Les fleurs dans la joaillerie du XIXème au XXIème siècle : une inspiration inépuisable
« Flowers are one of the ways we mark particular moments in our lives, and jewellery is another. It’s a small wonder, therefore, that flowers are a significant theme in the oeuvre of jewellery designers« . Carol Woolton
La Nature est une source d’inspiration pour les artistes depuis la Haute-Antiquité : lotus et papyrus sont un motif récurrent des arts de l’Egypte Antique ; chars fleuris, couronnes et guirlandes végétales évoquent les Anciens, Grecs et Romains ; quant à l’art islamique des redoutables Empereurs Moghols, il se caractérise par la très grande richesse de ses ornements végétaux et floraux, l’iconographie du Taj Mahal en est particulièrement emblématique.
L’orfèvrerie aussi est fortement empreinte de cette thématique depuis l’Antiquité. Au-delà de l’aspect proprement esthétique, la fleur revêt une dimension symbolique consacrée, recelant un message qui prend la forme d’un « langage floral » et qui confère une signification très personnelle, intime, au bijou. La Renaissance et l’époque romantique en ont été très marquées.
Au début du XIX ème siècle, une nouvelle impulsion fut donnée au motif floral : les joailliers s’intéressèrent à l’évolution des sciences naturelles et s’inspirèrent d’une science botanique alors en plein essor.
Bouquets de corsage, fleurs fraîches piquées dans les coiffures ou sur les chapeaux, boutonnières d’un soir, ces beautés éphémères furent peu à peu remplacées par des bijoux d’inspiration naturaliste dont le grand mérite était… de ne pas faner !
L’histoire du motif floral et végétal depuis le XIXème siècle nous a laissé de précieuses oeuvres d’art miniatures, et l’évolution de cette thématique traduit celle, parallèle, des techniques artisanales. Les fleurs réalisées en joaillerie sont aussi typiques des personnalités, des artisans joailliers et des Maisons qui les ont produites. Loin d’être simplement un exercice de style obligé, le motif floral favorise de multiples formes d’expression. Toutes les vitrines de joailliers, ou presque, l’attestent. Certaines Maisons se singularisent même par leur choix d’une fleur devenue leur emblème : le camélia chez Chanel, la rose chez Dior, l’orchidée chez Cartier- ou par celui d’un végétal attitré : le lierre chez Boucheron.
Une vaste littérature a été écrite autour des Arts décoratifs inspirés de la nature, des milliers de bouquets joailliers ont été créés, certains sont d’ailleurs inoubliables : la broche rose de la Princesse Mathilde, la broche lilas de Mellerio ou celle de l’Impératrice Eugénie commandée à Rouvenat, le collier noisettes de René Lalique. Le sujet pourrait presque apparaître épuisé…. mais ce serait ne pas tenir compte du goût constant, intemporel et international des femmes pour le motif floral.
La création joaillière contemporaine peut-elle encore briller au regard de ce riche passé ?
Paris, New-York et Genève répondent en choeur avec deux expositions rassemblant un éventail non exhaustif de créations joaillières du XIXème à nos jours : « Dess(e)in de nature » et « In Bloom » et que vient compléter une sélection de très beaux bijoux floraux présentée lors des « Magnificent jewels » de Sotheby’s.
La diversité du monde végétal est majestueusement transposée dans le monde minéral : pierres précieuses, perles fines et pléthore de gemmes multicolores offrent une floraison printanière de toute beauté. Les créations joaillières d’il y a un siècle se confrontent à celles d’aujourd’hui. Les inspirations sont multiples, les créateurs proviennent d’horizons géographiques divers, une joute florale oppose les Anciens et les Modernes !
