La Perle d’Asie : un itinéraire rocambolesque
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Par Claudine Seroussi Bretagne
Les pierres précieuses mènent souvent une vie aventureuse et la Perle d’Asie en est un exemple parfait.
D’un poids de deux mille quatre cent vingt grains, soit environ 605 carats ou 121g, la Perle d’Asie est la plus grosse perle baroque du monde. Une photographie prise en 1945 donne une idée de ses proportions.
Cette lourde perle de forme ovoïde est réputée non seulement pour sa taille, mais aussi pour sa couleur argentée et son éclat qui « tend un miroir à un visage tout entier ». Sertie dans une monture en or jaune et surmontée d’un décor floral en grappe de fruits composé d’un cabochon de jade, d’une perle fine et d’un quartz rose, elle rappelle les modèles des XVIe et XVIIe siècles bien qu’elle ait été exécutée [probablement en Europe] entre 1900 et 1930.
La perle apparut pour la première fois en Inde au XVIIe siècle et proviendrait du golfe Persique.
Elle fut achetée à Bombay par les agents de l’empereur moghol Shah Jahan (1592-1666), qui était réputé pour sa vaste collection de bijoux, dont le Koh-i-Nor, et dont la cour était célèbre pour son extravagance, sa grande pompe et son apparat. Shah Jahan offrit la perle à sa seconde épouse, qui était sa favorite, Mumtaz Mahal (1593-1631). Après sa mort, la perle passa entre les mains d’empereurs moghols de moindre importance.
En 1739, Nader Shah de Perse (1688-1747) défit l’armée moghole et fit main basse sur Delhi, sa capitale, et sur les bijoux de l’empereur moghol, dont la Perle d’Asie faisait partie.
Nader Shah fit ensuite don à d’autres souverains, dont la Grande Catherine et le sultan Mahmoud de l’empire ottoman, de plusieurs gemmes et pierres précieuses saisies lors du sac. Il offrit à l’empereur chinois Qianlong (1711-1799) la Perle d’Asie. Qianlong la considérait comme un bien si précieux qu’à sa mort, elle fut placée dans son mausolée.
Pendant la sanglante révolte des Boxers en 1900, outre les exécutions et les saccages, toutes les forces de l’alliance des huit nations (France, Autriche-Hongrie, Italie, Russie, Allemagne, Grande-Bretagne, États-Unis et Japon) se livrèrent à d’importants pillages à Pékin.
L’armée britannique régulait ces pillages en organisant des ventes aux enchères quotidiennes, sauf le dimanche, dans les églises protestantes et catholiques. Ces ventes étaient toujours très fréquentées et attiraient des personnes de toutes nationalités.
La tombe de Qianlong fit l’objet de divers pillages et la Perle d’Asie disparut de nouveau. Elle réapparut à Hong Kong quelques années plus tard lorsqu’un mandarin la vendit à un missionnaire français et qu’elle devint alors la propriété de la Société des Missions Étrangères de Paris (MEP).
L’année 1930 marque la première tentative infructueuse de vente de la perle par la MEP, en partenariat avec le copropriétaire de la perle, le Major Mohideen, un négociant en pierres précieuses de Singapour. La perle fut mise en vente à Shanghai, au prix de 1 500 000 dollars. Mohideen indiqua alors qu’il vivait en reclus, dans la crainte d’être kidnappé et de devoir céder le bijou.
En 1942, elle réapparut une fois encore, et fut finalement envoyée en France pour y être vendue, les missions ayant un besoin urgent d’argent. La perle arriva à Paris, où elle fut proposée à plusieurs bijoutiers pour un prix d’environ 150 000 dollars. Cependant, les Allemands apprirent l’existence de la perle et forcèrent l’émissaire de la MEP à la déposer dans une banque jusqu’à ce qu’il obtienne l’autorisation de la récupérer. Goering fut pendant un temps tenté d’ajouter cette perle à sa collection, mais cela resta sans suite.
En 1944, la MEP tenta une nouvelle fois de vendre la Perle d’Asie. Lorsqu’un vendeur fut trouvé et qu’un rendez-vous fut pris pour examen, quatre « SS » firent irruption dans la salle où les experts français examinaient la perle et, sous la menace d’une arme, ils s’emparèrent de la perle, de son écrin d’or et d’autres objets précieux d’une valeur de 15 000 francs. Ils prétendirent que la MEP n’avait pas le droit de vendre la perle – et s’enfuirent avec. Or, les coupables n’étaient pas des SS mais Yvon Collette, sa femme Georgette, et trois associés. Arrêtés et interrogés, le petit groupe nia savoir où se trouvait la perle. Toutes les pistes étant infructueuses, les enquêteurs supposèrent alors que la perle avait quitté la France.
A la libération de Paris, les Collette parvinrent à s’échapper. Yvon combattit lors du siège de Paris et Georgette retourna à Marseille, où elle retira la perle du chêne où elle l’avait cachée en 1944, puis attendit le retour d’Yvon. Ce dernier tenta de vendre la perle après le débarquement des Alliés, mais ne trouva pas d’acheteur. Il fut à nouveau arrêté, et la perle fut finalement découverte par le propriétaire d’un hôtel dans les toilettes de la chambre de Colette, qui débordaient car elle l’y avait cachée lors d’une descente de police
Lors du procès de 1945, Collette et ses complices se présentèrent comme des membres de la Résistance et indiquèrent s’être emparés de la Perle d’Asie afin d’éviter qu’elle ne tombe entre les mains de Goering, qui la convoitait.
Yvon Collette dit qu’il comptait la remettre personnellement à Charles De Gaulle. Le vol et le procès qui s’ensuivit firent l’objet d’une couverture médiatique mondiale. De nationalité belge, Yvon était à la fois membre de la Résistance et collaborateur des Allemands et, bien que l’on ne sache pas exactement où se situaient ses allégeances, ce vol était sans aucun doute à son usage personnel. Le procès fut reporté en novembre 1945 pour permettre à Collette de réunir des chefs de la Résistance capables d’étayer ses affirmations.
Lors de la réouverture du procès en mai 1946, Yvon, jugé mentalement instable, fut placé en observation dans un hôpital psychiatrique d’où il s’évada audacieusement (il rongea sa camisole de force). Il fut condamné par contumace à 10 ans de prison et à 50 000 francs d’amende. Georgette et un complice furent condamnés respectivement à 2 et 5 ans de prison pour complicité.
Et la Perle d’Asie ?
La MEP récupéra la perle en 1945 et la remit en vente, cette fois-ci pour 500 000 dollars. On ne sait pas exactement quand elle fut finalement vendue, ni à qui. En 2005, la Perle d’Asie fut décrite comme étant l’une des douze perles fines les plus rares au monde lors de sa première présentation au public dans le cadre de l’exposition « Allure of Pearls », au National Museum of Natural History de la Smithsonian Institution. Bien que Christie’s ait veillé à l’anonymat du prêt, l’information circula que la Perle d’Asie appartenait au même propriétaire que la Perle Hope : un collectionneur privé, basé en Angleterre.
La Perle d’Asie est restée en mains privées depuis et a été vue pour la dernière fois en public lors de l’exposition « Pearls » organisée par le Victoria & Albert Museum à Londres en 2013.
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Claudine Seroussi Bretagne est une chercheuse en joaillerie spécialisée dans les bijoux français et américains de l’entre-deux-guerres. Elle est actuellement doctorante au Courtauld Institute of Art .
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