L’émeraude : état de l’art par Gaston Giuliani

Émeraudes, tout un monde ! publié aux Editions du Piat est le plus vaste panorama jamais édité sur cette pierre de légende.

L’ouvrage est né de la volonté de Gaston Giuliani, chercheur émérite à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), d’établir la synthèse la plus exhaustive possible des connaissances actuelles sur l’émeraude. Quatre-vingt-six auteurs d’horizons variés (auxquels il m’a offert le privilège de me joindre) se sont réunis sous sa direction pour contribuer à cette somme.

A l’occasion du lancement de cet ouvrage collectif, Gaston Giuliani offre aux lecteurs de Property of a Lady une leçon magistrale sur l’émeraude. Rappelons brièvement le parcours professionnel de ce scientifique.

Gaston Giuliani a étudié la géologie à l’Université de Nancy de 1973 à 1982, année où il a obtenu son doctorat de 3èmecycle sur l’étude de minéralisations à tungstène. En 1985, il fut recruté avec le statut de chercheur à l’ORSTOM, rebaptisé en 1998 l’Institut de recherche pour le développement (IRD). En 1997, il a soutenu une deuxième thèse à l’Université de Nancy pour obtenir l’habilitation à diriger des recherches et encadrer des doctorants. En 1999, Gaston Giuliani est devenu directeur de recherche, position qu’il a conservée jusqu’en 2020, année où il a obtenu l’éméritat à l’IRD et l’Université de Lorraine.

Il est également membre de l’unité mixte de recherche Géosciences Environnement de Toulouse (Université Paul Sabatier) et du Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques de Nancy (Université de Lorraine).

Ses recherches ont été réalisées dans le cadre de coopérations scientifiques internationales et en multi-partenariats avec des universités. Elles ont abouti à plus de deux-cent-soixante-dix publications – dont un article dans la revue Science – et à la formation de doctorants français et étrangers.

 

  • Gaston Giuliani, vous êtes reconnu pour votre recherche sur « la géologie des gemmes (émeraude, rubis, saphir) dans différents environnements géologiques ». Pouvez-vous nous dire à quoi correspond ce champ d’expertise  ?
Émeraudes sur gangue de cristaux de quartz (3,7 x 3,4 x 1,6 cm). District de Bazarak, Vallée du Panjshir, Afghanistan.
Photo : L.-D. Bayle

Mes recherches, menées en équipe depuis 1980, ont été consacrées à l’étude sur le terrain et au laboratoire des concentrations minérales non renouvelables. Elles concernent la circulation de fluides, les processus d’altération hydrothermale (transformations chimique et minéralogique) des roches, l’âge, l’origine et la nature des fluides minéralisateurs dans la croûte terrestre, les traceurs géochimiques et isotopiques des minéraux appliqués à la genèse des gisements métallifères et gemmifères.

Les thèmes choisis ont permis de contribuer à la connaissance du cycle géochimique de certains métaux, comme par exemple l’or et le béryllium (constituant fondamental de l’émeraude), dans les domaines magmatique, métamorphique et sédimentaire, mais aussi de contribuer au développement minier et de répondre aux problèmes pratiques posés par la prospection minière et artisanale.

Ces thèmes de recherche ont été réalisés avec des partenaires universitaires des pays du Sud et du Nord et en étroite collaboration avec les Services Géologiques des Ministères des Mines et de l’Energie et/ou des sociétés minières nationales ou privées de différents pays.

La recherche a permis de proposer des modèles de genèse des gisements et de leur prospection pour (i) les gisements d’émeraude du Brésil, de Colombie, du Canada, d’Afghanistan, du Pakistan et autres pays producteurs, (ii) les gisements de rubis associés aux marbres d’Asie centrale et du sud-est , (iii) les xénocristaux de rubis et de saphirs remontés par les basaltes alcalins continentaux, (iv) les gisements de grenat vert, variété tsavorite, dans la ceinture métamorphique mozambicaine de Madagascar, de Tanzanie, du Kenya et de l’Antarctique, (v) les concentrations à spinelles rouges à rosés associés aux marbres de l’Asie du sud-est et de l’Afrique de l’Est, (vi) les gisements de grenats démantoïdes verts qui se localisent dans deux environnements contrastés, qui sont soit des roches métamorphisées issues du manteau, soit des granites alcalins recoupant des calcaires.

