Exposition
Les bijoux en cheveux, du reliquaire au bijou de sentiment
Quelque tiroir secret d’une armoire s’ouvre dévoilant un médaillon à la photo fanée et quelques cheveux retenus par un ruban. Est-ce la mèche du premier nourrisson ? Un échange de promesses ? Le souvenir d’un être cher ? Sans aucun doute, le cheveu est la partie la plus symbolique de notre corps. Il nous relie au passé, aux sentiments, il est à la fois relique et symbole. Il s’en faut d’un cheveu, il exprime dans notre vocabulaire nos inquiétudes, nos colères, nos malaises. Paré d’or ou d’argent, il fait aussi la mode lorsqu’il devient bijou, ce qu’évoque l’exposition « Des cheveux et des poils » qui se tient au musée des Arts décoratifs de Paris jusqu’en septembre 2023.
C’est l’engouement du culte des reliques au Moyen âge qui suscite la création des médaillons reliquaires destinés à contenir petits ossements ou cheveux. La Renaissance voit se développer l’art du portrait dont la miniaturisation fait partie des mœurs diplomatiques. Privilèges de rois et d’aristocrates, les pendentifs s’ouvrent sur de délicats portraits souvent peints sur ivoire doublés parfois de petits compartiments destinés à y glisser quelques cheveux. L’usage est similaire à l’époque baroque pour certains bijoux "memento mori" qui, telles les vanités, nous rappellent l’inexorable fatalité du temps.
En Angleterre, dès le XVIIème siècle, certaines dispositions testamentaires mentionnent un legs d’argent destiné à la confection de petits bijoux commémoratifs à l’attention de la famille et des amis. L’iconographie funéraire : saule pleureur, colonne brisée, urne, mêle les cheveux aux initiales de la personne.
Cette coutume perdure jusqu’au début du XXème siècle où des bijoutiers s’en font encore la spécialité.
Dès 1653, le cheveu devient matériau à part entière. Les Statuts des « Passementiers, Boutonniers, enjoliveurs » reconnaissent aux maîtres le droit de l’utiliser dans leurs ouvrages. Monopole que s’arrogent tout d’abord les barbiers-perruquiers, étendu ensuite au siècle suivant aux bijoutiers et peintres en cheveux. Alfred Franklin dans son Dictionnaire des Arts, Métiers et Professions paru en 1906, note que l’industrie des ouvrages en cheveux se concentrait dès la fin du XVIIIème siècle à Paris dans le quartier du Palais-Royal et de ses environs. Un certain Penot, bijoutier dans l’île Saint Louis, actif en 1780, réalisait des bijoux en cheveux très appréciés. Le Sieur Delion, rue Saint-Denis, à l’enseigne du Mouton d’Or s’était spécialisé dans le travail des "cheveux sur or". Ainsi se répand la mode du bijou à usage sentimental et funéraire. Les familles aristocratiques donnent le ton. En France Marie-Josèphe de Saxe, mère de Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, possédait "deux bagues l'une du portrait du feu Monseigneur le Dauphin, l'autre de ses cheveux, avec son chiffre, entourées de diamants" (Inventaire de Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France (1731-1767).
Au XVIIIème siècle, broderie et tapisserie font partie des travaux féminins. Sans pour autant rivaliser avec le coton ou de la laine, le cheveu se brode, souvent en initiales et des livres tel La Bagomanie ou art de faire des bagues en crin et en cheveux (paru en 1789) enseignent l’art et la manière de créer un bijou sentimental.
La période révolutionnaire accélère tragiquement la mode du pendentif. Bijou de sentiment et bijou de deuil se confondent alors.
Avec le nouvel essor que prend la bijouterie sous l’Empire la mode ne faiblit pas, elle s’amplifie d’autant que les excès sentimentalistes du Romantisme la portent à un paroxysme.
Sous la Restauration, la comtesse de Genlis, gouvernante des enfants du Duc d’Orléans, notait dans son Dictionnaire critique et raisonné des étiquettes de la cour ou l’Esprit des étiquettes et des usages anciens, 1818 : "Notre siècle est si sentimental, qu’il n’y en a certainement jamais eu où l’on ait fait tant de bracelets, de bagues, de chiffres, de chaînes de cheveux. On a vu des femmes porter des perruques et des ceintures des cheveux de leurs amans".
Dès 1820 et jusqu’au Second Empire, le bijou en cheveux, aussi fragile soit-il, devient accessoire de mode.
Il entre même dans les parures offertes lors du mariage. Un engouement qui ne se limite pas à la France. Les pays européens et même les États-Unis marquent un goût prononcé tant pour les tableaux souvenirs décoratifs, arbres généalogiques, que pour les bijoux et accessoires.
À Paris, de talentueux professionnels jouissent d’une notoriété parfois internationale, à l’image de Charles Lemonnier, dessinateur en cheveux ou de Florentin et Charleu, célèbres pour leurs recueils de dessins. Chacun rivalise tant dans la réalisation d’une corbeille de mariage que dans le souvenir funéraire, le tableau ou les fleurs artificielles se confectionnent avec les cheveux de toute une famille.
