Exposition
Cartier London – Mise à jour éditoriale à l’occasion de l’exposition Cartier du V&A Museum
Alors que le Victoria and Albert Museum consacre une exposition d’ampleur à Cartier (Cartier, jusqu’au 16 novembre 2025), Property of a Lady souhaite remettre à l'honneur la trilogie d’articles publiée au printemps 2020 et consacrée à Cartier London.

L’exposition Cartier qui s'est ouverte, la première dédiée à Londres depuis près de trente ans, réunit plus de 350 pièces issues des collections de la maison, de musées internationaux, de la Royal Collection et de prêts privés – dont certains jamais exposés au public. Elle met en lumière un pan essentiel mais parfois méconnu de l’histoire de la maison : l’aventure britannique de Cartier. Car si l’empreinte parisienne est indiscutable, c’est bien à Londres que Cartier a consolidé au début du XXe siècle sa réputation internationale, en développant une clientèle aristocratique fidèle, attirée par un luxe à la fois fastueux et mesuré.

En 1904, la maison Cartier reçoit du roi Édouard VII un "Royal Warrant", distinction accordée aux fournisseurs officiels de la Couronne. Deux ans plus tard, Jacques Cartier fonde officiellement la succursale londonienne, d’abord sur Regent Street, puis à l’adresse emblématique de New Bond Street. Très vite, Cartier London s’impose comme un acteur de premier plan. Un atelier est installé dans les étages du bâtiment : plus d’une centaine d’artisans y travaillent sur des commandes locales, inscrivant le style Cartier dans le tissu aristocratique britannique.

Le parcours du V&A revient précisément sur ce moment fondateur, en replaçant Cartier London dans le contexte de la société anglaise de l’époque. Il met notamment en valeur le rôle de Jacques Cartier et de son fils Jean-Jacques, qui sut, dès les années 1960, insuffler une audace formelle nouvelle à la filiale – comme en témoigne la montre Crash (1967), née dans l’effervescence des Swinging Sixties.

Parmi les pièces exposées, plusieurs incarnent une élégance résolument britannique : le diadème Scroll (1902), commandé pour la comtesse d’Essex dans le style guirlande, emblématique d’une esthétique néoclassique ; la broche Rose de la princesse Margaret (1938), récemment réattribuée grâce aux archives ; la broche Williamson, montée en 1953 autour d’un diamant rose offert à Elizabeth II pour ses fiançailles ; le bandeau Tutti Frutti (1928), chef-d’œuvre aux influences indiennes et occidentales conjuguées conçu pour Lady Mountbatten ; le diadème de la Duchesse de Manchester (1903), commande transatlantique d’une héritière américaine mariée à un duc anglais, s’impose comme l’une des pièces phares de l’exposition.

Une salle entière est consacrée aux diadèmes : l’année 1937, marquée par le couronnement de George VI, fut faste pour Cartier London, qui réalisa un nombre record de diadèmes. Les dessins préparatoires de Frederick Mew, principal designer de la succursale entre les années 1930 et 1950, sont exposés pour la première fois au public.
Le fil rouge de l’exposition, comme le soulignent les commissaires Helen Molesworth et Rachel Garrahan, est cette capacité de Cartier à se réinventer en dialoguant avec les goûts locaux. À Londres, cela signifiait comprendre l’importance du rang, de la retenue et du prestige, tout en intégrant des influences orientales (Inde, Perse, monde islamique) qui s’accordaient au goût anglais pour l’exotisme maîtrisé. Le succès des pièces Tutti Frutti, les commandes des maharajas ou les bijoux transformables en sont autant d’exemples.

