Suzanne Belperron, histoire d’une consécration. Entretien avec Olivier Baroin.
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« Suzanne Belperron est la créatrice de bijoux la plus talentueuse et la plus influente du XXe siècle » : c’est en ces termes que David Bennett, aujourd’hui Président mondial de la division joaillerie internationale chez Sotheby’s, ouvrait la vente-évènement du 14 mai 2012 à Genève qui présentait « la collection personnelle de l’un des plus grands joailliers du XXème siècle : Suzanne Belperron (1900‐1983) ».
Cette vente comportait soixante lots, qui tous ont été vendus – et pour la plupart à des prix exceptionnels, en moyenne trois fois plus que leur estimation.
Le 5 décembre dernier, lors de la vente Magnificent Jewels de Christie’s à New York, un bracelet « tube » en platine et or gris 18 carats orné de diamants taille ancienne s’est envolé pour 852 500 $, alors qu’il était estimé entre 200 000 et 300 000$. Ce bijou exceptionnel fut créé en 1935, ainsi qu’en témoigne un document contresigné de la main de la créatrice provenant des archives personnelles de Suzanne Belperron conservées par Olivier Baroin. La cote des créations de Suzanne Belperron la place aujourd’hui au rang des plus grands noms de la joaillerie – Cartier, Van Cleef & Arpels, Boucheron, Chaumet … et les collectionneurs de ses œuvres font monter les enchères à des prix records.
Cette consécration est le fruit d’un long parcours.
Reconnue, admirée et très sollicitée de son vivant, Suzanne Belperron est brièvement tombée dans l’oubli après sa mort. Son nom a ressurgi quelques années plus tard lors de deux ventes majeures :
- celle de la collection de bijoux de la Duchesse de Windsor, chez Sotheby’s à Genève les 2 et 3 avril 1987, dans laquelle figuraient seize pièces Belperron.
- Puis, dans la très belle vente de Pierre Bergé & Associés du 17 mai 2004 à Genève qui présentait soixante-deux lots sous le titre « Créations de Suzanne Belperron ».
Mais c’est véritablement en décembre 2007, avec la découverte des archives personnelles de la créatrice par Olivier Baroin, puis avec la publication de son livre Suzanne Belperron co-écrit avec Sylvie Raulet et paru en août 2011, que le travail de la créatrice a retrouvé ses lettres de noblesse. Depuis quelques années, les maisons de vente aux enchères s’enorgueillissent de présenter des pièces Belperron ; car toutes soulignent le style unique, l’âme d’artiste, de cette grande dame de la joaillerie du XXème siècle.
Si la vie de Suzanne Belperron fut passionnante, sa postérité l’est tout autant. De la rocambolesque découverte de ses archives personnelles que l’on croyait brûlées, aux fortes tensions dans la réattribution de ses œuvres, des différends transatlantiques dans la succession de son héritage artistique, à sa cote qui enflamme les enchères, le nom de Suzanne Belperron n’est pas près d’être oublié une seconde fois.
Nous avons interviewé Olivier Baroin, expert de l’œuvre de Suzanne Belperron afin qu’il nous explique comment cette artiste célèbre en son temps puis oubliée est devenue une référence dans les salles de vente.
Genèse, vie et postérité d’un style singulier
Suzanne Belperron : jalons d’une vie
Madeleine Suzanne Vuillerme de son nom de jeune fille naquit le 26 septembre 1900 dans le Jura. A 18 ans elle reçut le 1er prix de l’Ecole des Beaux-Arts de Besançon et vint s’installer à Paris. En mars 1919, elle fut engagée comme modéliste-dessinatrice par Jeanne Boivin, veuve de René Boivin qui dirigeait la maison éponyme.
Cinq ans plus tard, elle devenait codirectrice de la maison Boivin. La même année, elle épousa Jean Belperron (1898-1970), un ingénieur originaire comme elle de Besançon, dont elle prit le patronyme. Le couple n’eut pas d’enfant.
En 1932, Suzanne quitta la Maison Boivin pour rejoindre Bernard Herz, grand négociant en perles fines et pierres précieuses, en tant que directrice artistique et technique de la Société Bernard Herz jusqu’en 1940.
