Thomas Faerber (I) : une vie pour la joaillerie.

 

Marchand de renom spécialisé dans les pierres précieuses, les bijoux anciens et les pièces d’exception, Thomas Faerber, contribue depuis plus de cinq décennies au rayonnement du marché joaillier dans le monde.

La « Faerber-Collection », placée sous l’égide de Thomas Faerber, Alberto Corticelli (à ses côtés depuis 1988), ses enfants Ida Faerber et Max Faerber, et Philippe Atamian (tous trois ont rejoint l’entreprise en 1998), achète et revend des gemmes, des bijoux anciens et vintage, des pièces d’exception en Europe (Genève et Paris), en Amérique (New-York) et en Asie (Hong-Kong). La maison se singularise, dit Thomas Faerber, par un goût pour « les bijoux emblématiques d’une époque ; ceux de provenance noble ou créés par les plus remarquables artisans ; ceux qui, s’ils pouvaient parler, raconteraient mille histoires ».

Thomas Faerber fait également partie du club restreint des grands collectionneurs internationaux.

Bague russe historique composée d’une myriade de diamants taille ancienne et ornée en son centre d’une émeraude colombienne de taille carrée à pans coupés d’environ 5,84 carats. Argent et or, travail russe, vers 1800, avec écrin ajusté original, taille : 54.
Cette bague fut offerte à un noble français, par le tsar de Russie, Alexandre 1er, à Erfurt. Thomas Faerber l’a acquise auprès d’un autre marchand, un confrère. Après l’avoir présentée à la Biennale et dans quelques foires, il a décidé de ne pas s’en séparer. 
Crédit photo Katharina Faerber.

Je lui sais gré d’avoir ouvert des pages du catalogue de la collection privée afin de présenter aux lecteurs de Property of a Lady quelques chefs-d’œuvres qu’il affectionne particulièrement et qu’il prête volontiers lors d’expositions joaillières.

La collection constitue un ensemble très éclectique et compte des pièces allant de la Renaissance jusqu’à 2019. Elle rassemble essentiellement des coups de foudre, parfois aussi des souvenirs, explique Thomas Faerber. Ainsi ce collier de perles fines Belle Époque qui a été fabriqué par le grand-père maternel de Thomas Faerber au début du siècle dernier.

Collier de perles fines à cinq rangs d’August. C. Schöning, Cologne, Allemagne, vers 1910 dans son étui ajusté d’origine.
Crédit photo Katharina Faerber

 

Découvrons des pans de la collection, et par le biais de celle-ci, des éclairages sur l’histoire de son propriétaire, Thomas Faerber.

 

  • Des commencements à la reconnaissance internationale

August Schöning, le grand-père maternel de Thomas Faerber, était bijoutier et orfèvre dans le centre de Cologne, en Allemagne, entre la Belle Époque et la Seconde Guerre mondiale. Il est décédé dans les années Cinquante. « Ce collier est la seule pièce que je possède de mon grand-père », explique Thomas Faerber. « Le hasard a permis qu’en 2019, lors d’une vente à Cologne où une autre pièce m’intéressait, je tombe sur ce collier. Ce fut une des ventes les plus excitantes de ma vie parce que je voulais absolument l’acquérir ! »

Collier à cinq rangs serti de perles fines de couleur crème, variant entre environ 3,0 et 3,5 mm, décoré de quatre entretoises en forme de campanule, serti millegrain de diamants taille rose et ancienne, montées sur platine, Aug. C. Schöning, Cologne, Allemagne, vers 1910, longueur environ 38 cm. Crédit photo Katharina Faerber

Le père de Thomas Faerber, Ernst Faerber, venait quant à lui de Bavière. Il était né au tournant du siècle, en 1900. Il aurait rêvé de devenir photographe et de prendre part à l’essor artistique que connaissait cette technique dans ces années-là. Mais, dans le contexte difficile de la fin des années Vingt, il n’a pu trouver d’emploi exauçant ce souhait et a finalement choisi d’entrer comme stagiaire chez un marchand de perles fines à Berlin dont il apprit le pelage, le perçage et les techniques d’enfilage des perles. En 1930, un particulier se présenta pour mettre en vente un très beau collier de perles fines. « Mon père a demandé l’autorisation à son patron, qui ne souhaitait pas s’en porter acquéreur, de pouvoir l’acheter lui-même. Et par la même occasion, il lui a aussi demandé à être augmenté. Face au refus de son patron, il s’est lancé à son propre compte peu après » raconte Thomas Faerber. Ernst Faerber a travaillé le dit collier pendant plusieurs semaines, le pelant méticuleusement pour en faire une pièce superbe.

Devenu un négociant reconnu en perles fines et pierres précieuses, il a commencé à voyager à travers Allemagne. Un jour, alors qu’il se rendait à Cologne chez son client August Schöning, Ernst Faerber croisa un voleur qui s’échappait du magasin du bijoutier, ce dernier lui courant après avec un pistolet. Ernst Faerber se précipita pour réconforter la fille du joaillier, sous le choc.

