU », SUZANNE BELPERRON


CLIP EMERAUDES ET DIAMANTS, « HINDOU », SUZANNE BELPERRON. Formant une palmette stylisée ornée d’émeraudes gravées, de diamants taille ancienne et rose, dimensions 54 x 29 mm, poinçons français d’import pour le platine (950°/00) et l’or 18K (750°/00), poids brut 26.60 g, restaurations. Accompagné d’une attestation de Monsieur Olivier Baroin. Lot 252 @Sotheby’s, Joaillerie Paris, 10 juin 2020. Estimation: 15,000 – 30,000 EUR

 

Sotheby’s, Joaillerie Paris, 10 juin 2020.
76, rue Saint-Honoré. 75008 Paris.
Téléphone + 33 (0) 1 53 05 53 05

Mellerio
9, rue de la Paix 75002 Paris
Te l: + 33 (0)1 42 61 57 53
Email: co*****@me******.fr
Ouvert du lundi au samedi de 10h30 à 19h

Mellerio, joaillier du Second Empire, Réunion des musées nationaux, 2016.

Mellerio dits Meller, joaillier des reines, Vincent Meylan, Editions Télémaque, 2013