Vente du Diamant brut « Lesedi la Rona » : Coup de théâtre chez Sotheby’s

Au mois de Mai, nous avions vu que les diamants de couleurs atteignaient des sommets lors des ventes aux enchères internationales.
En ce début d’été, un autre record devait être battu grâce à la vente du plus gros diamant brut connu, le « Lesedi la Rona ». « Lesedi la Rona » est le plus important diamant brut incolore de qualité gemme qui ait été trouvé depuis plus d’un siècle.

Or, coup de théâtre ! ce mercredi 29 juin, le Lesedi la Rona n’a pas atteint le prix de réserve de 70 millions de dollars, calant à 61 millions : il n’a donc pas été vendu ! 

Sotheby’s évoque dans un communiqué sobre et calibré le « privilège » qu’a représenté pour cette prestigieuse maison la mission de vendre cette pierre.

Sans doute les circonstances actuelles en Europe, entre Brexit, chute spectaculaire des marchés et terrorisme, ont-elles freiné les investisseurs. Peut-être aussi une certaine incertitude sur la valeur de cette pierre une fois taillée a-t-elle affecté la vente. Peut-être enfin, certains professionnels ont-ils agit pour compromettre le succès d’une vente qui aurait remis en cause bien des habitudes? Le communiqué de Sotheby’s n’en dit pas davantage et l’on ignore même s’il sera proposé de nouveau à la vente, et dans quels délais.

Revenons néanmoins sur ce spécimen unique.

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@Sotheby’s

D’un poids de 1109 carats, il a été découvert le 16 novembre dernier au Botswana dans la mine bien-nommée de Karowe (qui signifie « pierre précieuse » dans la langue locale) par la compagnie minière canadienne Lucara Diamond Corp. La découverte de ce diamant résulte d’un nouvelle technologie d’extraction des diamants appelée Large Diamond Recovery (« LDR ») XRT.

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Mine à ciel ouvert de Karowe au Botswana@Lucara Diamond Corp.
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Site minier de Karowe@Lucara Diamond Corp

 

Les caractéristiques principales de cette pierre historique

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Elle mesure 65 x 56 x 40 millimètres, les experts s’accordent à dire qu’elle est d’environ de la taille d’une balle de tennis.

Sachant qu’un carat est égal à 0,20 grammes, Lesedi la Rona pèse très exactement 221,8 grammes.

"NEW YORK, NY - MAY 03: Lesedi La Rona Diamond Still Life at Sotheby's on May 3, 2016 in New York City. (Photo by Donald Bowers/Getty Images for Sotheby's)"
Photo by Donald Bowers/Getty Images for Sotheby’s

Le rapport du GIA décrit le diamant comme étant de type IIa (c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’azote détecté en spectrométrie infrarouge dans sa structure atomique). Très rares, seulement 0,8% des diamants appartiennent à ce groupe. On les considère comme étant les diamants les plus purs, de structure parfaite.

On estime que sa formation date d’un à trois milliards d’années.

Pourquoi ce nom?

Après sa découverte, ce diamant brut était référencé sous le nom de « Karowe AK6 ».

Le 9 février 2016, suite à un concours lancé par Lucara Diamond Corp. auprès des citoyens botswanais, il a été renommé « Lesedi la Rona ». Ce mot signifie « notre lumière » dans la langue la plus répandue du pays, le Tswana.

Le Botswana, pays de diamants 

Les diamants ont été découverts au Botswana en 1966, juste après l’indépendance de cette ancienne colonie britannique.

Le Botswana a connu l’une des plus fortes croissances au monde depuis les années 1960, principalement grâce à l’exploitation de ses très riches ressources en diamants, qui ont fait de lui le leader mondial de l’exportation en valeur de diamants. Le Botswana est actuellement le deuxième producteur mondial de diamants derrière la Russie (Source Rapaport, septembre 2015).

Le Botswana est surnommé « la Suisse de l’Afrique » en raison de la stabilité du pays et de sa gouvernance qui demeure l’une des meilleures du continent.

Selon une note de La Direction générale du Trésor d’avril 2016 : « L’an dernier, le pays a fortement pâti de la baisse de la demande externe en diamants, notamment américaine (1er marché mondial avec 40 % de la demande), à l’origine d’une accumulation de stocks pesant in fine sur les prix du gemme brut. La morosité du marché, liée en partie également au ralentissement de la demande des pays émergents, s’est soldée par un recul de -20 % des ventes annuelles de De Beers et de Botswana’s Okavango Diamond Company. »

La découverte de Lesedi la Rona et de deux autres importants diamants devait redonner un peu d’éclat au pays : la mise en échec de la vente est une très mauvaise nouvelle.

Le Botswana fait partie depuis 2003 des pays participant au Processus de Kimberley. Pour mémoire, les accords de Kimberley (1 janvier 2003) constituent la principale initiative internationale visant à empêcher le trafic international de « diamants de guerre » , c’est-à-dire des diamants bruts servant à financer les conflits armés. Le Botswana a assuré la vice-présidence en 2005 et la présidence en 2006 du Processus de Kimberley.