Ce regard muséal rejoint les recherches engagées par Property of a Lady dès 2020, à travers une trilogie consacrée à Cartier London. À cette occasion, nous avions eu le privilège de recueillir le tout premier entretien en français avec Francesca Cartier Brickell, arrière-petite-fille de Jacques Cartier, à l’occasion de la parution de son livre The Cartiers: The Untold Story of the Family behind the Jewellery Empire. Cet échange inédit demeure une contribution précieuse à la compréhension de l’histoire familiale et créative qui sous-tend l’aventure londonienne de la maison.
Lire ou relire la trilogie :
https://propertyofalady.fr/livres/francesca-cartier-brickell-raconte-son-arriere-arriere-grand-pere-jacques-cartier/
https://propertyofalady.fr/livres/cartier-londres-au-temps-des-roaring-twenties/
https://propertyofalady.fr/livres/cartier-londres-dans-les-annees-30-le-temps-des-defis/
Informations pratiques :
Exposition Cartier
V&A South Kensington, Cromwell Road, London SW7 2RL
Réservation : vam.ac.uk/exhibitions/cartier&A South Kensington
Panthère clip brooch, Cartier Paris, 1949. Sold to the Duke of Windsor, Cartier Collection. Photography- Nils Herrmann for Cartier Collection © Cartier
En visuel de "une" : Manchester tiara, Cartier Paris, 1903 @Victoria and Albert museum, London
L’Arabie Saoudite, un nouvel épicentre pour le monde de l’art ?
Depuis quelques années, l’Arabie saoudite déploie une stratégie culturelle ambitieuse, visant à redéfinir son image sur la scène artistique et patrimoniale mondiale.
En misant sur la valorisation de son patrimoine historique, religieux et archéologique, la promotion de la création contemporaine et l’organisation d’événements d’envergure, le Royaume cherche à s’imposer comme un acteur incontournable du monde de l’art. Cette dynamique s’inscrit dans le cadre de Vision 2030, le programme de réforme lancé en 2016 par le roi Salman et pris en main par son fils, le prince héritier Mohammed ben Salman (MBS), qui ambitionne de diversifier l’économie et de positionner le pays comme un centre culturel influent.
Le challenge est de taille : l’Arabie saoudite peut-elle, en si peu de temps, transformer son identité culturelle pour rivaliser avec les grandes capitales de l’art ? Saura-t-elle imposer une attractivité pérenne, capable d’attirer collectionneurs, artistes et institutions sur le long terme ?

Trois événements incarnent cette ambition et attestent une ascension spectaculaire : la Biennale des Arts Islamiques, qui entend affirmer le rôle du Royaume comme pôle majeur de l’art islamique ; la première vente aux enchères organisée par Sotheby’s à Riyad, symbole d’un marché de l’art en mutation ; et l’implantation durable de Christie’s, marquant l’entrée du Royaume dans le cercle fermé des grandes places de marché de l’art.

I – La Biennale des Arts Islamiques 2025 : “And all that is in between”
Dans ce contexte de transformation culturelle et d’affirmation stratégique sur la scène artistique mondiale, l’Arabie saoudite accueille jusqu’au 25 mai 2025, la seconde édition de la Biennale des Arts Islamiques à Jeddah. Que recouvre la notion d’arts islamiques ? Depuis l’Hégire (622), l’art islamique s’est développé à travers un vaste espace géographique – du Moyen-Orient à l’Asie du Sud et centrale, en passant par l’Afrique du Nord et l’Empire ottoman – en intégrant et réinterprétant des traditions artistiques locales. Porté par des dynamiques d’échange et de syncrétisme, l'art islamique ne se limite pas à la seule expression religieuse, mais constitue un système ornemental et iconographique distinct, caractérisé notamment par la calligraphie, les motifs géométriques et végétaux, ainsi qu’une approche spécifique de l’espace et de la lumière.
Organisée sous l’égide de la Diriyah Biennale Foundation, la Biennale 2025 illustre la volonté du Royaume de s’imposer comme un centre majeur dans la relecture contemporaine de l’art islamique. Le choix de Jeddah comme ville hôte ne doit rien au hasard. Carrefour historique du commerce et de la spiritualité, la ville est en effet le point d’entrée des pèlerins en route vers La Mecque et Médine. Cette vocation d’accueil et de transmission trouve un écho puissant dans l’installation de la Biennale au sein de l’ancien terminal occidental du Hadj de l’aéroport international Roi Abdulaziz, un lieu dédié au passage des fidèles, aujourd’hui transformé en espace de dialogue artistique et patrimonial.

