Joaillerie française

"Le précieux pouvoir des pierres"

La pierre n’a pas toujours besoin d’être gemme pour attiser l’imagination et inspirer les artistes. Brute, elle porte une mémoire des lieux et parfois une force symbolique. C’est tout l’enjeu de l’exposition organisée du 30 janvier au 15 mai 2016 par le MAMAC de Nice que de faire valoir le « précieux pouvoir des pierres »

L’exposition réunit une vingtaine d’artistes français et s’organise en trois moments déclinant trois compréhensions possibles de l’univers des pierres, dans la lignée des réflexions d’un Roger Caillois dans l’Ecriture des Pierres ou encore dans La Lecture des pierres, récemment édité.

Le premier moment de l’exposition est une réflexion sur la place du minéral dans notre monde : tout notre substrat est minéral ; la géologie raconte l’histoire de l’humanité ; elle nous invite à une réflexion introspective sur nos origines et notre devenir. C’est le sens d’œuvres offrant le minéral à une observation inusuelle comme dans Thin disk with hole (1994) de James Lee Byars, simple disque de marbre blanc posé sur le sol, ou Fluorescences (2015) d’Eric Michel, alliant lumière noire et fluorite dans des luminescences où le minéral devient presque énigmatique.

Thin disk with hole, 1994, de James Lee BYARS
Thin disk with hole, 1994, de James Lee BYARS

 

Fluorescences
Éric MICHEL, Fluorescences , 2015

Cette méditation existentielle sur la présence du minéral n’a pas échappé aux mystiques de tous les temps. La pierre, brute ou taillée, vulgaire ou précieuse, s’est depuis toujours invitée dans les rituels religieux, occultes ou tribaux. La pierre philosophale et les pouvoirs magiques des pierres remontent à des temps immémoriaux. La puissance symbolique du minéral a profondément marqué les artistes. Plusieurs œuvres interrogent cette dimension comme les œuvres de Paul Armand Gette, mêlant des sculptures où la pierre est rendue à un état primal, lave figée ou blocs arrachés, à des figurations du sexe féminin : l’imaginaire tellurique et l’imaginaire sexuel se rencontrent dans une même esthétique des origines. Les Micachromes (2012) d’Evariste Richer, enfermant sous verre des parcelles minérales, semblant une coupe de strate rocheuse présentant une qualité graphique dont Roger Caillois aurait su déchiffrer le sens.

Evariste Richer (Montpellier, 1969) « Les Micachromes » (détail), 2012 Série de 11 cibachromes, 172 x 123 cm (chaque, encadré) Courtesy de l’artiste et d’UntilThen, Paris © Evariste Richer
Evariste Richer (Montpellier, 1969)
« Les Micachromes » (détail), 2012
Série de 11 cibachromes, 172 x 123 cm (chaque, encadré)
Courtesy de l’artiste et d’UntilThen, Paris
© Evariste Richer

Le mexicain Damian Ortega ordonne pour sa part des minéraux ordinaires dans des constellations mobiles qui semblent réinventer un ordre à partir du chaos des matériaux de récupération (papier de verre, câbles…).

Damián Ortega (1967, Mexico) Cinco anillos, 2011 Structure métallique et objets suspendus : fragments de verre coloré, alliage (Zamac), câble métallique, papier de verre et tezontle rouge (roche volcanique utilisée dans le domaine de la construction au Mexique) 254 x 240 x 240 cm Collection ISelf, Londres Courtesy de l’artiste et Kurimanzutto, Mexico city © Damián Ortega
Damián Ortega (1967, Mexico)
Cinco anillos, 2011
Structure métallique et objets suspendus : fragments de verre coloré, alliage (Zamac), câble métallique, papier de verre et tezontle rouge (roche volcanique utilisée dans le domaine de la construction au Mexique)
254 x 240 x 240 cm
Collection ISelf, Londres
Courtesy de l’artiste et Kurimanzutto, Mexico city
© Damián Ortega

La géologie et la minéralogie ont également excité la curiosité des scientifiques et des passionnés : les collections minéralogiques, les cabinets de curiosité, les archives de laboratoires organisent la profusion minérale d’une façon spontanément esthétique. Les artistes se sont emparés de cette dialectique de l’ordre scientifique et du naturel géologique – c’est le cas de Marine Class, qui dans Pierres de Rêve (2013) dispose de petits cailloux dans une boîte à outil évoquant les quêtes d’explorateurs-géologues. Hubert Duprat propose des assemblages de petits minéraux ou des tas de pierres taillées, conjuguant le brut et le poli en attente d’inventaire.

Marine Class (1983) Pierres de rêve, 2013 Bois peint, céramique émaillée, papier marbré, cuir, cailloux, crayon de couleur sur papier, laiton, 40 x 34 x 35 cm Dessin, 24 x 30 cm Courtesy de l’artiste
Marine Class (1983)
Pierres de rêve, 2013
Bois peint, céramique émaillée, papier marbré, cuir, cailloux, crayon de couleur sur papier,
laiton, 40 x 34 x 35 cm
Dessin, 24 x 30 cm
Courtesy de l’artiste

L’art des pierres n’est pas limité à la joaillerie : l’exposition niçoise démontre que la capacité d’inspiration des pierres est très vaste et que la magie minérale est une inépuisable source de création.

Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain (MAMAC)
Place Yves Klein
06364 Nice cedex 4
Téléphone:+33 (0)4 97 13 42 01
mamac@ville-nice.fr

Museum d'Histoire Naturelle
60, Boulevard Risso - 06364 Nice Cedex 4
Tél. : +33 (0)4 97 13 46 80
museum.histoire-naturelle@ville-nice.fr

 

Photo MOMAC, oeuvre d'Hubert Duprat


« De neige et de rêve, les bijoux d’Elsa Triolet »

Cantique à Elsa

Tu faisais des bijoux pour la ville et le soir
Tout tournait en colliers dans tes mains d’Opéra
Des morceaux de chiffons des morceaux de miroir
Des colliers beaux comme la gloire
Beaux à n’y pas croire Elsa valse et valsera
J’allais vendre aux marchands de New-York et d’ailleurs
De Berlin de Rio de Milan d’Ankara
Ces joyaux faits de rien sous tes doigts orpailleurs
Ces cailloux qui semblaient des fleurs
Portant tes couleurs Elsa valse et valsera

Louis Aragon, Les Yeux d’Elsa, 6ème et dernière section, Paris, Gallimard, 1942 (Oeuvres poétiques complètes, Bibliothèque de la Pléiade, p.803)

… Ces vers du grand Aragon peuvent servir d’introduction à l’exposition présentée par le Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Evreux jusqu’au 14 février 2016 : il s’agit de la collection de bijoux créés par celle que l’on connaît surtout pour ses œuvres littéraires et le couple célèbre qu’elle forma avec Aragon, Elsa Triolet (1896-1970).

L’exposition est constituée de cinquante-quatre pièces restaurées, principalement des colliers et des bracelets, prototypes, créations inachevées qui témoignent du travail d’Elsa Triolet : « Je m’efforçais de faire des colliers en une matière qui n’avait pas encore été utilisée, aussi personne ne pouvait m’enseigner la technique ». Les matières sont très variées, ni pierres précieuses ni pierres fines mais des matériaux naturels, modestes : papier tressé, pâte de verre, nacre, métal, cuir, galon de coton...

 

Ces bijoux ne sont pas des pièces de haute-joaillerie mais des bijoux décoratifs ou de mode, dont la valeur tient à l’imagination artistique qui s’y manifeste. La collection est d’une étonnante modernité ; les motifs et les dessins sont d’un charme très féminin.

 C’est en novembre 1928 qu’Elsa a rencontré Louis Aragon. A partir de 1929 et jusqu’à la fin de 1932, Elsa se lance dans la fabrication de bijoux pour subvenir à leurs besoins : « A l’atelier, c’est une écurie […] maintenant je m’occupe de nouveau des colliers qui me prennent vingt-quatre heures par jour. Je fais de nouveaux modèles, je m’inquiète à la pensée que tout cela ne vaut rien ». Et elle ajoute : « il faut renoncer à l’insouciance car la maison d’édition ne paie plus Aragon ».

Elsa crée ainsi des modèles et Louis, sous le nom de Monsieur Triolet, va les vendre dans les maisons parisiennes de haute-couture dont celles de Paul Poiret, Madeleine Vionnet et Elsa Schiaparelli, ainsi que dans les maisons d’exportations.

« Pauvre Louis ! Pour lui aussi le commerce était une chose parfaitement insolite. A six heures du matin, sans avoir le temps de déjeuner ni de se raser, il courait la valise à la main dans le quartier éloigné des maisons de commission. Moi, je préparais déjà une deuxième collection de colliers en choisissant le matériel de telle sorte que Louis n’ait pas trop de mal à porter la valise. Ce facteur tout à fait nouveau de création des modèles m’a amenée à des résultats inattendus. J’ai inventé des colliers presque impondérables, en crin blanc, dont on a écrit, quand ils furent exposés au « Salon des Artistes Modernes », que c’était des colliers de neige et de rêve. » 

collier 1931, perles en nacre, galon de coton beige et fermoir en alliage cuivreux

Collier 1931, perles en nacre, galon de coton beige et fermoir en alliage cuivreux

 Les bijoux d’Elsa créés pour la haute-couture connaîtront un destin exceptionnel : décrits par Elsa Triolet elle-même dans Colliers, roman-documentaire sur le monde de la mode (1932), ils sont photographiés par Man Ray et filmés par Agnès Varda en 1966.  En 1981, Louis Aragon offre près de cinquante modèles à la Bibliothèque Elsa-Triolet de Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), ainsi que la valise dans laquelle il allait lui-même présenter les bijoux aux couturiers.

 Ces bijoux ont été exposés de nombreuses fois. En 1972 une grande rétrospective Elsa Triolet eut lieu à la Bibliothèque nationale à Paris. A Saint-Etienne-du-Rouvray, ils furent exposés à plusieurs reprises en 1987, en 1996... Ils furent aussi prêtés à l'occasion d'une exposition au Musée de la Mode à Paris sur Elsa Schiaparelli.

L’exposition d’Evreux est une nouvelle occasion de découvrir ces créations originales et inattendues !

Pour aller plus loin :

 « De neige et de rêve, les bijoux d’Elsa Triolet », Editions du Chêne. Sous la direction scientifique de Florence Calame-Levert, conservateur du patrimoine, directrice du musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux.

Cet ouvrage présente une centaines d’illustrations avec la reproduction inédite de tous les bijoux de la collection.

Musée d’Art, Histoire et Archéologie
6, rue Charles Corbeau. 27000 Evreux
musee.mairie@evreux.fr / 02 32 31 81 90

 

Clichés : Art Digital Studio. Copyright : Musée d'Evreux.
La provenance des objets : collection Médiathèque de la ville de Saint-Etienne-du-Rouvray.