Le bijou rétro. Chefs-d’oeuvre d’orfèvrerie des années 40 et 50
Qu’est-ce que le « rétro » en joaillerie ? Dans les ventes, ce terme désigne un style et une mode qui va de la toute fin des années 30 à la fin des années 50. Plus précisément, il est caractéristique des années 1940-50. Par ses matériaux, par ses jeux de volume, par ses thématiques, le style rétro est un style à part entière.
L’expert Geoffray Riondet observe que « ce type de bijou ancien immédiatement reconnaissable fait aujourd’hui l’objet d’un regain d’intérêt ».
Et en effet ! Des pièces de joaillerie rétro figuraient en bonne place à la Tefaf (« The European Fine Art Fair ») de Maastricht en mars dernier, on en retrouvait aux Magnificent Jewels de Christie’s et Sotheby’s à Genève mi-mai et les voici également dans la vente des Fine jewels de Christie’s Paris du 6 juin, mais également dans celle de Baron Ribeyre et Associés à Drouot le 5 juin ainsi que chez des marchands spécialisés dans le bijou ancien… Le « regain d’intérêt » est là et bien là.
Eclairage sur le bijou rétro
Dans quel contexte est apparu le bijou rétro?
En 1937, dans un contexte politique tendu, s’ouvrait à Paris l’Exposition Internationale des Arts Techniques dans la Vie Moderne. Y étaient présentées les inventions techniques d’une cinquantaine de pays supposées démontrer le progrès de la civilisation apporté par la révolution industrielle.
Dans les Arts de la Parure, l’Exposition marqua le retour de l’inspiration figurative. L’historienne Sylvie Raulet y voit la source même de l’esthétique des bijoux vedettes des années 40-50 (in Bijoux des années 1940-1950). L’Exposition Internationale apporte ainsi une première rupture avec la période Art Déco.
L’autre explication de ce style rétro, c’est l’économie de moyen. En 1939, dès lors que la France fut engagée dans la guerre, puis assujettie à l’Occupation, les femmes durent porter une joaillerie moins luxueuse que pendant la décennie passée. La Passante du Sans-Souci remplace désormais l’insouciante Daisy des Années Folles.
Quelles sont alors les caractéristiques de ces bijoux? Reflet de son époque, ce bijou se porte souvent seul – en tout cas plus en parure. Il présente toutefois un dessin original et sa taille est relativement importante.
L’or, valeur refuge, prend le relai du platine pendant une période où les matériaux précieux (et notamment le platine, justement) sont requis pour l’industrie de guerre. L’or est soumis à de lourdes contraintes commerciales et les troupes de Hitler n’hésitent pas à piller littéralement tout l’or qu’elles trouvent pour nourrir l’effort de guerre ou simplement s’accaparer des richesses.
Quant aux importations de pierres précieuses, elles deviennent rares et coûteuses. Il est significatif de constater que nombre de rubis sertis sur des pièces de ces années sont en fait des pierres synthétiques. Enfin, et en toute logique, les périodes de guerre ne sont pas propices au commerce des articles de luxe et les Maisons de joaillerie voient leur activité réduite.
C’est tout cela qui forge l’identité du bijou rétro.
Rétro versus Art Déco
Le style Rétro succède au style Art Déco des années 1920-1930. La joaillerie Art Déco se signalait principalement par ses lignes géométriques et abstraites, ses volumes en aplat, et l’utilisation massive du platine et des diamants. La joaillerie Rétro, au contraire, est majoritairement composée d’or jaune et égayée de petites pierres précieuses aux couleurs vives.
Lorsque les gemmes sont de taille plus importante, bien souvent il s’agit de pierres fines : citrines, aigues-marines, améthystes. Les volumes du bijou rétro sont tridimensionnels, si bien qu’on accole souvent le mot « sculpture » au bijou rétro. Les lignes de l’Art Déco qu’on y retrouve parfois se sont assouplies. Courbes et volutes réapparaissent. Les motifs se font plus souvent figuratifs (fleurs, animaux) et les bracelets-manchettes cachent sous leurs arrondis de savants mécanismes horlogers.