Au début de la seconde guerre mondiale, peu avant les lois antisémites de Vichy, et à la demande de Bernard Herz, elle racheta sa société et créa la Société Suzanne Belperron SARL (1941-1945). En 1943, Bernard Herz fut déporté en Allemagne, d’où il ne revint pas.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, en 1946, elle accueillit Jean, le fils de Bernard Herz, lui offrant – en mémoire de son père Bernard auquel elle vouait une profonde affection- la cogérance d’une société constituée à parts égales, alors baptisée « Jean Herz Suzanne Belperron ». Suzanne Belperron assuma la direction, tant artistique que financière, de ladite Société jusqu’à la liquidation de celle-ci le 31 décembre 1974.
Des années 1930 aux années 1970, Suzanne Belperron créa sans interruption et sans jamais vouloir s’associer avec une autre maison. Sa renommée de son vivant fut grande en France et à l’étranger. Elle fut élevée au rang de Chevalier de la Légion d’honneur en 1963 en sa qualité de « créatrice joaillière ».
Après son retrait, elle continua à exercer son art uniquement pour des proches. Elle s’est éteinte à Paris le 28 mars 1983. Elle avait quatre-vingt-deux ans.
Quelques considérations sur le style Belperron
Ses créations reflètent un style tout à fait personnel, « une signature », alors même que la créatrice ne signa jamais aucune de ses pièces. « Mon style, c’est ma signature », disait-elle dans une formule restée fameuse.
Les bijoux Belperron se caractérisent bien souvent par le choix audacieux pour son temps d’associer des pierres précieuses ou perles fines à des pierres fines ou ornementales. Ainsi, Suzanne Belperron n’hésitait pas à marier saphirs et calcédoine, diamants et cristal de roche, ou bien de l’argent avec des hématites ou avec une améthyste encadrée de chrysoprases.
Ces mélanges de couleurs et de matières (transparent, translucide, opaque) engendraient des jeux de lumière particulièrement originaux. Cependant, Suzanne Belperron créa aussi des pièces qu’on pourrait qualifier de « haute-joaillerie » puisqu’elles étaient uniquement composées de matériaux précieux.
Une autre caractéristique du travail de cette avant-gardiste, ce sont des volumes qui frôlent parfois la démesure. Toutefois, précise Olivier Baroin, « même si le bijou se veut parfois un peu exubérant, il n’en demeure pas moins élégant. La créativité de Madame Belperron n’outrepasse jamais la limite du bon goût ». Et il ajoute : « son œuvre se traduit par des bijoux graphiques et purs, mais surtout sensuels, pour ne pas dire charnels ».
Ce style suscita l’engouement au-delà du monde des connaisseurs en joaillerie. Ainsi, Suzanne Belperron fut une des premières créatrices de joaillerie à obtenir des parutions dans les magazines de mode, tels Harper’s Bazaar ou Vogue. Dès 1933, Elsa Schiaparelli posait dans Vogue parée de bijoux Belperron. Les bijoux de Suzanne Belperron magnifiaient les tenues de créateurs de mode – au point que ces derniers craignaient parfois de voir leurs créations reléguées au second plan !
Une créatrice pour « happy few »
Sa clientèle était très variée. Elle comprenait des membres des familles royales et de l’aristocratie européenne, de riches banquiers et industriels, mais aussi des acteurs, des artistes et des écrivains. Ses cahiers de commande personnels attestent qu’elle reçut le Duc et la Duchesse de Windsor, Colette, Jean Cocteau, Nina Ricci, Jeanne Lanvin, Elsa Schiaparelli, Gary Cooper, la bégum Aga Khan, la baronne de Rothschild, Daisy Fellowes, la cantatrice Ganna Walska ou Merle Oberon, la ravissante héroïne des Hauts de Hurlevent, pour n’en citer que quelques-uns !
Aujourd’hui encore, ses créations restent méconnues du grand public. Depuis une dizaine d’années, cependant, elles sont très recherchées des marchands d’art, des professionnels du monde joaillier et des collectionneurs avertis.
Philippine Dupré La Tour, directrice du département bijoux et horlogerie chez Aguttes, explique que les bijoux Belperron occupent une place particulière dans ses expertises car bien souvent les clients qui lui soumettent une pièce Belperron ne soupçonnent pas sa valeur. « C’est donc un double plaisir : celui de voir ces bijoux et celui de les révéler ».
Aujourd’hui les acquéreurs de pièce Belperron relèvent d’un nouvel élitisme. Olivier Baroin constate que ce sont des acheteurs qui sont influencés plus par le design du bijou que par sa valeur intrinsèque. « Les collectionneurs qui apprécient les pièces Belperron n’ont pas besoin que leur bijou soit serti de diamants, ceux qui reconnaissent son style savent son importance ».
