Trésors royaux de la collection Al Thani à Fontainebleau
Les Rois du Monde à la cour de France
Venir au Château de Fontainebleau, gravir l’escalier en Fer-à-Cheval, pénétrer dans la salle de Bal, se fondre dans le décor Renaissance, s’imprégner de l’élégante scénographie de François-Joseph Graf… découvrir une soixantaine d’oeuvres d’art qui chacune reflètent l’imagerie du roi ou de la fonction royale à travers les civilisations, et ce depuis la plus Haute-Antiquité : voilà ce que nous propose le château de Fontainebleau en cette fin d’été.
Quelle émotion!
L’exposition « Rois du monde » présente une collection privée, celle de SA le Cheikh Al Thani, rassemblée avec goût, originalité, sans frontière de temps ni d’espace, et avec des moyens inimaginables. Certaines oeuvres paraissent familières, peut-être aperçues dans des musées nationaux ou des collections publiques européennes. La plupart sont étonnantes, surprenantes, dépaysantes, un véritable trésor de l’humanité présenté sous forme de cabinet de curiosité et qui aurait certainement passionné les rois qui ont vécu à Fontainebleau.
Tous ces chefs-d’oeuvre ne sont pas des pièces joaillières, mais tous sont précieux. Ce feu d’artifice royal s’achève avec une « vitrine » des joyaux.
Jean-François Hebert, Président du château de Fontainebleau, nous a accordé un entretien pour évoquer cette exposition éphémère mais aussi ce qui fait l’âme de Fontainebleau.
Vincent Droguet, commissaire de l’exposition, a accepté de nous présenter la philosophie qui a guidé son travail pour « Rois du monde ».
Entretien avec Jean-François Hebert, Président du château de Fontainebleau
L’exposition « Rois du monde » et l’âme de Fontainebleau
Président de l’établissement public du château de Fontainebleau depuis septembre 2009, fonctions dans lesquelles il a été renouvelé en 2014 et en 2017, Jean-François Hebert évoque l’exposition Rois du Monde et l’esprit du château, dont il a fait au fil de ses mandats successifs le quatrième château-musée le plus visité en France.
Comment caractériseriez-vous cette exposition ?
Jean-François Hebert : Ce que je trouve extraordinaire dans cette exposition, c’est d’abord la scénographie parce que pour présenter des œuvres de ce type, il faut un cadre : François-Joseph Graf a réussi à créer dans cette salle de Bal une atmosphère qui nous permet de concentrer notre attention sur les pièces mais aussi d’apprécier dans son ensemble la beauté du lieu.
François-Joseph Graf a occulté la lumière naturelle traversante en installant des rideaux rouges et blancs, pour que seuls les bras de lumière datant du règne de Louis-Philippe et nouvellement restaurés donnent sa luminosité à la salle.
Et bien sûr, la sélection d’objets est idéale, une soixante d’objets très précieux et divers : tête égyptienne, reliquaire de Saint-Louis, sabre au nom de Soliman le Magnifique, portrait miniature moghol, porcelaines de Sèvres et broche émeraude de Catherine II … Cette variété est extrêmement intéressante et l’on ne s’y perd pas.
Le commissaire de l’exposition a judicieusement choisi le fil rouge qui relie les pièces entre elles mais aussi au château. Il a retenu la projection du pouvoir royal ou l’identification du pouvoir royal à travers le temps et à travers l’espace. Ce qui domine, c’est l’idée d’un trésor, d’un cabinet royal de curiosité : on voit bien la cohérence avec notre maison puisque nous avons abrité des trésors royaux notamment sous la Renaissance. Mais tous les rois ont eu avec eux des artistes et des collections composées bien souvent d’objets « exotiques », ou étonnants.
L’exposition est indépendante de nos collections, c’est important de le souligner : nous accueillons une collection privée étrangère. La sélection des objets s’est faite autour de discussions et d’échanges entre Vincent Droguet, dont je suis très content qu’il ait accepté d’être le commissaire de cette exposition, et Amin Jaffer le conservateur de la Collection Al Thani. Le catalogue, en revanche, fait des renvois vers le Louvre, le British Museum, le Victoria and Albert Museum, le musée de l’Ermitage, etc. et permet une comparaison des œuvres. Cela donne du poids au propos, certaines comparaisons sont vraiment très intéressantes.