Précédents records pour des diamants bruts

  • Record par le poids du brut

Le plus grand diamant du monde jamais trouvé demeure à ce jour le « Cullinan », un diamant brut de 3106,75 carats, découvert en 1905 dans la mine Premier, située à quarante kilomètres à l’est de Pretoria, en Afrique du Sud. Le Cullinan avait été fractionné en neuf grosses pierres et une centaine de plus petites.

Le Cullinan I, dit « l’Etoile de l’Afrique » orne le sceptre impérial britannique et reste à ce jour le plus gros diamant taillé incolore dans le monde. Son poids est de 530,20 carats.

Royal Collection Trust © HM Queen Elizabeth II 2016
Royal Collection Trust © HM Queen Elizabeth II 2016

Le Cullinan II, diamant de 317,40 carats, est serti sur la face avant de la couronne impériale d’apparat.

Royal Collection Trust © HM Queen Elizabeth II 2016 Cullinan II
Cullinan II. Royal Collection Trust © HM Queen Elizabeth II 2016

Tous deux font partie des joyaux de la Couronne britannique, précieusement gardés à la Tour de Londres.

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Royal Collection Trust © HM Queen Elizabeth II 2016
  • Record précédent par le prix au carat

Lesedi la Rona n’est pas le seul diamant a avoir été trouvé par Lucara dans la mine de Karowe. Deux autres diamants de 813 et 374 carats ont été découverts au même moment. Cela accrédite l’idée que la compagnie a puisé dans un filon de gros diamants…

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Diamant « The Constellation », 813 cts @Lucara Diamond Corp.

Lucara a mis en vente en mai dernier « The Constellation ».
Ce brut de 813 carats a été cédé au dubaïote Nemesis International DMCC pour 63,11 millions de dollars, soit 77 649 dollars le carat. C’est le montant le plus élevé enregistré pour un diamant brut.

Quel devenir pour ce diamant hors-normes ? 

"NEW YORK, NY - MAY 03: Lesedi La Rona Diamond Still Life at Sotheby's on May 3, 2016 in New York City. (Photo by Donald Bowers/Getty Images for Sotheby's)"
Photo by Donald Bowers/Getty Images for Sotheby’s

Lesedi la Rona est d’une transparence, d’une couleur et d’une qualité très prometteuses. Selon plusieurs laboratoires, dont le GIA, ce diamant aurait le potentiel pour devenir, une fois taillé et poli, le plus gros diamant du monde de qualité gemme. Sa couleur définitive sera attribuée après sa taille mais on s’attend à ce qu’elle soit classée D (le summum).

Si les doutes sont minces quant à ce que pourrait être la beauté de cette pierre une fois taillée, la première question qu’on peut se poser est tout simplement : faut-il la tailler ou pas ?

Conservé à l’état brut, Lesedi la Rona deviendrait une pièce de collection et resterait le plus important diamant du monde. C’est du moins l’avis de certains collectionneurs qui ajoutent qu’une fois le diamant Lesedi la Rona taillé, l’acquéreur court le risque qu’il ne devienne « que » le second plus grand diamant poli derrière le « Star of Africa ». En effet, lors de la taille d’un brut, le pourcentage de perte peut s’avérer très important. Le dilemme éternel auquel se trouve confronté le diamantaire est de conserver le plus de poids à la pierre tout en réalisant la plus belle taille possible.

D’où la seconde question : qui serait capable de tailler Lesedi la Rona?

A priori, cette taille reviendra à l’une des trois places historiques de la taille des diamants : Anvers, New York ou Tel-Aviv.

William Lamb, CEO de Lucara Diamond Corp. considère qu’Anvers devrait être logiquement l’étape suivante : « I do not believe that there is any technical expertise outside of Antwerp that would actually have the capacity to polish the stone. If somebody is going to polish it, the probability that it will make its way back to Antwerp is better than average. If I were to buy the stone, I would bring it here. Antwerp is a centre of excellence when it comes to knowledge of polishing large diamonds. There’s really no other place. »

(« Je ne crois pas qu’il y ait d’expertise technique possible hors Anvers qui puisse avoir la capacité de polir la pierre. Si quelqu’un doit polir le diamant, la probabilité que le diamant revienne à Anvers est forte. Si je devais acheter cette pierre, je l’apporterais ici. Anvers est un centre d’excellence en matière de connaissance de polissage des gros diamants. Il n’y a vraiment pas d’autre endroit « )

Un avis d’expert : nos questions à Monsieur Eric Hamers 

Meilleur Ouvrier de France en 1997,  PDG de la société Hamers (qui a obtenu en 2009 le label Entreprise du patrimoine vivant) président des diamantaires de France, Eric Hamers est diamantaire de père en fils depuis quatre générations. Eric Hamers nous offre un éclairage sur les défis que devra relever la taille de ce diamant brut. Nous le remercions très vivement d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.

