Les joyaux de l’Inde sous l’Empire Moghol

[section_title title= »Les gemmes du Trésor royal des souverains Moghols »]

Le Trésor royal des Empereurs Moghols des XVIème et XVIIème siècles comprenait des pierres précieuses de tailles spectaculaires. Les pierres venaient du sous-continent indien, d’autres d’aussi loin que d’Amérique du Sud. La plupart étaient échangées sur les marchés de Goa, le comptoir Portugais sur la côte Ouest de l’Inde.

Dans le monde islamique, l’important pour une pierre est davantage sa couleur et sa grosseur que sa pureté. Les gemmes du Trésor Moghol étaient classées selon trois groupes distincts :

Les spinelles étaient les plus prisés, en particulier ceux de teinte rose foncé et transparents en provenance du Badakhshan (région maintenant divisée entre le Tadjikistan et l’Afghanistan).

Collier de spinelles impériaux. Inde du Nord, 1600-1650. Spinelles, perles, cordon moderne. Inscriptions impériales en persan datées entre 1609 et 1635 sur quatre spinelles. L : 54,5 cm; spinelle central 162 ct; autres spinelles : 790 carats au total. @The Al Thani Collection 2013. Tous droits réservés. Photo Prudence Cuming Associates Ltd.

Cette place éminente accordée aux spinelles contraste avec les anciennes traditions de gemmologie du sous-continent indien ainsi qu’avec la nôtre. Les spinelles font partie des gemmes dynastiques mogholes que les souverains se transmettaient de génération en génération. Leur couleur même était associée au pouvoir (le rouge étant la couleur impériale). Les plus beaux spinelles étaient gravés du nom et du titre des souverains Moghols selon la coutume Timuride. Les gemmes en forme de galet étaient percées pour être enfilées en colliers. Elles étaient aussi montées pour être portées sur des turbans ou des bracelets d’épaules voir en amulettes sur le bras.

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Spinelle dit « The Timur ruby », gravé du nom de cinq souverains Moghols. Monté par la maison Garrard, Londres, 1853. Offert à la Reine Victoria par the Honourable East India Compagny en 1851. Courtesy of the Royal Collection / Her Majesty the Queen Elizabeth II.

Venaient ensuite les diamants, les émeraudes, les rubis et les saphirs, suivis par les perles formant une classe à part entière.

L’Inde était le producteur principal de diamants dans le monde jusqu’au XVIIIème siècle. La pureté et la taille des légendaires diamants issus des des mines de Golconde étaient très renommées.

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Diamant « Arcot II », 17,21 carats, Inde, vers 1760, modifié en 1959 et en 2011. L. 2,61 cm; l. 1,61 cm; D. 0,6 cm; poids : 17,21 ct. @The Al Thani Collection 2016. Tous droits réservés. Photo Prudence Cuming Associates Ltd.

Dans les anciennes traditions indiennes de gemmologie, une hiérarchie des pierres les plus précieuses avait été établie. Ces neuf gemmes étaient associées aux astres et aux planètes ainsi le rubis au soleil, le diamant à Vénus, le saphir à saturne… Le diamant était classé premier dans cette hiérarchie.Venaient ensuite la perle, le rubis, le saphir et l’émeraude. Ces cinq gemmes formant  le groupe des « Maharatnani ». Un second groupe rassemblait les quatre autres gemmes majeures de la culture hindoue : les « Uparatnani « , à savoir le zircon, la topaze, « l’œil de chat »(chrysobéryl) et le corail.

Bien qu’ils les eussent moins considérés que les spinelles, les empereurs Moghols collectionnaient avec passion les diamants. Leurs lapidaires les polissaient de manière à leur conserver le plus de poids possible, ce qui signifie que les tailles – même si elles pouvaient être sophistiquées – étaient très différentes de celles pratiquées en Occident. Les pierres plus importantes étaient taillées à fond plat, sans culasse, avec une table pour facette principale et quelques autres petites facettes autour. Ce qu’en Inde on appelle « polki diamonds » et en Europe la taille rose ou « rose cut ». Lorsque ces diamants taillés irrégulièrement, selon la tradition  Moghole, parvenaient en Europe, ils étaient généralement aussitôt retaillés (cf article sur les Diamants de la Couronne de Louis XIV et de Louis XV) pour leur donner plus de brillance et de symétrie.