 

  • Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’émeraude ? 

Les thèmes de recherche développés dans le cadre de mes affectations scientifiques à l’IRD, qu’elles aient été de longue durée comme au Brésil, à Salvador de Bahia puis à Brasilia entre 1986 et 1991, ou de courte durée comme en Colombie (missions de 1988 à 1998), m’ont offert une première approche de l’émeraude. Cette recherche a permis la réalisation de grands projets internationaux à multi-partenariats menés notamment sur la genèse des gisements du Brésil et de la Colombie.

Ces études menées en Amérique du Sud ont fait l’objet de dix années intensives de recherches avec les partenaires colombiens et brésiliens et mes collaborateurs aux Universités de Nancy et Toulouse. Ces années ont été marquées par la soutenance de mastères et de doctorats, et par l’élaboration d’un nouveau modèle génétique pour la formation des gisements colombiens. La genèse de ces gisements, exploités depuis l’époque précolombienne jusqu’à nos jours et réputés pour l’excellente qualité de leurs émeraudes, est unique au monde. En effet, elle ne fait pas appel à la présence de granites qui sont généralement indispensables à la formation de l’émeraude.  

Émeraude sur matrice carbonatée. Cristal (10x9x9 mm). Mine La Pita, Colombie. Photo : Louis-Dominique Bayle/Le Règne Minéral.
Émeraude sur matrice carbonatée. Cristal (10 x 9 x 9 mm). Mine La Pita, Colombie. Photo : Louis-Dominique Bayle/Le Règne Minéral.

 

  • Vous aviez déjà participé à un livre sur l’émeraude il y a près de 25 ans. Quelles raisons ont motivé ce nouvel ouvrage ? De nouvelles problématiques liées à l’émeraude ont-elles émergé ces deux dernières décennies ? 

La période de recherche active sur les gisements d’émeraude entre 1985 et 1998 a été soulignée par de nombreuses publications et l’édition d’un ouvrage intitulé L’émeraude, connaissances actuelles et prospectives (1998) publié en co-partenariat avec l’ORSTOM, le CNRS et l’Association Française de Gemmologie (AFG). Ce premier livre, écrit en français, a établi une synthèse mondiale sur les gisements d’émeraude.

Fort de mon expérience de terrain et en laboratoire via les projets de recherches menés par l’IRD avec les différents partenaires du Sud (Colombie, Brésil, Vietnam, Pakistan, Madagascar, Tanzanie, Kenya) et les données analytiques obtenues sur cette pierre avec différents laboratoires du Nord (France, Canada, Royaume-Uni, Suisse), je souhaitais la réalisation d’un nouvel ouvrage basé sur l’état de l’art pour cette gemme exceptionnelle et historique.

Béryl “émeraude” et quartz Muzo, Colombie (4,5 x 3,2 x 1,7 cm). Photo Louis-Dominique Bayle.

Émeraudes, tout un monde ! permet de découvrir l’histoire géologique de l’émeraude ainsi que les problématiques humaines, écologiques, sociales et géopolitiques reliées à cette pierre précieuse mentionnée dès Pline l’Ancien.

Vue panoramique de l’entrée de la vallée du Panjshir qui est probablement celle reportée par Théophraste au sujet du périple d’Alexandre le Grand en route vers l’Inde. Photo : Vincent Pardieu.

Cet ouvrage est né grâce à la collaboration toujours aussi efficace de quelques anciens partenaires scientifiques rattachés aux Universités et services géologiques des différents pays avec lesquels l’IRD et les Universités de Lorraine et Paul Sabatier ont collaboré et formé des étudiants depuis plus de 30 ans. D’autres partenaires scientifiques privés et industriels (gemmologie, joaillerie, histoire de l’art, muséologie) ont accepté également de participer activement à cette nouvelle aventure multidisciplinaire. Il faut ajouter la volonté et l’appui sans faille de l’éditeur qui s’est engagé dès le début pleinement dans l’aventure.