« Mon histoire a débuté avec… un bonbon »

La première chose que fit Ernst Faerber fut d’offrir à la jeune femme un bonbon, il en avait toujours dans ses poches : « C’est ainsi que mes parents se sont rencontrés ! »

Ernst Faerber, a épousé Maria Schöning (la fille d’August) au début des années Trente. Ernst Faerber a exercé jusqu’en 1961, année où il est décédé. « J’avais à peine 17 ans », précise Thomas Faerber. La Maison Ernst Färber, qui se situe sur l’élégante Promenadeplatz à Munich, fut après le décès d’Ernst Faerber reprise par Rudolf Biehler, son ancien assistant. Aujourd’hui, c’est Dominik Biehler, qui dirige Ernst Färber Munich.

« Il avait été convenu que je sois formé par Rudolf Biehler pour qu’à mes vingt-cinq ans, je puisse m’associer de nouveau avec lui à 50%. Or, entre-temps, j’étais parti à Amsterdam où j’appris à tailler les diamants puis à Anvers où j’appris à les négocier, notamment chez Backes & Strauss. »

Thomas Faerber poursuivit ensuite sa formation à Londres chez Australian pearl company puis à Paris auprès de Jean Rosenthal (1906-1993), un grand marchand de pierres précieuses, qu’il surnomme affectueusement « son grand maître ». Des mois qualifiés de  « merveilleux ». Aujourd’hui, c’est avec le fils de ce dernier, Hubert Rosenthal, qu’il a maintenu de forts liens d’amitié.

En 1968, Thomas Faerber décida de créer sa propre société de négoce en pierres précieuses et bijoux en Suisse, à Zürich, laissant ainsi le marché allemand à Rudolf Biehler : « Les marchés n’étaient pas alors aussi mondialisés que de nos jours, chacun avait son territoire ». Il se souvient que lorsqu’il a commencé à voyager en Suisse, collaborant à droite à gauche avec de modestes bijoutiers et quelques fabriques de montres, c’était « difficile ».

Collier « Cantons Suisses », circa 1830.
Vingt-deux plaques ovales en émail représentent chacune les armes d’un Canton dans une monture en filigrane ajourée en or multicolore sertie de topazes roses et de petits cabochons de turquoise entre chaque élément. Le pendentif reprend les symboles de la Confédération. Crédit photo Katharina Faerber.
L’émail suisse était un souvenir très populaire pour les touristes visitant la Suisse au XIXème siècle, en particulier pour les Britanniques. Ce collier, en parfait état d’origine, est un souvenir typique de cette époque. Ce type de bijou est terriblement sous-estimé aujourd’hui, explique Thomas Faerber, et pourtant il présente un remarquable travail d’émaillage qui serait difficile, voire impossible, à reproduire de nos jours. Charlotte Hanson, qui travaille aux côtés de Thomas Faerber, fait remarquer que ce collier de la Confédération ne peut dater que d’après 1815 car certains cantons y figurant comme Genève et le Valais sont entrés dans la confédération cette année-là.

L’année 1969 devait marquer un tournant important dans la vie de Thomas Faerber.

Cet été-là, il se rendit à New York pour la première fois et y fit deux rencontres capitales. Celle de Katharina d’abord, photographe, qui allait devenir sa femme. Puis celle de Paul Fisher (1927-2019), acteur majeur de l’industrie joaillière de la seconde moitié du XXème siècle que ses pairs considéraient comme un modèle. Thomas Faerber se souvient avec émotion de celui qu’il considère comme un second père. « Il m’a beaucoup guidé. Nous avons énormément travaillé et voyagé ensemble en Amérique et dans le monde entier ».

Paul Fisher (à gauche) et Thomas Faerber. Photo personnelle de Thomas Faerber.

Un autre année majeure dans la vie professionnelle de Thomas Faerber fut 1973. Il prit son premier stand, de 9m2 précisément, à Bâle, la foire de bijouterie et d’horlogerie qui n’était pas encore devenue Baselworld. Exposant principalement pour le marché suisse, Thomas Faerber se remémore que son activité était essentiellement consacrée au diamant avec des pierres dépassant rarement 1 carat. Afin de l’aider à se développer, Paul Fisher suggéra à Thomas Faerber de présenter aussi des bijoux anciens. Or, en Suisse et à cette époque, explique Thomas Faerber, la clientèle voulait des bijoux modernes : « Ma réputation commençait juste à s’établir, donc j’hésitais, mais pas longtemps. Je fus ainsi le premier marchand à exposer des bijoux anciens. A la fin de la foire, les trois bijoux anciens que Paul Fisher m’avait confiés étaient vendus et cela m’avait permis de rencontrer de nouveaux clients ». Thomas Faerber n’a plus jamais quitté le marché du bijou ancien et, jusqu’en 2017, il fut exposant à Bâle.

