Daniel Brush : A la recherche du temps présent

Mise à jour du 29 novembre 2022 : Daniel Brush (1947-2022)

Daniel Brush, Cuffs and Necks

En 31 octobre 2017, L’Ecole des Arts Joailliers présentait dans ses murs deux importantes séries de bijoux, des manchettes et des colliers ras-de-cou, ainsi que quatre objets d’art et quelques peintures, réalisés par l’artiste Daniel Brush. Une première exposition en France pour cet artiste étonnant, méconnu en France mais célébré depuis une dizaine d’années déjà aux Etats-Unis.

 

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« Cuffs »

« Cuffs » ce sont soixante-douze bracelets-manchettes martelés en acier. L’exposition en présente soixante-dix modèles. Réalisées durant trois années sur un format identique, les manchettes sont gravées de thèmes divers, à l’image de l’ « endless spiral of confusion » qui anime l’artiste.
Sujets animaliers, formes géométriques, abstractions aux lignes ondoyantes côtoient des modèles aux mots provocateurs, humoristiques, symboliques. Certaines manchettes sont serties de pierres précieuses (diamants, rubis, une est ornée d’un saphir), d’autres pas. Cette série ne présente pas d’ordre séquentiel de lecture. Clin d’œil ou hommage à Irving Penn, Daniel Brush a réalisé une série de photographies avec ces manchettes inspirée des « corner portraits ».

CUFFS, a jeweler’s book documenting 72 cuffs. 2000-2013. Photography by Wesley Stringer.

« Necks »

Cent dix-sept colliers ras-de cou, dits aussi colliers de chien, conçus eux aussi en acier et sur un même format. L’exposition en présente soixante-dix-huit.

Une des vitrines Cuffs à l’Ecole des Arts Joailliers, octobre 2017

Contrairement aux bracelets qui sont présentés en tant que pièces individuelles, Cuffs est un ensemble, une création unique; l’oeuvre forme un tout. Ces ras-de-cou sont les réalisations matérielles, les outils, les maillons pourrait-on dire, d’une oeuvre supérieure : le livre Necks.

NECKS, a jeweler’s poetry book documenting 117 colliers de chien. 2013-2015. Photography by Wesley Stringer


Necks, livre de poésie d’un artiste, 2013-2015
, est né des « songes d’un joaillier », et a présidé à la création des cent dix-sept colliers. Fabriqués au fil du temps, durant quatre années, les ras-de-cou forment chacun une page de l’ouvrage. Ils sont présentés photographiés sur un seul cou, parfois on aperçoit  le bas de l’ovale du visage du modèle. Olivia Brush, femme et muse de l’artiste depuis cinquante ans, nous révèle que ce cou délicat appartient à la compagne de Wesley Stringer, le photographe de Necks.

NECKS, a jeweler’s poetry book documenting 117 colliers de chien. 2013-2015. Photography by Wesley Stringer

Ce premier contact avec les créations de Daniel Brush surprend. Pourquoi avoir fait tant de déclinaisons abouties d’un même modèle? S’agit-il d’une quête obsessionnelle? D’une recherche de la perfection? D’une volonté farouche de traiter un sujet jusqu’à épuisement, lassitude, ou atteinte de son propre objectif?

Le matériau employé pour ces deux séries, l’acier, étonne également dans un premier temps car ce n’est pas un métal noble, et l’on est peu habitué à le voir en joaillerie. Mais, lorsqu’il est gravé d’une finesse extrême, associé à des pierres précieuses ou à de l’or, l’acier créé de très beaux jeux de lumières. Face à tant de virtuosité dans l’art de graver le métal, on devine alors que ces jeux ne sont aucunement aléatoires mais au contraire ils sont méticuleusement recherchés par l’artiste.

Broche « Flowing » 2006. Acier et diamants. Photographié par Wesley Stringer.