C.J : L’idée même de conserver le diamant dans son état brut vous paraît-elle plausible?

Eric Hamers : Non! En tant que puriste et esthète, je dirais qu’il faut tirer le maximum de cette découverte historique et donc bien sûr tailler ce diamant pour qu’il exprime tout son potentiel. Un diamant brut est en état de latence, en attente de devenir. Le diamant Lesedi la Rona est comme pétri d’un don qu’il faut travailler, alors seulement on en retirera sa quintessence. Si l’on tient à conserver trace de sa forme brute, il suffit d’en faire un moulage, on aura exactement le même rendu.

C. J : Quelle serait la taille que vous retiendriez  pour « Lesedi La Rona » ?

Eric Hamers : Ce serait une taille poire, c’est une évidence. La pierre parle d’elle-même.Je ne vois qu’une seule restriction : les impuretés et poches de gaz qu’on ne peut déceler à l’avance, et qui pourraient rendre le travail plus compliqué. Mais il y a de fortes chances que la pierre soit de même qualité que le Cullinan.

C.J : Les bruts de grosse dimension requièrent-ils une technique particulière de taille ? 

Eric Hamers : Aujourd’hui, grâce au laser, les diamantaires ont la possibilité de découper des tranches de ces pierres de dimension importante. C’est un gain considérable de temps et l’on s’épargne beaucoup de fatigue physique et nerveuse. Une fois ce premier travail réalisé, le laser permet également de réaliser un travail d’une très grande précision. Pour obtenir une  taille poire, il faudra découper des morceaux de 5, 6 ou 7 carats – ces reliquats seront ensuite vendus à 100 000 dollars le carat…

C.J : Y a t-il un type de taille préférable pour les diamants de volume important ?

Eric.Hamers : Généralement, pour les diamants supérieurs à 5 ou 10 carats, la taille royale, c’est le coussin. Mais pour Lesedi la Rona, l’idéal sera la taille poire. Je crains qu’on ne réalise une taille conforme aux standards académiques. Par exemple, la taille brillant ronde, créée en 1919 par le diamantaire belge Marcel Tolkowsky,  comprend 57 ou 58 facettes : c’est la taille idéale selon les standards internationaux, et c’est aussi la taille la plus populaire aujourd’hui… mais la pratiquer quelle que soit la taille de la pierre n’a pas de sens. Le risque est que le Lesedi la Rona subisse ce traitement standardisé, alors qu’une réflexion précise sur la nature et l’identité de cette pierre devrait amener une taille spécifique.

On ne devrait jamais oublier jamais que la beauté d’une pierre taillée vient de l’harmonie de ses proportions, donc de l’équilibre entre la forme donnée à la pierre et le nombre de facettes. Sachant que l’indice de réfraction du diamant (le rapport entre la célérité de la lumière dans le vide et celle dans la pierre) indique que la lumière pénètre 2,4 fois moins vite dans le diamant que dans l’air, le principe est de bloquer la lumière par le jeu complexe entre les facettes. Aussi, si l’on me donnait à tailler une pierre de ce volume, je doublerais les clôtures (ou haléfis), c’est-à-dire les facettes en forme de triangle qui bordent le rondiste de la pierre : le travail du diamantaire consiste en somme à capturer la lumière pour la rendre prisonnière de la pierre, et par ce doublement que permet la dimension de la pierre, je retiendrais un maximum de lumière.

C.J : Quel pourcentage de perte pourrait-il y avoir sur un tel brut?

Eric Hamers : On peut estimer que le Lesedi la Rona perdra au maximum 50% de son poids lors du processus de taille – et même moins si la taille était réalisée dans mon atelier! Ce que j’appelle « perte », c’est au sens propre du terme, le diamant qui part en poudre, en fumée. Aujourd’hui, grâce au découpage de tranches au laser, les pertes sont considérablement réduites.

C.J : Un vœux pour l’avenir de cette pierre?

Eric Hamers : Qu’elle soit taillée avec talent, imagination et goût! Ce qui serait triste, c’est que la taille, même si elle est bien réalisée, soit impersonnelle, froide, et finalement sans âme.

***

N’en doutons pas : le Lesedi la Rona sera vendu un bon prix, même s’il est inférieur aux attentes. L’histoire de ce diamant est donc encore à écrire. On imagine qu’une fois taillé et poli, le Lesedi la Rona réapparaîtra, bardé des meilleurs certificats, lors d’une nouvelle mise aux enchères qui, de nouveau, défraiera la chronique.

Pour aller plus loin : 

Botswana’s Scintillating Moment
Peer Reviewed Article
Robert Weldon and Russell Shor
Gems & Gemology, summer 2014, Vol. 50, No. 2

Botswana’s diamond industry loses its sparkle

Gavin du Venage. The National, Business, December 20, 2015

De Beers et le Botswana une alliance taillée sur mesure
Par Christophe Le Bec, Jeune Afrique, 3 février 2016

 

Crédit : Donald Bowers/Getty Images for Sotheby’s