Le diamant d’Agra. 28.15 carats, couleur rose intense « naturel fancy intense pink ». Ce diamant, antérieur à 1526, a été retaillé dans les années 1880 et 1990. L 1,8 cm; l 1,7 cm; D 1 cm. @The Al Thani Collection 2015. Tous droits réservés. Photo : Prudence Cuming Associates Ltd.

La découverte des mines d’émeraudes de Colombie date des conquistadors espagnols du XVIème siècle (auparavant les émeraudes provenaient d’Egypte puis d’Autriche).

Lors de sa conquête du Mexique, Hernan Cortés reçut du roi des Aztèques Moctezuma de magnifiques émeraudes qu’il rapporta en Espagne. Ce fut Gonzalo Jimenez de Quesada qui, en 1537, fit la conquête de la Colombie et découvrit les mines de Chivor (émeraudes aux inclusions de pyrite caractéristiques). Les mines de Muzo furent découvertes une trentaine d’années plus tard.
La grande richesse des mines colombiennes a entraîné une surabondance d’émeraudes en Europe, déclenchant un commerce florissant de ces pierres au Moyen-Orient et en Inde. Les souverains Moghols appréciaient énormément ces gemmes et ont encouragé les ateliers de taille et de joaillerie. En Inde, les émeraudes étaient le plus souvent gravées et non pas facettées en raison de la forme hexagonale originale du béryl et des inclusions fréquentes dites « jardins » de l’émeraude. Aussi, le motif floral gravé représente le style instauré à la cour de l’empereur Shah Jahan au milieu du XVIIème siècle.

Carved Emerald in platinum mount by Cartier, 2010
Emeraude gravée, 141,13 carats. Montée sur platine par Cartier, 2010. @ The Al Thani Collection. Tous droits réservés. Photo Prudence Cuming.

Les saphirs étaient très appréciés à la cour Moghole ainsi que dans les sultanats islamiques du Deccan, alors que les Indiens pensaient que cette couleur pouvait porter malchance et arboraient peu de saphirs. Ou bien, ils les portaient associés à d’autres gemmes pouvant atténuer les propriétés néfastes du saphir. Les rubis, de la même famille que les saphirs (corindons) seront évoqués longuement dans les pages suivantes sur les Maharajahs c’est pourquoi j’en parle peu ici – d’autant que la pierre précieuse rouge préférée des Moghols était le spinelle!

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Inde du Nord ou Deccan, 1675-1725 Or, saphir, diamants, rubis, émeraudes, perle, revers émaillé. @ The Al Thani Collection. Tous droits réservés. Photo Prudence Cuming.

Les perles sont très présentes dans la joaillerie Moghole. Associées avec les spinelles et les émeraudes, et portées en colliers, elles symbolisaient la royauté.
En Inde, elles sont vénérées depuis des millénaires comme des êtres saints en relation avec les dieux du panthéon hindou. Hans Nadelhoffer rappelle que les perles sont mentionnées dans les poèmes épiques Ramayana et Mahabharata . « Il n’existe pas un seul Indien qui ne considère pas comme son devoir sacré le fait de ne pas percer au moins une perle le jour de son mariage ». La science des pierres précieuses, Caire et Dufie, 1933.

Le jade (précieux : jadéite, plus commun : néphrite) fait partie des pierres utilisées dans l’art Moghol. Rare à cette époque, il était surtout approprié pour fabriquer des poignées d’armes d’apparat, manches de dague ou bien encore des bols et des coupes traversés de fils d’or composant des motifs floraux stylisés et sertis de pierres précieuses. On le trouve peu dans la joaillerie si ce n’est pour les bagues de pouce réservées aux souverains. On prêtait au jade de nombreuses vertus : la principale était qu’il favorisait les victoires militaires. On considérait également qu’il protégeait des poisons. Mais il reste surtout la pierre sacrée des Chinois.

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Jade néphrite serti de rubis et d’émeraude. Cette bague d’archer ou de pouce était réservée aux hommes et signe de royauté sous l’empire Moghol. Elle date de 1650-1700 environ. @ The Al Thani Collection. Tous droits réservés. Photo Prudence Cuming.