La présentation parisienne de ces quelques oeuvres de Daniel Brush est doublement intéressante en ce qu’elle constitue une découverte en soi, et qu’elle réussit à attiser la curiosité sur les autres oeuvres de Daniel Brush.
L’homme lui-même interroge. Par chance, il était présent lors de l’inauguration pour répondre à quelques questions.

Daniel Brush préparant l’exposition parisienne. On le voit ici avec ses lunettes binoculaires qui lui permettent un travail des plus minutieux.

Daniel Brush 

Lorsque la presse brosse le portrait de Daniel Brush, tous les qualificatifs les plus louangeurs et dithyrambiques sont employés :  incontestablement Brush est un artiste qui fascine, étonne, voire parfois déconcerte. Ainsi, son travail artistique qui couvre plusieurs domaines ne permet pas de le « classer ». D’ailleurs l’artiste s’en défend : « I don’t want to be categorized ».

Né à Cleveland dans l’Ohio en 1947, Daniel Brush sort diplômé d’Arts du Carnegie Institute of Technology de Pittsburgh en 1969. C’est en tant que peintre qu’il se fait d’abord connaitre, puis comme sculpteur. Depuis 1878, il vit installé à New-York, dans un loft « downtown Manhattan » près du flatiron building, avec sa femme Olivia rencontrée alors qu’ils étaient étudiants. Ensemble ils ont un fils, Silla, dont le métier de journaliste financier chez Bloomberg semble susciter une admiration mêlée d’étonnement chez son père!

Dessin issu de la série de 117 dessins Chants pour les pièces de théâtre « Femmes » du Nô, 1991-2003. Encre sur papier. 152.4 x 101.6 cm. Daniel Brush trace les lignes une à une à la main…

Daniel Brush s’est tourné vers l’art joaillier dans les années 1980. Créer des bijoux n’était pour lui au départ qu’un « divertissement », une quête « d’insouciance » face aux affres et aux tourments métaphysiques dans lesquels le plongeaient sa peinture et la sculpture, dixit l’artiste en personne.

Bakelite, Steel Gold and Diamond Cuff Bracelet by Daniel Brush, New York 2004. Siegelson

L’arrivée de petits diamants roses d’Argyle (Australie) sur les marchés diamantaires à partir de 1979 permit aux joailliers des créations plus fantaisies. Emboîtant le pas à Ralph Esmerian, Daniel Brush créa à la fin des années 1980 un épais bracelet-jonc rose en diamants roses et bakélite  – une résine synthétique qui durcit de façon permanente après chauffage et moulage. Avec humour et virtuosité, il grava la bakélite de lapins malicieux et orna le sommet du bracelet d’une tête de lapin pavée de diamants roses de différentes teintes pour jouer sur les ombres et lumières du museau et des oreilles. A l’écart des standards habituels de la joaillerie, que ce soit dans l’association de matériaux inusuels, la couleur, rose layette, et la thématique, Daniel Brush entra dans la cour des grands.

Mis aux enchères chez Christie’s à New-York le 21 octobre 2009,  dans la vente « Rare Jewels and Objets d’Art : A Superb Collection », ce bracelet fut vendu presque trois fois son estimation haute! (estimé entre 40 000 et 60 000 $, il atteignit 170 500 $).

Depuis vingt-cinq ans maintenant, Daniel Brush explore différentes voies dans le domaine de la joaillerie. Lorsqu’on lui demande ses sources d’inspirations, il cite tout d’abord sa femme, Olivia, et le théâtre Nô (forme ancienne du théâtre japonais). Vient ensuite la lumière naturelle, des différentes heures de la journée, des mois, des saisons… La lumière est source de contemplation pour Daniel Bush, ce dernier essaie d’en rendre les jeux dans ses oeuvres. L’expression « to take the time » revient régulièrement dans les propos tenus par Brush, il est à la fois un contemplatif et un travailleur acharné. Mais cela ne semble pas être la moindre de ses contradictions!