Intitulée « And all that is in between », citation puisée dans un verset récurrent du Coran, cette édition explore la tension entre visible et invisible, tangible et spirituel. Parmi ses temps forts ? La présentation de la Kiswah, immense étoffe noire brodée d’or qui recouvrait l’année précédente la Kaaba de La Mecque. Tissée chaque année dans les ateliers de la Kiswah Factory of the Holy Kaaba (fondée en 1927) elle est exposée pour la première fois hors de son cadre rituel, devenant ainsi un objet de contemplation autant que de dévotion. Les somptueux corans enluminés du Maroc, d'Al-Andalus, d'Iran, d'Afghanistan, de Turquie, d'Egypte et un, monumental, provenant d'Inde du Sud. Et, une oeuvre étonnante : l'escalier monté sur roulettes (appelé madraj) en teck, fer, laiton, acier, cuivre, or et ébène provenant d'Inde également, qui permettait d'accéder à la Kaaba mais aussi d'en protéger l'entrée.



A côté de ces chef d'oeuvre du patrimoine religieux du Royaume, plus de cinq cents œuvres déploient une mosaïque d’expressions artistiques, entre vestiges historiques et créations contemporaines (parmi les artistes saoudiens, mention spéciale à Ahmed Mater et Ahmad Angawi).

La section la plus fascinante pour les amateurs d’objets d'art et de gemmes est celle baptisée AlMuqtani (« Hommage »). L’apport fondamental des collectionneurs privés à la préservation du patrimoine islamique est mis en lumière par deux cents oeuvres.
Deux ensembles dialoguent avec éloquence : la Furusiyya Art Foundation, constituée par Rifaat Medhat Sheikh El Ard, qui célèbre la culture chevaleresque, les armes et armures du monde islamique et présente ici cent vingt-deux de ses pièces et la Collection Al Thani, qui réunit pour la première fois soixante-dix-neuf oeuvres d'art issues du monde musulman, des Omeyyades et Abbasides aux Moghols, Safavides et Ottomans.
Dans ces deux collections, les œuvres exposées sont islamiques, mais à l'exception du sabre du XVIIIe siècle de la Furusiyya Art Foundation, aucun des objets n'a été fabriqué en Arabie saoudite. Les objets ornés de pierreries, les gemmes et les joyaux proviennent en large partir de cours royales indiennes mais pas uniquement. Amin Jaffer, directeur de la collection Al Thani, et également l'un des directeurs artistiques de cette deuxième biennale des arts islamiques, explique : "les bijoux moghols dominent notre imagination en raison de la riche culture de l'utilisation des métaux précieux et des pierres précieuses pour la parure dans le sous-continent indien. Il existe une longue tradition de pierres précieuses incisées dans le monde islamique, mais l'interdiction générale de porter de l'or pour les hommes musulmans limitait la parure masculine. La joaillerie a été élevée au rang de grand art dans le monde ottoman, où, comme dans l'Iran Qajar, il existait une forte tradition d'émail sur or."
La spécificité des objets précieux issus de la tradition islamique est évidente à différents niveaux, selon Amin Jaffer, qu'il s'agisse de l'utilisation de matériaux rares et précieux - cristaux de roche de la période fatimide, velours de soie safavide ou verre mamelouk - ou de la virtuosité de l'artisanat - qu'il s'agisse de la production d'une céramique d'Iznik ou d'un récipient incrusté de métal de Mossoul. Le sens du luxe, conclut-il, est évident tant dans les œuvres d'art sacrées - comme le Coran bleu - que dans les objets profanes - comme la robe seldjoukide tissée en soie.