Cette exposition est inscrite dans le circuit de visite, on ne paie pas de supplément pour la voir. Seul handicap : elle dure peu de temps, il ne faut pas tarder à venir la visiter !
Quelle est la politique que vous menez au château de Fontainebleau ?
Jean-François Hebert : Nous sommes actuellement en travaux. Nous modernisons et restaurons plusieurs salles du château, avec le souci de garder notre âme, et ainsi de ne pas dénaturer les lieux.
Au château de Fontainebleau, nous montrons des lieux où ont vécu trente-six souverains, de Louis VII à Napoléon III, en passant par François Ier. Ce que le public vient chercher ici, c’est prioritairement l’ambiance d’une résidence royale.
Notre rôle c’est d’être pédagogues, afin que les visiteurs sortent à la fois impressionnés par les lieux et qu’en même temps ils intègrent des repères sur la chronologie, les grands personnages, les époques, sur les arts décoratifs.
Les gens apprécient particulièrement les lieux monocolores comme le boudoir de Marie-Antoinette, même s’il y a un certain contraste entre le boudoir et la salle Napoléon à côté. Mais quand dans la même pièce comme la salle du trône qui était l’ancienne chambre du roi on trouve un plafond Renaissance et des lambris d’époques totalement différentes, il faut pouvoir se repérer. A Fontainebleau, le temps s’est sédimenté du Moyen-Âge jusqu’au Second Empire et cela crée un empilement qui donne le « style bellifontain ». Ici le temps a lissé les lieux, d’où cette atmosphère particulière que les gens ressentent comme très agréable.
Avez-vous des bijoux ou des gemmes au sein du Château ?
Non, nous ne possédons pas de bijoux mais de nombreuses gemmes sont dispersées au sein des œuvres en particulier dans le musée chinois de l’Impératrice où figurent de très beaux jades, des cristaux de roche; nous avons également des médaillons dans la Galerie François Ier qui sont en cabochon de pierre fine ou ornementale.
Très symboliquement nous présentons dans les collections du Musée Napoléon Ier l’épée de sacre de l’Empereur réalisée par les orfèvres Odiot, Boutet et Nitot et qui était ornée du diamant le Régent. Les pierres furent démontées par Nitot en 1812 et remplacées par des copies.
L’exposition présentée par son commissaire, Monsieur Vincent Droguet
Vincent Droguet est conservateur général du patrimoine, directeur du patrimoine et des collections du château de Fontainebleau. Il est le commissaire de l’exposition « Rois du monde ».
Rois du monde : pouvez-vous nous présenter cette exposition et nous dire quelques mots sur les choix qui ont prévalu ?
C’est une exposition pour nous assez atypique puisqu’elle est réalisée uniquement avec des œuvres d’une collection particulière, la Collection Al Thani, plus connue pour ses joyaux Moghols qui ont été présentés récemment au Grand Palais, à Venise, à Pékin. Mais à Pékin au printemps dernier on a aussi pu découvrir toute une autre facette de la collection avec des objets illustrant l’histoire des civilisations depuis l’Antiquité et la plus Haute-Antiquité, à la fois l’antiquité mésopotamienne – nous en avons quelques exemples ici – mais aussi des objets amérindiens, africains… Une collection qu’on imagine très vaste, et qui selon son conservateur Amin Jaffer contiendrait quelques six mille objets.
Nous présentons dans la salle de Bal soixante-trois objets de la collection. Numériquement ce n’est pas beaucoup mais ce sont des objets très importants. Plusieurs, mais pas tous, ont été présentés à Pékin. A la Cité Interdite, l‘idée était de montrer les chefs-d’œuvre de la collection Al Thani choisis par Amin Jaffer, soit quelques deux-cent-cinquante pièces. A Fontainebleau, l’articulation est très différente puisque les objets s’insèrent dans un propos choisi qui est la fonction royale à travers les âges et à travers les civilisations, et sa traduction dans le domaine des objets d’art.