Durant les ventes aux enchères, les acheteurs se trompent rarement ; les pièces qui se vendent le plus cher sont celles qui sont les plus emblématiques de l’esprit Belperron. Karl Lagerfeld, qui figure parmi les plus grands collectionneurs de bijoux Belperron, résume cela ainsi : « Un bijou Belperron, ça se reconnaît tout de suite. C’est un esprit. »
Olivier Baroin et la deuxième naissance de Suzanne Belperron
Comment est née cette « filiation » entre Madame Belperron et vous ?
Par un incroyable coup du destin !
Je suis joaillier depuis 1987 et expert en bijoux anciens depuis 2001. A cette époque j’avais déjà une grande admiration pour Suzanne Belperron dont je connaissais le travail grâce à mon amie Miriam Mellini, négociante en perles, passionnée de bijoux anciens et fervent amateur de Suzanne Belperron.
Un jour de décembre 2007, alors que j’étais en train d’ébaucher un projet devant un client, ce dernier me regarde et me dit : « c’est amusant de vous voir dessiner ainsi, mon père vient d’hériter d’une dessinatrice de bijoux ». J’osais demander le nom de cette dessinatrice. Le client me répondit, manifestement incertain : « peut-être Josiane Duperron ». Mon sang ne fit qu’un tour et, très calmement, je l’interrogeai : « Êtes-vous certain ? Ne serait-ce pas plutôt Suzanne Belperron ? ».
A l’époque, nous pensions que Suzanne Belperron avait brûlé ses archives de son vivant « Her life is veiled in mystery – she burned her papers before she died », ainsi que l’expliquait Ward Landrigan au New York Times en aôut 1998.
Mon client m’a proposé de passer visiter dès le lendemain, au pied de la butte Montmartre, le pied à terre qui n’avait presque pas été ouvert depuis vingt-quatre ans et dans lequel étaient entreposées toutes les affaires de Madame Belperron. Je m’y suis rendu très tôt le matin, avant que les brocanteurs ne viennent vider les lieux, puisqu’un commissaire-priseur avait certifié à l’héritier que tout cela ne valait rien !
Je n’avais pas idée moi-même de ce que cela valait, mais je soupçonnais que ce que ce petit appartement renfermait était inestimable. Et à juste titre… il y avait là toute la vie de cette femme entreposée pêle-mêle : ses décors d’appartement, dont un salon semble-t-il dessiné par son ami Marcel Coard, décorateur et ensemblier des années 30, ses services de table, ses nappes, beaucoup d’art asiatique … l’ensemble recouvert d’une épaisse couche de poussière !
Nous avons fait un inventaire des biens, puis nous avons trouvé un accord sur le rachat des affaires personnelles de Suzanne Belperron. L’héritier était un grand Monsieur, un homme de parole très droit et très loyal, féru d’art, lui-même venant d’une famille d’artistes-peintres. Une fois qu’il eût réalisé qui était Suzanne Belperron, et fort admiratif des pièces qu’il avait vues, il souhaita que Suzanne Belperron, qui était alors quelque peu oubliée, bénéficie d’une reconnaissance nouvelle. C’est cet homme, héritier du légataire testamentaire de Madame Belperron, qui m’a suggéré d’écrire un livre sur son œuvre. Autant dire que nous lui devons beaucoup.
Il s’est éteint quelques jours après la vente de l’écrin personnel de Suzanne Belperron qui eut lieu à Genève le 14 mai 2012, rassuré quant à la pérennité de l’œuvre de la créatrice. Auparavant, il avait lu avec une infinie attention mon livre co-écrit avec Sylvie Raulet, intitulé Suzanne Belperron, qui était paru en août 2011.
C’est une histoire très romanesque !
En effet, les chances étaient infimes que je tombe sur les affaires personnelles de Suzanne Belperron ! D’ailleurs, la fille de l’héritier souhaiterait un jour pouvoir réaliser un film retraçant sa vie, son parcours. Il y a tant à raconter : son histoire personnelle, son génie créatif, ses clientes célèbres, sa succession, la découverte des archives personnelles, la reconnaissance dont elle jouit aujourd’hui et bien plus encore…
Lorsque vous avez redécouvert les archives personnelles de Suzanne Belperron, en décembre 2007, cela faisait vingt-quatre ans que la créatrice avait cessé son activité. Que restait-il de son œuvre ?