Divisé en soixante-six chapitres, ce travail fondamental propose aux lecteurs de découvrir l’histoire des jardins secrets de l’émeraude depuis sa formation à sa jusqu’à sa mise en valeur par le joaillier. Dans ce livre, richement illustré par plus de 1500 photographies, cartes, plans et graphiques, l’émeraude dévoile ses plus beaux atours !

Aigrette Art Deco. Paul Iribe pour Robert Linzeler. 
Émeraude taillée de forme hexagonale, cabochon circulaire et saphirs calibrés, diamants taille ancienne, perles, platine et or blanc 18 carats (poinçons français), 3 ½ ins., 1910, non signé.
AGL, 2019, rapport n°. 1100327 : Colombie, amélioration de la clarté insignifiante à mineure, type traditionnel. Copyright Christie’s Images.

 

  • Il est étonnant de constater, qu’indépendamment des gisements déjà connus, voire épuisés, l’on continue d’en découvrir de nouveaux aujourd’hui. Les mineurs extraient ainsi des émeraudes en Asie, en Europe, en Amérique du Sud et en Afrique. Pouvez-vous nous décrire les types d’environnement dans lesquels se forment ces gisements d’émeraude ?

Les gisements primaires peuvent être divisés en trois sous-types :

 – Le type environnement magmatique où les gisements sont associés à la présence de granites (source du béryllium de l’émeraude) et de filons de pegmatites, d’aplites et de quartz qui recoupent des roches du manteau métamorphisées (basaltes, péridotites qui sont les sources du chrome et vanadium). Ces gisements se rencontrent entre autres en Zambie, Russie, à Madagascar et au Brésil.

Veines blanches de pegmatite granitique (riches en béryllium) qui recoupent des schistes à talc et magnétite (riches en chrome) de la mine Chama à Kagem, Zambie.
Photo : Vincent Pardieu

–  Le type environnement sédimentaire comme en Colombie où les gisements se localisent dans des séries d’argilites noires riches en matière carbonée, sources du béryllium, chrome et vanadium du bassin sédimentaire de la Cordillère orientale.

Vue panoramique dans les années 90 de la mine à émeraude de Coscuez en Colombie. Des pentes vertigineuses dans les argilites noires qui sont surmontées par les calcaires jaunâtres d’El Reten.
Photo : Gaston Giuliani

–  Le type environnement métamorphique où des fluides circulent dans des failles en recoupant soit des schistes et des grès argileux, soit des calcaires métamorphiques (Vallée du Panjshir, Afghanistan), soit des roches du manteau métamorphisées (Santa Terezinha de Goias, Brésil).

Environnement métamorphique. Minerai carbonaté à phlogopite et émeraude de Santa Terezinha de Goiàs au Brésil. Photo : Gaston Giuliani

Par ailleurs, des gisements non-économiques (sans valeur commerciale sur le marché) décrits en Australie (Poona), Autriche (Habachtal) ou en Egypte (Djebels Sikaït, Zabara et Umm Kabo) sont signalés dans des niveaux de la croûte terrestre plus profonds que ceux rencontrés en Afghanistan ou au Brésil.

 

  • Ces trois types d’environnement définissent-ils des qualités d’émeraude ?
Bouton en émeraude, fin XVIe ou XVIIe siècle. (16,28 x 15,80 x 12,56 mm). AGL, 2019, rapport n°. 1100305 : 24,49 carats, Colombie, amélioration mineure de la pureté, type traditionnel. Christie’s New York, vente du 19 juin 2019,  « Maharajas & Mughal Magnificence », lot 59. Copyright Christie’s Images.

Naturellement, le type de gisement conditionne la qualité des émeraudes. Par exemple, pour les gisements de type environnement magmatique, 10% au maximum est de qualité gemme tandis que pour le type colombien en environnement sédimentaire 80% de la production est de qualité gemme.

Béryl “émeraude” sur calcite. La Pita, Vasquez-Yacopi, Colombie (7,5 x 5 cm). Photo Louis-Dominique Bayle.

L’émeraude colombienne se forme dans des géodes de calcite, et les cristaux n’incorporent pas d’une manière générale la gangue environnante ; l’émeraude brésilienne au contraire pousse dans une roche issue de l’interaction fluide-roche, et incorpore énormément d’inclusions comme les micas et les amphiboles.