Dans cette exposition, nous suivons les manifestations de la fonction royale depuis l’Antiquité jusqu’au XXème siècle – puisque nous avons un diadème en platine et diamants de la Maison romaine Petochi de la fin des années 30 – à travers différentes civilisations. Évidemment nous ne sommes pas exhaustifs : il n’y a pas véritablement de pièces chinoises sauf un plat Ming, il n’y a pas d’objets d’Afrique continentale, le monde amérindien est également absent ; on m’avait proposé des petites pièces aztèques et mayas mais je voyais mal comment les insérer dans le propos. Le Cheikh s’intéresse de surcroît au jade, aux pièces méso-américaines, c’est une ouverture très large.
J’ai souhaité que le parcours soit chronologique. Nous commençons aux origines de la fonction royale avec Sumer – la Mésopotamie- et avec l’Egypte, et nous finissons avec des objets du XIXème et du début XXème, en l’occurrence des joyaux. Sur cette chronologie, j’ai greffé une approche thématique.
Quel a été votre principal défi ?
J’ai toujours été habitué quand je faisais des expositions à aller chercher dans des institutions publiques ou des collections privées les objets qui allaient servir le propos que j’avais défini auparavant. Pour l’exposition « Rois du Monde », nous avons travaillé dans le sens inverse. C’est le corpus qui a dicté le propos.
La sélection a été faite en nous attachant à la signification des pièces, à leur importance, à la manière dont elles pouvaient venir s’insérer dans ce déroulé chronologique et thématique.
Parallèlement émergeait l’idée de la scénographie, qui a été confiée au talentueux François-Joseph Graf par la fondation Al Thani et la RMN, avec laquelle nous travaillons pour la mise en place de cette exposition.
Le prestige de ces objets nous a semblé digne de la salle de Bal. C’est pourquoi nous l’avons choisie pour les exposer ; c’est pour nous une première. François-Joseph Graf en visitant cette salle s’est exclamé : « il ne faut toucher à rien ». Aussi a-t-il imaginé pour la salle de Bal – le plus grand décor de la Renaissance en France avec la Galerie de François Ier – d’en prolonger les lambris, et de créer des vitrines qui sont comme des excroissances des lambris. La scénographie s’intègre parfaitement au décor et prolonge l’harmonie générale de la salle.
François-Joseph Graf a choisi d’utiliser l’éclairage historique de la salle pour éclairer l’exposition. Nous commencions alors à réaliser la restauration des luminaires qui avaient été mis en place sous le règne de Louis-Philippe, des lustres et bras de lumière néo-renaissance. La tenue de l’exposition a été un coup d’accélérateur qui nous a permis de réinstaller les bras de lumière qui avaient été enlevés entre les deux guerres, de les électrifier, de les équiper, ce qui fait qu’aujourd’hui nous avons pour la salle de bal l’éclairage voulu par Louis-Philippe (salle de Bal que Louis-Philippe avait fait restaurer pour le mariage de son fils le Duc d’Orléans !) C’est extraordinaire ! Les torchères, restaurées grâce à un mécénat particulier auparavant, ont également pu être électrifiées ce qui fait que nous avons triplé le nombre de sources lumineuses. C’est donc une ambiance très particulière que celle de Rois du Monde, et que nous conserverons par la suite.
L’exposition est donc exceptionnelle à bien des niveaux : collection particulière, utilisation pour la première fois de la salle de Bal, scénographie confiée à un grand décorateur, mais aussi insertion dans notre calendrier d’exposition – en conséquence l’exposition ne dure qu’un mois.
Pourquoi cette exposition à Fontainebleau ?
Le Cheikh Hamad bin Abdullah Al Thani est largement de culture française. Il a été élevé en partie en France. Son regard, son goût pour les arts se sont formés en France dans nos musées, au Louvre, à Versailles, dans les résidences royales et il a un attachement très particulier pour le château de Fontainebleau. La proposition de faire une exposition à Fontainebleau correspond au goût très vif qu’il a pour cette maison. Le fait d’accueillir sa collection particulière ici nous a semblé parfaitement légitime.
Le château de Fontainebleau est le lieu où les souverains ont le plus durablement habité. C’est une résidence fréquentée par les rois depuis l’époque médiévale jusqu’à la fin du Second Empire. Les premiers présidents de la IIIème République, Sadi Carnot et Félix Faure, sont venus ici en résidence d’été. Fontainebleau est véritablement une résidence du pouvoir. Pendant huit siècles, les souverains se sont succédé ici y laissant chacun leur marque.
