Ronny Totah : quelques trésors historiques de ma collection

Ronny Totah, co-fondateur de GemGenève, nous a confié ses coups de coeur joailliers et artistiques.

Des gemmes

J’ai deux passions dévorantes connues de tous  : les saphirs du Cachemire (non traités) à la couleur incomparable (bleu-bleuet). Et les perles fines.

Crédit photo : David Fraga

Dans les deux cas, ces passions s’enracinent dans le passé… Découverts en 1881, les gisements de Zaskar (à deux cents kilomètres au sud-est de Srinagar) produisant les fameux saphirs du Cachemire sont fermés depuis la fin des années soixante-dix.

Quant aux perles fines, elles sont devenues rarissimes. Le coût et les difficultés inhérentes à la pêche aux perles fines, ainsi que la pollution des mers rendent ces gemmes organiques très difficiles à trouver de nos jours. Les perles que je présente, en rang ou individuelles, sont pour la plupart des perles anciennes. Voire historiques.

Un bijou de provenance impériale

Crédit photo : David Fraga

Cette broche caractéristique de la moitié du XIXème siècle est composée de trois perles fines semi-baroques en forme de goutte d’un poids respectif de 39, 40 et 60 grains, de plusieurs rubis dont un birman de 1,8 ct, et de diamants (Rapport d’identification SSEF). C’est un bijou de provenance historique qui aurait appartenu à l’Impératrice Eugénie (1826-1920).

Lors de la chute du Second Empire, suite à la défaite de Sedan en septembre 1870, l’impératrice a pu s’échapper des Tuileries et s’est réfugiée en Angleterre où de proches amis lui ont fait parvenir clandestinement ses bijoux personnels. Afin d’améliorer les conditions matérielles de l’exil familial, Eugénie décide de mettre en vente certains bijoux de sa cassette personnelle dès janvier 1872. Elle remet alors les bijoux dont elle est prête à se séparer à M. Harry Emanuel (1831-1898), un joaillier renommé de Londres.

Il avait été honoré du titre d’« orfèvre de la Reine et du Prince de Galles » et était l’auteur d’un ouvrage de référence intitulé Diamonds and Precious Stones, 1865.

Crédit photo : Alembic rare books

Un article du New York Times en date du 21 janvier 1872 fournit quelques informations (page 6) sur cette première vente : “The jewels of the Empress Eugenie are for sale. Mr. Harry Emanuel has many of them at his establishment in New Bond-street, and is now offering them to his customers”. Vous pouvez consultez intégralement cet article instructif en cliquant ici.

La broche exposée ici dans l‘intimité d’une vitrine interne (stand Horovitz & Totah) proviendrait de cette première vente des bijoux personnels d’Eugénie par Harry Emanuel. L’écrin est d’ailleurs signé du joaillier londonien. Cette broche est caractéristique du goût personnel d’Eugénie pour les bijoux délicats, romantiques, avec ses perles et diamants qui ruissellent en gouttes. Les bijoux privés de l’Impératrice diffèrent de ceux qu’elle portait lors de représentations officielles. L’Impératrice devait alors apparaître parée des attributs du pouvoir impérial : les Diamants de la couronne de France, dont la facture était bien plus imposante que celle de ses bijoux personnels.

Six mois après la vente d’Harry Emanuel, l’Impératrice déchue se défait d’autres bijoux de sa cassette personnelle. La nouvelle vente est orchestrée par Christie, Manson & Wood le 24 juin 1872 à Londres. Elle est présentée en ces termes :  “A portion of the magnificent jewels, the property of a distinguished personage” et comprend cent-vingt-trois lots.

La vente la plus spectaculaire des joyaux d’Eugénie reste bien entendu celle de mai 1887, lorsque la IIIème République mit en vente publique les Diamant de la Couronne de France. Les plus belles parures d’Eugénie, chefs-d’œuvres de la joaillerie française du XIXème, furent alors dépecées pour la plupart et irrémédiablement dispersées.

La broche d’Eugénie fut ensuite portée par Madame Ernest Raphael. Cette dernière est représentée en 1905 sur un magnifique portrait de John Singer Sargent (1856-1925).  

Portrait of Mrs. Ernest G. Raphael (Flora Cecilia Sassoon) par John Singer Sargent (1856-1925). 1905.. Peinture à l’huile. 163.8 par 114.3 cm. Collection privée

Maître de l’art du portrait à cette époque, John Singer Sargent donne une valeur de document à ce tableau par la précision du décor et des accessoires qu’il dépeint. Notamment la broche. Madame Ernest Raphael, Flora Cecilia Sassoon de son nom de jeune fille, aurait reçu ce bijou de son père, David Reuben Sassoon, qui était un ami du roi Edouard VII. La broche est restée dans la famille jusqu’en 1983.

Ce tableau fut présenté chez Sotheby’s le 22 mai 2002 lors de la vente « American paintings ». Vous pouvez zoomer sur le bijou -entre autres- en cliquant sur ce lien. Ce portrait figure également dans le catalogue raisonné Sargent Abroad, Figures and Landscapes écrit par Warren Adelson, Donna Janis, Elaine Kilmurray, Richard Ormond, Elizabeth Oustinoff.

Un tableau

J’ai récemment acquis ce portrait de Miss Peggy Hopkins Joyce peint par Raymond Perry Rodgers Neilson (1881-1964). Ce tableau appartenait à mon ami Fred Leighton, le célèbre joaillier new-yorkais décédé en juillet dernier. Il figurait dans la vente de Sotheby’s intitulée « The Jeweler’s Eye: The Personal Collection of Fred Leighton ».

Peggy Hopkins Joyce (1893-1957) était une starlette des Années folles. Elle dansait au Ziegfeld Follies, et sa vie personnelle défraya la chronique plus d’une fois. Elle connut six mariages et autant de divorces. Peggy collectionnait les amants, les fourrures et les diamants. Avant Marilyn Monroe, elle aurait pu chanter « Diamonds are a girl’s best friends » !

Sur le portrait, de R. Perry Rodgers Neilson  elle porte un diamant de 127,01 carats appelé le « Portuguese diamond ». Le nom de ce diamant provient du fait qu’il aurait été extrait au Brésil. Par la suite, il aurait appartenu à la Couronne du Portugal. En réalité, ce diamant provient fort probablement de la mine Premier à Kimberley en Afrique du Sud et aurait été trouvé au début du XXème siècle.

C’est d’ailleurs auprès de la société Joyce Black, Starr & Frost que Peggy Hopkins acquis en février 1928 le « Portuguese diamond ». Elle porte cet incroyable diamant monté sur un tour de cou en platine et serti de diamants. On remarque également ses bracelets et la monture de son solitaire tout aussi caractéristiques des bijoux Art Déco de cette époque.

En 1951, Harry Winston racheta  le « Portuguese diamond » de Peggy Hopkins Joyce. Et, en 1963, l’échangea au Smithsonian contre… 3 800 carats de petits diamants ! Ce diamant se trouve toujours exposé dans la galerie Gem du Musée national d’histoire naturelle de Washington.

 

Crédit photo du visuel de « une » : David Fraga