 

  • L’exploitation de leurs mines diffèrent-elles ?

Dans les exploitations artisanales, les techniques d’exploitation ne changent pas depuis le XXème siècle et l’utilisation de la dynamite, sans contrôle de sa puissance, endommage toujours les cristaux.

Dans les exploitations modernes comme en Zambie à Kafubu, l’exploitation à ciel ouvert sous la forme d’immenses carrières permet de séparer plus facilement de grands panneaux de roches où se situent les émeraudes lesquelles sont ainsi extraites sans grand dommage.

 

  • Avez-vous parfois eu des surprises lors d’observations de terrain ?

Souvent !  En Colombie notamment, on peut trouver énormément de curiosités minéralogiques comme des gastéropodes dont la coquille en aragonite a été transformée en émeraude. J’ai eu la chance d’étudier ces spécimens avec des collègues : unique au monde ! Ou encore des émeraudes « vasos » qui sont de véritables verres miniatures pour l’heure de l’apéritif !

Quatre cristaux d’émeraude appelés localement vasos (verres), par analogie à la forme d’un verre miniature. District minier de Chivor, Colombie. Hauteur du cristal vertical : 12 mm. Collection du MIE. Photo : Yungger Gutiérrez-Camelo.
Quatre cristaux d’émeraude appelés localement vasos (verres), par analogie à la forme d’un verre miniature. District minier de Chivor, Colombie. Hauteur du cristal vertical : 12 mm. Collection du Musée international de l’Emeraude (MIE) de Bogota. Photo : Yungger Gutiérrez-Camelo.
Trois émeraudes colombiennes à texture trapiche, appelées « palmiers » en raison de leur curieuse configuration morphologique. La largeur maximale de ces échantillons est de l’ordre de 2,2 cm de long.   Collection du Musée international de l’Emeraude (MIE) de Bogota. Photo : Yungger Gutiérrez-Camelo.

 

  •  Il y a une vingtaine d’années, vous aviez fait une importante découverte scientifique qui permettait d’identifier l’origine des émeraudes et de distinguer les naturelles de celles traitées ou synthétiques. Cette découverte, via l’analyse des isotopes stables de l’oxygène (élément majeur de l’émeraude) est-elle devenue pratique courante aujourd’hui dans les laboratoires ?

Absolument pas !

L’analyse des isotopes stables de l’oxygène est totalement ignorée. Pourtant, combinée avec d’autres techniques de routine, comme la caractérisation des remplissages et de la morphologie des cavités d’inclusions fluides piégées par l’émeraude, cette analyse est d’une efficacité redoutable pour identifier l’origine géographique.

Les sondes ioniques peuvent être également utilisées pour la caractérisation de l’origine géographique des tsavorites et des spinelles rouges associés aux marbres notamment ceux de Kuh-i-Lal au Tadjikistan. Ces derniers possèdent une signature isotopique en oxygène qui est unique.

 

  • Quelles sont à vos yeux les découvertes les plus marquantes de ces dernières années ?

J’en vois trois principales.

La première découverte scientifique a trait à la formation des gisements et au rôle des évaporites (roches chimiques salines) dans la formation des gemmes métamorphiques (émeraude de Colombie, rubis et spinelle des marbres, grenat tsavorite et autres gemmes). C’est-à-dire que la présence d’évaporites dans les roches sédimentaires est un facteur essentiel lors d’une élévation de la pression et de la température (métamorphisme), car les sels fondus jouent un rôle fondamental dans la mobilisation des éléments indispensables à la formation de ces gemmes.

Les inclusions minérales et les fluides piégés par les gemmes issues du métamorphisme de roches de plate-formes carbonatées continentales sont des marqueurs précieux pour la compréhension de la formation de ces minéraux. Les indicateurs minéraux et fluides mettent en évidence la contribution majeure des évaporites par leur dissolution ou leur fusion au cours du métamorphisme. Les phases fluides, que ce soient les saumures à forte salinité circulant dans un milieu ouvert et à forte interaction fluide-roche ou les sels fondus présents dans un milieu fermé et à faible mobilité fluide, mobilisent les éléments indispensables présents dans les roches à la formation de l’émeraude, du rubis, du grenat tsavorite, de la tanzanite et du lapis-lazuli. À température élevée, les anions SO4, NO3, BO3et Fissus des évaporites et les minéraux associés qui sont de puissants fondants, abaissent les températures des liquides ioniques chlorurés et fluorés, assurent le transport localisé de l’aluminium, du silicium et des métaux à l’origine de ces gemmes qui cristallisent au sein d’une phase liquide. Ainsi, ces gemmes soulignent l’importance du métamorphisme des évaporites et invitent les géologues à ne pas négliger l’importance de ce type particulier de roche.