D’autre part, il y a une idée qui m’est assez chère dans cette exposition, c’est l’idée que l’on remet au cœur du château, dans un espace très privilégié, ce qui est du domaine du trésor. Du trésor de pierres précieuses, du trésor de métaux précieux, mais aussi une espèce de trésor de la civilisation, une accumulation d’objets signifiants de toutes les civilisations.
C’est une tradition que l’on retrouve depuis longtemps dans les résidences royales, et pas seulement françaises. Cette tradition existait à Fontainebleau du temps de François Ier et de ses successeurs. La notion de trésor se cristallise sous François Ier ici à Fontainebleau.
Le trésor de François Ier, dont une partie était héritée de sa première femme Claude de France et de sa belle-mère Anne de Bretagne, était conservé dans une pièce au-dessus de la chambre du roi et comportait plus de 800 numéros d’inventaire. S’y trouvaient des reliquaires, des pierres précieuses montées ou pas, des coupes en pierre dure (jaspe, lapis-lazuli, cristal de roche), des objets insolites venant du monde entier. Un vrai cabinet de curiosité ! Ce trésor quitte Fontainebleau en 1561 à cause des troubles des guerres de religion pour être envoyé à la Bastille en lieu sûr, et va ensuite se diluer au gré des conflits. La salière de Benvenuto Cellini que l’on peut voir aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum à Vienne faisait partie de ce cabinet de curiosités.
L’idée de renouer avec cette tradition du trésor des rois étendue au monde entier, au cœur même de la résidence royale, dans des vitrines qui sont comme des armoires de la Renaissance qui peuvent s’ouvrir pour découvrir ce cabinet de curiosités me paraît profondément cohérente avec les lieux.
Y a t-il un lien entre les œuvres de cette exposition et la France ? Une mise en résonance avec des objets du château ?
Pas forcément, quoique… Nos expositions sont habituellement très focalisées sur l’histoire de Fontainebleau (Henri IV, Louis XV, la rencontre du Pape et de l’Empereur) ; là on ouvre au monde entier et à ses différentes civilisations. Cette exposition permet de mettre en regard des œuvres de la Renaissance italienne ou du XVIIIème siècle allemand avec une pièce mésopotamienne, et de les faire éventuellement dialoguer.
Les rois n’ont pas eu connaissance des différents objets présentés ici, mais depuis le règne François Ier, la recherche des antiquités est devenue une activité parfois frénétique. Guillaume du Choul, le grand érudit du Fontainebleau de François Ier, écrit « vostre magnifique maison de Fontaine le bleau, asile de toutes antiquitez » (in Antiquités romaines, 1547). Fontainebleau était le lieu de destination des objets antiques que l’on mettait au jour, notamment dans le sud de la France. Cette idée que les vestiges de la civilisation gréco-romaine soient thésaurisés à Fontainebleau, comme légitimation du pouvoir d’un roi qui s’inscrit dans la lignée des empereurs romains, existe dès la Renaissance. Dans « Rois du monde » ce concept est étendu à une Antiquité qui était presque inconnue à ce moment-là, mais le sens est le même.
Une seule pièce est issue de vos collections ?
Oui, nous présentons dans la salle de Bal uniquement des œuvres de la collection Al Thani mais nous avons placé sur l’estrade de la cheminée une pièce qui nous appartient : le trône-palanquin du roi de Siam. Encore une résonance de civilisations lointaines. L’Impératrice Eugénie avait installé au rez-de-chaussée du Gros Pavillon un musée dit « musée chinois » constitué des pièces issues de la prise du palais d’été de Pékin en 1860, mais aussi des présents diplomatiques de l’ambassade siamoise venue à Fontainebleau le 27 juin 1861. Les ambassadeurs de Siam ont déposé au pied du trône de Napoléon III dans la salle de Bal soixante-dix cadeaux dont ce trône-palanquin, quelques pierres et le fameux anneau navaratna. En témoigne le tableau de Jean Léon Gérôme que le musée national du château de Versailles et de Trianon nous a déposé très généreusement pour trois années. C’est un petit clin d’œil à l’ambassade de Siam et à l’ouverture vers d’autres civilisations. Cela nous permettait également de faire le lien entre deux sections de l’exposition et d’introduire à l’Empire Moghol.