Le rétro invité d’honneur des Magnificent Jewels
Marie-Cécile Cisamolo, experte joaillerie chez Christie’s Genève, explique que la Maison de vente a pu rassembler cette année pour la première fois vingt-quatre pièces « rétro » grâce tout d’abord à une collection d’une dizaine de pièces qui se trouvait en Italie. C’est de Londres qu’un des « top lot » (lot majeur) est venu enrichir ce premier apport. Enfin, de ci-de là, une véritable collection de bijoux rétro a pu être présentée. « Un véritable coup de coeur! ».
Si la Maison Sotheby’s présentait un nombre moins élevé de pièces des années quarante quelques chefs-d’oeuvre tout à fait emblématiques de ce style figuraient dans ses salons du Mandarin Oriental.
Comment reconnaître un bijou rétro?
Le rétro c’est de l’or d’abord!
Le rétro c’est une certaine sensualité des formes
Le rétro & l’art de la passementerie
On retrouve dans le bijou rétro tout un répertoire lié au textile : fils d’or tressés, noeuds, papilles, plissés et ajourés, dentelles et tulles. Les joailliers travaillent l’or sous toutes ses coutures.
Le rétro c’est bien pratique
Bien souvent ce que l’on croit être de proéminents fermoirs renferment en fait des mécanismes horlogers bien pensés!
Le rétro c’est patriotique
Les bijoux aux couleurs des pays alliés, bleu-blanc-rouge, connaissent un vif succès après guerre. Ces bijoux prennent une nouvelle dimension lors de la Libération. Et témoignent d’une nouvelle légèreté!
La collection « Hawaï » de Van Cleef & Arpels est assez emblématique de ce phénomène. Cliquer sur ce lien pour zoomer sur cette parure.
Le rétro c’est abordable
Il est, en guise de conclusion, un argument qui n’est pas des moindres pour qui souhaiterait posséder une pièce joaillière de caractère : le bijou rétro est accessible.
Si les bijoux signés conservent toujours mieux leur valeur, on trouve aussi des créations anonymes très réussies.
A lire, à voir et si vous souhaitez enchérir…
Van Cleef & Arpels L’Art de la Haute Joaillerie. Sous la direction d’Evelyne Possémé. Les Arts Décoratifs, Paris 2012
Entre histoire et éternité, Bulgari, de 1884 à 2009, 125 ans de joaillerie italienne. Sous la direction de Amanda Triossi. Skira 2009
Rouleau, J. (2004). Du rationnement à l’abondance : Les bijoux des années 1940 et 1950. Cap-aux-Diamants, (78), 46–47
Bijoux des années 1940 1950, Sylvie Raulet, Editions du Regard, Paris, 1987
Les Parisiennes, leur vie, leurs amours, leurs combats, 1939-1949. Anne Sebba. La Librairie Vuibert.
Christie’s Magnificent Jewels Genève 16 Mai 2018
Christie’s Fine Jewels Paris 6 Juin 2018
Sotheby’s Magnificent Jewels and Noble Jewels 15 Mai 2018
Maison Riondet spécialiste du bijou ancien français du XVIIIème siècle aux années 1970.
2 place Gailleton, 69002 Lyon.
Sur rendez-vous : 27 avenue de l’Opéra, 75001 Paris,
Mail :
g.*******@ma************.fr
Baron Ribeyre & Associés Drouot 5 Juin 2018
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Visuel de « une » : RETRO SAPPHIRE AND DIAMOND BANGLE, BOUCHERON Calibré-cut sapphires, circular-cut diamonds, platinum and gold (French marks), circa 1937, inner circumference 17.4 cm, signed Boucheron Paris. Christie’s.