Jacques Lenfant : inventeur du bijou optico-cinétique

[section_title title= »Jacques Lenfant et le bijou optico-cinétique »]

Un dé à jouer et une aile d’oiseau figurent entre les lettres G et L sur le poinçon de maître de Georges Lenfant. Les bijoux créés par Jacques Lenfant ne sont jamais signés mais portent ce poinçon.


Jacques Lenfant (1904-1996)

Jacques est le fils du joaillier Georges Lenfant qui insculpe son poinçon de maître au service de la garantie en 1909 (l’atelier conservera toujours ce nom et ce poinçon). Il commence à travailler dans l’atelier familial en 1915 à l’âge de 11 ans. Jacques réussit à mener de front son travail à l’atelier et ses études secondaires jusqu’au baccalauréat obtenu en 1920. Il poursuit ensuite ses études à la prestigieuse Ecole Supérieure des Arts Décoratifs jusqu’en 1924. Il se spécialise dans le dessin joaillier auprès d’Alphonse Grebel, artiste aux talents multiples, sculpteur, peintre, décorateur, affichiste et joaillier (il gagne une médaille d’or à l’Exposition des Arts Décoratifs et Industriels Modernes en 1925), puis acquiert de l’expérience en Allemagne, Angleterre et Autriche. Jacques Lenfant se distingue par une connaissance complète du métier de bijoutier-joaillier tant d’un point de vue technique qu’artistique et intellectuel.

Dès la fin des années 1920, l’atelier se spécialise dans le travail de la maille et de la chaîne. Et c’est comme chaîniste que Jacques Lenfant se présente essentiellement. Il écrira d’ailleurs Le Livre de la Chaîne à la demande de la Chambre Syndicale de la Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie, publié après sa mort en 1996. Au cours du XXe siècle, l’atelier est devenu propriétaire de Gustave Sandoz et Verger Frères et a travaillé pour de grandes maisons françaises comme Fred, Hermès, Cartier, Mellerio, Mauboussin, Boivin, Van Cleef & Arpels, mais aussi internationales comme Gübelin, Rolex, Tiffany & Co, Bulgari. Très investi dans la profession et dans sa transmission, Jacques Lenfant a occupé différentes fonctions à la Chambre Syndicale et a créé en 1980 un prix destiné à récompenser la meilleure pièce du concours qui réunit les élèves du métier. Le prix Jacques Lenfant continue d’être décerné chaque année.

Profondément ancré dans la tradition, Jacques Lenfant était passionné par la recherche de la nouveauté formelle et de l’innovation technique. Il déposera d’ailleurs à l’INPI plusieurs brevets d’invention ainsi que des dessins et modèles essentiellement relatifs à l’élaboration de chaînes et de tissus ainsi qu’aux systèmes de fermeture.

La Collection Optical

A l’apogée de son art, à la fin des années 1960, il invente la collection OPTICAL et devient l’interprète le plus remarquable des principes de l’art optico-cinétique à l’échelle du bijou.

Publicité pour la collection Optical, cira 1970 @Antique Inez Stodel jewellery

Il s’approprie le vocabulaire formel de Vasarely et transforme son système des couleurs en contraste de textures. Pour répondre à une problématique inhérente à l’esthétique contemporaine, il adapte la technique bijoutière.

GEORGES LENFANT. UNE DEMI-PARURE « OPTICAL » EN TISSU MILANAIS D’OR JAUNE « PUR FIL PRESSE RELIEF SURFACE DIAMANT », 1970 @Symbolic & Chase

Dans la continuité des tissus d’or milanais et polonais réalisés par l’atelier dans les années 1926-1930, Jacques Lenfant met au point la technique du « pur fil pressé relief surfacé diamant ». Il dépose un brevet d’invention en 1970 (INPI FR 2098499 A5) qui sera délivré en 1972. Les dix pages du brevet décrivent une technique assez complexe. Des plaques de tissu souple sont découpées, goupillées verticalement et articulées en vue de produire une surface souple à l’aspect rigide. Le dessin est créé par un estampage à la presse dans une matrice au modèle. L’effet trompe-l’œil est dû à la répétition du motif et résulte du contraste entre les parties pressées, mates et en creux, et les parties en relief, brillantes grâce au poli miroir.