Boîte aux dix papillons, 1991-1993. Or pur, acier, aimants. 762 x 9,53 x 9,53 cm

Les matériaux qui l’inspirent le plus sont l’acier, l’or et les diamants. Les uns faisant ressortir les qualités de réfraction des autres. Détail amusant, les diamants présentés dans l’exposition parisienne proviennent d’Hyderabad. Par relation avec des membres de l’ancienne famille des Nizam, Brush a pu acquérir ces précieux petits diamants historiques de Golconde qui accentuent si fortement l’éclat de l’acier. Olivia Brush porte d’ailleurs en pendentif un superbe diamant ancien taille portrait d’au moins cinq carats. Autre détail très parlant, Daniel Brush collectionne les machines à guillocher, les ciseaux anciens, et des pièces aéronautiques. Les créations de Brush sont ainsi inextricablement liés à son goût pour la technique.

L’artiste dans son loft-atelier new-yorkais

Ce qui frappe à l’entendre parler, c’est de constater à quel point cet homme est passionné par son travail. Il travaille constamment souligne Olivia Brush, d’où la rumeur ou la mythologie de l’artiste vivant reclus dans son loft! Daniel Brush s’est imposé une routine personnelle et des rituels rigoureux qui participent à une certaine forme de méditation, de concentration. Mais il a beaucoup voyagé et a rencontré de nombreux spécialistes  notamment des orfèvres qui lui ont enseigné la technique de la granulation dont il fait un usage magistral dans ses objets d’art, ses boîtes avec dôme en particulier.

Deuxième dôme 1983-1989. Or pur, acier. 7,62 x 7,62 x 7,62 cm. Décor réalisé par granulation. La granulation, technique qui était pratiquée en Étrurie dans l’Antiquité, consiste à déposer puis à souder des minuscules granules d’or. Pour cette boîte, Daniel Brush a fabriqué 78 000 granules d’or…

La conception de la joaillerie chez Daniel Brush est éloignée de celle que l’on en a traditionnellement c’est-à-dire d’un bijou qui pare, qui montre, qui rappelle, qui classe, qui protège…  Le bijou en tant qu’oeuvre d’art n’est pas spécialement fait pour être porté, il est là pour être regardé, ressenti. C’est d’ailleurs la définition du collectionneur idéal pour Brush! La collection de colliers Necks en témoigne : elle n’a pas été pensée pour être portée véritablement, et seul un musée pourrait acquérir une oeuvre aussi particulière.

Vitrine de l’exposition à l’Ecole des Arts Joailliers comprenant soixante-dix-huit colliers de l’oeuvre NECKS

Daniel Brush ne créé que des pièces uniques dont il est le propre commanditaire et l’unique ouvrier. Il n’a pas d’agent, ni d’attaché de presse et expose rarement. S’il est un artiste discret, le National Museum of American Art, Smithsonian Institution de Washington, D.C, et le Museum of Arts and Design de New York, lui ont néanmoins consacré deux expositions, respectivement en 1998 et durant l’hiver 2012-2013.

Mais, Daniel Bush n’en a pas fini de chercher un langage propre, ni de progresser : « Because the more I study, the more I learn, the more I know, the more life says, you don’t know anything, dude » in Christie’s magazine, nov-dec 2016.

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Daniel Brush à Paris

L’École des Arts Joailliers
31, rue Danielle Casanova – 75001 Paris.
Exposition Daniel Brush « Cuffs and necks » jusqu’au mardi 31 octobre 2017. Entrée libre du lundi au samedi, de 14h à 19h.

La Galerie Parisienne
26, rue Seine – 75006 Paris
Du mardi au samedi de 10h30 à 19h00

Conférence en présence de l’artiste ce Jeudi 19 Octobre 2017 à 20h
à l’Ecole des Arts Joailliers.
Cliquez sur ce lien pour accéder à la réservation.

Scholar’s table piece. Acier et or pur. 1994. Photographie par John Bigelow Taylor. Cette pièce figurait à l’exposition au Smithsonian.

Le visuel de « une » est un détail de la pièce ci-dessus Scholar’s table piece.

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