Thomas Faerber (II) : Conversation autour de la collection.
« La collection est éclectique, affirme Thomas Faerber. J’acquiers ce qui me plaît. Cela peut-être moderne ou très ancien ».
Joaillerie, horlogerie et objets précieux forment cette collection commencée dans les années Soixante-dix avec « quelques pièces de moindre importance ». Au fil du temps et des divers salons, Thomas Faerber s’est pris à regretter d’avoir vendu certaines pièces. « C’est ainsi, je crois, qu’est née la collection ». Et de préciser qu’aujourd’hui encore, la plupart des pièces que ses associés et lui-même achètent ont pour objet d’être revendues : « Je reste marchand dans l’âme. »
Envisagez-vous d’exposer un jour votre collection ?
Je préfère en prêter des pièces.
Les grandes maisons de la Place Vendôme et les musées le savent et n’hésitent pas, si besoin, à me solliciter. Certains d’entre vous ont peut-être pu admirer cette broche lors de l’exposition « Chaumet en Majesté » au Grimaldi Forum de Monaco à l’été 2019 ? Elle figurait également à l’exposition de Pékin.
Début septembre, Thomas Faerber a laissé en prêt pour l’exposition Pierres précieuses au MNHN de Paris, un exceptionnel collier en gouttes d’émeraude et diamants dessiné par Jacques Arpels en 1950, ainsi qu’une paire de boucles d’oreilles assorties.
Cet ensemble appartenait à la Maharani Sita Devi de Baroda (1917-1989), épouse du Maharaja Pratapsingh Gaekwar. Sita Devi avait une passion dévorante pour les bijoux et possédait des gemmes extraordinaires qu’elle puisait dans le trésor de Baroda. Certaines de ces pierres précieuses remontaient à l’époque moghole. Dans la dernière partie de sa vie, la Maharani vit ses bijoux dispersés lors d’une vente aux enchères organisée par le Crédit Mobilier de Monaco le 16 novembre 1974.
La demi-parure émeraudes et diamants créée par Jacques Arpels faisait partie d’une collection privée avant que Thomas Faerber n’en fasse l’acquisition lors d’une vente aux enchères en mai 2002. Près de vingt ans plus tard, le collectionneur reste toujours aussi admiratif devant cet ensemble dont il estime le design et les gemmes exceptionnels.
Avez-vous un joaillier de prédilection ?
J’ai beaucoup d’admiration pour le travail de Lalique, Vever, Cartier et, à notre époque, pour JAR – mais un de mes grands héros est Frédéric Boucheron (1830-1902) !
La formidable qualité d’exécution des pièces créées sous sa direction, la valeur humaine du personnage, sa sensibilité, le fait qu’il ait été tellement impliqué dans le métier et qu’il ait eu à cœur d’aider les plus jeunes suscitent mon admiration.
Aussi, la première acquisition importante de ma collection fut un collier Boucheron.
Le premier dessin de ce collier réalisé par Paul Legrand, dessinateur de la Maison au temps de Frédéric Boucheron, date de 1879. Il fallut ensuite quelques années pour mettre à exécution ce projet et inventer une technique qui permette de faire ployer le métal, pour l’enfiler autour du cou, sans que les diamants ne sautent sous la pression du mouvement. Réussir à obtenir cette souplesse extraordinaire fut un défi inouï pour l’atelier. C’est seulement en 1889, lors de l’Exposition universelle de Paris, que Frédéric Boucheron présenta officiellement ses innovations techniques dont les diamants gravés et les colliers dits « Point d’Interrogation ». Le joaillier y remporta le « grand prix » – distinction suprême au-dessus de la médaille d’or – pour ses remarquables travaux, et fut peu après nommé officier de la Légion d’honneur.
Les colliers à ressort (autre dénomination de cette invention) impressionnèrent les critiques qui les qualifièrent de « révolutionnaires » ! explique Claire de Truchis-Lauriston, directrice du patrimoine Boucheron. Elle souligne aussi combien Frédéric Boucheron était sensible au confort de ses clientes obligées à l’époque d’avoir une femme de chambre pour s’habiller et se parer notamment de leurs colliers de chiens si peu faciles à accrocher derrière la nuque. Frédéric Boucheron a certainement voulu les libérer d’une contrainte. Les colliers « Points d’interrogation » se présentent sans fermoir et ont pour la plupart une partie centrale transformable, en broche ou ornement de cheveux.
Ces colliers figuraient presque tous la nature : branches fleuries d’acacias, de platane, fleurs de lotus, épis de blé, plumes de paon, feuilles de lierre, coquelicots, serpents… Le collier que possède Thomas Faerber est composé d’une rose éclose entourée de trois feuilles, surmontées d’une rose en bouton sur le point d’éclore.