La deuxième découverte concerne l’importance industrielle et économique des gisements : la Zambie est devenue un des plus grands producteurs mondiaux. Une particularité des gisements de la région de Kafubu est que la majorité de l’activité minière est réalisée en carrières à ciel ouvert.

Vue de la mine à ciel ouvert Chama à KAGEM en juin 2018, Zambie. La mine couvrait alors une superficie d’environ 1,2 km de long sur un peu plus de 1 km de large et avait une profondeur d’environ 130 mètres. Photo : Vincent Pardieu.
Émeraudes. Mine Kagem, Zambie. Échantillons (10,7x6,9x4 cm). The Collector's Edge. Photo : Louis-Dominique Bayle, le Règne Minéral.
Émeraudes. Mine Kagem, Zambie. Échantillons (10,7 x 6,9 x 4 cm). The Collector’s Edge. Photo : Louis-Dominique Bayle, le Règne Minéral.

La mine Kagem, avec ses 12 millions de tonnes de roches extraites par an et sa production annuelle d’environ 36 millions de carats d’émeraudes et de béryl, se présente comme une rareté emblématique dans l’industrie des pierres de couleur. Par ailleurs, la mine détient l’une des plus grandes flottes de machines minières de toute l’industrie des gemmes colorées et avec ses 40 millions de dollars US de dépenses annuelles d’exploitation, cette opération se place par son importance structurelle bien au-dessus des autres exploitations minières de pierres de couleur (Pardieu et al., 2022, Émeraudes, tout un monde !).

La troisième découverte est liée à la recherche fondamentale en gemmologie : l’analyse gemmologique des émeraudes est capitale pour les distinguer des imitations et synthèses, pour identifier leurs traitements et enfin pour déterminer leur provenance géographique.

Émeraude de synthèse. (1,8 x 1,5 x 1,2 cm). Louis-Dominique Bayle

Depuis deux décennies, la recherche et les critères utilisés pour attribuer une valeur à une émeraude ont énormément changé dans les laboratoires d’expertise. Les analyses de l’émeraude sont obtenues par l’utilisation de différentes techniques analytiques notamment la microscopie, la spectroscopie d’absorption (de l’ultraviolet jusqu’à l’infrarouge), la luminescence (imagerie et spectroscopie), la spectroscopie de diffusion Raman et enfin, l’analyse chimique en utilisant différentes techniques de grande précision et reproductibilité comme par exemple la spectroscopie sur plasma induit par laser et la spectrométrie de masse à plasma induit par couplage inductif par ablation au laser.

Par ailleurs, il est bon de se rappeler que la majorité des émeraudes est traitée et que les émeraudes de grande qualité non-traitées sont extrêmement rares.

Aussi, il est critique pour les laboratoires d’expertise d’identifier le traitement et de déterminer la nature de la substance présente dans les fissures et de caractériser son effet sur l’apparence de la pierre (Notari et al., 2022 ; Émeraudes, tout un monde !). Désormais, tous les laboratoires possédant de l’expérience dans ce domaine fournissent  un travail de qualité et des rapports fiables, au bénéfice du consommateur.

 

  • La recherche fondamentale est parvenue à un haut degré de connaissance sur l’émeraude. Y-a-t-il encore des recherches à approfondir ? A-t-on fait le tour de cette pierre précieuse ?

La recherche est en marche perpétuelle et la découverte de nouveaux types de gisements pose à chaque fois de nouvelles questions et problématiques sur leur genèse et leur origine géologique et/ou géographique.

La mine de khenj, Vallée du Panjshir, Afghanistan. Photo : Vincent Pardieu.
La mine de khenj, Vallée du Panjshir, Afghanistan. Photo : Vincent Pardieu.