Montre ancienne en or et émail suisse, avec clé à remontoir, circa 1840.
Cette montre-bracelet est composée de deux serpents enlacés décorés d’émail de couleur noir, vert, rouge et bleu. Leurs têtes sont ornées d’un très beau cabochon en grenat. Le boîtier de la montre, d’une circonférence intérieure d’environ 19 cm est en émail guilloché et chiffres romains ; il est monté sur or jaune 18 carats et numéroté 46373. Il s’agit probablement d’un travail anglais, vers 1840. « C’est la seule montre de ce genre que j’ai vu passer dans ma carrière, avec un décor d’émail tel qu’on n’en voit plus aujourd’hui. »
Crédit photo Katharina Faerber. 

En 1980, Thomas Faerber s’installe à Genève, ville dotée d’une riche tradition joaillière et horlogère, tout en continuant à voyager. L’Amérique à la fin des années Soixante-dix était un paradis pour les marchands avisés de tout horizon car le dollar commençait à perdre de sa valeur. « J’y ai acheté de beaux bijoux anciens signés : à l’époque, entre un bracelet Cartier et un bracelet Art déco non signé il y avait entre 15% et 30% maximum de différence. C’est après, à partir des années Quatre-vingt, que les signatures et les provenances sont devenues beaucoup plus importantes. Le fait que la joaillerie ait commencé à s’exposer dans des musées (ainsi l’exposition de Van Cleef & Arpels en 1992 au Musée de la Mode et du Costume au Palais Galliera à Paris) a contribué à cette évolution des mentalités et, en parallèle, à celle du marché international de la joaillerie.

Au fil des années, grâce à ses connaissances pointues et à son éthique des affaires, Thomas Faerber a pu asseoir sa notoriété (de 1993 à 1998 il a présidé la Swiss Precious Stones Dealers Association) et a continué d’acquérir des pièces exceptionnelles.

En 2004, il eut ainsi la fierté de fournir au musée du Louvre un collier d’émeraudes et de diamants, ainsi que les boucles d’oreilles assorties, que Napoléon Ier avait offerts en 1810 à l’archiduchesse Marie-Louise. Thomas Faerber explique qu’après avoir acquis ces deux pièces exceptionnelles, en parfait état d’origine, en 2003, il souhaitait vivement qu’elles prennent place au Louvre. Cette demi-parure de François-Regnault Nitot, qui faisait donc partie de l’écrin personnel de l’Impératrice Marie-Louise, figure depuis dans les vitrines des Diamants de la Couronne de France sises au cœur de la splendide Galerie Apollon.

Cette même année, Thomas Faerber fut fait Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

La nouvelle génération Faerber admirant le collier et les boucles d’oreilles en émeraudes et diamants de l’Impératrice Marie-Louise au musée du Louvre.
Collier et boucles d’oreilles provenant d’une parure offerte par Napoléon Ier à Marie-Louise, archiduchesse d’Autriche, au moment de leur mariage en 1810. Pièces exécutées par le joaillier François-Regnault Nitot (1779 – 1853) à Paris. Le collier se compose de 32 émeraudes (émeraude centrale de 13,75 ct) ; 1138 diamants (874 brillants et 264 roses); or ; argent. Les boucles d’oreilles sont formées de 6 émeraudes ; 108 diamants ; or ; argent. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) : Jean-Gilles Berizzi

 

Fort de ses années d’expériences  et d’un large réseau international, Thomas Faerber et son confrère Ronny Totah se sont associés il y a quatre ans pour créer « aux côtés de collègues, amis et autres marchands, un salon joaillier de qualité, convivial presque familial et à taille humaine » : GemGenève.

Cérémonie d’ouverture du premier salon GemGenève en mai 2018. Crédit photo GemGenève.

Les deux premières éditions de ce salon qui réunissaient marchands de pierres précieuses et de bijoux anciens, designers, collectionneurs, laboratoires de gemmologie, libraires et passionnés, eurent lieu en 2018 et 2019 ; ce furent de véritables succès rassemblant des exposants et visiteurs du monde entier.

Dès que la situation sanitaire internationale sera apaisée, Gem Genève rouvrira ses portes. « On espère une troisième édition en novembre 2021 »

 

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Seconde partie de l’entretien à suivre ici : Conversation avec Thomas Faerber autour de la collection

 

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Légende visuel de « une » : Bracelet russe orné en son centre d’un élément de broche datant de la seconde moitié du XVIIIe siècle. La broche est composée d’un saphir naturel de Ceylan de taille octogonale d’environ 56 carats encadré de diamants de taille ancienne. Fabriquée par des bijoutiers russes, cette broche, aux dires des héritiers directs, fut un cadeau de Catherine la Grande (1729-1796) à son dernier favori, Platon Alexandrovich Zubov (1767-1822). Le bracelet, en or jaune est un ajout ultérieur. Il porte le poinçon de la ville de Saint-Pétersbourg utilisé entre 1826 et 1876, ainsi qu’un poinçon de maître insculpé en écriture cyrillique P I. Il est incrusté de diamants formant des petits motifs de lierre de style pré-art nouveau. Crédit photo Katharina Faerber.