Alternant entre art contemporain à Riyad (dont la prochaine édition aura lieu en 2026) et art islamique à Jeddah, la Biennale saoudienne s’impose d’ores et déjà comme un rendez-vous majeur du calendrier culturel international. En réunissant des œuvres d’hier et d’aujourd’hui, elle interroge les continuités et mutations d’un héritage millénaire, soulignant autant les influences historiques que les nouvelles formes d’expression.
La Biennale réussit le pari de consacrer l’Arabie saoudite comme un haut lieu de la création et de la réflexion sur l’art islamique, et participe à une entreprise plus vaste de revalorisation du patrimoine et d’affirmation d’une diplomatie culturelle.
II – La toute première vente aux enchères en Arabie saoudite : un événement signé Sotheby’s
Le 8 février 2025, Sotheby’s orchestre à Riyad la toute première vente aux enchères internationale tenue en Arabie saoudite, marquant une avancée significative les circuits mondiaux du luxe et de la collection. Diriyah, berceau de la dynastie saoudienne et magnifique site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, a été choisie comme écrin de cet événement.

Avec l'aimable autorisation de Diriyah Compagny
Baptisée Origins, cette vente inaugurale entend rendre hommage au patrimoine saoudien tout en servant de vitrine à des pièces d’exception issues des sphères artistiques et du luxe international. Cette vente inaugurale, explique Jessica Wyndham, présente un éventail de ce que Sotheby's peut offrir aux collectionneurs d'art et de luxe. Ce sera également l'objet de sa conférence sur l'art de collectionner.
En joaillerie, vingt-sept lots ont été sélectionnés pour cette vente inaugurale. Ces bijoux, qui partagent un savoir-faire exceptionnel, sont signés des plus grandes maisons de joaillerie internationales : Alexandre Reza, Bulgari, Cartier, Chopard, David Webb, Harry Winston, Tiffany & Co, Mauboussin, Van Cleef & Arpels, Graff. Le style de ces pièces, leur caractère, les techniques de taille des gemmes et le choix des matériaux précieux employés permettent de retracer les temps forts de l'histoire de la joaillerie depuis un siècle.
Les années 30 sont éloquemment illustrées par trois bracelets en platine et diamants : un bracelet ruban Mauboussin, un bracelet Cartier à motifs géométriques ajourés et un bracelet manchette Cartier orné de quatre superbes saphirs, le plus important originaire de Ceylan, les trois autres originaires de Birmanie. Tous sont non chauffés.



Parmi les bijoux "vintage", deux pièces arrêtent tout particulièrement l'attention : un bracelet non signé mais attribué à Harry Winston, dont le raffinement fait penser au travail d'Ambaji V. Shinde, ce remarquable joaillier indien qui à compter des années 60 oeuvra pour le roi des diamants. Huit motifs floraux, composés de somptueux rubis birmans ovales (sans indication de chauffage) entourés de diamants, sont montés sur un bracelet bombé flexible en or jaune entièrement serti de rubis ronds et bordé de petites pampilles en or et diamants.
Autre pièce témoin des années 70, ce collier en or jaune Bvlgari ponctué de vingt-deux cabochons ovales en rubis, émeraudes et saphirs, et de petits diamants, emblématique du chic romain.

Collier Bvlgari, 1976. Lot 137. Origins, Sotheby's, Riyad.
Les pièces contemporaines sélectionnées pour la clientèle saoudienne se caractérisent par une palette colorée (saphirs roses Chopard, saphirs - bague Trombino Bvlgari, bague en serti mystérieux VC&A- , rubis thaïlandais) mais le choix des gemmes reste restreint : les diamants (incolores et de couleurs) figurent au premier rang du palmarès, suivis des pierres que l'on ne dit plus précieuses mais qui en conservent toute l'aura, émeraudes, saphirs, rubis et perles fines (boucles d'oreilles Harry Winston).
Sotheby's a indéniablement misé sur des pièces intemporelles, identifiables, d'une extrême qualité, et sur des gemmes spectaculaires pour séduire un marché local encore naissant. En parallèle de cette vente, Paul Redmayne, avait réuni dans le cadre d'une vente privée quelques pièces rares dont un remarquable appairage de diamants taille coussin de 10,53 ct et 10,52 ct, (D, flawless, type IIa).