L’art de faire du cheveu un bijou. "Les marchands de cheveux vont deux fois l’an aux foires de Normandie : un tambourin et un sifflet annoncent que dans tel endroit de la foire se trouve un marchand de cheveux ; les paysannes accourent et voient étaler des fichus, des coupons de dentelle, de beaux ciseaux, des étuis, etc. Quand elles ont choisi un objet contre lequel elles échangent leurs cheveux, elles s’assoient et sont à l’instant tondues : cet usage est si général que des filles de fermier vendent leurs cheveux comme les servantes pauvres… Les cheveux qu‘emploient les perruquiers de Paris viennent de Normandie, de Bretagne, de l’Auvergne, mais les cheveux de la Normandie sont moins durs que ceux de la Bretagne et de l’Auvergne surtout".
Dès le début du XIXème siècle, pour faire face à la demande, le cheveu individuel ne suffit plus, il devient alors l’enjeu d’un véritable marché et d’un commerce florissant. Nous sommes sous l’Empire, ce témoignage de Pierre de la Mésangère (1761-1831) nous évoque le travail des rabatteurs parcourant les campagnes pour satisfaire les goûts de la mode parisienne.
Séduites par quelques colifichets, les paysannes cèdent, parfois bradent, leur chevelure quitte à porter postiche sous la coiffe traditionnelle comme le font certaines Normandes car à cette époque le coup de ciseau n’est guère flatteur ! La crédulité rurale enrichit le tondeur de passage qui n’hésite pas à se mettre en cheville avec le sacristain, qui recueille aux pieds de quelques saints patrons les mèches de cheveux pieusement déposées en guise d’ex-voto. C’est sans compter avec les couvents, où la cérémonie de la prise de voile est aussi bonne pourvoyeuse ! C’est ainsi des centaines de kilos récoltés. Paris est une place réputée, mais il revient à la grande foire de la Saint-Jean de Limoges en juin d’être la plus célèbre.
Quel avenir pour cette bien curieuse moisson ? Elle est majoritairement achetée en gros par les posticheurs, puis par les coiffeurs. Le choix est varié, mais les cheveux chinois déjà importés ne peuvent rivaliser avec le blond cendré des normandes ou des bretonnes, parmi les plus recherchés pour leur finesse et nommés : « cheveux de pays ». Une autre partie est acquise par les artistes en cheveux qui prennent l’appellation de « bijoutier et dessinateur en cheveux » ou « peintres en cheveux ».
La fabrication du bijou est principalement basée sur l’utilisation de cordons et de tresses. Lavé, rendu souple et brillant, le cheveu peut être rigidifié par apprêt supplémentaire (trempage prolongé dans l’eau bouillante, rajout d’une colle). Il peut garder sa couleur naturelle ou être coloré. Sous la main d’ouvrières expertes, il subit ensuite un processus analogue à celui de la passementerie.
Il existe des métiers spéciaux pour faire les cordons qui s’apparentent au carreau de la dentellière. Le cheveu est tissé, entrecroisé afin d’obtenir tresses, cordelettes, maillages. Il peut aussi être crocheté à la main ou tissé en tubulure autour d’un mandrin ou d’un fil de fer. Cette technique s’applique aux croix, aux pendants d’oreilles, aux colliers. Le support une fois retiré dévoile un bijou creux. L’effet est fort gracieux mais le bijou fragile craint l’écrasement et les accrocs.
Il y a aussi la décoration en pavage pour les médaillons et les bagues.
Il revient ensuite à chaque élément d’être fixés aux fermoirs, aux anneaux ou autres motifs décoratifs en or.
Lorsqu’il n’est pas bijoutier l’artiste en cheveux confie alors son travail au bijoutier pour qu’il appose son poinçon de garantie. Les gros commerçants parisiens - Pelé, Vincent, Potiquet, Rossignol - en feront ensuite de savants jeux de tresses avec fermoir en or ou médaillon contenant une mèche : les initiales formées à l’origine par le cheveu dans le reliquaire sont alors gravées sur le fermoir.
Au tournant du XXème siècle, les bijoux en cheveux cessent d’être à la mode. Seule persiste encore dans quelques familles conservatrices la coutume des médaillons commémoratifs. La Grande Guerre et ses ravages relèguent définitivement ces objets associés à tort à la grande faucheuse qui venait de décimer l’Europe.
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Brigitte Serre-Bouret est docteur en histoire de l’art et archéologie, conservateur en chef du patrimoine et enseignant chercheur. Après plus de trente ans de direction de musées de Beaux-arts, elle se consacre aujourd’hui à la recherche et à l’enseignement supérieur dans ses domaines de compétences. Notamment, elle enseigne à l’Institut National de Gemmologie à Paris et à Lyon, l’histoire et la sociologie du bijou. Elle a organisé ou participé à plusieurs expositions sur le sujet.
Son dernier ouvrage « Bijoux, l’Orfèvre et le Peintre » porte sur la symbolique des gemmes et des bijoux au travers des portraits, de l’Antiquité au début du vingtième siècle.
Musée des Arts décoratifs
107 rue de Rivoli, 75001 Paris
+33 (0) 1 44 55 57 50
Métro : Palais-Royal, Pyramides, Tuileries
Horaires
→ du mardi au dimanche de 11h à 18h → nocturne le jeudi jusqu’à 21h dans les expositions temporaires
Bibliographie :
Andrée Chanlot Les ouvrages en cheveux ed. Schiffer 1986
Brigitte Bouret Bijoux et Orfèvres en Haute-Normandie au XIXème siècle (chapitre bijoux en cheveux) 1993