Suzanne Belperron a officiellement cessé son activité en 1975, mais en réalité elle a continué à travailler pour ses meilleures clientes ou pour des amies quasiment jusqu’à son décès en mars 1983.
Une fois acquises ses archives personnelles, j’ai débuté par un important travail d’enquête : il m’a fallu remonter la trace des bijoux, parcourir les maisons de vente, et je me suis rendu compte que 90% des bijoux de Suzanne Belperron ne lui était pas attribués, quelle que soit la période à laquelle ils avaient été faits. La personne qui faisait autorité sur les expertises de la maison René Boivin ne faisait pratiquement aucune distinction entre Boivin et Belperron. Partant du postulat que Suzanne Belperron avait débuté sa carrière chez Boivin comme « jeune vendeuse » (sic) avant d’évoluer sous la houlette de Jeanne Boivin, les certificats n’établissaient pas de différence entre son travail chez Boivin, Maison dans laquelle elle avait œuvré de 1919 à 1932, et les quarante années suivantes de sa carrière.
Aujourd’hui il est avéré que Suzanne Vuillerme, après avoir obtenu le premier prix de l’Ecole municipale des Beaux-Arts de Besançon avec un décor en champlevé sur une montre, est entrée chez René Boivin en 1919 non pas comme « jeune vendeuse » mais en tant que « modéliste-dessinatrice » avant de devenir dès 1924 co-directrice de la Maison et d’épouser Jean Belperron.
Il est également reconnu que la Maison René Boivin, avant l’arrivée de Suzanne Belperron, était un fabricant, qui travaillait en tant que sous-traitant pour toutes les maisons de joaillerie. C’était un atelier familial, qui avait racheté d’autres ateliers parisiens à la fin du XIXème siècle, d’afin de se doter des meilleurs ouvriers et d’un équipement performant.
Par exemple ces trois photos de colliers de facture relativement classique (suite de sertissures endiamantées et perles fines) ont été fabriqués en 1912 par la maison René Boivin pour Boucheron. Je suis très reconnaissant à mon amie Claudine Sablier, conservateur des archives de la maison Boucheron de m’avoir transmis ces documents. S’il est vrai qu’en 1912, René Boivin s’installa au 27 rue des Pyramides, avec des salons de réception qui jouxtaient ses ateliers, il n’en demeure pas moins que la maison s’est véritablement pourvue d’une notoriété de créateur seulement après l’arrivée de Suzanne Belperron. En témoigne une lettre de Jeanne Boivin de novembre 1923 que Suzanne Belperron conservait précieusement où il est écrit que Suzanne « est maintenant une force active nécessaire et tient une grande place dans la vie artistique de la maison René Boivin ». Ainsi, je mets quiconque au défi de me présenter les œuvres modernistes de Monsieur Boivin créateur!
Comment s’est effectué votre travail de réhabilitation de l’œuvre de Suzanne Belperron ?
De nombreuses personnes au sein des Maisons de vente m’ont aidé dans mon travail d’enquête, et particulièrement la maison Aguttes. Philippine Dupré la Tour a accepté de contacter certains de ses clients « vendeurs » – si toutefois un bijou me semblait pouvoir être de la main de Suzanne Belperron – afin de leur demander s’ils accepteraient de nous donner les noms de leurs aïeux à l’origine d’achats chez René Boivin ou Suzanne Belperron.
Cela m’a permis de rechercher dans ses archives personnelles pour voir si je retrouvais la famille du vendeur. J’ai pu ainsi remonter le temps. Je me suis alors rendu compte que de nombreux bijoux vendus sous le nom de Boivin s’avéraient être des pièces commandées chez Suzanne Belperron par la famille du vendeur après 1932.
Je suis reconnaissant à Philippine Dupré La Tour de sa coopération comme de sa confiance – les maisons de vente sont généralement assez secrètes. David Bennett m’a également énormément aidé, il a tout de suite cru au projet du livre et Sotheby’s a mis à disposition ses studios photos partout dans le monde afin que les propriétaires de bijoux Belperron puissent venir les faire répertorier, estimer et photographier. J’en suis très reconnaissant à David Bennett comme à Claire de Truchis-Lauriston qui dirigeait alors le département joaillerie à Paris. Ils ont eu le courage, la force, de prendre ce risque, alors que d’autres auraient redouté de déstabiliser le marché. Sotheby’s a d’ailleurs été d’un grand soutien pour le livre.