Les joyaux des Rois du monde
Onze pièces sont véritablement des « joyaux » sur les soixante-trois que présente l’exposition. Cependant, force est de constater que la majorité des oeuvres offre un intérêt minéralogique, sinon gemmologique. En effet, les « Rois du monde », dans l’idée d’affirmer leur légitimité, de faire montre de leur pouvoir et de prouver leur puissance, ont toujours eu à coeur de posséder des oeuvres réalisées dans les plus nobles matériaux.
Tête d’homme en rare quartzite rose, tablette néosummérienne en stéatite noire, monnaies d’or – double denar de l’époque sassanide, pièces à l’effigie de l’empereur moghol Jahangir -, médaillons de la Renaissance allemande en or émaillé, ensemble d’objets de nacre, rarissime ensemble (Aiguière, bassin et paire de flambeaux début XVIIème) réalisé en « or de la Baltique », l’ambre, porcelaines de Sèvres aux camées de Catherine II, mais également des tabatières en or et diamants, un étui à cigarettes orné de la couronne impériale de Russie de Peter-Carl Fabergé, les lunettes du roi Farouk etc… rien de tout cela ne vous sera ici présenté!
Nous avons sélectionné sept bijoux qui reflètent le parti-pris chronologico-thématique de Vincent Droguet. A vous d’aller découvrir dans l’écrin de la salle de Bal, le pendentif achéménide à vertu prophylactique, le collier d’émeraudes et de diamants d’Hélène d’Aoste, la broche saphir réputée provenir de l’impératrice Joséphine, ou bien encore le très beau diadème « Fleur de lis » de la Maison Petochi.
L’art scythe
D’influence classique, ces bijoux en or montrent le raffinement des techniques et la qualité du travail des orfèvres d’Asie centrale entre les IXème et IIIéme siècle avant J.-C. Caractéristique du style animalier scythe, le motif serpentiforme des bracelets est récurrent dans l’histoire de la bijouterie. Ce motif court de l’Antiquité à nos jours, en passant par la Renaissance et le XIXème. Le porté de ces bracelets-manchettes par paire identique devient rare après le Second Empire.
L’Art de la Grèce orientale
Ce bracelet du Vème siècle av. J.-C est d’une grande beauté : le haut de ce jonc présente un délicat travail de l’or en filigrane surmonté de chaque côté par une tête de chèvre. En agate très finement sculptées, les deux têtes se regardent. On admire chez chacune les colorations variées de leur pelage. Des bracelets de même dessin s’observent sur des reliefs antiques (Ninive). Kenneth Lapatin, conservateur au J.Paul Getty Museum explique dans la notice de l’oeuvre que ce type de bijou – plus fréquemment orné de têtes de lions- était également un objet de contemplation pour son noble propriétaire.
L’Art romain impérial
Ce camée en sardonyx typiquement romain témoigne de la virtuosité atteinte par les glypticiens de l’époque julio-claudienne. La gravure sur cinq couches donne à voir les zonations de couleur du minéral et la variété de ses teintes (blanches, orangé, brunes). Cette effigie de la déesse guerrière Minerve, en raison de sa taille importante était probablement portée au centre d’une broche et non pas montée sur une bague.
L’art germanique au XVIIIème siècle
Cet étonnant monument miniature fut créé à l’occasion du couronnement de Charles VI (au centre de l’oeuvre) et témoigne du goût vif de cette époque pour les petits objets d’orfèvrerie. Délicatement émaillé, ce « triomphe minuscule » est serti de perles fines et de pierres fines (mais aussi de verre). Quant à l’iconographie de cette oeuvre miniature, elle rassemble tous les emblèmes impériaux.
Un des joyaux du trésor impérial russe au XVIII
Cette broche faisait partie de l’écrin de Catherine II de Russie. La Grande Catherine, à l’instar du Roi-Soleil, avait une passion pour les pierres précieuses. De surcroît, la richesse de ses parures joaillières participaient pleinement à la « théâtralité » du pouvoir impérial. Cette émeraude présentée en dernière section de l’exposition avec quatre autres joyaux, est d’origine colombienne et pèse soixante carats! Elle est entourée de diamants provenant vraisemblablement d’Inde, sinon du Brésil où des gisements diamantifères avaient été découverts trois décennies plus tôt.
