« De neige et de rêve, les bijoux d’Elsa Triolet »

Cantique à Elsa

Tu faisais des bijoux pour la ville et le soir
Tout tournait en colliers dans tes mains d’Opéra
Des morceaux de chiffons des morceaux de miroir
Des colliers beaux comme la gloire
Beaux à n’y pas croire Elsa valse et valsera
J’allais vendre aux marchands de New-York et d’ailleurs
De Berlin de Rio de Milan d’Ankara
Ces joyaux faits de rien sous tes doigts orpailleurs
Ces cailloux qui semblaient des fleurs
Portant tes couleurs Elsa valse et valsera

Louis Aragon, Les Yeux d’Elsa, 6ème et dernière section, Paris, Gallimard, 1942 (Oeuvres poétiques complètes, Bibliothèque de la Pléiade, p.803)

… Ces vers du grand Aragon peuvent servir d’introduction à l’exposition présentée par le Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Evreux jusqu’au 14 février 2016 : il s’agit de la collection de bijoux créés par celle que l’on connaît surtout pour ses œuvres littéraires et le couple célèbre qu’elle forma avec Aragon, Elsa Triolet (1896-1970).

L’exposition est constituée de cinquante-quatre pièces restaurées, principalement des colliers et des bracelets, prototypes, créations inachevées qui témoignent du travail d’Elsa Triolet : « Je m’efforçais de faire des colliers en une matière qui n’avait pas encore été utilisée, aussi personne ne pouvait m’enseigner la technique ». Les matières sont très variées, ni pierres précieuses ni pierres fines mais des matériaux naturels, modestes : papier tressé, pâte de verre, nacre, métal, cuir, galon de coton…

 

Ces bijoux ne sont pas des pièces de haute-joaillerie mais des bijoux décoratifs ou de mode, dont la valeur tient à l’imagination artistique qui s’y manifeste. La collection est d’une étonnante modernité ; les motifs et les dessins sont d’un charme très féminin.

 C’est en novembre 1928 qu’Elsa a rencontré Louis Aragon. A partir de 1929 et jusqu’à la fin de 1932, Elsa se lance dans la fabrication de bijoux pour subvenir à leurs besoins : « A l’atelier, c’est une écurie […] maintenant je m’occupe de nouveau des colliers qui me prennent vingt-quatre heures par jour. Je fais de nouveaux modèles, je m’inquiète à la pensée que tout cela ne vaut rien ». Et elle ajoute : « il faut renoncer à l’insouciance car la maison d’édition ne paie plus Aragon ».

Elsa crée ainsi des modèles et Louis, sous le nom de Monsieur Triolet, va les vendre dans les maisons parisiennes de haute-couture dont celles de Paul Poiret, Madeleine Vionnet et Elsa Schiaparelli, ainsi que dans les maisons d’exportations.

« Pauvre Louis ! Pour lui aussi le commerce était une chose parfaitement insolite. A six heures du matin, sans avoir le temps de déjeuner ni de se raser, il courait la valise à la main dans le quartier éloigné des maisons de commission. Moi, je préparais déjà une deuxième collection de colliers en choisissant le matériel de telle sorte que Louis n’ait pas trop de mal à porter la valise. Ce facteur tout à fait nouveau de création des modèles m’a amenée à des résultats inattendus. J’ai inventé des colliers presque impondérables, en crin blanc, dont on a écrit, quand ils furent exposés au « Salon des Artistes Modernes », que c’était des colliers de neige et de rêve. » 

collier 1931, perles en nacre, galon de coton beige et fermoir en alliage cuivreux

Collier 1931, perles en nacre, galon de coton beige et fermoir en alliage cuivreux

 Les bijoux d’Elsa créés pour la haute-couture connaîtront un destin exceptionnel : décrits par Elsa Triolet elle-même dans Colliers, roman-documentaire sur le monde de la mode (1932), ils sont photographiés par Man Ray et filmés par Agnès Varda en 1966.  En 1981, Louis Aragon offre près de cinquante modèles à la Bibliothèque Elsa-Triolet de Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), ainsi que la valise dans laquelle il allait lui-même présenter les bijoux aux couturiers.

 Ces bijoux ont été exposés de nombreuses fois. En 1972 une grande rétrospective Elsa Triolet eut lieu à la Bibliothèque nationale à Paris. A Saint-Etienne-du-Rouvray, ils furent exposés à plusieurs reprises en 1987, en 1996… Ils furent aussi prêtés à l’occasion d’une exposition au Musée de la Mode à Paris sur Elsa Schiaparelli.

L’exposition d’Evreux est une nouvelle occasion de découvrir ces créations originales et inattendues !

Pour aller plus loin :

 « De neige et de rêve, les bijoux d’Elsa Triolet », Editions du Chêne. Sous la direction scientifique de Florence Calame-Levert, conservateur du patrimoine, directrice du musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux.

Cet ouvrage présente une centaines d’illustrations avec la reproduction inédite de tous les bijoux de la collection.

Musée d’Art, Histoire et Archéologie
6, rue Charles Corbeau. 27000 Evreux


mu**********@ev****.fr











/ 02 32 31 81 90

 

Clichés : Art Digital Studio. Copyright : Musée d’Evreux.
La provenance des objets : collection Médiathèque de la ville de Saint-Etienne-du-Rouvray.