L’initiative de Sotheby’s ne relève pas du hasard. Le marché de l’art en Arabie saoudite, longtemps en marge des grandes capitales, connaît une accélération spectaculaire, portée par une scène artistique en effervescence et un réseau de collectionneurs, souvent jeunes, de plus en plus avertis. L’annonce de Origins coïncide avec une autre évolution stratégique majeure : le partenariat d’un milliard de dollars conclu entre Sotheby’s et le fonds souverain d’Abu Dhabi, consolidant l’ancrage de la maison d’enchères au Moyen-Orient.
III – Christie’s en Arabie saoudite : une implantation stratégique en quête de stabilité
L’implantation de Christie’s en Arabie saoudite marque une avancée stratégique, dont seul le temps permettra de mesurer la portée réelle sur la structuration du marché local. L’obtention d’une licence commerciale permet à la maison d’enchères d’opérer directement dans le Royaume, une première pour une institution internationale. Pourtant, si les collectionneurs saoudiens comptent depuis longtemps parmi les grands acheteurs du marché mondial, le défi est ailleurs : le pays peut-il passer du statut d’acheteur majeur à celui de place de marché structurée, dotée d’un véritable écosystème d’expertise et de transmission ?
À la tête du bureau de Riyad, Nour Kelani, nommée directeur général, est chargée d’accompagner cette transition. Issue du monde de l’art, elle possède une fine connaissance du marché de l’art contemporain saoudien, de ses acheteurs et bénéficie d’un réseau étendu de collectionneurs et de partenaires institutionnels.
Au-delà des enchères, la maison mise sur des initiatives culturelles et des collaborations institutionnelles, à l’image de son soutien à la Biennale d’Art Contemporain de Diriyah et de la rétrospective consacrée à Ahmed Mater à Londres. Cette approche suggère une volonté d’inscrire Christie’s dans le paysage artistique saoudien sur le long terme. Si Sotheby’s a opté pour une entrée spectaculaire avec une vente inaugurale emblématique, Christie’s adopte une démarche plus progressive. Mais une interrogation fondamentale demeure : le marché saoudien peut-il réellement soutenir une activité d’enchères et un marché secondaire actif, ou restera-t-il dominé par des acquisitions ponctuelles de prestige ?
Un des tests les plus révélateurs sera sans doute la place de la haute joaillerie et des objets précieux dans cette évolution. Si le Royaume ambitionne de devenir une place forte du luxe et du patrimoine, la structuration de ce marché constituera un indicateur clé de son succès ou de ses limites. Car au-delà des enchères et des acquisitions de prestige, l’enjeu véritable reste la capacité du pays à créer une dynamique où expertise, conservation et transmission jouent un rôle central.
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mise à jour du 9 février 2025 : La première vente aux enchères internationale d'art en Arabie saoudite a rapporté plus de 17 millions de dollars. Origins a attiré des collectionneurs de 45 pays, près d'un tiers des achats ont été effectués par des acheteurs saoudiens et, plus de 30 % des participants avaient moins de 40 ans (source Alarabiya news)
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Actualités & Informations pratiques :
Sotheby's
Origins, vente du 8 février 2025
sur ce lien, les différents lots de la vente
Christie's
Nour Kelani
Managing Director
Contact
Biennale des arts islamiques 2025
https://biennale.org.sa/ar