Après la découverte des cahiers de commande personnels de la créatrice, vous pouviez authentifier formellement ses pièces. La cote de Belperron sur le marché des enchères en a-t-elle été réévaluée ?
Lors de la sortie de mon livre, le monde joaillier et les maisons de vente en particulier ont pris conscience que Suzanne Belperron et son légataire universel avaient préservé les archives, constituée d’une vingtaine de cahiers de commande personnels que Suzanne Belperron tenait pour elle-même depuis 1937, dans lesquels on compte 6730 clients et près de 45 000 rendez-vous !
En conséquence, il devenait possible d’attribuer les pièces en bonne et due forme si l’on avait le nom de famille des commanditaires. Les cahiers d’archives s’arrêtent en 1974, mais après, entre 1974 et 1983, diverses lettres témoignent du fait que Suzanne Belperron est restée active.
Je me suis attelé à un travail de transparence en remontant à l’origine des commandes, afin de réhabiliter l’œuvre de Suzanne Belperron et de lui réattribuer les pièces qu’elle avait créées pendant cinquante ans. Mes certificats ont fini par clarifier le marché des ventes aux enchères pour Belperron. Sa cote est croissante et les prix d’adjudication voisinent avec ceux des plus grandes maisons de joaillerie.
Comment authentifier un bijou Suzanne Belperron ?
Suzanne Belperron n’a jamais signé aucune de ses créations, que ce soit chez René Boivin ou chez Herz lorsqu’elle était seule décideuse et créatrice à part entière.
En un premier temps j’étais particulièrement vigilant ! En effet, sans preuve factuelle, formelle et sans trace de commande écrite, dans le doute je m’abstenais. Au fil du temps, sachant que je possède beaucoup d’éléments : des maquettes d’atelier, des plâtres, des dessins et des esquisses, des photos et articles de presse contresignés de sa main et bien entendu les cahiers de commande personnels, j’ai réussi à faire des recoupements. Mon œil était formé par les vingt années que j’avais passées en atelier. En tant que joaillier, je suis familier de la fabrication des bijoux ; je sais comment un bijou est bâté, monté, ajusté etc…
Mais ce sont surtout les années, l’expérience d’authentification des pièces – j’en ai répertorié, répertorié et encore répertorié! – qui m’ont permis d’affiner mon expertise.
Au tout début, la qualité de fabrication de certaines pièces se rapprochait presque plus du bijou fantaisie, avec un travail fait sur de l’argent, que de la haute-joaillerie, même si je dois préciser qu’à l’époque les bijoux fantaisie étaient très bien faits.
Après-guerre, entre 1942 et 1955, on remonte en qualité de production avec un apogée dans les années 50. Tous les bijoux sont alors réalisés à la main à partir de bâtes, de plaques et de fils.
Ensuite, entre 1955 et 1970 les techniques de fabrication évoluent, la qualité de production n’est plus la même mais ce n’est pas forcément lié à un moins bon travail des ouvriers-joailliers. La fonte à cire perdue envahit le marché et la production s’accélère. On entre dans une nouvelle ère d’industrialisation du bijou. Les bijoux Belperron sont encore réalisés partiellement à la main, mais aussi en fonte.
Les années 70-80 sont plus faciles en terme de réalisation, mais quelques modèles non réalisables en fonte à cire perdue restent entièrement faits main.
Dès 1932, l’atelier Groëné et Darde a été le fabricant exclusif de Suzanne Belperron et il l’est resté jusqu’au bout. Les différents poinçons permettent de dater approximativement les créations de Suzanne Belperron et du moins, de les authentifier.
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- De 1928 à 1955, la société porte le nom de Groëné et Darde (Emile Darde et Maurice Groëné). Le poinçon présente les initiales GD surmontées de Ste dans lesquelles s’intercale une fleur de lys.
- De 1955 à 1970, elle prend le nom de société́ Darde et Fils (Emile Darde et son fils Michel). Le poinçon montre les initiales DF avec au centre une fleur de lys.
- De 1970 à 1974, elle devient la société Darde et Compagnie (Michel Darde) et a pour poinçon l’initiale D suivie d’une fleur de lys, surmontée de Ste, elle-même suivie des initiales CIE.
Dans les cas où l’on ne dispose pas dans les archives de trace d’une commande, seule l’extraordinaire habileté du lapidaire Adrien Louart (1890-1989) à qui Suzanne Belperron faisait sculpter ses gemmes permet d’authentifier les créations Belperron, même si les bijoux ne sont pas signés du fait de leur matière elle-même.