Dess(e)in de nature : Chaumet à Saint-Germain-des Prés
La maison Chaumet présente jusqu’au 14 septembre 2019 (avec une interruption du 15 au 24 juillet) une exposition intitulée « Dess(e)in de nature » dans le charmant hôtel particulier qu’elle occupe jusqu’à début 2010 à Saint-Germain-des-Prés. Placée sous le commissariat de Marc Jeanson, responsable des collections de l’Herbier national au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, l’exposition met en regard les dessins d’atelier et les réalisations joaillières de la Maison. Riche d’un fonds de plus de soixante mille dessins et de photographies prises depuis les années 1890, la Maison a puisé dans les archives de ses différents ateliers pour rendre hommage à une Nature inspiratrice. L’exposition présente aussi quelques maillechorts (un alliage de cuivre, zinc, et nickel employé pour transposer en trois dimensionnels dessins d’atelier avant fabrication) et de très rares pièces de son orfèvrerie.
Si l’Impératrice Joséphine fut une des grandes muses de la maison Chaumet, l’influence majeure de cette exposition est sans conteste Pierre-Joseph Redouté (1759-1840) dont l’ombre plane sur les dessins d’atelier datés de la fin du XIXème siècle : des observations naturalistes du monde végétal, proches de planches botaniques dont la finesse de trait charme. Marc Jeanson les compare à un « herbier joaillier ».
Au fil du parcours que l’on suit sur trois étages, la nature apparaît sous différents jours : sauvage, ordonnée, puis domestiquée.
Au premier étage, la Nature apparaît dans son état sauvage
Nymphéa blanc, cèdre, chêne, lierre, houx… Une luxuriance végétale imprègne les créations joaillières de Jules Fossin et Joseph Chaumet en cette seconde moitié du XIXème siècle.
Clin d’oeil aux ouvrages de botanique du XVIIème siècle : un papillon s’immisce dans la végétation
Au deuxième étage, la Nature est « ordonnée »
La profusion du premier étage laisse place à l’étude, à l’analyse des formes et de leurs variations. D’observateur, l’homme devient un ordonnateur du vivant. Roseau à massette ou « roseau des étangs », avoine, blé sont les nouveaux modèles des ateliers qui s’emploient à les restituer méticuleusement sur papier, puis dans leurs bijoux.
Le troisième étage est consacré à une Nature « domestiquée »
Dans cette dernière section, le créateur interprète et stylise les éléments de la nature qu’il a auparavant observés. L’horticulture, le jardin botanique, le jardin à la française et la folle histoire de l’introduction de la tulipe en Europe témoignent de cette appropriation de la nature par l’homme. Feuilles de vigne et grappes de raisins (demi-parure de J-B Fossin 1820-25), acanthes et fleurs de fuchsia stylisées ponctuent les différentes époques, de l’Empire à nos jours sans oublier la Belle Epoque. Le diadème « Vertiges » créé en 2017 par Scott Armstrong souligne l’audace, le dynamisme et la pérennité de la thématique végétale.
Dess(e)in de nature
Du 19 avril au 15 juin, puis du 24 juillet jusqu’au 14 septembre 2019.
Exposition gratuite, du lundi au samedi de 10h à 18h (réservation recommandée).
Plus d’informations et réservations sur www.chaumet.com
165, Boulevard Saint-Germain. 75006 Paris.
Chaumet, Flammarion, avril 2017.
In bloom : chez Sotheby’s à New-York
In Bloom : a selling exhibition of floral jewels. Imaginée par Carol Woolton and Frank Everett, cette exposition-vente retrace l’évolution du motif floral dans la création joaillière depuis la fin du XIXème siècle jusqu’à nos jours.
« Flowers are where jewellery art can shine, and we weren’t looking for anything in particular except the prettiest flowers » (C’est avec les fleurs que l’art joaillier s’exprime le plus brillamment, et nous ne recherchions rien de particulier si ce n’est les plus jolies fleurs).