La Collection AlThani
www.thealthanicollection.com/fr/
The Furusiyya Art Foundation
jugasingh.com/the-furusiyya-art-foundation-collection.html
The Art of the Muslim Knights: The Furusyya Art Foundation Collection, by Bashir Mohamed, Skira-IMA, 2008.
Van Cleef & Arpels
Du 2 février au 29 mai 2025, la Maison présente l'exposition "A journey through Van Cleef & Arpels’ signatures (1920s-1980s)".
Cette exposition met en valeur la créativité et la riche histoire de la Maison à travers ses archives et des interactions immersives. Solitaire Mall, Ground Floor / Boulevard
Riyadh, Saudi Arabia
Les bijoux en cheveux, du reliquaire au bijou de sentiment
Quelque tiroir secret d’une armoire s’ouvre dévoilant un médaillon à la photo fanée et quelques cheveux retenus par un ruban. Est-ce la mèche du premier nourrisson ? Un échange de promesses ? Le souvenir d’un être cher ? Sans aucun doute, le cheveu est la partie la plus symbolique de notre corps. Il nous relie au passé, aux sentiments, il est à la fois relique et symbole. Il s’en faut d’un cheveu, il exprime dans notre vocabulaire nos inquiétudes, nos colères, nos malaises. Paré d’or ou d’argent, il fait aussi la mode lorsqu’il devient bijou, ce qu’évoque l’exposition « Des cheveux et des poils » qui se tient au musée des Arts décoratifs de Paris jusqu’en septembre 2023.

Vers 1822, or, cheveux tissés, émail.
Paris, musée des Arts décoratifs,
legs Max Beule, 1918, inv. 20876.B
© Les Arts Décoratifs / Jean Tholance
C’est l’engouement du culte des reliques au Moyen âge qui suscite la création des médaillons reliquaires destinés à contenir petits ossements ou cheveux. La Renaissance voit se développer l’art du portrait dont la miniaturisation fait partie des mœurs diplomatiques. Privilèges de rois et d’aristocrates, les pendentifs s’ouvrent sur de délicats portraits souvent peints sur ivoire doublés parfois de petits compartiments destinés à y glisser quelques cheveux. L’usage est similaire à l’époque baroque pour certains bijoux "memento mori" qui, telles les vanités, nous rappellent l’inexorable fatalité du temps.

En Angleterre, dès le XVIIème siècle, certaines dispositions testamentaires mentionnent un legs d’argent destiné à la confection de petits bijoux commémoratifs à l’attention de la famille et des amis. L’iconographie funéraire : saule pleureur, colonne brisée, urne, mêle les cheveux aux initiales de la personne.
Cette coutume perdure jusqu’au début du XXème siècle où des bijoutiers s’en font encore la spécialité.
Dès 1653, le cheveu devient matériau à part entière. Les Statuts des « Passementiers, Boutonniers, enjoliveurs » reconnaissent aux maîtres le droit de l’utiliser dans leurs ouvrages. Monopole que s’arrogent tout d’abord les barbiers-perruquiers, étendu ensuite au siècle suivant aux bijoutiers et peintres en cheveux. Alfred Franklin dans son Dictionnaire des Arts, Métiers et Professions paru en 1906, note que l’industrie des ouvrages en cheveux se concentrait dès la fin du XVIIIème siècle à Paris dans le quartier du Palais-Royal et de ses environs. Un certain Penot, bijoutier dans l’île Saint Louis, actif en 1780, réalisait des bijoux en cheveux très appréciés. Le Sieur Delion, rue Saint-Denis, à l’enseigne du Mouton d’Or s’était spécialisé dans le travail des "cheveux sur or". Ainsi se répand la mode du bijou à usage sentimental et funéraire. Les familles aristocratiques donnent le ton. En France Marie-Josèphe de Saxe, mère de Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, possédait "deux bagues l'une du portrait du feu Monseigneur le Dauphin, l'autre de ses cheveux, avec son chiffre, entourées de diamants" (Inventaire de Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France (1731-1767).
Au XVIIIème siècle, broderie et tapisserie font partie des travaux féminins. Sans pour autant rivaliser avec le coton ou de la laine, le cheveu se brode, souvent en initiales et des livres tel La Bagomanie ou art de faire des bagues en crin et en cheveux (paru en 1789) enseignent l’art et la manière de créer un bijou sentimental.