Pendant « Jeux de jetons » . Photographie Yves Gellie
Pendant « Jeux de jetons » . Photographie Yves Gellie

Dans ces pièces essentiellement abstraites, l’impression dynamique est liée aux vibrations alternées de la lumière sur les surfaces. L’effet est inédit et les pièces de cette collection aux noms évocateurs (« Fin de vagues », « Longueurs d’onde », « Sinusoïdes », « Cercles décalés »,…) sont une interprétation réussie des principes optico-cinétiques de l’esthétique contemporaine.

Bracelet « Tissu polonais » en or « pur fil pressé relief surfacé diamant », modèle « Sinusoïdes », vers 1970 @Hancocks London
@Hancocks London
@Hancocks London

Certaines grandes maisons de joaillerie et d’horlogerie sauront apprécier ces créations. Les bracelets Mikado et Op’Art Vagues de Van Cleef & Arpels sont en fait les modèles « Tournesol » et « Eventail » de la collection Optical. Bulgari a signé le bracelet « Cercles décalés » et Rolex les montres « Tournesol » et « Fin de vagues ».

Georges Lenfant pour Rolex, bracelet-montre « Tournesol ». @ Symbolic & Chase
Bracelet « tissu milanais  » en or pur fil pressé relief surfacé diamant », modèle « Cercles décalés », poinçon Georges Lenfant, signé : Bulgari, collection «Optical», vers 1970. poids : 99 grammes. dimensions : 17,5 x 3,5 cm. @ Antique Inez Stodel jewellery

Après la mort de Jacques, l’atelier Georges Lenfant a été vendu à Benjamin Leneman en 1998. Selon lui, la collection OPTICAL a été un véritable échec commercial. En effet, Jacques Lenfant a consacré beaucoup de temps et d’argent à l’élaboration de solutions techniques novatrices et sophistiquées pour réaliser des pièces probablement trop avant-gardistes pour le marché de l’époque. Parmi les clients de l’atelier, il n’y avait pas que les grandes maisons mais aussi de nombreux bijoutiers de quartier dont la clientèle avait des goûts plus conservateurs. La collection est probablement arrivée trop tôt sur le marché et n’a pas rencontré le succès qu’elle aurait mérité comme les gourmettes de la série « paillette » par exemple (un des « best-sellers » de l’atelier dans les années 1960-1970). La notion de « produit d’art » chère à Vasarely n’a peut-être pas essaimé dans le bijou avec autant de succès que dans d’autres domaines des arts visuels.

Dans les salles de vente

Par contre, ces dernières années, le prestige des pièces de l’atelier Georges Lenfant s’est particulièrement accru chez les collectionneurs et les amateurs comme en témoigne l’évolution de sa cote aux enchères. Le poinçon de maître désormais bien connu a le prestige d’une signature de grande maison. Par exemple, le prix des fameux bracelets « Chaîne d’ancre tressée » d’Hermès flambent dès qu’ils portent le poinçon de Georges Lenfant. Les résultats les plus remarquables ont été réalisés par des pièces de la collection OPTICAL (parfois présentées de manière anonyme par les maisons de vente et généralement accompagnées d’estimations extrêmement basses, mais en général repérées par les acheteurs). Ainsi un bracelet « Sinusoïdes » estimé entre 2000 et 3000 $ a été adjugé 16.250 $ dans la vente Christie’s Jewels online en avril 2016. Le mois suivant, un bracelet « Eventail » estimé entre 2500 et 4500 € atteignait 35.000 € chez Pandolfini à Florence et une montre « Tournesol » signée Rolex culminait à 52.500 CHF chez Phillips à Genève. Dernièrement, un ensemble pendant et clips d’oreilles « Fin de vagues » estimé entre 5000 et 7000 $ a réalisé 27.500 $ et une montre au modèle signée par Rolex 35.000 $ lors de la vente Phillips à New York en décembre 2018.

Georges Lenfant. Bracelet Optical flexible en or jaune, modèle « Eventail » @ Symbolic & Chase

Aujourd’hui, la plupart des antiquaires et collectionneurs de bijoux anciens cherchent à acquérir des bijoux Georges Lenfant. En particulier, Martin Travis et Sophie Jackson de Symbolic & Chase qui ont réuni un ensemble remarquable de pièces de la collection OPTICAL et ont ainsi participé à la reconnaissance de l’œuvre novatrice de Jacques Lenfant et de sa dimension artistique.