Une version royale d’un bijou de sentiment anglais au XIXème
Ce ravissant « diamant-portrait » est une des dernières acquisitions du Cheikh, et je crois, un de ses coups de coeur…
Le roi Georges IV d’Angleterre est représenté, peint sur ivoire, sur ce médaillon qu’il avait offert à son amante Maria Fitzherbert. L’ histoire de cet amour impossible atteint des sommets de romantisme lorsque l’on sait que le roi fut enterré avec le pendant de ce médaillon sur lequel figurait le portrait de Maria Fitzhebert, « la femme de mon coeur et de mon âme ».
Spectaculaire joaillerie française sous le Second Empire
L’exposition s’achève par une célèbre pièce de joaillerie française, qui avait été présentée lors de l’exposition Spectaculaire Second Empire à l’automne 2016 au musée d’Orsay. Cette broche de devant de corsage « rose » appartenait à la Princesse Mathilde, cousine de Napoléon III et grande collectionneuse de bijoux. Ce bijou reflète à la fois le goût pour la nature de cette époque, et par ses dimensions, l’audace des parures qui ornaient les robes à crinolines lors des fêtes impériales.
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Les quelques chefs-d’œuvre présentés dans cet article soulignent la richesse, et le haut niveau de qualité atteint par la collection Al Thani. « Rois du monde » est une exposition remarquable, à découvrir au plus vite, puisque dès le 8 octobre les œuvres quitteront la « vraie demeure des rois, la maison des siècles » (Napoléon Ier)
Pour conclure, après l’exposition des joyaux en 2017, après celle des chefs-d’œuvre des Rois du monde, nous espérons un troisième volet plus pérenne. Dans les prochaines semaines, le CMN et la Fondation Al Thani devraient signer un partenariat afin que puissent être présentées au grand public d’autres œuvres de la collection. Rendez-vous en 2020, dans les salons historiques de l’Hôtel de la Marine ?
Mise à jour 25 octobre 2018 : Le Centre des monuments nationaux et la Fondation Collection Al Thani se réjouissent d’avoir signé un accord concernant l’Hôtel de la Marine.
Informations pratiques et lectures bellifontaines
« Rois du monde, art et pouvoir royal à travers les chefs-d’œuvre de la collection Al Thani »
8 septembre – 8 octobre 2018
Exposition organisée par la Al Thani Collection et le château de Fontainebleau, avec le soutien de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais.
L’exposition est ouverte tous les jours sauf le mardi, de 9h30 à 18h en septembre (dernier accès à 16h45), et de 9h30 à 17h (dernier accès 15h45) à compter du 1eroctobre.
Le catalogue de l’exposition Rois du monde est édité sous la direction de Vincent Droguet, commissaire de l’exposition. Une quinzaine d’éminents spécialistes y ont collaboré. Editions de la RMN-GP, 264 pages, 160 illustrations, 45 euros.
Pour aller plus loin :
Fontainebleau. Vincent Droguet, Béatrice Lecuyer-Bibal. Pro Libris, 2014
Henri IV à Fontainebleau : Un temps de splendeur. Paris, RMN, 2010
Le roi et l’artiste : François Ier et Rosso Fiorentino : Château de Fontainebleau. Thierry Crépin-Leblond, Vincent Droguet. Éditions de la RMN-Grand Palais, 2013
Un jour à Fontainebleau. Guillaume Picon, Eric Sander. Flammarion, 2015
Recherches sur l’antiquaire lyonnais Guillaume du Choul, Jean Guillemain. 2002, Ecole nationale des chartes.
Les Scythes, orfèvres nomades de la steppe, Le Courrier de l’UNESCO, décembre 1976.
Quant aux joyaux, ils poursuivent leur périple international et seront présentés dès le 3 novembre, et jusqu’au 24 février 2019, au Legion of Honor museum, Fine Arts Museums, San Francisco.
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Tous mes remerciements à Messieurs Hebert et Droguet. Ainsi qu’à : Amin Jaffer, Alexis de Kermel, et Matthew Paton.
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Visuel. de « une » : Plaque d’or représentant le combat d’un héros et d’un lion (Cat.6) Ziwiyé (Iran). VIIIe-VIIe siècle av. J.-C.
H. : 14 cm ; L. : 10,3 cm. BELC513
Localisation: Doha, Collection Al Thani. Photo © The Al Thani Collection. 2018. All rights reserved. Photographs taken by P. J. Gates Ltd