La période révolutionnaire accélère tragiquement la mode du pendentif. Bijou de sentiment et bijou de deuil se confondent alors.
Avec le nouvel essor que prend la bijouterie sous l’Empire la mode ne faiblit pas, elle s’amplifie d’autant que les excès sentimentalistes du Romantisme la portent à un paroxysme.

Sous la Restauration, la comtesse de Genlis, gouvernante des enfants du Duc d’Orléans, notait dans son Dictionnaire critique et raisonné des étiquettes de la cour ou l’Esprit des étiquettes et des usages anciens, 1818 : "Notre siècle est si sentimental, qu’il n’y en a certainement jamais eu où l’on ait fait tant de bracelets, de bagues, de chiffres, de chaînes de cheveux. On a vu des femmes porter des perruques et des ceintures des cheveux de leurs amans".


Dès 1820 et jusqu’au Second Empire, le bijou en cheveux, aussi fragile soit-il, devient accessoire de mode.
Il entre même dans les parures offertes lors du mariage. Un engouement qui ne se limite pas à la France. Les pays européens et même les États-Unis marquent un goût prononcé tant pour les tableaux souvenirs décoratifs, arbres généalogiques, que pour les bijoux et accessoires.
À Paris, de talentueux professionnels jouissent d’une notoriété parfois internationale, à l’image de Charles Lemonnier, dessinateur en cheveux ou de Florentin et Charleu, célèbres pour leurs recueils de dessins. Chacun rivalise tant dans la réalisation d’une corbeille de mariage que dans le souvenir funéraire, le tableau ou les fleurs artificielles se confectionnent avec les cheveux de toute une famille.



L’art de faire du cheveu un bijou. "Les marchands de cheveux vont deux fois l’an aux foires de Normandie : un tambourin et un sifflet annoncent que dans tel endroit de la foire se trouve un marchand de cheveux ; les paysannes accourent et voient étaler des fichus, des coupons de dentelle, de beaux ciseaux, des étuis, etc. Quand elles ont choisi un objet contre lequel elles échangent leurs cheveux, elles s’assoient et sont à l’instant tondues : cet usage est si général que des filles de fermier vendent leurs cheveux comme les servantes pauvres… Les cheveux qu‘emploient les perruquiers de Paris viennent de Normandie, de Bretagne, de l’Auvergne, mais les cheveux de la Normandie sont moins durs que ceux de la Bretagne et de l’Auvergne surtout".
Dès le début du XIXème siècle, pour faire face à la demande, le cheveu individuel ne suffit plus, il devient alors l’enjeu d’un véritable marché et d’un commerce florissant. Nous sommes sous l’Empire, ce témoignage de Pierre de la Mésangère (1761-1831) nous évoque le travail des rabatteurs parcourant les campagnes pour satisfaire les goûts de la mode parisienne.
Séduites par quelques colifichets, les paysannes cèdent, parfois bradent, leur chevelure quitte à porter postiche sous la coiffe traditionnelle comme le font certaines Normandes car à cette époque le coup de ciseau n’est guère flatteur ! La crédulité rurale enrichit le tondeur de passage qui n’hésite pas à se mettre en cheville avec le sacristain, qui recueille aux pieds de quelques saints patrons les mèches de cheveux pieusement déposées en guise d’ex-voto. C’est sans compter avec les couvents, où la cérémonie de la prise de voile est aussi bonne pourvoyeuse ! C’est ainsi des centaines de kilos récoltés. Paris est une place réputée, mais il revient à la grande foire de la Saint-Jean de Limoges en juin d’être la plus célèbre.
Quel avenir pour cette bien curieuse moisson ? Elle est majoritairement achetée en gros par les posticheurs, puis par les coiffeurs. Le choix est varié, mais les cheveux chinois déjà importés ne peuvent rivaliser avec le blond cendré des normandes ou des bretonnes, parmi les plus recherchés pour leur finesse et nommés : « cheveux de pays ». Une autre partie est acquise par les artistes en cheveux qui prennent l’appellation de « bijoutier et dessinateur en cheveux » ou « peintres en cheveux ».
La fabrication du bijou est principalement basée sur l’utilisation de cordons et de tresses. Lavé, rendu souple et brillant, le cheveu peut être rigidifié par apprêt supplémentaire (trempage prolongé dans l’eau bouillante, rajout d’une colle). Il peut garder sa couleur naturelle ou être coloré. Sous la main d’ouvrières expertes, il subit ensuite un processus analogue à celui de la passementerie.
Il existe des métiers spéciaux pour faire les cordons qui s’apparentent au carreau de la dentellière. Le cheveu est tissé, entrecroisé afin d’obtenir tresses, cordelettes, maillages. Il peut aussi être crocheté à la main ou tissé en tubulure autour d’un mandrin ou d’un fil de fer. Cette technique s’applique aux croix, aux pendants d’oreilles, aux colliers. Le support une fois retiré dévoile un bijou creux. L’effet est fort gracieux mais le bijou fragile craint l’écrasement et les accrocs.