C’est à ce jour l’unique collier Point d’interrogation en parfait état d’origine.
« Lorsque ce collier fut mis en vente à Paris dans les années Quatre-vingt à Drouot, raconte Thomas Faerber, il était estimé à un prix raisonnable, mais au cours de la vente, les enchères s’envolèrent – j’avais un adversaire redoutable face à moi ! Néanmoins, j’ai remporté cette enchère et ce collier appartient dorénavant à ma femme. »
Est-il une gemme qui vous attire plus particulièrement ?
Je n’ai pas de pierre préférée ; néanmoins il en est une qui m’a toujours fasciné, c’est l’alexandrite, cette variété de chrysobéryl qui a la particularité de changer de couleur selon l’éclairage auquel elle est soumise (verte à la lumière du jour, rouge sous éclairage artificiel, de préférence une bougie).
Ci-dessus, une alexandrite de près de 8 ct mise en vente en juin dernier à Vienne au Dorotheum. Estimée entre 13 000 € et 16 000 €, elle fut vendue 115 300 €.
J’essaie toujours acquérir des chrysobéryls, mais leurs tarifs sont prohibitifs.. J’ai pris un risque fou pour l’acquérir, car il est vrai qu’elle avait un très beau changement de couleur. Fort heureusement, c’est un autre qui l’a eue dit-il en souriant.
Est-il un type de bijou particulièrement recherché aujourd’hui des marchands ?
Je dirais la tiare.
Dans les années 70 les tiares étaient invendables, on les achetait pour les démonter.
Cela m’évoque d’ailleurs une anecdote : dans les années 90, il y eut une belle tiare à vendre chez Christie’s. Je l’avoue, j’avais fait mes calculs pour en faire cinq broches, trois paires de boucles d’oreilles… La tiare me fut adjugée, livrée dans un bel écrin Chaumet avec des initiales. Je me suis dit que je n’allais peut-être pas la démonter tout de suite, dit-il en riant. J’ai écrit à Madame Béatrice de Plinval, directrice du patrimoine de la Maison Chaumet, pour lui annoncer que j’avais pu acquérir cette tiare. Cette tiare est depuis devenue une des pièces maîtresses de leur collection patrimoniale.
Aujourd’hui les tiares suscitent un véritable engouement. En témoigne cette vente du 10 juin 2020 au Dorotheum toujours, d’un diadème Cartier en aigues-marines et diamants montés sur platine. Caractéristique du style Art déco, il avait été créé vers 1930-35 à Londres du temps de Jacques Cartier. Estimé entre 34.000 € et 70.000 €, il s’est vendu 582 800 euros (soit plus de dix-sept fois son estimation basse !).
Vous possédez également des objets précieux dans la collection. En est-il que vous souhaiteriez présenter ?
Cet étui à cigarettes rectangulaire aux coins arrondis représente un paysage d’hiver autour du visage fantomatique de Ded Moroz, le « Grand Père du gel » ou Père Noël Russe. « Je ne fume pas, dit Thomas Faerber, mais l’élégance de cet ensemble m’a séduit ».
L’étui à cigarettes, et celui à allumettes, illustrent tous deux la technique du samorodok, mot russe signifiant « pépite » ou « métal vierge ». À la fin du XIXème siècle, cette technique était utilisée par les orfèvres russes et notamment par Fabergé qui l’appliquait à la création d’objets précieux. Obtenue en chauffant l’argent ou l’or à une température proche du point de fusion, puis en le refroidissant brusquement dans l’eau, le samorodok produit un effet texturé sur la surface de l’objet, qui suggère les chemins enneigés des forêts suisses, des jeux de sable dans le désert, la surface lunaire… Libre à chacun de laisser cours à son imagination ! Cette technique étant néanmoins très difficile à maîtriser, le samorodok est rare.
Un musée Faerber à Genève ?
Je crois que la collection doit rester dans l’entreprise familiale. J’ai la chance d’être entouré de deux enfants et de cinq petits-enfants ; ma fille Ida Faerber est très attachée au patrimoine, elle sera la gardienne du temple.
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Visuel de « une » : Bague Joël Arthur Rosenthal ayant appartenu à Marie-Hélène de Rothschild (1927-1996).
Acquise récemment lors de la vente Pierre Bergé & Associés du Mardi 15 décembre 2020, Lot 100. Cette bague en or jaune 18K (750) est ornée d’un diamant de forme troïdia pesant 6,31 carats. L’anneau est revêtu d’une mosaïque de géode d’agate parsemée d’éclats de diamants. Travail des années 1980. Signée JAR.
Crédit photo Katharina Faerber
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Informations pratiques
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