Qu’en est-il des certificats ?
Lorsqu’en septembre 2008 j’ai acquis l’ensemble des archives découvertes l’année précédente à Montmartre, le dernier légataire universel m’a mandaté pour pérenniser « l’avenir de l’expertise de toute l’œuvre réalisée par Madame Suzanne Belperron ».
C’est ainsi que j’ai commencé à authentifier les bijoux pour Sotheby’s, Aguttes, Artcurial, et tant d’autres maisons de vente…
Aujourd’hui, j’établis les certificats (ou de simples attestations lorsque j’ai l’intime conviction qu’un bijou a été créé par Suzanne Belperron, mais que je n’en ai pas la preuve formelle dans les archives !) pour la majorité des collectionneurs et des maisons de vente, y compris des maisons de vente américaines dont Fortuna dernièrement. Certains me considèrent parfois comme le gardien du temple, je dirais plutôt le gardien de la mémoire de Madame Belperron d’autant que je ne me consacre désormais pratiquement plus qu’à son œuvre.
Portfolio : les plus belles pièces Belperron passées en vente ces dernières années
Suzanne Belperron occupe une place à part sur le marché de la joaillerie. Dans l’ensemble, les bijoux Belperron atteignent des sommets dans les ventes aux enchères, mais en réalité, il n’y a pas de standard de marché applicable à Belperron.Les acheteurs se déterminent pièce par pièce, selon l’intérêt du bijou. C’est-à-dire qu’ils jugent et achètent chaque pièce en fonction de sa valeur esthétique et de sa place dans la création de Suzanne Belperron. Ces critères sont proches de ceux qu’on applique aux peintres ou aux plasticiens.
Voici une sélection supplémentaire de quelques bijoux remarquables qui sont passés en vente ces dernières années et qu’Olivier Baroin a expertisés.
AGUTTES
ARTCURIAL
CHRISTIE’S
DROUOT
Le mercredi 17 décembre 2014 Drouot présentait cette somptueuse parure collier et bracelet dont le prix d’adjudication a marqué un record. Estimée entre 10 000 et 20 000 euros cette parure s’était alors envolée pour 415 000 euros. Un travail caractéristique du style Belperron dans ces volumes et dans ces nuances délicates de bleu velouté qu’affectionnait la créatrice.
FORTUNA
Le 25 avril 2018 avait lieu à New-York chez Fortuna la vente d’une exceptionnelle collection de bijoux Belperron provenant de la succession de Bokara « Bo » Legendre.
SOTHEBY’S
Magnificent jewels & Noble jewels, 15 novembre 2018, Genève
Magnificent jewels & Noble jewels, 15 mai 2018, Genève
Magnificent jewels & Noble jewels, 15 novembre 2017, Genève
Magnificent jewels & Noble jewels, 16 mai 2017, Genève
Magnificent jewels & Noble jewels, 17 novembre 2016, Genève
Magnificent jewels & Noble jewels, 11 novembre 2015, Genève
Magnificent jewels & Noble jewels, 12 mai 2015, Genève
TAJAN
L’expert Jean-Norbert Salit présentait lors de la vente du 29 juin 2015 un rare ensemble de quatre pièces en or gris, diamants et rubis certifiés d’origine birmane, sans trace de traitement thermique. Travail français vers 1936 avec poinçon de maître de Groëne et Darde.
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La Golconde
Galerie d’Olivier Baroin
9, Place de la Madeleine. 75008 Paris.
Tél. 01 40 07 15 69
Suzanne Belperron, Sylvie Raulet et Olivier Baroin, La Bibliothèque des Arts , 2011.
Les bijoux de Suzanne Belperron, Patricia Corbett, Ward and Nico Landrigan, Karl Lagerfeld, Thames & Hudson, 2015.
Jewels from the personnal collection of Suzanne Belperron, Geneva 14 may 2012, catalogue Sotheby’s
Vente bijoux, créations Suzanne Belperron, catalogue Pierre Bergé et Associés, mai 2004
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Tous mes remerciements aux maisons Aguttes, Artcurial, Christie’s, Drouot, Eve, Fortuna, PB&A, Sotheby’s et Tajan.
Des remerciements tout particuliers à Olivier Baroin, qui allie comme peu d’autres la précision de l’expert et la passion du pédagogue.
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