L’exposition présente soixante-treize bijoux qui diffèrent par les techniques, le choix des motifs floraux, les gemmes employées et par les origines culturelles des créateurs. Il n’est ni linéarité ni évidence dans cette histoire du motif floral : si d’emblée on croit déceler une veine naturaliste puis assister, à partir des années soixante-dix, à la floraison de fleurs fantaisistes ou imaginaires, un regard plus attentif révèle combien les joailliers brouillent les repères traditionnels et trouvent leur inspiration à tous vents. La nouvelle-garde internationale excelle dans la précision du motif, dans les dégradés subtils ou chatoyants de couleurs que permet la richesse du marché des gemmes actuel, et l’on note enfin la virtuosité technique des réalisations.
L’exposition new-yorkaise dissémine dans ses vitrines pièces anciennes et pièces de facture récentes. Les créations florales joaillières reposent sur des herbes folles, dans une forêt de conte de fées où branches et arbustes scintillent de mille feux. Pour une lecture plus aisée de cette exposition, vous trouverez dans la sélection ci-dessous les bijoux floraux caractéristiques du XXème siècle, puis, dans un foisonnement ordonné seulement par les différentes nationalités des créateurs, celles du XXIème siècle.
Floraison du XXème siècle
Floraison contemporaine
L’Asie à l’honneur
« The Chinese make the most beautiful contemporary flower jewellery, with their use of sculpture and colour » Frank Everett. (Les Chinois créent les plus beaux bijoux contemporains de fleurs grâce à la sculpture et aux couleurs qu’ils emploient) et Carol Woolton ajoute : « They have a whole new aesthetic and perspective » (ils ont une esthétique et une approche complètement nouvelles).
Deux créatrices taïwanaises : Cindy Chao et Anna Hu
Gimel, ou la poésie du Japon
Wendy Yue et James Ganh, talentueux joailliers originaires de Chine
La Grande-Bretagne, et ses « léopards »
Le cercle des « leopards » rassemble des créateurs et des professionnels de la joaillerie britannique. Carol Woolton fait partie des membres fondateurs avec aussi, présents dans cette exposition, Solange Azagury-Partridge, Shaun Leane et Stephen Webster.
Made in US : Irene Neuwirth et Robert Procop
Trois créateurs français : Emmanuel Tarpin, SABBA et Lydia Courteille
Le Brésil exotique de Silvia Furmanovich
L’Inde stylisée de Santi et de Neha Dani
« In Bloom : a selling exhibition of floral jewels »
jusqu’au 24 mai 2019, Sotheby’s à New-York
1334 York Ave, New York, NY 10021.
Floral jewels, Carol Woolton. Prestel publishing, 2014.
Les sept plus beaux bijoux floraux des Magnificent Jewels de mai chez Sotheby’s à Genève
Univers floral stylisé
Un magnifique collier d’émeraude en grappe de Leopoldo Janesich (1802-1880) qui, ainsi que le souligne David Bennett, n’est pas sans rappeler celui redécouvert à peu près à cette époque dans le trésor londonien de Cheapside Hoard
Quatuor de broches Cartier
Fleurs figuratives
Tous mes remerciements à Monsieur David Bennett, Catherine Allen et Amanda Bass chez Sotheby’s
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A télécharger :
Understanding Jewellery : La nouvelle application incontournable pour les passionnés de joaillerie. Conçue pour les tablettes tactiles, cette application peut être téléchargée via les plateformes de distribution App Store (de Apple) et Google Play (pour appareils Android) pour 19,99$.
A lire :
Flore, Patrick Mauriès et Evelyne Possémé. Collection Galerie des bijoux. Musée des Arts Décoratifs. Octobre 2016.
Understanding Jewellery, David Bennett & Daniela Mascetti, troisième édition, 2015, ACC Art Books, 496 pages.
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visuel de « une » : Paire de boucles d’oreilles asymétriques et transformables spécialement créées par Shaun Leane pour « In bloom ». Inspirées par l’Art Nouveau, ces boucles d’oreilles sont ornées l’une d’un diamant de couleur vert vif SI1 de 0,89 ct et l’autre d’un diamant incolore D, IF, de 0.82 ct, et de grenats tsavorites et émail. Exposition-vente Sotheby’s New-york « In bloom ». Prix de vente : 1.100.000 USD.