Il y a aussi la décoration en pavage pour les médaillons et les bagues.

Il revient ensuite à chaque élément d’être fixés aux fermoirs, aux anneaux ou autres motifs décoratifs en or.

Un fermoir en or ciselé incrusté d'une mosaïque à huit côtés représentant Romulus et Rémus avec le loup dans un entourage de malachite, fixé à une bande de cheveux tressés.The Rosalinde and Arthur Gilbert Collection on loan to the Victoria and Albert Museum, London. LOAN:GILBERT.138-2008
Lorsqu’il n’est pas bijoutier l’artiste en cheveux confie alors son travail au bijoutier pour qu’il appose son poinçon de garantie. Les gros commerçants parisiens - Pelé, Vincent, Potiquet, Rossignol - en feront ensuite de savants jeux de tresses avec fermoir en or ou médaillon contenant une mèche : les initiales formées à l’origine par le cheveu dans le reliquaire sont alors gravées sur le fermoir.

Au tournant du XXème siècle, les bijoux en cheveux cessent d’être à la mode. Seule persiste encore dans quelques familles conservatrices la coutume des médaillons commémoratifs. La Grande Guerre et ses ravages relèguent définitivement ces objets associés à tort à la grande faucheuse qui venait de décimer l’Europe.

1819-1839, or, cheveux.
Paris, musée des Arts décoratifs, don Mademoiselle J. Magnin, 1928, inv. 26519.A © Les Arts Décoratifs / Jean Tholance
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Brigitte Serre-Bouret est docteur en histoire de l’art et archéologie, conservateur en chef du patrimoine et enseignant chercheur. Après plus de trente ans de direction de musées de Beaux-arts, elle se consacre aujourd’hui à la recherche et à l’enseignement supérieur dans ses domaines de compétences. Notamment, elle enseigne à l’Institut National de Gemmologie à Paris et à Lyon, l’histoire et la sociologie du bijou. Elle a organisé ou participé à plusieurs expositions sur le sujet.
Son dernier ouvrage « Bijoux, l’Orfèvre et le Peintre » porte sur la symbolique des gemmes et des bijoux au travers des portraits, de l’Antiquité au début du vingtième siècle.
Musée des Arts décoratifs
107 rue de Rivoli, 75001 Paris
+33 (0) 1 44 55 57 50
Métro : Palais-Royal, Pyramides, Tuileries
Horaires
→ du mardi au dimanche de 11h à 18h → nocturne le jeudi jusqu’à 21h dans les expositions temporaires
Bibliographie :
Andrée Chanlot Les ouvrages en cheveux ed. Schiffer 1986
Brigitte Bouret Bijoux et Orfèvres en Haute-Normandie au XIXème siècle (chapitre bijoux en cheveux) 1993