Par ailleurs, l’amélioration de la performance des instruments analytiques permet de contribuer à une meilleure connaissance de la composition chimique (les éléments traces entre autres) des émeraudes tout comme l’utilisation de nouveaux géochronomètres pour obtenir des âges in situ sur les minéraux inclus dans les émeraudes.

On ne fait jamais le tour de l’émeraude ! C’est infini, mais il faut savoir ce que l’on recherche !

 

  • Y-a-t-il des progrès que vous souhaiteriez voir s’enclencher, se réaliser dans les années à venir ?

Trois me semblent particulièrement nécessaires.

– L’utilisation rationnelle de protocoles de terrain pour l’étude des gisements. Par exemple, ne pas étudier un échantillon sans connaître réellement la nature de sa roche-mère et de son contexte tectonique.

Béryl « Emeraude » et pyrite. Muzo, Colombie Muzo, Colombie (7 x 10,5 cm – X = 4 x 2,3 x 2,2 cm). Photo Louis-Dominique Bayle.

– Utiliser le protocole d’échantillonnage des émeraudes et autres gemmes suivant la classification proposée par le gemmologue de terrain Vincent Pardieu. C’est-à-dire créer une banque de données suivant une codification caractérisant le type d’échantillon (le lieu où il a été recueilli, par qui, quand, dans quelles conditions). (Pardieu et al., 2022, Émeraudes, tout un monde !).

– La caractérisation systématique des inclusions fluides primaires et secondaires piégées par les émeraudes (morphologie, remplissage, composition des fluides, distribution, nature des micro-solides piégés dans les cavités). Ces inclusions fluides sont si différentes d’un gisement à un autre ! (Fristch et al., 2022, Émeraudes, tout un monde !). J’ai effectué une très grande partie de ce travail qui n’a pas été publié mais l’expérience montre que la caractérisation systématique des inclusions fluides primaires et secondaires des émeraudes, associée aux compositions isotopiques de l’oxygène, sont de puissants marqueurs d’origine géographique.

 

  • Peut-on conclure avec une définition actualisée de l’émeraude ?
Béryl « émeraude » sur calcite. Muzo, Boyaca, Colombie (5,6 x 4,2 x 3,9
cm). Muséum d’Histoire naturelle de Grenoble MI.8674. Photo Louis-Dominique Bayle.

Je conserve la définition proposée par Schwarz et Schmetzer en 2002 : l’émeraude est la variété chromifère et/ou vanadifère du béryl.

Un minéral est par définition une espèce chimique solide ou fluide. Ainsi, l’émeraude est un silicate constitué majoritairement d’oxygène, de silicium, d’aluminium et de béryllium. Sa couleur verte est due à des traces de chrome et/ou de vanadium qui remplacent l’aluminium dans la structure du minéral.

 

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Émeraudes, tout un monde !

Collectif sous la direction de Gaston Giuliani (2022), Les éditions du Piat

« Des mineurs depuis plus de vingt siècles la traquent, la cherchent, suivent d’infimes filons, puis creusent dans les déserts les plus arides, dans les contreforts des montagnes au cœur de forêts impénétrables, non loin des plus hauts sommets du globe, dans les monts dont le simple nom appelle à l’aventure ou encore dans des endroits anodins devenus maintenant banlieue d’une grande ville ». Louis-Dominique Bayle, créateur et directeur de publication de la revue « Le Règne Minéral ».

448 pages
Format : 24 x 31 cm
860 photos d’émeraudes
300 photos de paysages et documents anciens
140 cartes
160 dessins, graphiques et tableaux
Reliure rigide, finition haute de gamme, ouvrage en Français.
55 euros

 

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Visuel de « une » : Perle d’émeraude sculptée en forme de goutte de 82,08 carats.
(25,40 x 17,55 x 27,20 mm). Milieu à fin du XVIIe siècle
AGL, 2019, rapport n°. 1100309 : 82,08 carats, Colombie, amélioration de la pureté insignifiante, type traditionnel.
Christie’s, New York, vente du 19 juin 2019 « Maharajas & Mughal Magnificence », lot 223.
Copyright Christie’s Images.